La Mort de la Terre - Contes/La Bataille

LA BATAILLE


À Frédéric de Neufville.

L’Autriche-Hongrie traversait la plus formidable crise qu’elle eût encore traversée durant les temps modernes. À la vérité, l’Allemagne, surprise elle-même par ses luttes politiques, avait laissé sans encombre le jeune empereur monter sur le trône antique des Habsbourg.

Mais à présent, l’opposition dissoute et les crédits de guerre votés, Wilhelm III surveillait les événements.

Ils apparaissaient redoutables. Les Slaves étaient en révolte ouverte, et si résolus, que les ministres hésitaient à donner les ordres qui devaient déchaîner la guerre civile. La Hongrie, prête à s’unir étroitement à l’Autriche pour la répression, montrait des exigences qui devaient, si elles étaient admises, lui assurer la prépondérance dans l’empire. L’armée, fatalement, n’était pas sûre : on pouvait craindre des défections non seulement parmi les soldats de race slave, mais encore parmi les officiers. Par surcroît, la malheureuse affaire des Conventions syriennes prenait une allure menaçante.

Sourdement encouragée par l’Allemagne, la Turquie se montrait intransigeante, presque discourtoise. Elle refusait une indemnité convenable, ne mettait aucun empressement à sévir contre les meneurs. Secrètement, le sultan Mourad-Khan VI donnait des ordres de mobilisation, plein de confiance dans son état-major, dans le nouvel armement de ses troupes et dans la faiblesse de l’Autriche-Hongrie. Quant à la Russie, elle s’apprêtait à lier, en ce moment même, une partie terrible en Extrême-Orient contre le Japon allié à la Chine.

Enfin, on était, selon un cliché de la fin du dix-neuvième siècle, à un tournant de l’histoire. La France faisait des efforts désespérés pour amener la Turquie à composition. L’Italie demeurait hésitante. L’Angleterre et les États-Unis surveillaient les événements, persuadés qu’une grande conflagration du continent européen les rendrait arbitres (et combien intéressés !) du sort de la planète.

Dans les derniers jours de juin, une accalmie se produisit. Il y eut comme un recul dans la révolution slave. La Turquie semblait prête à faire des concessions. La Chine, le Japon et la Russie s’arrêtaient sur la pente de l’ultimatum. Aussi l’Europe fut-elle singulièrement surprise lorsqu’on apprit, le matin du 29 juin, que toute relation venait d’être rompue entre l’empire austro-hongrois et la Sublime Porte. Une vive altercation entre le Sultan et le comte von Blauenberg en était cause. Le Sultan n’avait pas frappé le comte d’un coup d’éventail, mais il l’avait congédié d’une manière qui ne laissait pas d’autre issue que des excuses ou la guerre. Les excuses furent refusées.

C’était un rude coup pour la diplomatie française. Notre ministre des Affaires étrangères savait trop que si les armées autrichiennes subissaient quelque retentissante défaite, l’Allemagne n’hésiterait pas à intervenir et on ne pouvait guère douter que cette intervention n’aboutît à la formation de « la plus grande Allemagne ». Pour prévenir cette éventualité, une seule action semblait possible : une guerre franco-allemande. En s’y décidant, la France jouait définitivement son sort. En s’y refusant, elle passait, par la force naturelle des choses, au deuxième et même au troisième rang des nations.

Dans l’attente du Conseil qui devait se réunir au cours de l’après-midi, M. Villard parcourait fiévreusement ses dépêches. Il sentait vivement le tragique de la situation : toute action actuelle était vaine. Il n’y avait qu’à attendre, l’arme au pied ; la sagesse ne pouvait surgir que des contingences mêmes. L’Autriche-Hongrie victorieuse, il y avait neuf chances sur dix que l’Allemagne se tînt tranquille. L’Autriche vaincue, et l’Allemagne intervenant, il faudrait non seulement prendre un parti, mais presque le prendre au hasard.

Comme le ministre songeait à ces choses, un huissier vint lui remettre une carte où il lut, distraitement : Muriel et Delestang, directeurs de l’Institut Becquerel-Curie.

À cette époque, l’Institut Becquerel-Curie était non seulement une des grandes gloires françaises, mais encore une puissance effective. Par les services rendus à l’humanité, par des découvertes intéressant d’une part la masse du public, et d’autre part la défense nationale, MM. Muriel, Delestang et leurs admirables collaborateurs avaient su se créer, en dépit ou en raison de leur désintéressement et de leur dédain des honneurs, une situation privilégiée. Aussi M. Villard reçut-il les deux savants avec une sorte de déférence.

M. Muriel, vieillard à visage d’ascète, et M. Delestang, solide quadragénaire, dont la physionomie eût été insignifiante, sans l’éclat, la force et l’agilité du regard, abordèrent ex abrupto le sujet de leur visite :

— Monsieur le ministre, dit M. Muriel, avec l’espèce de simplicité ingénue qui le caractérise, nous venons vous entretenir de la guerre qui vient d’être déclarée entre l’Autriche et la Turquie. Je crois qu’il est entre notre pouvoir de rendre des services qui pourront tourner au profit de la France.

