La Mort en face/Gethsémani

GETHSÉMANI

Selon Matthieu

Je monte vers Gethsémani,
Tout au long de la nuit obscure.
La nuit est longue, la nuit dure,
Ô nuit, odeur de l’agonie.

Autour de moi rien ne subsiste
De tout cela que je rêvais.
Jusqu’à la mort mon âme est triste,
Mon âme est triste, il faut veiller.


Selon Marc

Père est-il vrai que vienne l’aube ?
Qu’approche celui qui me livre ?
Que ce calice se dérobe !
Que le matin me laisse vivre !

Mais s’il faut que je m’apprête,
Si nul ne peut rompre mes chaînes,
Que votre volonté soit faite,
La vôtre, Père, et non la mienne.

Selon Luc

Les miens sont endormis encor,
Accablés sous l’immense peine,
La sueur coule de mon corps,
Le sang s’écoule de mes veines.

Est-ce un ange qui vient vers moi ?
Ses paumes sont douces et fortes.
Il rafraîchit mon désarroi,
Il me parle et me réconforte.


Selon Jean

Si viennent juges et vendus,
Père je pourrais leur jurer
Que personne ne s’est perdu
De ceux qu’on m’avait confiés.

J’aurai gardé de l’aventure
Ceux-là qui ont su m’écouter
La nuit est longue, la nuit est dure,
Mais j’y maintiens cette fierté.


Si longue soit-elle et si dure
En souvenir de l’agonie,
Seigneur, et de la nuit obscure
Sauve-moi de Gethsémani !

3 février 1945.