Librairie académique Perrin (p. 264-318).

II

La femme était un chouan travesti ; son compère simulait l’ivresse. Ils abordèrent l’homme en sentinelle et, soudain, se jetèrent sur lui. Il tomba mort sans pousser un cri. Au même instant, des rues tortueuses, débouchent les chouans en masse ; la place est envahie, le poste assailli : le sergent Guillot, qui le commande, fait sortir ses hommes, essaie de les ranger en bataille ; une décharge les repousse en bousculade dans le corps de garde où ils se barricadent. La porte est attaquée à grands coups de crosse : — « Ouvrez ! Ouvrez ! Si nous entrons de force, il ne sera fait quartier à personne ! » La porte cède ; les brigands se précipitent, saisissent tous les fusils, intiment aux gardes nationaux l’ordre de se coucher sur le lit de camp, d’y rester immobiles, sous peine de fusillade immédiate. D’autres s’accrochent à la grille de la Maison Commune, la secouent, l’ébranlent, l’arrachent et s’emparent d’un des deux canons de la Municipalité. La place est tumultueuse, parcourue en tous sens par des bandes de chouans qui explorent les vieilles rues à pignons, tirant des coups de fusil sur toute fenêtre qui s’ouvre. Les chiens hurlent « d’une manière effroyable » ; les décharges succèdent aux cris de Vive le Roi, vive Louis XVIII ! Car la ville est prise ; tous les postes, tous les points de résistance sont tombés simultanément au pouvoir des Royalistes. Le corps de garde de la porte de Lamballe, pris à revers, est occupé ; on enfonce les portes de la ci-devant église Saint-Guillaume et on en tire les chevaux qu’elle abrite. À la caserne des Ursulines, le jeune du Faou de Kerdaniel et J.-J. Coroller[1] entrent bravement dans la chambrée, pistolets en mains : — « Le premier qui bouge est fusillé ! » Et tous les hommes, — des vétérans et des ouvriers du génie, — hébétés par ce réveil en sursaut, se tiennent cois, tandis que les Chouans raflent les fusils alignés aux râteliers. Un vieux soldat, pourtant, reprend son sang-froid : — « Est-ce qu’on va se laisser désarmer par ces bougres-là ? » Voilà tous ses camarades debout ; une lutte s’engage. Dans la nuit noire qui enveloppe ce vieux couvent dont ils ne connaissaient pas les êtres, les royalistes trébuchent, sont refoulés. Quelques coups de fusil éclatent et du Faou, une fois dehors, masse ses hommes à l’angle de la rue aux Chèvres et de la route de Brest, se contentant de bloquer la caserne en cas d’une sortie des assiégés qui ne se montrèrent plus.

Ce qui caractérise les mille incidents dispersés de cette vaste bagarre, c’est l’indifférence des habitants de Saint-Brieuc. Peut-on admettre que, pour l’immense majorité, ils ne se réveillèrent point ? Ceux qui, tirés de leur lit par le vacarme des détonations, montrèrent leur tête à la fenêtre pour savoir ce qui se passait, se recouchèrent bien vite sous la menace des coups de fusil. Point de rumeurs, point de panique, point même de curiosité : à force de vivre dans l’insolite, ils avaient acquis une résignation à toutes les épreuves ; peut-être, sentant leur ville au pouvoir des royalistes, ne prenaient-ils pas au tragique un événement qu’ils espéraient favorable ou, tout au moins, décisif. Ceci, d’ailleurs, n’expliquerait pas certains faits dont la singularité atteint au comique : dans la journée était arrivé à Saint-Brieuc le général Casabianca ; nommé, le 20, au commandement de la subdivision des Côtes-du-Nord, il s’était empressé de rejoindre son poste ; cette nuit du 26 au 27 était la première que ce vieux soldat corse[2], incontestablement brave, passait sous le ciel de Bretagne. Était-il fatigué du voyage ? Estima-t-il qu’un démêlé entre concitoyens opposés d’opinion échappait à ses attributions ? Ce qui est sûr, c’est que, ni la fusillade, ni les cris de Vive le Roi ! ne parvinrent à l’émouvoir. Il ne sortit pas de ses draps. Un poste d’honneur montait la garde à sa porte : il ne paraît pas qu’il fut désarmé ni que nul, parmi les chefs chouans, s’inquiétât de ce général dont le sommeil était si dur. Quand, le lendemain, on s’étonnera de l’inaction de Casabianca, il objectera simplement que, ne connaissant pas la ville, il n’aurait su où tourner… Les Briochins en riaient encore quarante ans plus tard.

Quelques fonctionnaires montrèrent plus de décision : encore, s’ils descendirent dans la rue, ignoraient-ils la nature du danger qu’ils allaient affronter. Ainsi le commissaire du Directoire près le tribunal des Côtes-du-Nord, Despoiriers, réveillé par le tumulte vers cinq heures du matin seulement, s’habille, prend un fusil et va, pour s’informer, jusqu’à la place de la Liberté. Il est accueilli par une fusillade, fait aussitôt demi-tour, s’élance, poursuivi par les Chouans, dans la rue Fardel, les dépiste, grâce à l’obscurité, dans les petites rues Milieu et Derrière-Fardel, escalade un mur de jardin et retombe de l’autre côté, si malencontreusement qu’il en reste courbaturé durant plusieurs jours[3].

Jérôme Morin, capitaine de la garde nationale, se dirige aussi vers la place, — c’est « la ratière » où tous les étourdis viennent se faire prendre[4] ; — il a revêtu son uniforme ; il se heurte, dans l’ombre, à un Qui vive ? retentissant ; une décharge à bout portant jette à terre son chapeau en loques ; Morin recule d’un bond, insistant : — « Ne tirez pas ! Je suis le capitaine de la garde nationale ! » Un jeune homme en lévite grise l’ajuste à deux pas ; Morin saisit le fusil par le canon, le détourne et le coup part sans l’atteindre. Alors, effaré de la persistance de ce malentendu, le capitaine fuit à toutes jambes et regagne sa maison sous les balles[5]. Le brigadier de gendarmerie Merlin eut meilleure chance : ignorant, comme les autres, que les royalistes sont maîtres de la ville, au Qui va là ? des barrages, il répond innocemment Merlin ! et circule sans difficulté : les Chouans entendent Berlin, qui est, paraît-il, leur mot de passe[6]. La nuit devait être terriblement obscure pour justifier ces quiproquos, sans quoi l’accoutrement des soldats de Mercier La Vendée, portant la chemise par-dessus la culotte, aurait prévenu semblables confusions. Mais n’est-il pas de règle, au lendemain de tout événement tragique, que bon nombre d’amplificateurs tiennent à honneur d’avoir échappé au danger par une sorte de miracle et, dans leurs témoignages, il faut faire la part de la vantardise. Encore ne s’explique-t-on pas comment les citoyens patriotes qui se risquaient hors de chez eux, aient pu si unanimement s’abuser et prendre les Chouans pour des camarades. Le président de l’Administration départementale, Le Provost, sort de sa maison avec son fils Vincent, âgé de treize ans ; chacun d’eux s’est armé d’un fusil. À peine dans la rue, Le Provost est entouré, houspillé ; donnant dans l’erreur commune : — « Je suis républicain ! » proteste-t-il ; — « c’est ce qu’il nous faut ! Le Roi commande ici ! Rends ton fusil, bougre ! » Madame Le Provost, qui se tient sur le seuil de sa maison, une lanterne à la main, intervient : — « Comment ! vous ne le reconnaissez pas ? C’est un de vos administrateurs !… » — Un administrateur ! Le Provost est collé contre une porte, les fusils sont braqués sur lui, il va mourir… La porte s’ouvre[7], l’engouffre, se referme. Le voilà sauvé. Les Chouans saisissent la femme qui se débat ; deux balles la manquent ; le petit Vincent, pour mourir avec elle, crie Vive la République et fait feu sur les brigands. Il est happé, se dégage, se jette sur sa mère, la pousse contre la porte hospitalière qui s’ouvre une seconde fois et les dérobe tous les deux[8].

Il est manifeste que, dans le tohu-bohu de ces scènes brutales mais non sanglantes, les instructions de Mercier La Vendée sont docilement observées. Les Chouans ne se refusent pas le plaisir de faire siffler leurs balles aux oreilles patriotes ; mais, quoiqu’ils soient réputés bons tireurs, peu de leurs coups portent. Le sang coula pourtant : le lieutenant de gendarmerie Chrétien est parvenu à rassembler quelques-uns de ses hommes et tente de reprendre le poste de la Mairie ; il est repoussé par une vive fusillade ; sa petite troupe se disperse, laissant sur la place un mort et deux blessés ; lui-même se sauve à travers les jardins dans une maison de la rue de Gouët ; il y est pris, ramené au Martray, couché en joue… Arrive un jeune homme « bien vêtu », il interpelle les Chouans : — « Est-ce là l’ordre qu’on vous a donné ? Menez cet homme au corps de garde[9]. » C’est au poste de la place de la Liberté, en effet, que sont entassés tous les citoyens ramassés par les rues : on y conduit le commissaire du Directoire près l’administration municipale, Poulain-Corbion, fonctionnaire héroïque qui, moins timoré que Casabianca, et soucieux de son devoir, se rendait à la Mairie dans l’espoir d’organiser la défense. Les Chouans l’invitent à crier : Vive le Roi ! il crie : Vive la République ! et tombe percé de coups de baïonnettes. On retrouvera, le lendemain, son corps non loin de l’endroit où se dresse aujourd’hui sa statue, hommage mérité[10].

Pour abriter leurs blessés, les Chouans ont fait ouvrir la maison du citoyen Grandchamp-Leclerc ; ils ont requis la citoyenne Conan, femme d’un chirurgien qui, sous la garde de six hommes armés, est promue infirmière de cette ambulance improvisée. Elle y panse quelques blessés dont deux atteints grièvement ; l’un de ceux-ci meurt sous ses yeux. Au matin elle donnera des soins à Étienne Le Frotter, atteint d’une balle au bras[11]. Du reste, les brigands se montrent pour elle pleins d’égards et de politesse. Une autre ambulance est établie, rue Saint-Guillaume, chez la veuve Duhazay. Car toute la ville est soumise : la grande artère qui la traverse, de la place de l’Égalité à celle de la Liberté, rue Quinquaine, Grande-Rue, rue de la Charbonnerie, le Haut de Saint-Gouëno, rue Saint-Guillaume, c’est un piétinement continu de détachements, se croisant au cri de Vive le Roi ! de patrouilles conduisant au poste de la Mairie, tout illuminé de chandelles[12], quelque garde national capturé, un incessant appel de Qui vive ? clamé dans l’ombre des vieilles ruelles tortueuses, pleines de bruits confus et de chocs d’armes. Et on entend, très au loin, tinter sans relâche la cloche d’alarme de la prison.

C’est là que se jouait l’action principale, le but de l’expédition étant de délivrer madame Le Frotter et ses compagnons de captivité, près de trois cents[13], dont plusieurs condamnés à mort, des chouans, des émigrés, des prêtres réfractaires et beaucoup de prévenus de droit commun, hommes ou femmes, punis de la détention ou non encore jugés.

Située, comme on l’a dit déjà, en dehors de la ville, entre les promenades et le ravin de Gouëdic, la maison d’arrêt n’était gardée que par six gardes nationaux. À deux heures du matin, mis en éveil par le pétillement lointain des coups de fusil tirés sur la place de la Liberté, le concierge Peyrode courut à sa cloche et se mit à sonner le tocsin. Presque aussitôt, le fracas des coups de feu tirés à la porte de Lamballe, toute voisine de la prison, lui fit croire qu’il allait être attaqué. Durant trois quarts d’heure, il sonna éperdument, sans autre effet que de mettre en grand émoi ses pensionnaires. Toute la population de la geôle était sur pied, cherchant à discerner, d’après le bruit plus ou moins proche des détonations, la marche des assaillants. Les uns, — ceux que Rolland dit Justice avait avertis, — se réjouissaient de l’événement ; les autres, tels que Giraudeau, espéraient dans l’anxiété la victoire de la garnison.