Et comme M. Villard le regardait fixement, étonné, M. Delestang dit à son tour :

— Nous avons lieu de croire, monsieur, que nous pouvons donner quelque avantage à celle des armées dont la victoire serait bienfaisante pour notre pays… Depuis deux ans nous travaillons à perfectionner des appareils qui auront sans doute leur influence sur les guerres futures. Nous désirerions les utiliser dans la guerre actuelle…

M. Villard s’était redressé. Il partageait la confiance de la nation dans ces savants si modestes et si pleins de mesure. Un peu ému, il demanda :

— Dois-je comprendre, messieurs, que vous avez inventé des engins ou des substances utilisables sur le champ de bataille ?

— C’est plutôt une méthode que nous avons perfectionnée, répondit M. Muriel, et pour laquelle il nous a fallu, naturellement, créer des appareils nouveaux… Nos expériences, dans les limites où nous avons pu les entreprendre, sont décisives. Tous nos calculs font prévoir qu’elles le seraient aussi dans une aire plus considérable. Aussi vous serions-nous reconnaissants de bien vouloir nous dire si vous voyez quelque inconvénient à ce que M. Delestang, avec une équipe de nos collaborateurs, et une troupe d’artisans choisis, aille offrir ses services au gouvernement autrichien.

M. Villard sentit que les savants désiraient ne pas faire connaître, même indirectement, la nature de leur « méthode ». Malgré sa vive curiosité, il n’insista point. Il se borna à répondre, avec une diplomatique réserve :

— Individuellement, et en même temps que les membres de l’Institut Becquerel-Curie, vous êtes, messieurs, libres de faire ce que vous voudrez…

— Sans doute, intervint M. Delestang avec quelque impatience. Aussi ne venons-nous pas vous demander une autorisation que vous ne pouvez pas nous accorder. C’est un conseil, le plus officieux des conseils, que nous sollicitons du ministre des Affaires étrangères… et vous entendez bien qu’un secret absolu sera gardé sur notre démarche.

M. Villard hésita un moment, puis ses sentiments d’homme d’État patriote l’emportant sur toute considération diplomatique, il répondit :

— La France a un intérêt majeur à ce que l’Autriche triomphe dans cette guerre.

— C’est tout ce que nous voulions savoir, fit M. Muriel, qui se leva pour prendre congé.

— Comptez-vous sérieusement réussir ? s’écria le ministre.

— Le calcul des probabilités nous donne une quasi-certitude ! répliqua le savant.

M. Villard les regarda sortir et, lorsqu’ils eurent disparu, sa confiance s’évanouit : il pensait que les plus grands savants, les inventeurs les plus subtils s’abusent étrangement sur l’importance d’un nouvel engin de guerre.

II

L’Autriche-Hongrie, jusqu’au dernier moment, n’avait pas cru à la guerre. On avait bien esquissé quelques mouvements de troupes, pris des mesures éparses, préparé des ordres de mobilisation, mais, au jour décisif, il y eut beaucoup de désordre et d’incohérence dans les actes du ministère de la guerre comme dans ceux de l’état-major général. Le Saint-Empire donna l’impression qu’il n’était guère prêt à entreprendre une grande guerre. La division manifeste qui régnait entre les généraux, le flottement des éléments slaves augmentaient le désarroi.

Le jeune Ferdinand-Charles, aussi plein de bonne volonté que d’inexpérience, essayait d’intervenir et, en somme, faisait une besogne plutôt dangereuse. Cependant, on arriva, après une semaine de tâtonnement, à mettre près de trois cent mille hommes à la disposition du général en chef, le comte Auguste von Eberhardt, personnage déjà vieux, présomptueux, téméraire, et qui décida qu’une action hardie aurait vite raison d’ennemis que, au fond, il méprisait. Il lança son armée à travers la Bosnie et l’Herzégovine, et, vers la fin de juillet, il franchissait la frontière turque avec un peu plus de deux cent mille hommes : le demeurant devait suivre.

Tandis que l’Autriche-Hongrie se débattait dans le désordre et l’incertitude, la Sublime Porte ou plutôt le généralissime turc, un Allemand naturalisé, doué de facultés militaires presque géniales, et aidé par un état-major composé aussi, pour la plus grande partie, d’éléments germaniques, préparait sa campagne. Cinq semaines avant la déclaration de guerre, toutes les dispositions principales étaient prises. Quelques jours plus tard, Laufs-Pacha avait sous ses ordres plus de deux cent cinquante mille hommes qu’il acheminait, de leurs cantonnements respectifs, vers la frontière occidentale.

