La Mort de notre chère France en Orient/10


X

UNE LETTRE QUI, À ELLE SEULE,
SUFFIRAIT À PROUVER
LA « FÉROCITÉ » DES TURCS[1]


Constantinople, le 25 janvier 1915.

Je pense bien que vous n’êtes pas ignorants du naufrage du sous-marin Saphir, dans les Dardanelles, qui est arrivé le 15 janvier à douze heures quarante-cinq environ. On était à mille cinq cents mètres de la côte, ce qui fait que nous avons eu tant de victimes ; ne sachant assez bien nager, nous nous sommes sauvés à treize sur vingt-sept que nous étions à bord. Il a fallu nager environ demi-heure et je vous assure que l’eau n’était pas chaude, surtout que le vent soufflait assez dur. Heureusement que nous avons eu affaire à de bons officiers turcs, jusqu’à même se déshabiller pour nous couvrir. Aussitôt que j’ai été ramassé par une baleinière, je me suis vu déguiser en lieutenant turc, on nous a envoyés à côté d’un foyer d’une chaloupe à vapeur, on nous a amené la bouteille de whisky ; vous parlez de lui envoyer une secousse… nous tremblions comme un tas de feuilles mortes. Heureusement que deux ou trois heures après on était complètement rétablis. Aucun de nous n’a même chopé la moitié d’un rhume. Nous avons resté vingt-quatre heures là, le lendemain on nous a envoyés à Constantinople et voilà cinq jours que nous y sommes. Nous nous y trouvons tous bien et je vous assure que le carnet de sommeil on le met à jour, on n’a plus besoin de faire le plat, on est servi à table comme des messieurs.

Signé : le gall.
Adresse,
Prisonnier français. Commandement de la Place.
Constantinople.
Turquie.
  1. Elle est écrite par un de nos matelots à sa famille.