Dans la cellule où était recluse, attendant l’échafaud pour l’aube prochaine, madame Le Frotter, on avait placé avec elle plusieurs autres détenues, la femme Le Fler, les filles Dujardin, Girault, Annet, Verrier et le Ster[14]… La première, réveillée par le bruit, tire le bras de madame Le Frotter, disant : — « Il me semble que j’entends crier Vive le Roi ! » La condamnée écoute, perçoit des clameurs assourdies : — « Vous vous trompez : on crie : Vive la République ! Au surplus, laissez-moi dormir. » Mais, un instant après, on distingue nettement des coups de feu ; la fille Dujardin est aussitôt debout : — « Madame ! voilà une fusillade ! Savez-vous d’où elle vient ? » Cette fois, madame Le Frotter ne peut s’y tromper ; elle est toute tremblante : — « Ce sont peut-être les Royalistes », dit-elle… Elle écoute encore : — « On ne bat pas la générale ; il faut qu’ils soient maîtres de la ville… Couchez-vous, les filles, et ne faites aucun bruit[15]. »

Las d’appeler en vain du secours, Peyrode se décourageait de sonner l’alarme. Par la fenêtre du corps de garde, surveillant les abords de la prison, il entendait la rumeur d’une foule en mouvement dont il ne pouvait, dans l’obscurité, évaluer l’importance ni présumer les intentions, — trop évidentes. La situation du geôlier devenait tragique ; sa dureté envers les prisonniers pauvres était légendaire ; il personnifiait, plus même que le bourreau, l’implacable persécution de dix années : pas un des assaillants dont il n’eût torturé le parent ou l’ami ; pas un de ses pensionnaires qui ne le honnît ; et, tandis que s’amassait au dehors la troupe hostile des agresseurs, l’émeute grondait déjà à l’intérieur de la prison[16]. Il se défendit en désespéré ; d’abord, il fait sortir sa mère, qui vit avec lui ; — qu’elle aille vite à l’Hôtel de Ville réclamer du renfort… Puis il barricade sa porte ; il dispose ses six soldats de garde dans la cour, avec ordre de faire feu sur tout individu qui escaladerait les murs. Lui-même s’arme d’une espingole qu’il bourre de balles ; contre ses détenus mutinés qui le poursuivent, qui menacent de l’assommer, il implore l’assistance d’un émigré, M. de Kernen, fort aimé des prisonniers, et celui-ci, charitablement, s’interpose, persuade aux révoltés qu’il est de leur intérêt de différer leur vengeance ; tandis que Méhen, le domestique du concierge, déjà « retourné », circule dans la prison, conseillant aux détenus : — « Mes amis, prenez garde qu’il vous arrive du mal ; criez Vive le Roi[17]. » C’est un moment de répit. Mais les colères montent ; les Chouans enserrent la prison ; le canon pris à la Mairie est braqué contre la porte que de terribles heurts ébranlent… — « Rends-toi, scélérat ! Nous te tenons ! » Peyrode, aux abois, se suspend de nouveau à sa cloche ; sa vieille mère n’est pas revenue. Que se passe-t-il donc là-bas ? Que font les soldats, les gardes nationaux, les gendarmes ? La porte va céder sous les poussées furieuses[18] : on l’attaque maintenant à grands coups de ciseau et de maillet. Peyrode, qui se voit perdu, penché à la fenêtre du corps de garde, décharge à bout portant son espingole sur les assaillants. La ruée est formidable : la porte s’abat, et, dans le noir de la prison conquise, la masse des Chouans victorieux s’enfourne, compacte, irrésistible, lancée à tâtons par les chambrées ténébreuses[19] ; mêlée tourbillonnante des vainqueurs qui s’écrasent pour entrer et des prisonniers qui foncent dans la cohue pour profiter de la porte ouverte. Beaucoup, empêtrés de chaînes aux pieds et aux mains, trébuchent dans cet écrasement. Rolland dit Justice[20] essaie de dégorger le remous : — « Le premier bougre qui ne voudra pas sortir, je le fusille[21] ! » Un jeune officier royaliste fend impétueusement la foule : c’est Étienne Le Frotter ; blessé — sans doute par la mitraille de l’espingole du concierge, — il est entré pourtant l’un des premiers[22] dans le cachot de sa mère qu’il entraîne, tout frémissant de bonheur ; son jeune frère Honorat, — qui, bien qu’acquitté, était resté détenu dans une autre partie de la geôle, — est également délivré et madame Le Frotter, à travers l’entassement, franchit, entre ses deux enfants qu’elle tient embrassés, le seuil que, sans le dévouement tenace de son fils aîné, elle devait passer dans quelques heures, conduite par le bourreau, vers l’échafaud de la place de l’Égalité.

Là, sous les arbres du Cours, à l’endroit même où s’est dressée pour Duviquet la guillotine, se groupent les prisonniers délivrés : outre madame Le Frotter, il y a des Chouans de marque : Guezno de Penanster, Le Veneur de La Roche, Le Vicomte, Even, le notaire de Callac, Kerlabannec, père et fils, de La Villegourio, déjà, par miracle échappé aux hécatombes de Quiberon ; Yves Hamon qui devait être exécuté ce matin-là[23] ; puis des émigrés : de Kernen, La Villecorbin, Dubois-Longrais, Bourguignon ; des femmes aussi : madame Penvon, la femme Rideau, les filles Le Fler et Dujardin ; un père capucin[24] ; puis la masse des détenus incarcérés pour des délits privés. Que va-t-on faire d’eux ? Il faut d’abord débarrasser de leurs fers ceux qui sont enchaînés. On court chez le serrurier de la prison ; sous menace de brûler sa « cassine », quatre chouans le forcent à sortir de chez lui et l’entraînent jusqu’au Cours où il procède au déferrement[25]. Qu’on imagine la scène dans l’aube naissante de ce matin d’octobre ; les soldats de Mercier La Vendée cassant la croûte sur l’esplanade de la prison béante et vide ; sous les tilleuls de la promenade, le groupe des libérés, tout à la joie de la délivrance ; les congratulations, les mines triomphantes, les compliments, les échanges d’impressions et de nouvelles ; — le troupeau perplexe des prisonniers de droit commun, inquiets de leur évasion forcée, et dont la plupart, peut-être, redoutent autant les Chouans que les gendarmes. Déjà on organise le départ ; car le jour se lève ; il y aura, pour les dames, les chevaux des chasseurs de la République pris à l’église Saint-Guillaume. Afin de ne point laisser derrière soi des délateurs éventuels, on emmènera tout ce que la prison contenait, ainsi que les six gardes nationaux du poste qui se sont rendus sans défense[26] ; quand on sera en lieu sûr, on fera le tri ; il y a parmi eux des coupables à punir : Peyrode et Giraudeau seront passés par les armes… Mais où sont-ils ? On s’informe, on les réclame ; ils ont disparu. — « Il nous les faut morts ou vifs ! » crie Justice, et, suivi de quelques Chouans, il rentre dans la prison ; il reparaît bientôt, ramenant Giraudeau, découvert tapi au fond d’un cachot obscur ; quant à Peyrode il est introuvable. On sut depuis que, caché sous des bottes de paille au moment de l’invasion de la maison d’arrêt, il avait profité du désordre et de l’obscurité pour se jeter hors de la prison, dévaler la pente abrupte du ravin où coule le Gouëdic, et s’enfuir dans la direction du Moulin Neuf[27]. À défaut de sa personne, on prit sa bourse, — 1.400 francs — et on lacéra ses livres d’écrou[28].

Il était sept heures du matin ; les chefs royalistes se préparaient à évacuer la ville ; Justice tempêtait ; quelqu’un l’entendit maugréer « qu’on était arrivé deux heures trop tard et qu’on n’aurait pas le temps d’exécuter tous les projets[29] ». À cet instant, une vive fusillade éclata du côté de la cathédrale ; plusieurs gendarmes et ouvriers militaires, ayant réussi à se glisser, sans être vus, dans une maison en construction, place de la Liberté, s’y étaient embusqués et, de cette casemate improvisée, dirigeaient un feu nourri sur les Chasseurs du Roi qui gardaient le poste de la Mairie, encombré de prisonniers. Bientôt rejoints par quelques braves gardes nationaux, les gendarmes accentuèrent leur offensive et les Chouans quittèrent la place, se repliant, de rues en rues, vers le Cours. Cette résistance tardive fut le signal du départ ; par la rue des Cordeliers et la rue aux Chèvres, les détachements royalistes s’écoulaient, encadrant les prisonniers délivrés ; le jeune du Faou, posté avec ses hommes devant la caserne dont il avait bloqué les occupants durant toute la nuit, protégeait la retraite. Quand les dernières bandes furent passées, il se replia à son tour[30], formant ainsi l’arrière-garde de l’étrange cortège qui s’éloignait sur la route de Ploufragan, et que nulle troupe ne poursuivit[31].

Sans rangs, à la débandade, les Chouans détalent, fusil au dos, pêle-mêle avec les soixante chevaux de la cavalerie républicaine sur lesquels on a juché les femmes et les éclopés ; la pièce de quatre, enlevée, sans son caisson, à la Mairie, roule, avec son coffret à gargousses, sur une charrette qui lui sert
d’affût. Mêlés à cette longue file de fantassins et de cavaliers, marchent les prisonniers tirés de la maison d’arrêt, très inquiets du sort qui leur est réservé ; n’a-t-on point parlé déjà de les fusiller pour n’avoir pas à les nourrir[32] ? Sans doute, à la première étape, va-t-on se débarrasser d’eux. Les Chouans eux-mêmes ne sont guère plus satisfaits : si les Morbihannais de Mercier La Vendée, à peu près disciplinés, ne murmurent pas, les hommes de Carfort et de Dujardin, plus raisonneurs, déplorent le piètre résultat de l’expédition : on n’emporte même pas la caisse du receveur des Contributions qu’on devait rafler, le coup « ayant manqué par la faute de celui qui en était chargé ; il s’est enivré et a oublié d’exécuter sa consigne[33] ». Aussi les mécontents parlent-ils d’aller à Quintin prendre de l’argent, ou de retourner à Saint-Brieuc « pour y enlever quelques patriotes incorrigibles et d’autres sujets pareils[34] ».

Parvenue à la hauteur de Ploufragan, la cohorte s’engagea dans les chemins couverts qui mènent vers Saint-Carreuc, affreuses traverses défoncées, tout en ornières et en fondrières, à peine praticables aux piétons et aux cavaliers[35]. On fit « des marches et des contremarches pour tromper l’ennemi[36] ». Vers midi, on atteignit le hameau de La Saudraie ; halte de deux heures. On poussa ensuite jusqu’à une lande voisine de Saint-Carreuc, et, là, Carfort prit, avec sa bande, la direction de Moncontour, afin de retrouver avant la nuit les landes de La Mirlitantouille où l’on pouvait se disperser sans danger.

Soit qu’il cherchât à dépister les Bleus qu’il pouvait croire à sa poursuite, soit plutôt que, privé de Carfort, il se fut égaré, Mercier traîna, le reste de la journée, ses femmes, ses chevaux, son canon et ses prisonniers, dans l’inextricable dédale des chemins creux. On repassa à La Saudraie et on échoua enfin au village de Launai, en Plaintel, où on décida de passer la nuit. Mais les Morbihannais bougonnèrent ; leur pudibonde rudesse s’offusquait du voisinage des femmes et, pour les rassurer, on dut expédier celles-ci à une lieue du campement ; elles trouvèrent un abri au hameau de Gourlay, dans la forêt de Lorges[37].