À l’époque où les troupes impériales faisaient irruption sur le territoire ottoman, Laufs-Pacha se trouva en mesure de leur opposer des forces plus nombreuses ; de plus, l’armement turc était meilleur, surtout l’artillerie ; enfin, l’état-major de Laufs-Pacha était de la plus haute qualité, encore qu’il comportât quelques pachas indigènes, fretin négligeable, habitué à une attitude passive, sauf pourtant un vieux favori du Sultan, Soleiman-Pacha, individu fruste, violent, plein des préjugés de la vieille Turquie, plein aussi d’instincts militaires rétrogrades, les instincts impétueux des Arabes et des Touraniens de la conquête.

Aux premiers jours d’août, les deux armées étaient en présence. La distance qui les séparait était trop grande encore pour engager la bataille, mais il suffisait d’une courte marche pour permettre aux artilleries d’engager le grand duel.

Quelques combats d’avant-garde avaient en définitive tourné à l’avantage des Turcs, et, de l’avis des hommes compétents, la grande bataille qui se préparait confirmerait presque à coup sûr ces petites victoires.

Les deux armées occupaient l’une et l’autre un vaste territoire. Toutefois, les troupes autrichiennes étaient beaucoup moins éparpillées que les troupes antagonistes, et leur front était moins considérable. Laufs-Pacha avait, selon les règles nouvelles, largement étendu ses lignes. En fait, sa droite et sa gauche s’apprêtaient à déborder les ailes autrichiennes. Il s’attendait, étant donné le caractère d’Eberhardt, à être attaqué, et toutes ses dispositions tendaient à commencer la bataille en défensive et à la terminer par une offensive d’enveloppement.

De part et d’autre, on avait des renseignements assez précis sur la situation de l’adversaire. L’aérostation, et surtout l’aviation, étaient encore dans la période embryonnaire, mais avaient néanmoins remplacé complètement la cavalerie pour le service d’éclaireurs, la guerre de 1916 ayant surabondamment démontré que toute information était devenue impossible par la voie terrestre. Les cavaliers, de même que les cyclistes et les automobilistes, si par hasard ils approchaient assez pour se rendre vaguement compte de la présence d’une force ennemie, étaient sacrifiés. Il avait donc fallu pourvoir au remplacement d’une méthode devenue préhistorique. Les Turcs et les Austro-Hongrois avaient leurs flottilles de dirigeables et leurs hordes d’aéroplanes. Ceux-ci, plus rapides, mieux abrités contre les caprices des météores, servaient aux incursions rapides. Les deux systèmes, à l’occasion, pouvaient combattre soit entre eux, soit contre les troupes terrestres : les aérostats comportaient de l’artillerie ; les aéroplanes laissaient choir des explosifs ou se livraient des combats au fusil et au revolver. Jusqu’à présent, la lutte aérienne avait été légèrement avantageuse aux Austro-Hongrois, malgré une petite infériorité numérique. Trois aéroplanes et deux dirigeables turcs s’étaient laissé surprendre et avaient été mis hors de combat.

Le 5 août, vers le déclin du jour, le feld-marschall von Eberhardt réunit son état major : malgré son optimisme, malgré son tempérament téméraire, il était inquiet. Les renseignements des éclaireurs lui montraient l’armée turque bien campée, bien armée et supérieure en nombre. Il n’était pas dans sa nature de biaiser. Il communiqua toutes les nouvelles qu’il avait reçues et conclut que seule une offensive rapide aurait raison de l’ennemi. Quelques officiers l’approuvèrent. D’autres gardèrent le silence, quelques-uns critiquèrent, avec courtoisie, mais fermement, les dispositions prises Le principal contradicteur se trouva être le comte Zriny, qui passait à l’étranger pour le plus habile des généraux austro-hongrois.

— Si nous engageons la bataille dans les conditions présentes, conclut-il, nous serons enveloppés au bout de quelques heures… et nous pourrons nous estimer heureux si nous en sommes quittes pour laisser la moitié de l’armée aux mains de l’ennemi. L’armée austro-hongroise semble groupée pour une capitulation.

À ces mots, le généralissime se dressa, pâle de fureur froide. C’était un petit homme trapu, nerveux, dont l’énergie allait jusqu’à la férocité, une figure à la Souvarow, yeux mystiques, bouche implacable, parole énergique et brève. Il éleva sa main velue et dit :

— Une capitulation, si nous ne faisons pas notre devoir ! Une victoire éclatante si nous déployons l’énergie et l’activité nécessaires !

