La Muse gaillarde/La Loi d’amour

La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 177-180).



LA LOI D’AMOUR


Deux êtres s’aimaient d’un amour
Pur et sans alliage,
Comptant bien en finir, un jour,
Par un bon mariage.

Les parents de nos amoureux
S’y montraient favorables,
Cette union étant pour eux
Chose fort désirable.


Mais, tout de même, ils ouvraient l’œil
Sur leurs faits et leurs gestes.
À seule fin qu’en un fauteuil
Ils n’abusent des siestes.

La mère du jeune tendron
Les harcelait, farouche,
Tout le jour, comme un moucheron,
Et voyait tout en louche.

Quand ils se croyaient à l’écart,
Pour se dire des choses,
Elle survenait, par hasard,
Leur débiter ses proses.

Le père du jeune garçon
Ne les voyait qu’à table ;
Il y mettait moins de façon,
Beaucoup moins redoutable.

Or, un jour, s’étonnant de voir
Ces amants en détresse,
Vous pensez s’il voulut savoir
D’où venait leur tristesse.

Des qu’il en connut la raison,
Et sans plus qu’il insiste,
Il courut vite à la maison
De notre rigoriste.


« Pourquoi contrister leurs amours,
— Dit-il à la commère —
Puisqu’aussi bien, dans quelques jours,
Iront devant le maire ? »

« Soit ! qu’ils aillent se promener !
Surtout, pas de bêtises !
Dit-elle. Et rentrez, pour dîner
À sept heures précises. »

Voilà donc nos deux tourtereaux,
Pleins d’une ivresse folle,
Le cœur chaud comme braseros,
Partis à la venvole !

Enfin ! ils étaient seuls, pas moins,
Tout en jeunesse, en joie.
Ils pouvaient jouer, sans témoins,
Au jeu de « Petite Oie ».

Et puis, mon gaillard s’enhardit,
Au cours de la journée ;
Si bien qu’ils prirent — comme on dit —
Un pain sur la fournée…

Mais, hélas ! en sortant du bois,
C’était fini de rire.
Ne parlez pas tous à la fois !
Aurait-on pu leur dire.


Elle était soucieuse, et lui,
Les yeux fixés à terre,
Semblait se dessécher d’ennui.
Quel était ce mystère ?

À six heures, ils étaient là,
En bien triste équipage.
« Ah ! ah ! mes enfants, vous voilà !
À quand le mariage ? »

« Eh bien ! nous avons réfléchi.
Moi surtout, ou tout comme…
Je ne ferai pas de chichi,
Répondit le jeune homme.

« Maintenant que je la connais,
Et malgré tout mon zèle,
Je ne m’accorderai jamais
Avec mademoiselle.

« Soyons heureux, — ça vaut bien mieux,
— Dit la Philosophie,
Durant un jour, que malheureux
Pendant toute la vie ! »