La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 228-230).



Ô VIN !


Jardin habité par le suave Ariel
Où viennent se griser de parfum et de miel
Les papillons poudrés et les blondes abeilles,
Ô Vin ! fais mon cœur chaud et mes lèvres vermeilles !

Orgie étourdissante où filles et garçons
Font assaut de baisers, de danses, de chansons
Au bruit des tambourins bourdonnants et des flûtes,
Ô Vin ! dans ma cervelle il faut que tu culbutes !


Gai paradis où des amoureux de vingt ans
Qui sont coiffés de grâce et vêtus de printemps
S’aiment ingénument dans les molles prairies,
Ô Vin ! débite-moi mille galanteries !

Temple prestigieux, rond, s’il n’est pas carré,
Sans cesse palpitant du rouge feu sacré
Qu’entretient chastement une jeune vestale,
Ô Vin ! habille-moi de pourpre orientale.

Torrent impatient dont les flots turbulents
Semblent un vol fantasque et brusque d’oiseaux blancs
Qui dans l’air irisé iraient semant leurs plumes,
Ô Vin ! je veux bondir sur tes folles écumes !

Mer éternellement pacifique : toujours
Le marin y connaît l’ivresse des retours
Sous les yeux bienfaisants des lointaines étoiles,
Ô Vin ! sillonne-moi d’espoirs, célestes voiles !

Église où sur l’encens et comme épris de ciel
Montent les chœurs divins de Bach et de Hændel
Multipliés vers Dieu par les orgues mystiques,
Ô Vin ! emporte-moi sur l’aile des cantiques !

Admirable festin où des rois très cléments
Boivent à la santé des poètes charmants,
Rois n’ayant que le Beau pour loi, le Beau pour culte,
Vin ! distrais-moi du mal par ton joyeux tumulte !


Éveil de la nature au joli mois d’avril
Quand un peu de douceur flotte dans l’air subtil,
Quand c’est poindre partout la sève rose et verte,
Vin ! sois-moi sur le Bien une croisée ouverte !

Fontaine de Jouvence où se baignent les dieux
Fais mon cœur toujours jeune et toujours radieux !
Miroir de vérité brillant comme la flamme,
Ô Vin ! qu’en mon ivresse on sache encor mon âme !

Ciel que ne peut fixer le regard ébloui
Où le soleil d’été demeure épanoui
Sans que dans l’Océan jamais il s’engloutisse,
Ô Vin ! dis à mes pas le chemin de justice !

Ville en fête ; voici le César triomphant
Porté par ses soldats comme un petit enfant,
Lui et son char paré du sang de la victoire,
Ô Vin ! ordonne-moi de mépriser la gloire !

Poème de tendresse écrit par Valmîki
Dont la seule lecture ennoblit le yoghi,
Que la bonté chez moi devienne machinale,
Ô Vin ! vin d’amarante et de pourpre automnale !