La Mort de l’Aigle (Ivoi)/p02/Ch09
CHAPITRE IX
Visite à Macdonald.
Dix minutes plus tard, Milhuitcent, qui avait retrouvé Bobèche à la porte du quartier général, était introduit auprès du maréchal Macdonald.
Celui-ci, assis devant un grand feu, faisait sécher ses bottes couvertes de glèbe.
À l’entrée du jeune homme, il se retourna à demi :
— Ah ! ah ! C’est toi, mon garçon. Que veux-tu ?
— Savoir où est l’Empereur.
Le maréchal cligna des yeux et d’un ton railleur :
— Tu es curieux, petit.
— Vous êtes gai, monsieur le Maréchal, mais l’heure n’est point favorable à la plaisanterie.
— Vraiment ?
— Je dois rendre compte à Sa Majesté d’une mission dont j’étais chargé.
— Ah bah ! Quelle mission ?
— C’est le secret de l’Empereur, monsieur le Maréchal.
Macdonald fronça les sourcils.
— Mais, continua Espérat, comme vous êtes un brave soldat, dévoué à lui, je puis vous dire que j’ai réussi.
— Et sans doute, fit ironiquement l’interlocuteur du gamin, l’Empereur attend avec impatience ton arrivée ?
— Je le crois, car il m’a dit lors de mon départ : Réussis, petit… le succès équivaudrait à une grande victoire.
À ces mots, prononcés d’un ton ferme, le maréchal cessa de rire. Il se leva brusquement, vint à Espérat, le considéra un moment en silence, puis pensif :
— Il a dit cela ?
— Oui.
— Et il est important que tu le joignes au plus tôt ?
— Oui.
Macdonald allait parler, mais, à ce moment, des acclamations retentirent au dehors :
— Vive l’Empereur ! clamaient des voix nombreuses.
— Hein, murmura le jeune garçon…, l’Empereur ?… On m’avait affirmé qu’il était parti…
Excusez-moi, monsieur le Maréchal,… je cours…
La main de son auditeur s’appuya sur son épaule :
— Inutile… il est loin de Troyes à cette heure.
— Pourtant ces cris…
— Comédie réglée par lui-même, afin que les acclamations parviennent aux avant-postes alliés, et que nos ennemis le croient toujours dans la ville.
Le visage de Milhuitcent s’éclaira :
— Une bonne farce, alors !
— Justement.
— Et lui, lui… ?
Avant de répondre, Macdonald marcha vers la porte, l’ouvrit, s’assura que la pièce voisine était vide, puis se rapprochant d’Espérat.
— Il a quitté Troyes hier, chuchota-t-il à l’oreille du gamin.
— Hier… et il va ?
— Écraser Blücher.
Puis, comme s’il prenait son parti, le maréchal poursuivit :
— Après tout, l’Empereur a confiance en toi… Ses généraux doivent l’imiter… Voici la situation.
— Blücher, interrogea le jeune homme, s’est donc relevé du désastre de Montmirail.
— Précisément. Tandis que Napoléon revenait vers Troyes, en bousculant les troupes de Schwarzenberg, Blücher reformait son armée. À la tête d’environ 50,000 hommes, il a franchi la Marne et s’est dirigé vers Meaux, où les maréchaux Mortier et Marmont l’ont arrêté. Un courrier, parvenu ici, a informé l’Empereur de ces opérations. J’étais là. Je pensais que Sa Majesté allait entrer en grande colère. Pas du tout, Napoléon a semblé ravi. Il n’a prononcé qu’une parole :
— C’est ?
— Enfin !
Espérat se frotta les mains :
— Il paraît que Blücher a fait une maladresse attendue par lui.
— Je le pense. C’était avant-hier au soir que le courrier est arrivé. Dans la nuit même, le maréchal Victor, dont les troupes campaient entre Troyes et Méry, reçut l’ordre de rétablir le pont de cette dernière ville et de se porter sur Planey pour y passer l’Aube. Le maréchal Ney, lui, quitta Troyes et marcha sur Aubeterre… Nous restons, nous, Oudinot, Gérard et moi, pour tenir en respect l’armée austro-russe, avec une trentaine de mille hommes, formant les divisions Rothembourg, Leval, Boyer, la cavalerie du comte de Valmy, le 44e corps, les escadrons de Milhaud, le 2e corps et les cuirassiers de Saint-Germain. L’Empereur emmenait environ 35,000 hommes, lesquels réunis aux 14,000 de Marmont et de Mortier, lui assurent, dans la lutte avec Blücher, des forces égales.
— Bravo !
— Tu es content, Espérat ?
— Dame ! à forces égales, l’Empereur mettra le Prussien dans sa poche sans la moindre difficulté. Mais lui… lui… ?
— S’est mis en route hier matin, 27.
— Bon,… par quelle voie ?
— Par Arcis et Herbisse… Après je ne sais pas.
— Arcis, Herbisse, cela suffit ; je le rejoindrai… Maintenant, Monsieur le Maréchal, je vous remercie et vais dormir pour fournir demain une longue traite.
— Bonne nuit, Espérat.
— Bonne nuit, monsieur le Maréchal.
Bobèche qui, durant la visite de son jeune compagnon, avait fait les cent pas devant le quartier général, vit sortir Milhuitcent avec satisfaction. La pluie tombait toujours et le digne comédien était transpercé.
Par bonheur il avait arrêté des chambres dans une hôtellerie peu distante, et bientôt les deux amis, après s’être promis de se mettre en route de grand matin, se glissèrent dans des lits, qui, nonobstant leurs draps de toile grossière, leur parurent délicieusement moelleux.