— Que Votre Excellence me pardonne, reprit doucement Zriny, mais il ne s’agit ici ni d’activité ni d’énergie. J’entends bien que nous ferons tous notre devoir et que nous saurons mourir sans faiblesse. Mais de deux choses l’une : ou nous marchons sur l’ennemi, et alors nous courons à un massacre dont le récit éveillera la pitié même de nos pires ennemis ; ou nous attendons l’attaque, et alors notre enveloppement est inévitable. Votre Excellence sait que nous ne pouvons compter sur aucune action à l’arme blanche !…

Eberhardt se mordit furieusement la moustache. Au fond, mû par d’invincibles instincts, par un atavisme hérité de toute une série d’ancêtres militaires, il gardait une sourde confiance dans le conflit direct des hommes. D’autre part, si médiocre qu’il fût comme généralissime, il avait le sentiment de l’épouvantable force destructive des nouveaux armements. Il demanda d’une voix brève :

— Alors, selon vous, que faut-il faire ?

Le comte Zriny hésita une minute. Puis, un peu pâle, et baissant la voix, mais avec beaucoup de fermeté :

— Nous sommes perdus, si cette nuit même vous n’ordonnez pas la retraite…

— C’est la défaite… c’est le déshonneur, hurla Eberhardt.

— C’est le salut. Nous pouvons aller occuper, à sept lieues en arrière, un champ de bataille excellent pour la défensive, et d’où les Turcs ne pourront jamais nous déloger. Là, nous attendrons les renforts. Notre infériorité actuelle ne tient qu’à la surprise et à une mobilisation un peu lente. Mais l’Autriche-Hongrie est un réservoir d’hommes bien plus puissant que la Turquie. Nous devons finalement avoir la supériorité du nombre…

— Et si nous sommes attaqués pendant la retraite ?

— Si la retraite est bien conçue et bien conduite, l’ennemi pourra tout au plus nous harceler, et en courant lui-même de grands périls !

— Vous négligez l’effet moral ! fit amèrement le généralissime… La retraite ressemblera inévitablement à un échec…

— Sans doute, murmura Zriny, et c’est ma seule inquiétude. Mais peut-on mettre en balance des inquiétudes, même fortes, avec une catastrophe inévitable ?

Il y eut un silence. Tous les membres de l’état-major, même les plus optimistes, étaient assombris par la déclaration du comte, que chacun tenait pour un soldat habile et pour un homme intraitable sur le point de l’honneur. Si celui-là conseillait la retraite, c’est que vraiment il y avait de bonnes raisons pour la faire !…

Au moment où le généralissime allait reprendre la parole, on frappa à la porte de la salle où se tenait le Conseil.

Eberhardt fronça les sourcils et dit :

— Il y a probablement des nouvelles, messieurs.

Par la porte ouverte, on vit se profiler deux silhouettes. Celle d’un chef d’aérostation et celle d’un homme vêtu en civil, en qui le général reconnut M. Delestang, délégué de l’Institut Becquerel-Curie. Eberhardt n’avait accueilli le savant et ses collaborateurs qu’avec une extrême méfiance et une sorte d’antipathie. Il n’avait aucune foi dans les « rats de laboratoire » ; il tenait que l’armée seule devait s’occuper des choses militaires, qu’il s’agît d’engins, de substances ou de méthodes. Il avait fallu l’expresse recommandation de l’empereur et du ministre de la Guerre pour qu’il aidât M. Delestang dans sa mission.

Ce soir cependant, préoccupé de la responsabilité terrible qu’il allait devoir assumer devant son pays et devant l’histoire, il eut comme un vague élan d’espérance à la vue de l’inventeur. Le rapport du chef d’aérostation augmenta cette disposition. On annonçait en effet que l’extrême droite turque avait dessiné un mouvement en avant. Chacun comprit l’importance de cette nouvelle et les visages se couvrirent d’ombre. Quant à Eberhardt, après avoir congédié l’aérostatier, il se tourna vers M. Delestang et lui demanda d’un ton presque cordial :

— Et vous, monsieur, avez-vous quelque nouvelle à me communiquer ?

— Oui, monsieur, répondit Delestang… nos appareils sont prêts… Ils pourront agir cette nuit même.

— Et vous espérez obtenir quelque effet heureux ? s’exclama le maréchal avec un mélange d’incrédulité et d’ardeur.

— Je l’espère, répliqua Delestang d’une voix grave. Les choses humaines, si bien calculées soient-elles, sont douteuses. Mais j’ai des raisons sérieuses de croire, monsieur, que notre concours ne sera pas inefficace !

Une émotion subtile, l’irrésistible instinct du merveilleux souffla sur ces têtes blanches et grises. Et ceux-là surtout qui savaient combien les savants de l’Institut Becquerel-Curie mettaient de scrupule à ne rien promettre sans une sorte de certitude, tressaillirent jusqu’au tréfonds.

— Bien ! Bien ! fit le généralissime, « induit » par le trouble de l’assistance. Et que puis-je faire pour vous ?