Le 28, à trois heures et demie du matin, on reprit la marche à travers les grands bois dépendant du château de l’Hermitage. Avant le jour on atteignait le carrefour forestier de Saint-Lambert où s’élevait une croix de granit dressée sur des marches de pierre. Une partie de la colonne, exténuée, s’arrêta là ; les plus vaillants poussèrent jusqu’au château, distant de quinze cents pas, à peine. De ce nombre furent les cavaliers, blessés ou femmes et, parmi celles-ci, madame Le Frotter que ses deux fils n’avaient pas quittée.

Le château de l’Hermitage est une très vaste et imposante demeure, construite, dans la première moitié du xviiie siècle, par un duc de Lorges et que posséda le ministre Choiseul[38]. Ses longues façades, grises et rousses, dont chacune est percée de quarante-cinq fenêtres, sont surmontées d’un fronton et accotées d’énormes pavillons que coiffent de grands toits mansardés. L’une de ces façades, coupée par un péristyle, est précédée d’une longue esplanade ; l’autre se reflète dans un grand étang qu’encadraient de majestueuses futaies. Les vainqueurs de Saint-Brieuc bivouaquèrent sur l’esplanade ; les chefs, les blessés et les femmes prirent possession du château, déshabité depuis plus de vingt ans[39]. Il comportait du logement pour un régiment et ses caves contenaient des réserves suffisantes à désaltérer une armée. C’était le premier répit depuis la nuit de bataille et d’angoisses, et il serait difficile de décrire ce que put être le cantonnement de ces chouans, depuis une semaine sans autre abri que la belle étoile, de ces hommes et de ces femmes, exhumés de la prison de Peyrode où ils avaient langui plusieurs mois, se retrouvant, dans le demi-jour de cette matinée d’octobre, souillés, boueux, déguenillés, sous les Olympes de ces salons solennels, tendus de tapisseries mythologiques et lambrissés de glaces et de dorures.

Mercier La Vendée mit à profit cette pause pour régler le sort des prisonniers : plusieurs s’étaient évadés, la veille, en cours de route et pendant la nuit ; à Plaintel, l’espion Giraudeau et l’un de ses camarades, un sous-officier nommé Petit, repris comme ils tentaient de fausser compagnie aux Chouans, avaient été confiés à la surveillance d’une garde de vingt hommes ; amenés par cette escorte à l’Hermitage, ils attendaient leur verdict. Contre Giraudeau, les charges étaient accablantes et les témoignages ne manquaient pas : tous ses compagnons de captivité connaissaient le rôle odieux qu’il avait joué dans la prison ; Petit, en s’échappant du campement de Plaintel avait l’intention de courir à Saint-Brieuc et de guider les troupes républicaines à la poursuite des royalistes. Tous deux furent condamnés à mort. Les arrêts de ce genre étaient sans appel ; on s’abstenait même de les signifier aux intéressés ; leur exécution, comme on l’a vu déjà, n’occasionnait aucun cérémonial. Un Chouan prit Petit par le bras, l’emmena sous les arbres à l’écart, et lui fit sauter la tête d’un coup de fusil. Puis il rechargea son arme et revint chercher Giraudeau qui, mis en méfiance par la disparition de son camarade et la détonation qui l’avait suivie, s’efforça de temporiser ; il lui avait semblé entendre, au loin, dans la forêt, des coups de feu ; il espérait l’arrivée prochaine des Bleus et il employa tous les moyens pour retarder l’instant de son supplice. En vain : il faut marcher. Son guide le conduit auprès du cadavre de Petit, lui conseille de se déshabiller pour que ses vêtements ne soient pas gâtés ; le malheureux obéit ; c’est encore quelques minutes gagnées. Quand il est prêt, le Chouan, armant son fusil, dit : — « Mets-toi à genoux… Tu ne veux pas que je te manque, n’est-ce pas ? — Non », souffle Giraudeau ; et il tient lui-même le bout du canon sur sa poitrine. À ce moment, une fusillade multiple éclate, très proche, du côté de la Croix-Saint-Lambert : le Chouan surpris tourne la tête : Giraudeau, d’un mouvement désespéré, arrache le fusil, assène sur la tête de son bourreau un formidable coup de crosse et, d’un bond, saute dans le taillis où il disparaît[40]

Les Bleus approchaient, en effet. Quand, au matin du 27 octobre, les derniers Chouans eurent évacué Saint-Brieuc, les habitants ne pouvaient croire qu’ainsi se terminait leur brutal cauchemar. Ils soupçonnaient une feinte de l’ennemi, simulant la retraite afin d’entraîner la garnison à sa suite et revenant en force pour piller la ville privée de ses défenseurs[41]. La matinée se passa sans nouvelle agression ; on reprit haleine et on s’occupa de dresser le bilan de la nuit tragique : au total, sept bourgeois tués, dix-sept blessés, dont sept gendarmes ou militaires ; on trouva dans les rues trois Chouans morts ; un autre agonisait à l’ambulance de la maison Grandchamp-Leclerc. On sut que la garnison se composait exactement de trente officiers et de trois cent cinq hommes, dont un grand nombre de conscrits, soixante-dix vétérans, et l’on s’indigna un peu de son inaction. Celle du général Casabianca fut jugée sévèrement. Aucune maison n’avait été pillée ; les royalistes n’avaient pénétré que dans deux seules, celle de Grandchamp-Leclerc et celle de la veuve Duhazay, transformées en ambulances ; ils s’y étaient comportés « assez honnêtement pour des Chouans », réclamant seulement du linge, de la charpie, du beurre, du vin, nécessaires à leurs camarades blessés. Même le lieutenant de gendarmerie, Chrétien, déposa que, ayant fouillé ses poches, « les brigands lui prirent un louis, un mouchoir, une paire de gants, un couteau en lui laissant charitablement sa tabatière[42] ». Le but de la dramatique échauffourée n’était donc autre que la délivrance des prisonniers ; de conversations surprises sur le Cours après la prise de la geôle, l’enlèvement de madame Le Frotter apparaissait comme la cause initiale de l’entreprise ; son fils « avait pesé sur la détermination des chefs et les avait poussés à l’attaque de Saint-Brieuc[43] ». Aussi madame Le Frotter, dans le rapport adressé au ministre de l’Intérieur par le Commissaire du Directoire, était-elle traitée de « furie » et de « femme infernale[44] » ayant attiré sur le chef-lieu des Côtes-du-Nord une catastrophe quasi fabuleuse, — et qui, crime bien autrement impardonnable, risquait de faire perdre leurs places à tous les fonctionnaires de l’Administration départementale.

Celle-ci, pour parer à cette grave menace et racheter par quelque apparence de zèle la trop réelle timidité de la résistance, se hâta de réunir une colonne mobile de deux cents grenadiers et gardes nationaux[45], commandés par le capitaine Comminet, qui se lança résolument sur les traces des brigands. Sa troupe marcha toute la nuit, traversa Plaintel, s’engagea dans la forêt ; ses éclaireurs atteignaient, le 28, vers dix heures du matin, l’arrière-garde des royalistes attardée à la Croix-Saint-Lambert. Des Chouans dormaient affalés sur les marches du Calvaire ; la première décharge des Bleus en tua cinq ou six[46] ; les autres sautèrent sur leurs armes et le combat s’engagea ; l’écho de ces fusillades, en même temps qu’il sauvait, comme on l’a vu, Giraudeau, donna l’alarme aux gas de Mercier ; on leur distribuait du pain et du cidre sur l’esplanade du château[47]. En hâte, Saint-Régent rassemble ses hommes pour se porter à la rencontre de l’ennemi : Mercier ordonne l’évacuation immédiate des femmes et des blessés et la mise en batterie du canon. Grand désordre ; les occupants du château se bousculent pour en sortir ; les Chouans se pressent pour y pénétrer et se poster aux fenêtres d’où ils domineront les assaillants et les fusilleront plus à l’aise. Les chevaux, dans le tumulte, prennent peur, renâclent, s’échappent ; et déjà voici les Bleus : à l’abri des fourrés qui, de toutes parts, encadrent le château, ils avancent en tirailleurs ; le canon des Chouans, mal chargé et mal ajusté, crache sa mitraille à quelques pas[48] ; aux fenêtres, les gas embusqués font feu ; la fusillade crépite ; les femmes qui n’ont pu fuir encore s’affolent ; l’une d’elles tombe, frappée à mort[49] ; sous le portique à colonnes du château, Étienne et Honorat Le Frotter sont aux côtés de leur mère ; l’un d’eux s’est emparé d’un cheval ; ils la mettent en selle ; elle vacille, s’affaisse, retombe, la poitrine percée de deux balles. Ses fils la soutiennent, la déposent sur les marches du perron ; et, tandis que, penché vers elle, Étienne guette ses derniers souffles, lui-même, atteint au front, s’abat sur les degrés de pierre, près du cadavre de celle qu’il a sauvée de l’échafaud[50].

Le combat finissait  ; les Bleus s’étaient emparés du canon qu’ils retournèrent contre les Chouans, et ce fut pour ceux-ci le signal du sauve-qui-peut. Ils se dispersèrent dans la forêt. Maîtres du château, les républicains s’y cantonnèrent, renonçant à poursuivre les vaincus. Le bon vin des caves les aida à fêter leur victoire et éteignit leur ardeur belliqueuse. Vers le soir ils reprirent le chemin de Saint-Brieuc, ramenant en triomphe la pièce de canon reconquise[51]. Onze des leurs étaient blessés ; mais ils n’avaient pas perdu un homme, et quand le crépuscule enveloppa le château et les grands bois de l’Hermitage retombés à leur silencieuse solennité, douze corps de femmes ou de Chouans faisaient, dans ce grand décor, de petites taches sombres, éparses sur les longs tapis d’herbe de l’esplanade. On les inhuma sous quelque bouquet de vieux arbres ; ainsi furent enfouis dans des tombes maintenant ignorées et pour toujours anonymes la mère et le fils dont les tragiques destinées semblent résumer l’aveuglement tenace, le loyalisme farouche et l’inutile héroïsme des défenseurs du vieux monde, sacrifiant leur vie pour une cause perdue. — Inutile ? Oserait-on l’affirmer ? Ne fallait-il pas beaucoup de sang pour cimenter l’édifice qu’élevaient des mains invisibles et qui, encore caché par les embruns de l’ouragan, montait mystérieusement sur les ruines du passé détruit ? Un Breton illustre qui, jeune, avait pris part à ces luttes fratricides, écrivait cinquante ans plus tard : — « France du xixe siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait. Vous deviendrez vieille à votre tour et l’on vous accusera, comme on nous accusait, de tenir à des idées surannées. Ce sont vos pères que vous avez vaincus ; ne les reniez pas ; vous êtes de leur sang. S’ils n’eussent été généreusement fidèles aux antiques mœurs, vous n’auriez pas puisé dans cette fidélité native l’énergie qui a fait votre gloire[52]… »


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Trois semaines après l’émouvante alerte de la nuit du 4 brumaire, Saint-Brieuc apprit l’étonnante nouvelle de la démission du gouvernement Directorial et l’instauration d’un régime inédit, le Consulat. Le jeune Bonaparte avait étranglé la


Lequien-Ravalec,
photogr. à Moncontour
LA CROIX DE BOISHARDY

République ; on la croyait si bien morte de ce coup de force, qu’on attendait le rétablissement prochain du Roi sur le trône ; c’est ainsi que, dans le département des Côtes-du-Nord, fut interprété le 18 brumaire. Déjà on annonçait l’abrogation des lois contre les émigrés, le retour des prêtres réfractaires ; l’ancien régime allait renaître ; la Révolution était morte[53].

