La Monnaie et le mécanisme de l’échange/3

Germer Baillière (p. 11-14).

CHAPITRE III

fonctions de la monnaie

Nous avons vu que trois inconvénients sont attachés à la pratique du simple troc : à savoir, le peu de chances de rencontre entre les personnes qui éprouvent les besoins et celles qui peuvent les satisfaire ; la complexité des échanges qui ne sont pas exprimés en unités d’une seule substance ; enfin le besoin de quelque moyen de diviser et de distribuer les objets qui ont de la valeur. La monnaie remédie à ces inconvénients, et par suite remplit deux fonctions distinctes d’une haute importance : elle nous offre :

1o Un moyen ou médium d’échange ;

2o Une commune mesure de valeur.

Sous sa première forme la monnaie n’est qu’une marchandise quelconque, appréciée par tout le monde, un objet quelconque, aliment, vêtement ou ornement, que toute personne est disposée à recevoir, que, par conséquent, toute personne désire posséder en plus ou moins grande quantité, afin de détenir ainsi les moyens de se procurer en tout temps les choses nécessaires à la vie. Quoique beaucoup de denrées diverses puissent remplir d’une manière plus ou moins parfaite cette fonction de médium, généralement l’habitude ou la force des circonstances fera choisir quelque article particulier qui deviendra la monnaie par excellence. Cet article commencera à s’employer comme mesure de valeur. En s’habituant à échanger souvent les objets contre certaines sommes de monnaie, on apprendra à évaluer les autres choses en unités de cette monnaie, de sorte que tous les échanges pourront se calculer et s’accomplir sans difficulté par la comparaison de la valeur de la monnaie des objets échangés.

étalon de valeur.

Une troisième fonction de la monnaie ne tarde pas à faire son apparition. Le commerce ne peut se développer beaucoup sans que l’on commence à emprunter et à prêter. Sans doute on a coutume, en certains cas, de rendre le même article qu’on avait emprunté, et, dans la plupart des cas, il serait possible de payer sa dette en employant la même denrée. Si c’est du blé qu’on a emprunté, on peut rendre le blé, et payer en blé les intérêts ; mais souvent le préteur ne voudra pas recevoir les choses prêtées à une époque indéterminée, alors qu’il n’en a pas grand besoin, ou que leur valeur est tombée très-bas. Un emprunteur, de son côté, peut avoir besoin d’articles différents, qu’il ne trouvera probablement pas chez la même personne ; de là nait l’avantage de faire les prêts et les emprunts à l’aide d’une denrée dont la valeur est généralement reconnue et ne varie guère. Toute personne, dans une convention où l’on s’engage à lui remettre quelque chose à une époque à venir, aimera mieux que le paiement se fasse en une denrée qui aura probablement alors la même valeur qu’à présent. Cette denrée sera généralement la monnaie courante, qui arrivera ainsi à jouer le rôle d’une valeur régulatrice ou étalon de valeur. Nous ne devons pas supposer que la substance qui devient ainsi la valeur type, soit réellement d’une valeur invariable, mais seulement qu’on la choisit comme une mesure sur laquelle on réglera la valeur des paiements à effectuer. Si nous considérons que la valeur n’est autre chose que le rapport des quantités échangées, il est certain que nulle substance ne conserve une valeur constante relativement aux autres denrées. Mais il sera bon, cela va sans dire, de choisir comme valeur type celle qui a le plus de chances d’être échangée contre une foule d’autres denrées dans des proportions presque invariables.

engagement de la valeur.

Il y a quelque intérêt à rechercher si la monnaie ne joue pas un quatrième rôle distinct, qui consiste à emmagasiner la valeur sous une forme convenable pour la transporter dans des endroits éloignés. La monnaie, employée comme moyen d’échange, circule de côté et d’autre sans s’écarter beaucoup d’un même endroit, et peut revenir bien souvent dans les mêmes mains. Elle subdivise et répartit la propriété ; elle facilite le jeu du mécanisme de l’échange. Mais parfois une personne a besoin de condenser sa propriété sous le moindre volume possible, de manière à pouvoir la déplacer tout entière en même temps ou à l’emporter avec elle dans un long voyage, ou à la transmettre à un ami qui habite un pays éloigné. Une chose qui représente une grande valeur sous un volume et un poids peu considérable, et dont la valeur sera reconnue dans toutes les parties du monde, devient alors nécessaire. La monnaie qui a cours dans un pays remplit peut-être ces conditions mieux que toute autre chose, bien que des diamants et d’autres pierres précieuses, ou quelques objets d’une beauté et d’une rareté exceptionnelles puissent servir aussi en pareil cas.

L’emploi d’objets précieux comme moyen d’emmagasiner et de transporter la valeur peut, dans certains cas, précéder leur usage comme monnaie. M. Gladstone constate que, dans les poèmes homériques, on voit souvent l’or accumulé sous forme de trésor ; il y est quelquefois employé à rémunérer les services, quoiqu’il ne fût pas encore devenu la commune mesure de la valeur, puisqu’alors c’étaient les bœufs qui servaient à ce dernier usage.

Si nous consultons l’histoire, l’or, cette substance généralement appréciée, semble avoir été employé en premier lieu comme une matière précieuse, propre à l’ornementation, secondement comme un moyen d’accumuler la richesse ; troisièmement comme moyen d’échange ; et enfin comme une mesure de valeur.
séparation des fonctions.

Le lecteur devra, et c’est un point de la plus haute importance, distinguer soigneusement et constamment l’une de l’autre les quatre fonctions que la monnaie remplit, du moins dans les sociétés modernes. Nous sommes tellement accoutumés à demander à une seule et même substance ces quatre services différents, qu’ils tendent à se confondre ensemble dans notre pensée. Nous en venons à regarder comme presque nécessaire cette réunion de fonctions, qui n’est tout au plus qu’une affaire de commodité, et qui peut n’être pas toujours un avantage. Nous pourrions certainement employer une certaine matière comme moyen d’échange, une seconde comme mesure de valeur, une troisième comme valeur type, et une quatrième comme accumulation de valeur. Dans les ventes et les achats nous pourrions déplacer certaines quantités d’or ; pour exprimer et pour calculer les prix, nous pourrions nous servir de l’argent ; quand nous voulons faire de longs baux, nous pourrions indiquer le loyer en blé, et quand nous désirons emporter avec nous nos richesses nous pourrions les réaliser en pierres précieuses. Cet usage de matières différentes pour chacune des différentes fonctions de la monnaie a été mis effectivement en pratique dans des circonstances particulières. Sous le règne de la reine Élisabeth, l’argent était la mesure commune de la valeur ; l’or s’employait pour les paiements importants au taux qu’établissait le rapport de sa valeur avec celle de l’argent ; tandis que le blé avait été fixé par l’Acte 18 d’Élisabeth, C. VI (1576), pour servir de valeur type dans le paiement des loyers de certaines terres appartenant à des collèges.

Il y a un avantage évident à choisir, si c’est possible, une substance unique qui pourra remplir toutes les fonctions de la monnaie. Les paiements seront plus faciles à faire avec la même monnaie qui a servi à calculer le prix des choses. Comme peu de gens ont assez de temps ou de patience pour étudier attentivement l’histoire des prix, on admet aisément que la même monnaie, qui nous sert actuellement dans toutes nos petites transactions, est aussi la valeur la moins