— Pour nous, fit doucement le chimiste, je crois que nous sommes à l’abri d’une surprise grâce aux nombreuses escortes que vous nous avez données… Notre service particulier d’aérostats ne nous a signalé aucun groupe turc nombreux à proximité… Tout fait donc prévoir que nous aurons le temps d’agir… Si j’osais, monsieur, vous donner un conseil, je vous dirais d’envoyer à marche forcée dix mille hommes à l’extrême droite de l’ennemi, et autant à l’extrême gauche… Chacune de ces deux divisions devrait se tenir prête à déborder l’armée turque au premier commandement…

— Mais, intervint le comte Zriny, il semble que vous prévoyiez, de notre part, une action enveloppante.

— Oui, répliqua Delestang avec tranquillité. Si notre expérience réussit, l’enveloppement de l’ennemi deviendra possible.

— Malgré l’infériorité de mes effectifs ?

— Malgré l’infériorité de vos effectifs !

Cela fit impression. Le comte demanda encore :

— Et quand prévoyez-vous la possibilité de cette opération ?

— Dès l’aube prochaine.

— Du moins pourrez-vous nous donner la certitude à ce moment ?

— Je le crois : nos appareils « témoins » nous permettront de conclure — ou sinon toute conclusion scientifique est impossible…

— C’est bien ! fit Eberhardt dont le visage était devenu rouge, et dont les yeux fulguraient… Nous allons immédiatement discuter votre proposition… Je crois, pour mon compte, qu’elle est acceptable.

— Oui, ajouta pensivement Zriny, elle est acceptable… si l’on ne perd pas le contact…

Delestang s’inclina et sortit. Le Conseil de guerre reprit ses délibérations.

III

La nuit était tombée, une nuit douce et fraternelle, infiniment tissée de l’argent délicat des étoiles. Les feux turcs et austro-hongrois avaien été éteints à la fin du crépuscule. Et les grandes campagnes eussent dormi dans la pénombre astrale sans les aéroplanes et les dirigeables qui parsemaient l’espace. Ceux-ci dardaient de longues rivières lumineuses, principalement sur la zone qui séparait les deux armées (zone où l’on pouvait craindre des surprises) et aussi sur les flancs. Une vaste surface restait inexplorable : à cause de la distance et des obstacles, elle n’aurait pu être éclairée que par les fanaux des corps d’armée qui l’occupaient. Aussi les veilleurs ottomans ne purent-ils voir des troupes d’infanterie montée, suivies de fantassins, qui s’éloignaient rapidement de l’extrême droite et de l’extrême gauche autrichiennes.

Le temps s’écoula, de plus en plus silencieux. Les deux camps dormaient profondément. On apercevait à peine, de-ci de-là, quelques sentinelles terrestres qui circulaient avec lenteur, vestiges des anciennes coutumes militaires.

Vers minuit, un phénomène singulier attira l’attention des aérostatiers : une sorte de phosphorescence se dégageait du nord-est au sud-est, sur une longue ellipse de territoire qui englobait le campement turc. Cette phosphorescence se propagea d’abord par des ondes de couleur améthyste : elle était légèrement plus brillante au centre qu’à la périphérie. Peu à peu la lueur se fixa ; en même temps elle prenait des teintes moins pâles, de l’indigo à l’orange. Puis les teintes s’uniformisèrent ; il ne demeura plus qu’une immense plaque vert de béryl, à peine teintée de rose à la bordure. Ce spectacle parut d’abord curieux, mais sans grand intérêt. À la longue il inquiéta à la fois les aérostatiers des deux camps : les Austro-Hongrois crurent y voir quelque manœuvre mystérieuse des Turcs et les Turcs craignirent quelque embûche bizarre. Les rapports se succédèrent. Du côté des Turcs, le généralissime et ses seconds montrèrent d’autant plus de surprise que, pour eux, la phosphorescence était invisible. Il leur semblait seulement que les étoiles étaient moins étincelantes que ne le comportait la pureté du ciel. Laufs-Pacha, homme réfléchi et sagace, fit faire une contre-enquête : ordre fut donné à une équipe aérienne supplémentaire d’examiner la situation.

Le rapport de ces nouveaux éclaireurs fut en tout conforme à ceux des premiers. La surprise de Laufs-Pacha augmenta, mais ni lui, ni ses officiers, ni aucun des nombreux techniciens présents n’ayant pu former une conjecture raisonnable, on finit par se rabattre sur l’idée d’un phénomène naturel — radiation tellurique ou électrique, — qui, en tout cas, ne paraissait agir ni en bien ni en mal sur les hommes et les animaux. De guerre lasse, le généralissime et ses coadjuteurs remirent la solution à plus tard.