En quoi l’on s’égarait : ayant passé l’âge des convulsions, elle rejetait, au contraire, ses langes sanglants, forte et, pour la première fois, séduisante. Tout de suite les esprits s’apaisèrent et, par un phénomène extraordinaire, de se sentir enfin aux mains d’un maître digne d’elle, la France, douée d’un prodigieux instinct de sagesse et de conservation, comprit que la tempête était passée[54]. L’événement, du reste, venait à son heure : depuis dix ans, malgré les haines sans merci, les ressentiments, les regrets, les indignations, s’était opéré, presque à l’insu de tous, un labeur patient, un cheminement obscur des idées nouvelles. Telle théorie qui avait paru, en 1789, monstrueuse et révoltante, semblait acceptable maintenant et ralliait ceux-là même qu’elle avait épouvantés. On était las aussi du désordre et de l’incertitude, et le changement de gouvernement « fut reçu comme un bienfait et comme un gage de cette tranquillité après laquelle soupirait tout le monde[55] ».

Le 18 brumaire n’eut point pour résultat la fin subite de la Chouannerie : durant bien des années en survivront les turbulents vestiges. Jusqu’en 1840, on signalera encore, de temps à autre, « tapis au fond des forêts, pareils à des bêtes insaisissables, des hommes n’ayant plus de contact avec le monde civilisé, plus de foyer, plus de famille,… maintenus dans la voie sans issue par des habitudes invétérées ou par la peur des sanctions[56] ». Mais avec les débuts du Consulat se termine l’histoire de la Chouannerie des Côtes-du-Nord, suscitée par Boishardy et continuée par ses successeurs. Il ne reste qu’à indiquer quel fut le sort des personnages qui, ayant joué un rôle dans ce récit, ont survécu au dénouement. Tout souvenir n’en est pas aboli et si la tradition n’a presque rien retenu d’autre que les noms des héros du drame, du moins subsiste-t-il quelques-uns de ces témoins de pierre qu’il convient de signaler aux pèlerins soucieux de l’Histoire. Ainsi l’on montre encore à Moncontour « la maison de Hoche » ; certains Guides désignent aux touristes le petit manoir de Boishardy, demeuré jusqu’à ces derniers temps intact avec son haut pignon, ses fenêtres rares mais privé de sa tour coiffée d’ardoise qui lui faisait mine seigneuriale. À droite du grand chemin qui vient de Lamballe, une croix marque, — à peu près, — l’endroit où le jeune chef tomba, et l’on retrouve encore, un peu plus loin, sous les arbres, la chapelle restaurée de Saint-Malo, où devait être clandestinement célébré, dans la nuit du 16 juin 1795, son mariage avec Joséphine de Kercadio.

La Mirlitantouille paya son mauvais renom ; elle fut condamnée à mort. Quoique posée à la rencontre de plusieurs chemins de la correspondance secrète, cette maison, grâce à sa mine inoffensive, n’avait, pendant longtemps, inspiré aucun soupçon. Que craindre d’une misérable masure, placée en bordure du grand chemin le plus fréquenté du pays ! La porte n’en restait-elle pas, jour et nuit, ouverte à tout venant ? Quel mystère s’abriterait dans un si banal et rustique bouchon ? Pourtant il se rencontra quelque fonctionnaire perspicace pour s’inquiéter, à la longue, de l’étrange série d’événements dont les parages de cette sournoise gargote avaient été le théâtre. Combien de fois, dans les landes qu’elle commande, le courrier de Loudéac à Saint-Brieuc avait-il été attaqué ? On y avait vu des troupes de trois cents Chouans, sortant de terre au moment propice et disparaissant comme par un enchantement[57]. Le village de Plémy, dont ce tapis franc dépendait, était depuis toujours un centre d’agitation, une sorte de camp retranché des rebelles. Ses landes fatales avaient successivement facilité le rassemblement et la dispersion des bandes de Le Gris-Duval, de Duviquet, de Carfort et de Dujardin ; là avait été tendu le piège où succombèrent tant de braves soldats de la République ; depuis lors on y découvrait un prêtre réfractaire, aussitôt fusillé sans jugement[58], et, plus récemment, un chasseur à cheval, porteur de dépêches, venait d’être assassiné à peu de distance du cabaret maudit. L’Administration centrale, frappée de cette statistique impressionnante, reconnaissant d’ailleurs l’impossibilité d’établir un poste de soldats en un lieu aussi isolé, décida, par arrêté du 24 thermidor an VII, que « les maisons du hameau de La Mirlitantouille, servant depuis longtemps de repaire aux brigands, seraient rasées[59] ».

Les deux chaumières étaient alors abandonnées ; la fille Plé et son père ayant disparu depuis le massacre de l’année précédente[60]. L’arrêt fut exécuté, mais incomplètement ; des dix ou douze maisons composant aujourd’hui le hameau de La Mirlitantouille, l’une, — la maison du drame, — située à droite de la route pour qui va de Moncontour à Loudéac, a dû échapper à l’exécution. Elle paraît être de construction ancienne ; l’autre, qui lui fait face, est manifestement moderne. Autour d’elles le décor a bien changé : landes et marais d’autrefois ont été conquis par la culture et l’endroit a perdu ce caractère de désolation et de solitude auquel il dut jadis la faveur des Chouans. Rien n’indique qu’il fut mêlé à l’Histoire, et que sont enfouis là, sous quelque sillon, les ossements du géant Corniquet et de sept de ses camarades. Les gens pressés d’aujourd’hui qui passent en vitesse n’ont pas un regard pour ce site sans attrait ; son nom même, ronflant et ridicule, a été décapité : on dit, à présent, La Tantouille et c’est la désignation que portent les cartes de l’État-Major. Un chemin de fer sur route, qui vient de Saint-Brieuc, se détourne à La Tantouille du grand chemin de Loudéac ; suivant la crête du Mené et l’ancienne piste de correspondance des Chouans, il aboutit à Collinée. Là, par la traverse de la montagne, on est à deux heures de marche de Bosseny, le quartier général de Le Gris-Duval. Le vieux château est une ruine, — ruine superbe et qui mériterait d’être signalée par les Guides : ses pierres, finement sculptées dans le style de la Renaissance, s’effritent sous les ronces et à des pignons sans voûte ni toiture se suspendent de vastes cheminées qui révèlent les distributions abolies d’une importante et noble demeure, déjà fort détériorée et probablement inhabitable au xviiie siècle. Les Le Gris-Duval occupaient une construction de moindre apparence élevée en 1725 dans la cour même de l’ancien manoir, et qui subsiste intacte : c’est une maison carrée, non sans élégance, comportant cinq fenêtres de façade et un étage sur rez-de-chaussée. On ne retrouve rien, dans les environs, des arrangements pratiqués par le chef chouan afin de faciliter sa fuite en cas de surprise ; pourtant on reconnaît la trace du souterrain qui reliait, dit-on, Bosseny à la vieille tour de La Ville-de-Lait, en Saint-Gouëno. Il y a quelque cinquante ans cette galerie, datant évidemment des temps féodaux, était encore praticable sur une centaine de mètres[61].

Depuis sa mise en liberté par Besné, en octobre 1798, Le Gris-Duval, sous le coup d’une condamnation à mort, n’avait pas reparu à Bosseny. Sa femme, ainsi qu’on l’a dit, revenue de son séjour dans les prisons de La Force, restait détenue à Rennes, en attendant une nouvelle mise en jugement. Le jeune Hervé Du Lorin et Jacques Villemain, les deux témoins de Boishardy, partageaient sa captivité[62]. Le général Hédouville commandant alors les armées de l’Ouest, grand pacificateur[63] et muni, depuis le 18 brumaire, des instructions les plus conciliantes, ordonna de suspendre « toute poursuite pour faits de chouannage et de mettre en liberté les individus arrêtés par mesure de sûreté générale, sans motif nettement défini ». Mais Rouxel, accusateur public du tribunal criminel d’Ille-et-Vilaine, ne consentait pas à lâcher ses prévenus. Il regimba ; fut saboulé de belle façon[64], et comprenant que le temps des ergoteries était clos, fit humblement amende honorable[65].

Madame Le Gris-Duval, condamnée à la déportation, ne pouvait bénéficier de cette mesure de clémence ; mais on la transféra de la maison de justice de Saint-Michel à la maison de la Maternité[66] d’où elle ne tarda pas à s’évader. Son neveu, M. de Kerigant, dans ses Souvenirs[67], raconte cette évasion avec un grand luxe de détails romanesques : d’après son récit, madame Le Gris-Duval recevait souvent dans sa prison la visite du général Hédouville ; certain jour, elle l’invita à dîner avec d’autres officiers et, tandis qu’on était à table, elle quitta ses convives sous un prétexte futile, prit le costume de sa servante, sortit de la prison sans difficultés et, guidée par sa sœur, madame de Kerigant, à travers les rues de Rennes, se réfugia dans une maison où elle était attendue. Mais le général, goûtant peu la mystification, mit sur pied toute la garnison de la ville et, trois jours plus tard, seulement, les deux sœurs purent quitter Rennes en traversant de nuit la Vilaine sur une barque dont le marinier périt en les sauvant. On reconnaît dans ces péripéties la tournure d’esprit de Le Gris-Duval, qui se trouvait à Rennes à cette époque, et toujours friand de combinaisons théâtrales ; mais il n’en reste pas trace dans les documents d’archives, où l’évasion de madame Le Gris est simplement notée sans date et sans commentaire[68].

La fugitive rentra mourante à Bosseny ; les émotions, les fatigues de la vie aventureuse, le transfèrement de Saint-Brieuc à Paris, en plein hiver, « de brigade en brigade » avaient usé sa résistance. Le Gris-Duval se résolut à déposer les armes. En décembre 1799, il signait encore, comme « général commandant la division des Côtes-du-Nord », l’arrêt de mort d’un patriote « convaincu d’avoir assassiné un soldat royaliste[69] » ; ce fut la dernière fois qu’il se para de ce titre ; dès janvier 1800, il pressentait le général Mazingaut, chef de la 7e demi-brigade, au sujet de la soumission. Le vent soufflait à la clémence, et, le 20 février, l’Administration départementale rendait un arrêté portant « qu’elle ne voyait aucun inconvénient à ce que Le Gris et sa femme fussent admis à jouir de l’amnistie accordée aux rebelles se soumettant de bonne foi aux lois de la République[70] ». Tous deux rentrèrent à Bosseny, espérant y vivre désormais tranquilles, et décidés à se désintéresser des luttes politiques. Le Gris-Duval sollicita même du gouvernement un emploi de commissaire de la marine[71], ce qui fut mal jugé par ses compagnons de Chouannerie. Un démêlé assez vif avec Mercier La Vendée, au sujet d’une reddition de comptes[72], acheva de lui aliéner les obstinés du parti royaliste. Des bruits malveillants circulèrent : on insinua que Le Gris-Duval, enrôlé dans la police consulaire, dénonçait à Fouché ses anciens camarades[73] ; c’était la calomnie courante que décochaient aux amnistiés les opiniâtres de l’insurrection, trop compromis pour espérer l’absolution.

