La Monomachie de David et de Goliath
LA MONOMACHIE
de David et de Goliath
Celuy en vain se vante d’estre fort,
Qui aveuglé d’une ire outrecuidee
Xe voit combien peu sert un grnnd efib :t
Quand de raison la force n’est guidce.
L’humble faiblesse est volontiers aydee
De cestui-là, qui donne la victoire :
Mais du hautain la fureur desbridee
Pert en un coup et la force et la gloire.
Xv le canon, nv le glaive trenchant,
Xv le rempart, nv la fosse murée
Ont le pouvoir de sauver le meschant,
Dont le Seigneur la vengeance a jurée.
Les fiers torrens n’ont pas longue durée :
Et du sapin, umbrage des montagnes,
La hauteur n’est si ferme et asseuree,
Que l’arbrisseau, qui croist par les campagnes.
O Dieu guerrier. Dieu que je veux chanter,
Je te supply, tens les nerfs de ma lyre :
Xon pour le Grec, ou le Troyen vanter.
Mais le Berger que tu voulus cslire :
Ce fut celuv, qui s’opposant à l’ire
Du Philistin mesprisant ta hautesse,
Monstra combien puissante se peut dire
Dessous ta main une humble petitesse.
Toy, qui armé du saint pouvoir des cieux.
Devant l’honneur, et les yeux de la France,
Dont as jadis l’orgueil ambitieux,
Qui sa fureur perdit au camp d’outrance :
Puis que tu as de ce Dieu cognoissance,
Qui des plus grands a la gloire estouffée,
Escoute moy, qui louant sa puissance
Te viens ici ériger un trophée.
Le Philistin, et le peuple de Dieu
S’estoyent campez sur deux croppes voisines.
Ici estoit assis le camp Hebrieu :
Là se monstroyent les tentes Philistines :
Quand un guerrier flambant d’armes insignes
Soity du camp du Barbare excrcite,
yitm desfier, et par voix, et par signes,
Tous les plus forts du peuple Israélite.
Vingt et vingt fois ce brave Philistin
Estoit en vain sorty hors de sa tente.
Et nul n’aspire à si riche butin :
Dont Saul pleure et crie et se tourmente.
Où est celuy (disoit-il) qui se vente
De s’opposer à si grand vitupère ?
A cestuy là ma fille je présente,
Et affranchis la maison de son père.
O Israël, jadis peuple indomté,
Où esloit lors ceste grande vaillance.
Dont tu avois tant de fois surmonté
Les plus gaillards par le fer de ta lance ?
Las, il faut bien, que quelque tienne offence
Eust provoqué la vengeance divine.
Puis que ton coeur eut si faible deffence
Contre une audace et gloire Philistine.
On voit ainsi de peur se tapissant
Par les buissons les humbles colombelles,
Qiii ont de loing veu l’aigle ravissant
Tirer à mont, et fondre dessus elles :
Alors ce fier avec sifliantes ailes.
Ores le haut, ores le bas air trenche.
Et craquetant de ses ongles cruelles,
Raude àTentour de Tespineuse branche.
Tel se monstroit ce guerrier animé.
Et qui eust veu la grandeur de sa taille,
Il eust jugé ou un colosse armé,
Ou une tour desmarcher en bataille ,
Son corps estoit tout hérissé d’escaille,
D’airain estoit le reste de ses armes.
Le fer adonq, et l’acier et la maille
N’estoyent beaucoup usitez aux alarmes.
Son heaume fut comme un brillant esclair.
Sur qui flottoit un menaçant pennache :
Nembroth estoit portraict en son bouclair :
Sa main bransloit l’horreur d’une grand’hache.
Ainsi armé, par cent moyens il tasche
Son ennemy à la campaigne attraire :
Mais Israël en ses tentes se cache,
lilspouvanté d’un si lier adversaire.
O (disoit-il) fuyarde nation,
Nourrie au creux des antres plus sauvages,
Qui as laissé ton habitation
Pour labourer nos fertiles rivages,
Où est ce Dieu, où sont ces grands courages.
Dont tu marchois si superbement haute ?
Voici le bras vengeur de tant d’outrages,
Qui te fera rccognoistre ta faute.
je suis celuy, qui avec ces deux mains
Me ferav vove au céleste habitacle.
Lequel des Dieux, ou lequel des humains
Osera donc s’opposer pour obstacle ?
O sotte gent, qui pour un faux miracle.
Te vas paissant de ces vaincs merveilles :
Ce n’est pas moy, que la voix d’un oracle
Si doucement tire par les oreilles.
Où est celuy, qui bataillait pour toy.
Je dv celuy, qu’Israël tant honore ?
Que ne vient-il s’opposer contre moy,
Qui autre Dieu que ma force n’adore ?
Pauvre soldat, qui sur toy verras ore
D’un rouge lac ceste plaine arrousee,
Mieux te valust en tes desers encore
Vivoter d’eau, et de blanche rousee.
O gaillard peuple ! ô hardy belliqueur
Parmv les bois, ou sur quelque montagne !
Est-ce ton Dieu, ou bien faute de cœur,
Qui te deffend descendre à la campaigne !
Un cœur vaillant, que la force accompaigne.
En un rempart volontiers ne se fie.
Si quelqu’un donq’en la vertu se baigne.
Voici au camp celuy qui le desfie.