Dans le camp austro-hongrois, le comte von Eberhardt montrait également quelque trouble, mais ce trouble était d’autre nature. Monté sur une éminence, il apercevait parfaitement les bandes de territoire d’où jaillissait l’énigmatique lueur, et se tournant vers le nord-est, puis à l’opposite, il scrutait l’horizon d’un œil à la fois impatient, anxieux et plein d’une espérance superstitieuse…

IV

L’aube commençait à blanchir les étoiles, lorsque Laufs-Pacha s’éveilla. Malgré les incidents qui l’avaient privé d’une couple d’heures de sommeil, il ne voulut pas prolonger son repos. D’ailleurs, cet homme sec, vigilant, sobre et sans infirmités, résistait admirablement à la fatigue. Dès qu’il eut quitté son dur lit spartiate, il fut en pleine possession de ses facultés et il s’apprêta à la journée décisive dont allait dépendre, non seulement le sort de la Turquie, mais encore son sort à lui et aussi, jusqu’à un certain point, le sort de l’Allemagne, sa véritable patrie. Il grignota un biscuit, avala quelques gorgées de café et se trouva prêt aux événements. C’est à peine s’il songeait au phénomène nocturne : les faits démontraient suffisamment son innocuité. Aussi parcourut-il sans intérêt les derniers rapports de la nuit : ils n’offraient rien de nouveau… En revanche les premiers rapports de la matinée lui firent dresser l’oreille. On lui apprenait que les troupes austro-hongroises débordaient, très loin, son extrême gauche et son extrême droite. Son inquiétude fut d’abord très vive, car il crut que l’ennemi recevait des renforts. Peu à peu, l’événement s’élucida : il s’agissait évidemment d’une manœuvre tactique. Elle parut plutôt bizarre au généralissime. Les deux corps signalés semblaient jetés à l’aventure. Sans doute, ils gardaient quelque contact avec le reste de l’armée, mais un contact précaire, périlleux.

Laufs-Pacha combina immédiatement les mesures utiles pour les isoler pendant la bataille. Des artilleurs nombreux furent détachés aux points les plus vulnérables ; des batteries nouvelles dirigées vers les ailes. Ces manœuvres étant en voie d’exécution, le généralissime devint songeur. Il lui semblait avoir tout prévu pour transformer une action défensive en action offensive enveloppante, mais l’immobilité de l’armée austro-hongroise l’étonnait. Il savait par ses espions qu’Eberhardt était résolu à une vigoureuse offensive, et d’ailleurs ce plan se déduisait de tout le début de la campagne. C’était à cette éventualité que Laufs-Pacha avait préparé l’armée turque, et quoiqu’il se crût en mesure de prendre l’offensive, il eût préféré combattre selon des prévisions qu’il avait mûrement envisagées. Aussi sa satisfaction fut-elle réelle, quand il apprit que le centre ennemi se décidait à l’action.

Pour mieux se rendre compte de l’événement, Laufs monta lui-même dans un petit dirigeable et braqua sa longue-vue sur le site. Effectivement l’armée austro-hongroise était en marche. Une nuée de tirailleurs s’avançait en ligne droite vers l’ennemi, d’autres suivaient une ligne oblique ou même perpendiculaire, de façon à assurer une communication plus nette avec les corps détachés. De nombreuses batteries s’ébranlaient en même temps ; presque tous les dirigeables et les aéroplanes essaimaient l’étendue.

« C’est bien la bataille ! » pensa le généralissime.

Toutefois, de part et d’autre, on était encore hors de portée. Laufs, au reste, tenait à ne rien brusquer. Il fit envoyer, de son observatoire mobile, plusieurs télégrammes hertziens, ordonnant que l’artillerie ne tirât pas un seul coup de canon avant qu’il n’eût donné le signal de la bataille ; il prit des mesures analogues pour les tirailleurs d’avant-garde.

Dans l’heure qui suivit, les armées se trouvèrent presque à portée de canon. Les Turcs auraient pu avancer quelques grosses pièces, et commencer l’action : il valait mieux attendre.

« Si cet homme s’obstine dans sa folie, se dit Laufs-Pacha, il faudrait un miracle pour le sauver… »

Une chose continuait à l’étonner : c’est que, au fond de l’horizon, les corps détachés par l’ennemi poursuivaient leur incompréhensible manœuvre.

— Ceux-là vont se faire prendre comme des rats ! dit-il à l’aide de camp qui l’accompagnait…

Comme il parlait ainsi, un immense drapeau blanc se déploya sur une éminence, au front de l’armée austro-hongroise.

— Un parlementaire ! fit le maréchal. Que diable peuvent-ils nous vouloir ?

Il regardait l’aide de camp avec un mince sourire.

— Ma foi ! Excellence, répondit celui-ci, je n’en ai pas la moindre idée… À moins qu’ils ne veuillent traiter d’une capitulation !

Le maréchal haussa les épaules et hertza l’ordre de hisser un drapeau blanc.

Quelques minutes plus tard, deux cavaliers s’avançaient vivement vers les retranchements turcs. Rejoints en route par un peloton ottoman, ils apparurent bientôt, les yeux bandés, devant le généralissime. Ensuite, dans une chambre isolée, on ôta leur bandeau. C’étaient deux hommes dans la force de l’âge, l’un revêtu de l’uniforme de colonel, l’autre modestement engainé d’un complet veston. Laufs, entouré de quelques officiers de l’état-major, les reçut d’un air impassible.