De ce nombre était Dujardin ; émigré, échappé de Quiberon, il s’était enrôlé naguère dans les bandes de Le Gris-Duval, avait servi sous Saint-Régent et pris part à l’attaque de Saint-Brieuc. Depuis l’amnistie, il s’instituait l’implacable justicier de toutes les défections et de tous les reniements ; il opérait dans la région du Mené, étendant ses brigandages depuis les confins du Morbihan jusqu’à Moncontour[74]. Sa troupe comportait une quarantaine d’hommes très redoutés, le chef exigeant d’eux « la férocité » : — « Il y a, disait-il, des républicains qui ne craignent pas la mort ; il faut les effrayer par la torture : coupez les membres, arrachez les yeux et la langue[75]… » Il s’était juré de faire expier à Le Gris-Duval sa désertion. Dans la nuit du 4 au 5 avril 1801, le château de Bosseny est envahi par une bande armée : ce ne sont plus les Bleus ; cette fois, ce sont les Chouans, et quoique engoué des revirements dramatiques, il n’est pas sûr que Le Gris-Duval goûta pleinement la causticité de celui-ci. Dujardin commande les envahisseurs ; il se présente à son ancien chef : il a l’ordre, dit-il, « de le conduire dans le Morbihan ». La formule est transparente : ceux des Chouans que le parti soupçonne de trahison sont traduits devant Georges Cadoudal, et ne reparaissent jamais. Le Gris-Duval ne se trouble pas ; il obtient la permission de dire adieu à sa femme, passe dans la chambre voisine, tarde à revenir… Dujardin perd patience, pénètre dans la pièce où son prisonnier vient d’entrer ; une corde pend à la fenêtre ouverte : Le Gris-Duval s’est sauvé par là ; il est loin… Dujardin connaît Bosseny ; il sait le château bien machiné et juge inutile la poursuite ; mais madame Le Gris-Duval paiera pour son mari ; quoique très souffrante Dujardin l’emmène en otage et la retient captive durant plusieurs jours[76]. Quand elle revint, Le Gris, par prudence, se fixa, avec elle, pour plusieurs semaines à Saint-Brieuc ; pourtant, à la belle saison, ne pouvant se résigner à quitter Bosseny qu’il aimait, il recourut de nouveau à l’un de ces moyens de comédie si souvent mis en œuvre avec profit : il fit annoncer par les gazettes que les brigands l’avaient pris et fusillé[77], — et il réintégra discrètement sa maison de campagne. Le bon effet du stratagème fut durable ; l’été s’écoula sans alerte ; mais Dujardin, bientôt renseigné, guettait : après l’hiver passé en ville, comme Le Gris-Duval se réinstallait à son château, dès sa première sortie, il fut accueilli par une décharge de mousqueterie et atteint d’une balle. Il eut la force de se traîner jusqu’au souterrain ou quelque autre des nombreuses caches que comportait la propriété et, cette fois encore, il eut la vie sauve[78]. Ce fut sa dernière aventure : madame Le Gris-Duval mourut peu après, à trente et un ans ; son mari lui survécut quelques mois ; le décès de Le Gris-Duval est consigné à l’état civil de la commune de Saint-Gilles du Mené, à la date du 26 mai 1803 ; l’acte eut pour témoins madame de Kerigant, belle-sœur du défunt, et Julien Collenc, fermier de Bosseny ; ni l’un ni l’autre ne consentirent à signer[79] ; et cela paraît singulier : ce qui l’est davantage, c’est que la mort de cet homme de trente-six ans, réputé pour sa force et sa vigueur, quasi célèbre, d’ailleurs, passa inaperçue : l’année suivante, le préfet du Morbihan, adressant au Grand Juge des renseignements sur les principaux chefs de la Chouannerie bretonne, signalait Le Gris-Duval comme étant encore vivant : — « À la pacification de l’an VIII, écrit-il, Legris fut destitué par Georges parce qu’il ne voulut pas rendre compte de 80.000 francs qu’il avait reçus pour la solde et l’entretien de sa division. Depuis ce temps-là, il est mal avec son parti ; ayant, d’ailleurs, gagné de l’argent, il aspire à la tranquillité et s’occupe d’affaires de commerce[80]. » Et une note précise : — « Legris est à Saint-Brieuc. » Serait-il permis de supposer que, veuf, sans enfants, le chef de Chouans, désireux de disparaître, aurait imaginé de mourir, — officiellement, — pour vivre en paix dans quelque retraite ignorée de tous ?

C’est, à peu près, ce qui advint, — bien involontairement, — à Carfort. Soumis et amnistié, mais mal noté[81], il supportait à contre-cœur son inaction et plus malaisément encore la surveillance chicaneuse des espions du gouvernement. En mai 1803, son dossier à la Police s’agrémentait de rapports peu favorables : — « Caractère violent, sans fortune, toujours au café ; la présence de Carfort, fameux par les pillages de diligences, les vols et les assassinats, est un objet d’horreur pour les hommes attachés au bon ordre. Traduit deux fois, depuis son amnistie, à la police correctionnelle, il a été condamné récemment à cent francs d’amende pour excès commis contre un particulier, à Moncontour, où il s’était rendu sans autorisation. L’éloignement de cet individu est désiré par les autorités[82]. » C’était le perdre. Le Grand Juge inscrivit en marge cette recommandation : — « L’arrêter, le constituer prisonnier en maison forte. » Et Carfort fut escamoté, comme on l’était en ce temps-là, quand on ne comptait point parmi les amis du gouvernement, c’est-à-dire que, tant que dura l’Empire, nul n’entendit plus parler de lui ; nul n’osa se risquer à s’informer de son sort. Dans quel in-pace, dans quelle oubliette était-il enfoui ? Ses parents eux-mêmes ne le surent jamais. En 1814, au retour des Bourbons, sa famille se hasarda cependant à mendier quelques renseignements. L’Administration de la Police royale entreprit des recherches et ne trouva rien[83]. Enfin Carfort fut découvert dans un cachot du Château d’If et rendu à la liberté[84]. Usé à trente ans par la captivité, sans ressources, couvert de loques, il reprit le chemin de la Bretagne et se rendit droit à Quintin, chez ses amis Kerigant. Madame de Kerigant se disposait à sortir et se trouvait, avec son jeune fils, dans le vestibule de sa maison, quand la porte de la rue s’ouvrit et donna passage à « un homme de haute taille, au teint basané comme celui d’un créole, et vêtu d’une façon étrange. Madame de Kerigant, l’ayant fixé, s’écria en levant les bras : — « Mais… c’est vous, Carfort ! — Eh ! oui, Élisabeth, c’est bien moi ! » Il manquait de tout et les Kerigant n’étaient plus riches ; mais, la joie de se revoir après tant d’années, tant d’illusions déçues, tant d’espoirs enfin réalisés, fut si vive que la causerie, à table, se prolongea une bonne partie de la nuit[85]. Carfort obtint du gouvernement de la Restauration une petite pension, — 1.500 francs, de quoi ne pas mourir. — En 1821 on le retrouve exposant ses titres à la pitié des Princes : « Couvert de blessures, ayant à sa charge son père, blessé pendant les Cent Jours, sa sœur, mère de famille et veuve d’un officier royaliste guillotiné… » On lui répondit de Paris que « sa demande s’appuyait sur des bases erronées[86] » ! Il fallait que la foi royaliste de ces vieux Chouans fût solidement chevillée pour résister à de si rudes heurts. Carfort se résigna : il se fixa sur le plateau du Mené, à quelque cents pas de La Mirlitantouille, au cœur de ces landes hantées des souvenirs de ses amis disparus. Il mourut à Trébry, près Moncontour, le 21 janvier 1847[87].

En le cherchant dans les prisons impériales, la Police de la Restauration en avait également exhumé un autre compagnon de La Rouerie et de Boishardy, Rolland dit Justice. Il revint s’établir à Dinan et y passa toute sa vie, qui fut longue. En 1856 ou 1857, il se jeta intrépidement à la tête d’un taureau furieux qui, échappé de l’abattoir, s’était lancé par les rues de la ville. Rolland saisit la bête aux cornes, parvint à la maintenir jusqu’à ce que les bouviers l’eussent entravée ; mais il trépassa de cette prouesse ; il avait quatre-vingt-cinq ans.

Le joyeux Saint-Régent n’eut pas de vieillesse : dès la retraite de Le Gris-Duval, il se rallia à Georges Cadoudal, qui, au printemps de 1800, l’envoya à Paris, en fourrier, avec mission d’étudier la situation. Saint-Régent ne se contenta pas de l’étudier, il voulut « la résoudre » en assassinant le Premier Consul : c’est ainsi qu’il perpétra ce fol et criminel attentat de la machine infernale qui épouvanta Paris et déconsidéra la cause royaliste. Saint-Régent monta, le 21 avril 1801, à l’échafaud de la place de Grève où devaient le suivre, trois ans plus tard, Georges Cadoudal et onze de ses Morbihannais. Le fidèle Mercier-la-Vendée ne fut pas de ce dénouement ; revenant de la côte de Saint-Brieuc, le 20 janvier 1801, il avait traversé sans malencombre les landes du Mené ; depuis que La Mirlitantouille n’était plus lieu d’asile, les refuges sûrs manquaient sur cette route et Mercier s’arrêta avec ses compagnons, pour passer la nuit au hameau de La Fontaine-aux-Anges, sur la lisière de la forêt de Loudéac[88]. Vendu par son hôte, surpris, vers minuit, par un détachement de la gendarmerie, Mercier soutint l’attaque durant plus d’une heure, s’échappa par les derrières de la maison, espérant atteindre les fourrés de la forêt ; frappé d’une balle au cœur, il tomba mort au pied d’une haie qu’il s’apprêtait à franchir[89]. Son corps, mis sur une charrette, fut porté à Loudéac, traîné dans les rues et jeté sur les marches de l’église Notre-Dame-des-Vertus, où il resta exposé pendant trois jours : on l’inhuma enfin dans le cimetière de cette paroisse[90]. Il repose maintenant, à côté de Georges Cadoudal, dans la rotonde de Kerléano, élevée par souscription publique de leurs vieux compagnons d’armes à l’époque de la Restauration ; chapelle funéraire si impressionnante par ses vastes proportions et sa simplicité : c’est le « dôme des Invalides », pauvre et nu, de la Chouannerie bretonne.

Honorat Le Frotter, laissant les corps de sa mère et de son frère sur le perron du château de l’Hermitage, dut fuir le champ de bataille pour suivre la troupe royaliste dans sa retraite. Seul au monde, désormais, — on a vu que son père, émigré, habitait Londres, — cet enfant de dix-sept ans[91] — résolut de venger ses morts et s’engagea dans la bande d’Ancourt, dit Augustin, gentilhomme picard chouannant au sud de Pontivy et dans la région de Guéméné. D’Ancourt était un ascète laïc ; animé de l’esprit plus religieux que politique de la première Chouannerie, il faisait abstinence trois fois la semaine et récitait son chapelet tous les jours. Investi par les Bleus dans une ferme isolée du village de Locmariagrâce, il fut tué le 20 décembre 1800[92], et huit de ses lieutenants, au nombre desquels Honorat Le Frotter[93] furent emmenés à Hennebont, jugés par une commission militaire ; six d’entre eux moururent fusillés. Honorat, en raison de son jeune âge, s’entendit condamner à deux ans de prison. Quand il rentra à Pontivy, en 1803, son père, revenu d’émigration, avait obtenu de reprendre son emploi d’expert-priseur ; il souhaitait vivre en paix avec la République[94], et c’est, sans doute, pour obéir aux conseils de ce sage que Honorat troqua la veste des Chouans pour l’uniforme des vélites de la garde consulaire. Il partit pour l’Épopée, prit part aux campagnes d’Allemagne, d’Espagne, de Russie, de France, fut, en 1815, de Waterloo et, en 1830, de la conquête d’Alger. Il finit chef de bataillon retraité sous le règne de Louis-Philippe.