Comme en un parc, qui est environné
Du peuple oysif à quelque jour de feste,
Le fier taureau au combat ordonné
De çà de là va contournant sa teste :
Ce Philistin, qui au combat s’appreste,
Bravant ainsi de menaces terribles,
Faisoit flotter les plumes de sa creste,
Remplissant l’air de blasphèmes horribles.
Le camp Hebrieu tremblant à ceste fois
D’un taint de mort alla peindre sa face,
Criant au ciel d’une puWique voix,
Venge Seigneur, la sacrilège audace
De ce cruel, qui ton peuple menace.
Lors le Seigneur esbranlant sa main dextre,
Donnoit aux siens un signe de sa grâce,
Heureusement tournant à la senestre.
Et sur le champ apparoistre Ion voit
Un Bergerot à la chère esveillée :
Sa panetière en escharpe il avoit,
Et à son bras sa fronde entortillée.
Lors des deux camps la tourbe esmerveillée
D’un œil fiché en béant le regarde,
Quand d’une grâce au danger aveuglée
Le gay Berger au combat se hazarde.
Mais quand ce fier vint à le regarder,
Si bravement marchant parmy la plaine.
D’un ris amer se prit à l’œillader,
Et de le voir pleignoit quasi la peine.
Puis tout soudain d’une audace hautaine
Se renfrongnant en horrible furie,
Haussa la teste, et d’une voix lointaine
Le survenant par tels mots il escrie :
Dy moy chetif, de ta vie ennuyé,
Petit bout d’homme, et honte de nature
Quel tien haineux t’a ici envoyé,
Pour estre fait des corbeaux la pasture ?
Tu me fais honte, ô vile créature.
Quand je t’aguigne, et quand je me contemple.
Si mourras-tu, ô la belle avanture,
Pour en dresser la despouille en un temple ?
Mais que ne vient sur ceste arène ici
Ce fier Saul avec sa lance ? voire
Ce fort Abner, et ce Jonathe aussi,
A qui son arc a donné tant de gloire.
C’est là, c’est là que ma vertu notoire
Se deust baigner, non poinct en ceste fange.
Qui souillera l’honneur de ma victoire.
Et par sa mort accroistra sa louange.
Ha giaiid mastin (respondit le Berger)
Tes gros abbois me donnent asseurnnce.
Car Dieu, qui veut tes blasphèmes venger.
Est le bouclier de ma Terme espérance.
Desja sa main sur ton chef se ballance,
Pour ton grand corps accabler sous la foudre
Et me voici, que sa juste vengeance
Pousse vers toy, pour te ruer en poudre.
Ce Diable adonq’tonnant horriblement
Et tout baveux d’escumeuse fumiere,
Grinça les dents espouvantablement
Et en fronçant nez, et front, et paupière
Blasphème Dieu, le ciel et la lumière.
Ainsi entre eux de parole ils s’attachent :
Puis se hastant d’une allure plus fiere,
Ôi versement au combat contremarchent.
Le Philistin de fureur aveuglé,
Rouant sa masse, alloit d’ardent courage,
A gueule ouverte, et à pas déréglé,
Portant la peur, la tempeste, et l’orage :
Mais le Berger d’une alleure plus sage
Son cnuemy ores costoye, et ores
Subtilement luy met droit au visage
Le vent, la poudre, et le soleil encores.
Comme Ion voit au pied d’une grand tour.
Qu a la campaigne égaler on s’efforce,
Le pionnier minant tout à Tentour.
Faire une trace à la poudreuse amorce ;
Kon autrement, par une longue entorce
Ce caut Berger guignant à teste basse,
Contregardoit son impareille force
Contre l’horreur de la pesante masse.
Le grand guerrier à tour et à travers
Menoit les bras d’une force incroyable.
Et fendant l’air par un sifflant revers
Alloit finir ce combat pitoyable :
Quand du Seigneur la bonté secourable
Trompa le coup de la cruelle dextre.
Qui lourdement foudroyant sur le sable,
Raza les pieds du Berger plus adextre.
Finablemcnt courbé sur les genoux,
Panché à droit, d’un pied ferme il se fonde :
Ainsi que Dieu, lorsqu’il darde sur nous
Le feu vengeur des offenses du monde :
Ce fort Hebrieu rodant ainsi sa fronde,
Deux fois, trois fois, assez loin de sa teste,
Avec un bruit, qui en fendant Tair gronde,
Fit descocher le traict de sa tcmpeste.
Droit sur le front, où le coup fut donné.
Se va planter la fureur de la pierre,
Le grand Colosse à ce coup estonnj,
D’un saut horrible alla broncher par terre.
Son harnois tonne, et le vainqueur se serre :
Puis le sciant mesmes de son espec.
Entortilla, pour le pris de sa guerre.
Autour du bras la grand’tesle couppee.
Lors Israël, que la peur du danger
Suivoit encor’ en sa victoire mesme.
Soit de son camp, et du vainqueur Berger
Envove au ciel la louange supresme.
Le Philistin palle de peur extresme
Monstre le dos, d’une fuite vilaine :
Abandonnant le grand tronc froid et blesme,
Qiii gist sans nom sur la déserte plaine.
Chantez, mers vers, cest immortel honneur.
Dont vous avez la matière choisie :
Ce vous sera plus de gloire et bon-heur
Que les vieux sons d’une fable moisie.
Car tout au pis, quand vostre poésie
Du long oully devroit estre h proye,
Si avez vous plus saincte fantaisie,
Qiie le sonneur des Pergames de Troye.