— Nous sommes envoyés par Son Excellence le maréchal von Eberhardt, fit le colonel, après un moment de silence, pour vous faire une communication importante.

— Laquelle ? fit laconiquement le généralissime.

— Monsieur, reprit le colonel, avec une nuance d’embarras, le maréchal voudrait éviter une effusion de sang inutile. Il croit que les conditions dans lesquelles vous vous trouvez actuellement vous mettent dans un tel état d’infériorité, qu’il ne vous reste pas d’autre issue qu’une capitulation honorable.

Les officiers présents se regardèrent avec une indicible stupéfaction. Quelques-uns haussaient les épaules, les autres ne purent s’empêcher de rire. Laufs-Pacha garda sa gravité, encore qu’il eût été plus surpris que tous les autres :

— Monsieur, dit-il, il est incroyable que Son Excellence ait eu la pensée de m’envoyer un tel message, et il serait inconvenant d’y faire une réponse quelconque. Je vais donner l’ordre de vous reconduire. J’ai l’honneur de vous saluer.

Il s’inclina raidement et détourna la tête. Mais alors l’homme au veston prit à son tour la parole :

— Monsieur le maréchal, fit-il en mauvais allemand, veuillez me permettre de vous affirmer que, à l’heure qu’il est, vous n’êtes plus en état de vous défendre, à moins que vous ne croyiez possible de le faire à l’arme blanche. Sauf en ce qui concerne un certain nombre d’aérostats, vos munitions sont hors de service… Vous pouvez en avoir la preuve en ordonnant n’importe quel exercice de tir, avec n’importe quelle arme…

Le généralissime le regarda comme on regarderait un fou, mais devant les yeux clairs, acérés et intelligents de cet homme, il fut saisi d’un vague trouble. Toutefois, cela lui parut si absurde que, presque immédiatement après, il se mit à rire, un rire froid et silencieux. Puis, en homme d’action, qui dédaigne les propos inutiles, il alla ouvrir la porte, appela une sentinelle qui veillait dans le corridor, un soldat kurde à la face calme et féroce, et lui dit :

— Tire sur cette vitre !

Le Kurde, impassible, leva son fusil et tira. On n’entendit pas cette détonation en quelque sorte feutrée, insensible à distance, qui était la caractéristique des explosifs de cette époque. Le général eut un tressaillement ; les officiers devinrent graves ; l’homme montra des yeux ronds, ahuris.

— Encore ! fit Laufs.

L’homme tira de nouveau, et avec le même résultat.

— C’est bien ! Sors ! s’écria le maréchal, qui était devenu pâle. Et vous, capitaine von Œttinger, faites venir quelques fusiliers.

Une émotion ardente, une crainte superstitieuse, s’était emparée de tout le monde ; Turcs et Allemands osaient à peine se regarder. Plusieurs soldats firent leur entrée et, l’un après l’autre, épaulèrent et tirèrent en vain, tandis qu’une sueur froide coulait des tempes du généralissime. Il se tourna vers M. Delestang et lui demanda d’une voix rauque :

— Qu’avez-vous fait pour obtenir cela ?

— Nous avons, à l’aide de nouveaux procédés de contagion radio-active, dissocié partiellement vos explosifs, répondit doucement le savant. Comme je l’ai dit, toutes vos munitions sont hors d’usage ! Si vous voulez vous en assurer plus complètement, nous attendrons ici le résultat des expériences…

Il y eut un vaste silence. Laufs, naguère si formidable, tous ces officiers pleins de foi dans la suprématie de leur armée, étaient atteints au tréfonds de l’âme. La vérité se faisait jour en eux avec la force des cataclysmes, — ils étaient comme des gens brusquement soulevés par un colossal tremblement de terre.

Laufs recouvra le premier son sang-froid. Sans faiblesse comme sans jactance, acceptant désormais tous les possibles, il dit au colonel :

— Avant une demi-heure, j’aurai l’honneur de vous donner une réponse.

Il reparut, à l’heure dite, accompagné cette fois de tout son état-major, et livide, les yeux creux, les mains tremblantes, avec un mélange de fureur et d’effroyable désespoir, il s’écria :

— Je suis prêt, monsieur, à examiner les propositions de Son Excellence le maréchal von Eberhardt.

Tous baissaient la tête. Un seul, le vieux Soleiman-Pacha, général du 3e corps, Turc des vieux âges, frénétique, héroïque et fataliste, s’écria :

— Est-ce à dire que nous allons accepter une capitulation ?

— Il n’y a pas d’autre ressource ! fit Laufs d’un ton glacial.

Soleiman étendit la main vers les vitres bleues et clama :

— Il y a toujours des ressources pour qui consent à la mort !