On suit moins longtemps l’espion Giraudeau ; il s’était retrouvé, complètement nu, aux environs de Quintin, après avoir échappé à la fusillade de l’Hermitage ; des gens charitables lui fournirent des vêtements et il regagna Saint-Brieuc. Amnistié enfin, il retourna dans les Deux-Sèvres, département d’où il était originaire ; il y dut commettre quelque nouveau méfait, car, en 1801, il suppliait le ministre « de lui accorder la vie sauve en considération des services qu’il a naguère rendus à la République[95] ». Il y a quelque apparence qu’il entra, sous un faux nom, dans la police de Fouché. — Dujardin, qui se figurait avoir hérité du prestige de Boishardy parce qu’il tenait, comme le rival de Hoche, les environs de Moncontour, terrorisa la région du Mené jusqu’en 1803. Il ne chouanne pas, il brigande[96], quinze mille francs sont promis à qui fera prendre ce forban[97]. Sa bande, d’une quarantaine d’hommes, est recrutée « parmi les mendiants et les affamés du pays[98], costumés en gendarmes ou affublés des vieilles vestes anglaises de l’Armée rouge[99] ». Dujardin ne se cache guère ; on l’a vu, en mars 1803, sous l’uniforme de la gendarmerie nationale, sortir de la forêt de La Nouée et se diriger vers les Côtes-du-Nord ; il est, du reste, bien reconnaissable ; son visage et ses mains sont couturés de cicatrices[100]. À la fin de cette même année, il suivit Georges en Angleterre et eut la chance d’y rester. Dujardin reçut, en 1815, en récompense de ses bons services, la croix de Saint-Louis[101].

Dutertre, le condamné à mort par contumace en même temps que Le Gris-Duval, se rallia vite à l’Empire et mourut maire de Plaintel, en 1808[102]. Quant à Dufour, le commandant du Clos-Poulet qui, ayant « passé » Puisaye aux Îles anglaises, devint l’un des aides de camp de Cormartin, lui aussi, la tourmente passée, se résigna, faute de pain, à solliciter l’usurpateur et il obtint un emploi de garde-magasin de l’intendance à l’armée d’Espagne. Rentré, en 1814, à son village natal de Saint-Coulomb, gratifié, — et non sans rebuffades, — par Louis XVIII, d’une maigre pension de 600 francs, le vieux brave qui, pendant dix ans, avait dirigé la correspondance des Princes exilés, se fit maître d’école, afin d’augmenter ses ressources. Il mourut à Saint-Coulomb, en 1856[103].

On regrette de consacrer si peu de lignes à la vieillesse de ces paysans qui, jetés à l’improviste dans les grandes tempêtes de l’Histoire, reprirent courageusement, quand ils furent vaincus, le tran-tran de la vie mesquine du village. Chacun d’eux mériterait une étude qui serait singulièrement révélatrice : que pensaient-ils ? que contaient-ils ? Comment jugeaient-ils leurs entraînements passés ? Que peut être l’examen de conscience d’un fanatique alors que l’âge l’a refroidi ? Éprouvaient-ils quelque remords des horribles luttes fratricides ? Il n’apparaît pas qu’ils raffinassent beaucoup sur ces choses lointaines, ni qu’ils apportassent à ces considérations tant de subtilité. Ces hommes, pour la plupart, étaient de grands enfants ; heureux d’avoir joué de bons tours à la révolution et jeté leur gourme avec fougue. Quand ceux qui n’avaient pas vécu au temps des luttes civiles interrogeaient Dufour sur les exploits de sa jeunesse, il satisfaisait volontiers leur curiosité et, invariablement, terminait ses récits par ces mots : — « Ah ! c’était le bon temps alors ; on vivait[104] ! » Ainsi des autres, sans doute ; au reste les rancunes personnelles, les dissentiments politiques s’étaient apaisés, par miracle, en 1815, lors de l’invasion prussienne, qui s’étendit à toute la rive droite de la Loire, au département d’Ille-et-Vilaine entier, et à une partie des Côtes-du-Nord et du Morbihan. Depuis Charles VII, les Bretons n’avaient point subi le joug de l’étranger. Ils voyaient sans déplaisir s’avancer ces alliés qui venaient de rétablir le Roi et peu s’en fallut qu’on ne leur fît fête ; mais il suffit de quelques jours pour apprécier à leur valeur ces Allemands rapaces, fourbes, brutaux et cyniques ; toutes les haines disponibles se tournèrent contre eux en une contrition tacite des querelles intestines ; anciens bleus et anciens Chouans s’unirent dans la répulsion de ces ignobles vainqueurs. Pour la première fois les vieux compagnons de La Rouerie et les vieux soldats de la république, les nobles spoliés par la révolution et les jacobins retardataires s’accordèrent et la seule présence des soudards d’Outre-Rhin réalisa une conciliation que n’avaient pu parfaire la modération de Hoche ni l’autorité de Napoléon[105].

On souhaiterait dire sommairement quelle fut la vie de Joséphine de Kercadio ; mais, à dater de son acquittement par le Conseil de guerre, en 1798, elle disparaît de l’Histoire. Elle ne quitta pas le pays de Moncontour, quoiqu’elle s’y sentît peu populaire : les républicains ne lui pardonnaient pas d’avoir été l’Égérie de Boishardy ; les royalistes lui reprochaient d’avoir trop promptement oublié ce fiancé si tragiquement disparu. Sans doute aussi les attentions de Palasne-Champeaux, lors du procès de Saint-Brieuc, furent-elles jugées sans indulgence. À croire une tradition locale, l’opinion fut sévère pour cette jeune femme qui, exposée, presque encore enfant, aux hasards des campements clandestins, se trouva mêlée, avant qu’elle eût vingt ans, aux plus dommageables aventures. Elle eut, de Hervé Du Lorin, deux fils[106], dont l’un, au moins, vécut ; il épousa, en 1841, à Moncontour, une personne d’origine anglaise, Charlotte Bisset-Addison ; l’acte de ce mariage mentionne que, à cette époque, Hervé Du Lorin et Joséphine de Kercadio étaient morts ; de celle-ci, en effet, le décès est inscrit aux registres de l’état civil de la commune d’Auteuil, près Paris, où elle se trouvait de passage, à la date du 10 septembre 1824 ; elle avait quarante-six ans[107].

La fin du général Humbert s’entoure de circonstances mystérieuses. Son intrépidité, lors de l’expédition d’Irlande auréola son nom d’une gloire à laquelle, seul, le succès manqua : le but de cette tentative folle était de grouper les patriotes Irlandais, toujours prêts à s’insurger, et d’organiser sur le sol de l’Angleterre une revanche de la Chouannerie. Humbert, comme on sait, n’y réussit pas ; revenu à l’armée de l’Ouest, il y servit sous Bernadotte ; mais il est très remarquable de constater que, dès cette époque, il songe à quitter l’armée ; il s’établit dans le Morbihan où il achète, aux environs de Ploërmel, un bien d’émigré, le domaine de Crevy. De malveillantes rumeurs se répandent ; on parle de cet officier général « taré dans l’opinion publique[108] » ; on le dit obéré dans ses finances, harcelé par ses créanciers, mal vu du gouvernement. Il est attaché, en 1802, à l’expédition de Saint-Domingue que commande Leclerc, beau-frère de Bonaparte : l’ardente Pauline est du voyage. Humbert, on l’a dit, passait pour « le plus bel homme de l’armée[109] », et la sœur du Premier Consul se montrait facilement sensible à ce genre d’avantages. Que se passa-t-il ? On ne sait. Humbert, chassé de Saint-Domingue par le général en chef Leclerc, destitué par le Premier Consul, fut exilé en surveillance à Épinal, avec défense de reparaître à Paris. Il implore de connaître les motifs de sa disgrâce, n’obtient pas de réponse[110], va s’enterrer, non dans les Vosges, mais dans son domaine du Morbihan, grevé d’hypothèques, car « on a profité de sa défaveur pour lui soustraire sa fortune ». Il essaie de son premier état, fonde un haras, dilapide ainsi le peu qui lui reste, vient se réfugier, sans ressources, à Nantes, chez un ami, supplie qu’on lui permette de venir se jeter aux pieds de Sa Majesté l’Empereur ; depuis quatre ans il est sans traitement, ses biens sont séquestrés ; il parvient à dépister la surveillance, à pénétrer dans Paris ; il est traqué par la police comme un malfaiteur ; ordre est donné de « s’assurer de la personne de cet individu » ; on l’arrête[111], on l’expulse, il retourne à Nantes, revient clandestinement et s’avance jusqu’à Versailles[112]. Mais il a pour ennemi personnel un policier influent, Dossonville ; on lui enjoint de se tenir « à quarante lieues de la capitale » et le voilà, de nouveau, rôdant en Bretagne, de Rennes, qui a vu ses beaux jours, à Ploërmel où il a un château dont il est dépossédé par l’ancien propriétaire, l’émigré de Brilhac[113]. Il accable l’Empereur de suppliques et d’offres de service. Peu lettré et mal instruit des nuances, il en est encore au farouche laconisme de l’an II : — « Sire, je vous demande des ordres, du fer et du plomb. » Ou bien il propose le plan d’une invasion de l’Angleterre : — « C’est dans Carthage seule qu’on peut détruire Carthage. » Il se fait fort de reprendre Saint-Domingue à l’aide des 30.000 Irlandais réfugiés aux États-Unis[114]. Ce bouillant soldat rêve de prouesses et voudrait se battre, et toujours il conjure qu’on lui dise quelle fut sa faute : — « Je jure sur l’honneur n’avoir jamais manqué à mon devoir. » En vain le maire de Nantes a-t-il sollicité l’indulgence pour « ce brave qui a assisté à deux cents combats[115] »… En vain le ministre lui-même insinue que « l’ex-général Humbert n’est pas indigne de la clémence de Sa Majesté[116] » ; l’Empereur demeure muet et implacable. À force de se creuser l’esprit Humbert en arrive à voir dans ses malheurs la vengeance des Chouans et de l’Angleterre ; Dossonville est un agent anglais ; il a reçu du cabinet britannique la mission de faire expier au général, et Quiberon et la descente en Irlande. Alors le malheureux se décourage ; il sollicite l’autorisation de passer aux États-Unis. Il mourra à la Nouvelle-Orléans, le 3 janvier 1823.

Quel crime avait-il commis ? C’est une énigme qu’on ne peut résoudre. Une partie de son dossier, aux Archives de la Guerre est inconsultable[117]. Frédéric Masson qui, peut-être, en a eu cependant connaissance, écrit : — « Humbert, suspect d’intelligence avec les noirs de Saint-Domingue, convaincu de dilapidation, accusé de lâcheté par Leclerc lui-même, fut destitué après une enquête approfondie et rayé des cadres pour avoir détourné des rations qu’il vendit à son profit et pour avoir entretenu des relations coupables avec des chefs de brigands[118]. » Était-ce une allusion lointaine à son rapprochement avec Boishardy ? L’opinion de Chassin est autre : — « Humbert revint très pauvre de Saint-Domingue » ; son intimité avec Pauline Bonaparte s’y serait compliquée de malversations « qui auraient été jugées si la sœur du Premier Consul n’y avait été mêlée[119] ». C’est peut-être ça la vérité : Pauline avait besoin d’argent, et son trop docile amant lui en procura. Mais l’accusation de lâcheté reste inadmissible, sinon comme l’atroce et perfide vengeance d’un mari trompé.

