La Mort de notre chère France en Orient/39

Calmann-Lévy (p. 211-213).


XXXIX

LETTRE DE M. GABRIEL CHARRAZAC,
EX-SERGENT DES T. F. L.


Agen, 21 février 1920.
Monsieur,

C’est simplement parce que j’ai la conviction que je sers les intérêts de mon pays, la France, que je viens vous demander de vouloir bien recevoir la brève relation qui suit, de mes sentiments personnels sur les soldats turcs.

Je me trouvais l’année dernière adjoint à l’administration d’un dépôt de prisonniers de guerre à Beyrouth, en Syrie, et j’ai pu me rendre compte que les Turcs n’étaient pas les sauvages dont on s’est complu à nous faire le portrait. La lecture des nouvelles récentes de source anglaise sur les soi-disant massacres des Arméniens ou des Chrétiens — j’aime bien ce mot « massacre » — me fait hausser les épaules.

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Le 14 juillet 1919, à l’issue de la revue des troupes françaises qui venait d’avoir lieu sur la Place des Canons, le capitaine vint au dépôt comme cela était indiqué au programme. Mes deux cents pensionnaires s’étaient tous convenablement toilettés ; ils avaient ciré leurs chaussures avec soin et la chaouiche les avait fait ranger par quatre dans le jardin. À l’arrivée du capitaine, un bref commandement en turc provoqua l’immobilité de tous. Un drapeau français dont j’avais acheté l’étoffe, la veille, au souk, et que m’avait confectionné, sans platitude aucune, Abdulatif Mohamed Mle 194, faisait claquer ses couleurs au vent à la balustrade du balcon de mon bureau.

Après un regard circulaire, le capitaine, paraissant satisfait de la tenue de tous, leur servit la petite allocution suivante : « C’est aujourd’hui le jour de la Fête nationale de la France ; je n’ai pas voulu que ce fût un jour de tristesse pour vous ; ça n’est pas votre faute si vous avez été engagés aux côtés des ennemis de la France dans cette guerre, c’est celle de votre gouvernement. Je n’ignore pas que la vieille Turquie compte de bons amis pour les Français ; par ailleurs je sais que nos prisonniers en captivité dans votre pays n’ont pas été maltraités. J’espère que dans un temps prochain votre rapatriement va pouvoir s’effectuer et que vous pourrez rentrer la tête haute dans votre pays. » Le chaouiche traduisit en turc ces paroles. À la fin, deux cents voix comme mues par un ressort lancèrent au capitaine français un « inchallah » pathétique et vibrant.

Des permissions par groupes accompagnés de tirailleurs algériens en tenue de ville furent accordées. Comme la France est belle quand ses soldats comprennent ainsi à propos leur rôle.

Signé : GABRIEL CHARRAZAC,
Ex-sergent des T. F. L.