V

Dans l’après-midi, les troupes austro-hongroises cernaient presque complètement l’armée ottomane, quoique, à l’arrière et sur les ailes, les effectifs d’enveloppement fussent relativement peu denses. Quelques régiments turcs et beaucoup d’infanterie montée avaient pu effectuer leur retraite — leur fuite plutôt — en temps utile. Mais vers midi, les fusils à longue portée des tirailleurs autrichiens et quelques batteries légères opposèrent un rempart de projectiles aux fugitifs. Une trentaine de mille hommes, aux deux ailes, demandèrent alors à se rendre. Le reste demeurait terré, attendant le soir.

À la suite d’une terrible discussion, quelques officiers turcs de l’état-major, excités par Soleiman-Pacha, avaient fait appel à des soldats kurdes et albanais pour arrêter leurs collègues allemands.

Après ce coup d’État, Soleiman avait hardiment pris le commandement de l’armée. Par des discours furieux, il avait persuadé la plupart des officiers mahométans que Laufs-Pacha était un traître et que l’armée pouvait être sauvée. Même, il tentait d’opérer une retraite de plein jour, mais il comprit promptement qu’il courait à un terrifique massacre, et il remit les opérations au soir.

Dès le crépuscule, il avait pris toutes ses dispositions. Elles étaient simples, barbares, primitives, mais par là même, pour une multitude réduite aux armes des anciens temps, les meilleures possibles. Trois issues furent choisies : la première entre deux hautes collines, à plusieurs lieues du champ de bataille, les deux autres aux flancs extérieurs de ces collines. Soleiman divisa son armée en trois corps, et fit indiquer soigneusement aux hommes les routes à suivre et les lieux de ralliement. Sur les conseils d’un aérostatier, quelques dirigeables servirent de phares, à l’aide de feux électriques verts, rouges et blancs. Les autres aéronefs et les avions devaient retarder les escadrilles aériennes de l’armée austro-hongroise.

Le soir tomba, aussi câlin, aussi délicat, aussi magnifique que le soir précédent. Les forges stellaires emplirent l’étendue des tissus tremblants de la lumière. Et toutes ces figures étincelantes à qui nous mêlons les profondes légendes hellènes et arabes, Wega, doucement vacillante sur la Lyre ; Capella aux larges raies, Altaïr, Arcturus, Andromède, Persée, Ophiucus, Hercule, le Cygne, Pégase, palpitèrent sur un des grands drames de l’histoire humaine. Car, dès les ombres venues, l’armée ottomane s’était ébranlée, frénétiquement. Elle marchait, elle courait, aussi hasardeuse qu’une horde préhistorique ; elle se précipitait au grand hasard sauvage, elle se sauvait à travers les ténèbres et la nature, guidée par l’immense et furieux instinct de la conservation.

Là-bas, trois groupes de lueurs, trois faisceaux de feux aériens s’élevaient, comme des phares au-dessus de la mer incommensurable, et c’était la seule direction, presque mystique, de ces troupeaux d’hommes. Au zénith, — on eût dit parmi les étoiles, — les aérostats et les aviateurs ottomans et autrichiens allaient se livrer une suprême bataille…

D’abord la fuite parut heureuse : Turcs, Kurdes, Albanais, Syriens, Arabes voyaient bien tomber les premiers obus, mais ces obus, venus de très loin, rares encore, causaient peu de mal. Puis, le bombardement s’épaissit ; bientôt la fusillade des tirailleurs les plus proches commença de pleuvoir sur la multitude. Les hommes tombèrent par grappes. Du haut de collines et d’éminences, de larges nappes de lumière argentée dévoilaient et perçaient les masses fugitives. À mesure, l’orage de l’artillerie, l’averse affreuse des balles s’enflait, ruisselait de toutes parts à travers les chairs et les os. On entendit les clameurs plaintives, les appels farouches, les interjections hurlantes des blessés. Et l’immense multitude éparpillée ne s’arrêtait point. Malgré tant de milliers de morts, elle ne songeait qu’à atteindre la région salvatrice des phares. Même le prodigieux massacre de l’Approche quand, en cinq minutes, il croula plus de quinze mille hommes, ne put briser le colossal élan. Les Turcs arrivèrent au contact. Il y eut un corps à corps épouvantable. En un moment, dix mille Austro-Hongrois d’avant-garde, malgré la plus héroïque résistance, furent enveloppés, étouffés, écrasés, anéantis… puis la masse hurlante reprit sa course sous les étoiles…

Rien d’ailleurs ne devait prévaloir contre elle ; l’instinct qui la portait, prodigieux mélange d’héroïsme et d’épouvante, persista jusqu’à ce qu’enfin l’armée ottomane fût sortie de la zone du tir, fût parvenue sous la lueur secourable des phares.

Dès lors, la retraite était assurée. Elle coûtait quinze mille morts, quarante mille blessés, vingt mille prisonniers. Mais le sauvage Soleiman n’en ramenait pas moins avec lui plus de cent cinquante mille soldats.