Si l’amour causa la perte d’Humbert, il fut plus favorable à Cormatin qui lui dut la consolation de ses malheurs. On a laissé l’étonnant pacificateur de 1795 enfoui, avec ses six aides de camp, au fond d’un cachot sans air et sans jour du fort de l’île Pelée, dans la rade de Cherbourg. En juillet, on le tira de là, et on l’amena, ainsi que ses officiers, à Paris, pour y être jugé. Incarcéré à la Conciergerie, traduit devant le Conseil de guerre, il usa adroitement de sa faconde et sauva sa tête au grand dépit du gouvernement. Condamné à la déportation[120], et reconduit à l’île Pelée, il y devait attendre son départ pour la Guyane. Mais Merlin de Douai, l’impitoyable juriste, veut la mort du ci-devant major général comte de Puisaye : il le fait rejuger par le tribunal criminel de la Manche devant lequel Cormatin comparaît sous l’accusation de correspondance avec les ennemis de la république. On a, en effet, saisi sur lui des lettres qu’on dit très compromettantes et l’on s’attend à la révélation de nouveaux secrets pleins d’horreur. Or, ce ne sont que billets d’amour : l’un est adressé à madame de Tal… ; Cormatin proteste qu’il l’aimera toujours, bien qu’elle se soit jouée de lui : — « Adieu donc, vous qui étiez ma tendre Adélaïde… ; Adieu barbare ! » Un autre est pour Agathe Cassin, la piquante soubrette du Théâtre de Rouen, qui a charmé les loisirs de La Prévalaye ; un troisième est destiné à Ninette, l’ingénue : — « Oui, c’est moi, Adèle ; votre amant n’oubliera jamais une femme aussi courageuse, aussi ferme dans sa manière de penser et d’agir… Qu’ils sont lâches ceux qui se disent royalistes ! Adieu ! Je te quitte pour la vie[121] ! » Il n’y avait point là de quoi condamner un homme à mort, même pour plaire à Merlin ; ainsi en jugea courageusement le tribunal de Coutances[122] ; le galant conspirateur fut réintégré à l’affreuse oubliette de l’île Pelée et privé de toute communication avec les vivants. Il en profita pour devenir une fois de plus amoureux ; de l’étroit promenoir de sa prison, on entrevoyait au lointain, à travers toute la largeur de la rade, un morceau de la côte, entre les bastions de Cherbourg et le fort de Querqueville. Au moyen de la lunette d’approche dont disposait son geôlier, Cormatin parvint à découvrir qu’une des maisons du rivage était habitée par une jeune femme, d’allures distinguées. Quoique deux lieues de mer le séparassent de cette gracieuse apparition, il n’en fallait pas plus pour enflammer son cœur de quadragénaire inoccupé. De son côté, l’aimable Cherbourgeoise, — une veuve de vingt-huit ans, nommée la marquise de Feuardent, — qui, croit-on, avait déjà aperçu Cormatin[123], — s’intéressait au romanesque prisonnier de l’île Pelée, l’ex-vice-roi de la Bretagne, érigé en héros par la persécution. Comme il n’y a pas de discipline si sévère qui ne se relâche à la longue, après deux ans d’amour réciproque et inavoué, une correspondance s’engage entre le détenu et la veuve au cœur tendre. Ils s’écrivent fréquemment ; elle l’appelle Germeuil ; il la nomme Eugénie, quoique son prénom soit Bernardine ; mais Germeuil et Eugénie sont plus littéraires, plus Nouvelle Héloïse. Madame de Feuardent lit tous les romans en vogue, et aussi les démodés : Tancrède, Rose d’amour, Caroline de Lichtenfeld ; elle se laisse aller aux douces impulsions de son âme ; elle avoue que son défaut est « de n’être point récalcitrante », et lui, il ne cache pas qu’il ressent encore « toutes les passions d’un jeune homme ». Eugénie envoie à Germeuil « un pli rose qu’elle a longtemps porté sur son cœur dans un petit sachet à coulisses » ; Germeuil a orné sa tabatière d’une boucle des cheveux d’Eugénie. Ils parviennent même à se voir, sans pouvoir se parler, peut-être, car, à diverses reprises, la dame entreprend l’excursion de l’île Pelée. Cette passion platonique dura près de deux ans, jusqu’au jour où la correspondance fut éventée[124] ; la marquise arrêtée, mise au secret… Il y avait à Cherbourg des fonctionnaires zélés pour prétendre qu’on avait fusillé des conspirateurs moins coupables qu’elle… La pauvre Eugénie ne fut pas fusillée ; mais elle contracta dans sa prison un mal dont elle mourut.

Cormatin, transféré au fort de Ham, fut gracié en octobre 1802. Il rentra à son beau château de Saône-et-Loire qu’il avait quitté plus de dix ans auparavant ; il y retrouva sa femme, divorcée et ruinée.

D’une fortune de 45.000 livres de revenus dont disposait le ménage avant la révolution, il ne restait pas un écu ; ce qui n’empêcha pas, bien entendu, de recommencer à mener grand train. Les deux filles aînées étaient mariées, mais il fallait caser la troisième qui était d’une saisissante beauté et dont Lamartine a tracé un portrait enchanteur dans ses Nouvelles confidences. Elle épousa, en 1807, le comte de Pierreclos, lequel, deux ans plus tard, se voyait obligé, par sentence du juge de paix, de fournir à son beau-père une pension alimentaire de 830 francs. Comme ce maigre revenu ne lui suffisait pas, Cormatin obtint une petite place de 2.400 francs, à la manufacture impériale des tabacs de Lyon et dans cette situation modeste, l’ex-vice-roi de Bretagne, qui avait traité d’égal à égal avec la Convention nationale, entendu tonner les salves sur son passage et porté le laurier des triomphateurs, se révéla « par son exactitude et sa subordination », le modèle des employés. Il mourut en 1812[125], misérable, oublié, mais non, du moins, méprisé comme l’était alors Puisaye, cause initiale de tous ses malheurs. Aux gages du ministère anglais depuis son retour du Canada, le fuyard de Quiberon, devenu, en effet, l’agent, l’espion du cabinet britannique, professait pour tout ce qui était français une de ces haines insatiables et sournoises dont sont rongés certains hommes quand ils se savent odieux à tous les gens d’honneur. Insultant les Princes qu’il avait platement adulés, menant contre eux une guerre de libelles, traitant de faussaires, de fripons et d’assassins les plus dignes gentilshommes, Puisaye vivait aux environs de Londres, agité, rancunier, atrabilaire, ombrageux, n’ayant pour amis que des diffamés comme lui : le transfuge Dumouriez, l’aventurier d’Antraigues, le mouchard Prigent dont il hébergeait la famille. Il survécut à tous ; quand, en 1814, Louis XVIII quitta l’exil et rentra triomphalement en France, suivi de toute l’émigration exultante, Puisaye resta seul, bourrelé de rage orgueilleuse, d’amertume, et, — qui sait ? — de remords. Il avait renié la nationalité française et mourut, à Hammersmith, en 1827, sujet anglais.

