Calmann Lévy, éditeurs (p. 25-30).

ROSES DE NICE





Dans le jardin bien soigné,

Bien peigné,

De l’horticulteur en vogue,
Les roses poussent par rangs

Odorants,

En ordre de catalogue.

Crac ! à peine aperçoit-on

Un bouton,

Qui, près de s’ouvrir, se penche,
Qu’un sécateur magistral

Et brutal

Vient, brille au soleil… et tranche.

Alors c’est l’entassement

Déprimant

Pêle-mêle, au fond des boîtes ;
C’est, dans le Rapide ardent,

Trépidant,

Le heurt aux planches étroites ;

C’est, en ces frêles cercueils

Où les deuils

Viennent en tas se confondre,
La course vers le ciel gris

De Paris,

Ou vers les brouillards de Londre ;

C’est l’arrivée au matin

Incertain,

Dans le brouhaha des gares,
Puis le douloureux cahot

Du grand trot

En des camions barbares ;

Enfin, parmi les velours

Aux plis lourds,

Les satins et les peluches
De quelque salon doré,

Encombré

De coûteuses fanfreluches,

C’est le triomphe éclatant

D’un instant…

La dernière cavatine…
La mort dans un vase froid

Au col droit,

Sec comme une guillotine.




Roses aux corselets verts

Entr’ouverts

Par des guimpes satinées,
Las ! hélas ! pourquoi faut-il

Qu’à l’exil

L’homme vous ait condamnées ?

Vous étiez si bien là-bas

N’est-ce pas,

Sous vos perles de rosée,
Quand, à l’heure du réveil,

Le soleil

Dorait la mer irisée ?

Si bien aussi quand midi

Engourdi,

De langoureuses caresses
Vous abreuvait largement,

En amant

Prodigue de ses tendresses ?


Si bien, si bien, quand, sans bruit,

Chaque nuit

Vous entourait de son voile
Et que vous sentiez sur vous

Fixe et doux

Tomber un regard d’étoile ?

Là-bas, dans l’air tiède et pur,

Dans l’azur

Que toute journée amène,
Vous auriez pu, sans nuls soins,

Vivre au moins

Vos cent ans… une semaine !

Mais dans nos coins étouffés

Surchauffés,

Où flotte une âcre poussière,
Où les grands rideaux frileux,

Onduleux,

Vous marchandent la lumière ;


Dans les logis étriqués,

Compliqués

Des villes aux ciels moroses,
Quel mystérieux et noir

Désespoir

Doit vous prendre, ô pauvres roses !

Aussi vous voit-on souffrir

Et mourir,

Courbant vos tiges fluettes,
Et rouler sur les tapis

Assoupis

Comme des larmes muettes…