  1. En 1814, Coroller obtint de Pénanster une attestation certifiant que, « au moment de l’attaque de Saint-Brieuc par Mercier la Vendée, il avait chargé le premier la caserne qui contenait cinq cents hommes de troupe et fait prisonnier tout ce qui tomba sous sa main ».
  2. Il avait soixante et un ans en 1799.
  3. Archives nationales, BB18 253.
  4. Habasque, Notions historiques, II, p. 73.
  5. Déclaration de Jerosme Morin. Cette déclaration, comme toutes celles que l’on trouvera citées plus loin, est extraite de l’enquête du juge de paix Cartel et a été reproduite dans l’Invasion de Saint-Brieuc par les Chouans, recueil de documents réunis par M. Tempier, archiviste départemental des Côtes-du-Nord, et publié en 1889 par le Progrès des Côtes-du-Nord.
  6. Habasque, II, p. 87.
  7. Celle du citoyen Lagadeuc, gendarme retraité.
  8. Déclaration de Vincent-Augustin Le Provost, président de l’Administration centrale. Le valeureux enfant dont il est ici question devint, sous le règne de Louis-Philippe, député des Côtes-du-Nord. Je crois qu’il fut l’aïeul de M. le sénateur Le Provost de Launay.
  9. Déclaration de Joseph Chrétien, lieutenant de gendarmerie.
  10. Geslin de Bourgogne écrit que Poulain fut tué sur la place même de la Liberté. Les circonstances de la mort de Poulain-Corbion ont été racontées par les Chouans eux-mêmes, au poste de la place, en présence des prisonniers républicains. Elles ont été rapportées aussi par madame Conan, dont les royalistes, comme on va le voir, occupèrent la maison pour en faire une ambulance. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 205, note.
  11. Déclaration de la citoyenne Marie Pouhaër, épouse du citoyen Conan, officier de santé. Les Chouans avaient réclamé le citoyen Conan pour donner des soins à leurs blessés ; mais il procédait à un accouchement, en haut de la rue Saint-Guillaume ; la citoyenne Conan s’offrit d’elle-même à le remplacer auprès des blessés ; les Chouans s’informèrent de sa domestique, « si cette dame était capable de traiter » ; sur ce que la servante dit « qu’elle était aussi habile que son mari », ils escortèrent madame Conan jusqu’à la maison Grandchamp.
  12. Chassin, Pacifications, III, p. 407, note.
  13. C’est le chiffre indiqué par le commissaire du Directoire, Denoual, dans son rapport au ministre de l’Intérieur. Archives nationales F1C III, Côtes-du-Nord, 13. Il est surprenant que l’étroite prison de Saint-Brieuc eût pu contenir un si grand nombre de détenus.
  14. Toutes firent leurs déclarations au juge de paix Cartel : et ces déclarations sont en parfaite concordance.
  15. Déclaration de Marie-Anne Le Ster, 29 ans, filandière, domiciliée à Quimper.
  16. Déclaration du concierge Peyrode au juge de paix Cartel.
  17. Déclaration de Louis Deshayes, grenadier à la 82e demi-brigade.
  18. « Un bruit terrible se faisait entendre autour de la prison. » Déclaration de Marie-Yvonne Rideau, culottière en peau, de Brest. François Richard, canonnier, déclare « qu’il a longtemps entendu frapper à la porte à coups redoublés ».
  19. Déclaration de Béatrix Riollay, épouse de Jean André, 40 ans, sans profession, de Guingamp. — « Le concierge, dès la première alerte, se rendit dans tous les appartements, défendit à tous les détenus de bouger et d’avoir de la lumière. »
  20. Malgré l’assertion de Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, il paraît bien difficile d’admettre que Rolland soit resté dans la prison jusqu’au 4 brumaire et « qu’il fut délivré avec les autres ». On le voit partout, en dehors de la maison d’arrêt, au dedans, par les rues, sur le Cours. D’ailleurs, dans sa déclaration, Peyrode le reconnaît comme « un de ses anciens prisonniers ».
  21. Déclaration de Jacques Godéart, chasseur de la 13e demi-brigade.
  22. D’après la déclaration de Jeanne Girault, qui se trouvait dans le cachot de madame Le Frotter, ce sont « deux hommes armés qui entrèrent d’abord dans cette cellule : dans l’une de ces personnes, elle reconnaît Justice. Il alla au lit de madame Le Frotter et dit : — Levez-vous promptement ; dans un autre moment nous nous ferons des caresses ». Suivant la déclaration de la femme Rideau, il l’aurait embrassée : celle-ci ajoute : — « Frotter fils, un des détenus (Honorat), entre aussi dans l’appartement de sa mère, et, se jetant dans ses bras, il la supplie de n’être pas longtemps à s’habiller. » La présence d’Étienne Le Frotter est également constatée : — « Après avoir délivré sa mère, il était allé rejoindre les siens » (ses soldats). Lamarre, Histoire de la ville de Saint-Brieuc. Mais aucun détenu ne parle de lui, sans doute parce qu’il est inconnu de tous et l’on peut croire qu’il était le second « homme armé » qui entra avec Justice, dès la prison conquise, dans le cachot de la condamnée.
  23. Levot, Biographie bretonne, article Guezno de Penanster.
  24. Nommé, dit-on, Le Breton. Ainsi qu’on l’a dit, les livres d’écrou lacérés par les Chouans ne se retrouvent pas.
  25. Déclaration de Jean Madec, maréchal : « Le déclarant commença à déferrer les prisonniers qu’on amenait à sa forge. Sa femme l’éclairait et quatre Chouans le tenaient en joue, prêts à le tuer s’il n’avait pas obéi. Ils le menèrent d’endroit en endroit, jusqu’au bout de la place où il déferra les derniers. »
  26. « Voyant l’impossibilité de résister, les soldats ne jugèrent pas à propos de tirer. » Habasque, II, p. 76.
  27. Dit aussi le Petit-Moulin. Déclaration de Peyrode.
  28. Déclaration du concierge Peyrode.
  29. Habasque, II, p. 71.
  30. C’est, sans doute, ici qu’il faut placer le fait déclaré par la femme Touanigot : — « Un chef, très jeune, qu’on appelait Dufour (Du Faou) fut à la rencontre de madame Le Frotter qui était montée sur un cheval sans selle et la fit monter sur le sien, qui avait un panneau. » Le même témoin entendit madame Le Frotter dire à plusieurs reprises : — « Où est donc mon fils, quand verrai-je mon fils ? » On lui répondit : — « Un peu de patience, madame, vous le verrez ; il reviendra. » Étienne Le Frotter, blessé au bras, était probablement à l’ambulance où il se fit panser par la citoyenne Conan, ainsi qu’on l’a dit.
  31. « Le peu de forces qu’il y avait dans la ville ne permit pas de poursuivre l’ennemi aussitôt qu’on l’eût désiré. » Proclamation de l’Administration centrale des Côtes-du-Nord. Placard imprimé. Archives nationales, BB18 253.
  32. Une citoyenne Poulain déposa « qu’un instant avant la sortie de la ville, elle avait entendu un nommé Dubois (?) qui paraissait être un chef, ordonner de mettre tous les prisonniers sur deux rangs pour les fusiller ». Un certain Tréborel, tanneur, rapporta un propos semblable.
  33. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 321.
  34. Habasque, II, p. 79, note.
  35. Kerigant, Les Chouans, p. 122.
  36. Déclarations de Liot, militaire à la 32e demi-brigade, de Louis Deshayes, de Jacques Godéart, etc.
  37. Déclaration de Marie-Josèphe Le Perche, 22 ans, filandière, de Tréguier : — « Elle a suivi les Chouans jusqu’à la métairie de Gouray, proche la lande de Plédran, où elle a couché avec une partie des femmes, les Chouans ne voulant pas d’elles. » V. aussi Habasque, II. p. 78.
  38. Une grande partie des meubles, tableaux, tapisseries provenant du château de l’Hermitage était, récemment encore, conservée au château de Quintin. Il s’y trouvait, notamment, un portrait de madame de Pompadour.
  39. Kerigant, Les Chouans, p. 125. On croit, sans pouvoir l’affirmer, que le régisseur du domaine de l’Hermitage, Thomas, chef de Chouans, était au nombre des prisonniers délivrés à Saint-Brieuc.
  40. Sur ces faits, assez peu vraisemblables, on n’a, comme référence, que la relation de Giraudeau lui-même, telle qu’elle résulte de sa déposition devant le juge de paix Cartel, au cours de l’enquête entreprise à l’occasion des événements de la nuit du 4 brumaire. Habasque l’a résumée au tome II, p. 84 et suiv. de ses Notions historiques, publiées à Saint-Brieuc en 1834. Habasque était président du tribunal de Saint-Brieuc et il semble avoir eu connaissance de témoignages aujourd’hui disparus.
  41. C’est le prétexte allégué par l’Administration centrale du département pour expliquer le peu d’empressement qui fut apporté à poursuivre les bandes de Mercier La Vendée. Archives nationales, BB18 253.
  42. Chassin, Pacifications, III, p. 407, note. « Charles Treux, marchand, déclare qu’examiné pour savoir s’il n’était pas porteur d’armes, les Chouans lui ont pris sa montre d’or ; … J.-B. Gautier, plafonneur, a également été fouillé ; on lui a pris neuf francs qu’il avait dans sa poche. »
  43. « Tout porte à croire que la délivrance de cette furie est le motif principal de cette expédition. » Archives nationales, F1C III, Côtes-du-Nord, 10.
  44. Archives nationales, F1C III, Côtes-du-Nord, 13.
  45. Chassin, Pacifications, III, p. 405. La colonne était faite de 300 hommes, d’après le rapport du commissaire du Directoire, Denoual, au ministre de l’Intérieur. Archives nationales, F1C III, Côtes-du-Nord, 13. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 322, écrit également : « 300 carabiniers et mobiles de Lamballe. »Kerigant (Les Chouans, p. 126) évalue la troupe républicaine à 1.500 ou 1.600 hommes.
  46. Ils sont inhumés au pied de la croix. Kerigant, Les Chouans, p. 126.
  47. Geslin de Bourgogne et Barthélemy, Études, p. 206.
  48. Habasque, II, p. 81.
  49. Une femme Penvon, — ou Pevron — délivrée de la prison de Saint-Brieuc. Déclaration de Marie-Yvonne Rideau. Celle-ci « a été également témoin de la mort de madame Le Frotter », mais elle ne donne aucun détail.
  50. C’est la version qui m’a été transmise par M. Berthelot du Chesnay, ancien officier de marine, en 1912. Habasque écrit (II, 80, note) : — « Cette dame (madame Le Frotter) était sur un cheval ; elle tomba à la première décharge ; son fils périt dans la même rencontre. » — Le Maout, Annales armoricaines, 1846, écrit : — « Madame Le Frotter et une autre femme, qui étaient à cheval, tombèrent dans cette décharge. Cette dame fut ensuite fusillée, dit-on, dans une cavité qui existe encore dans le terrain… par une singulière fatalité, le fils de la dame Le Frotter, qui avait fait opérer l’évasion de Saint-Brieuc pour délivrer sa mère, trouva aussi la mort dans cette rencontre. » — La version de Kerigant (Les Chouans, p. 127) est différente : — « Madame Le Frotter, écrit-il, fut frappée de plusieurs balles au moment où le second de ses fils (Honorat), lui aidait à monter à cheval. Elle fut tuée sur le coup. » D’après ce mémorialiste, Étienne Le Frotter aurait péri la veille, « massacré dans une prairie dépendant du Vau-meno, entre cette propriété et Monbareil », c’est-à-dire à un quart de lieue à peine de Saint-Brieuc, au nord de la ville, non loin du ravin du Gouët, dans un endroit où la présence d’Étienne Le Frotter ne peut s’expliquer et où les Chouans ne parurent pas, leur action s’étant uniquement portée sur les quartiers du sud et du centre. Il est vrai que, dans le placard imprimé par la municipalité, on lit : — « à deux portées de fusil de la ville, on trouva huit Chouans morts » ; mais il n’est point probable qu’Étienne Le Frotter fut de ceux-là. Pourtant, il resta un doute : le commissaire du Directoire, Denoual, relatant le combat de l’Hermitage, écrit : — « Nous sommes à peu près sûrs de la mort de trois chefs : Le Frotter, de Pontivy ; Dubois, de Ploërmel et Menguy, de Corlay. » Si le premier avait été tué à Saint-Brieuc même, il eût été identifié, car il y avait des parents, entre autres « le citoyen Le Frotter, timbreur au bureau de la Direction du Département, père d’une nombreuse famille ». Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, I.
  51. Habasque, II, p. 81, et note 2.
  52. Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, édition Biré, II, p. 61-62.
  53. Léon Dubreuil, La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord, p. 243.
  54. On citerait de cet état d’esprit maintes preuves : en est-il une plus frappante que les lignes qu’écrivait à cette époque Dufort de Cheverny, vieux royaliste persécuté et ruiné par la Révolution : — « Bonaparte a fait en vingt-quatre heures ce que tous les émigrés, le Roi, les Princes de Condé n’auraient pu faire en cinquante ans avec 40.000 hommes. Il a coupé les sept cent cinquante têtes de l’hydre, concentré le pouvoir en lui seul et a empêché les assemblées primaires de nous envoyer un tiers de nouveaux scélérats à la place de ceux qui vont déguerpir… La France serait très malheureuse de le perdre en ce moment-ci… » Mémoires, II, p. 419.
  55. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 393.
  56. Émile Gabory, Les Bourbons et la Vendée, p. 347.
  57. Archives de la Préfecture de Police, A A/205.
  58. L’abbé Cochet. — « Un détachement de républicains envoyé pour arrêter cet ecclésiastique caché dans une maison de Plémy, tua ce malheureux au lieu de le conduire à Saint-Brieuc, et, pour justifier cette action, dit avoir été attaqué par les Chouans et que M. Cochet était tombé sous les balles de ceux-ci. Les cendres de cet infortuné reposent dans le cimetière de Plémy, où elles sont en grande vénération. » B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord, IV, p. 455.
  59. Archives nationales, F7 36692.
  60. Compte rendu au Directoire par le ministre Bernadotte des faits relatés dans la Correspondance de l’armée d’Angleterre. (Archives de la Guerre, cité par Chassin, Pacifications, III, p. 343.)
  61. Renseignements communiqués par M. Colleu, ancien huissier à Collinée, très renseigné sur l’histoire de la région, et qui m’a permis de mettre largement à contribution sa complaisante érudition. Je le prie d’agréer l’expression de ma bien vive reconnaissance.
  62. Archives nationales, BB18 376.
  63. En remplacement du général Michaud, il prit possession du commandement de l’armée le 11 novembre 1798.
  64. « Vous vous êtes opposé à l’examen des motifs d’arrestation des individus retenus dans les prisons… Je désire apprendre de vous par quels motifs vous avez pris une marche que l’on représente comme ayant pu compromettre la tranquillité publique. » 7 février 1800, Archives nationales, BB18 376.
  65. « Ce qui l’afflige le plus, c’est que le délégué du gouvernement lui ait reproché d’être dur envers les prévenus. Lui, dur ! Lui qui souffre tant quand il est obligé de requérir la peine capitale ! » Lettre de Rouxel, du 18 février 1800. Rouxel est noté comme n’étant « ni un philosophe, ni un homme d’État ; il est au contraire rempli de roideur, de prévention et d’exagération ; il ne s’accorde ni avec les citoyens ni avec les juges ». 23 décembre 1799. Archives nationales, même dossier.
  66. Le 4 janvier 1800. Renseignement communiqué par M. l’archiviste départemental d’Ille-et-Vilaine.
  67. Les Chouans, p. 94 et suivantes.
  68. Renseignement fourni par M. l’archiviste départemental d’Ille-et-Vilaine. Dans le récit de M. de Kerigant, — Les Chouans, p. 94 et suiv. — madame Le Gris-Duval s’évade de La Tour Le Bat, la vieille geôle rennaise, ce qui rend l’événement plus dramatique. M. de Kerigant le date de décembre 1798, ce qui le rend impossible. À cette époque, madame Le Gris-Duval était en prison à Saint-Brieuc et si elle passa les trois derniers jours de décembre à La Tour Le Bat, c’est parce qu’on la transférait à Paris d’où elle ne revint qu’en avril. En réalité, l’évasion est postérieure au 4 janvier 1800, jour où la prisonnière fut internée à la Maternité, et antérieure au 20 février, époque où son amnistie fut prononcée et où l’on mit en liberté Villemain, Du Lorin, ainsi que ses autres compagnons de captivité. Cette transposition de date modifie du tout au tout le caractère de l’incident : dans les premiers jours de 1800, en effet, les prisons s’ouvraient toutes grandes ; il est probable que les autorités fermèrent volontiers les yeux sur la disparition de la détenue, et qu’elle n’eut qu’à s’en retourner chez elle sans être autrement inquiétée. La garnison de Rennes ne fut certainement pas lancée à sa poursuite, et madame Le Gris-Duval n’eut pas à « s’habiller en gendarme » pour dépister les poursuites, ainsi que le dit Levot dans la Biographie bretonne — article Legris-Duval.
  69. « Au nom du Roi, armée catholique et royale. Le Conseil de guerre de la division de Saint-Brieuc, extraordinairement assemblé, condamne à la peine de mort Charles Rogon, demeurant à Coëtmieux, convaincu d’avoir assassiné un soldat royaliste et d’en avoir lâchement livré un autre aux républicains après l’avoir enivré. Ce ne sont pas les seuls crimes dont se soit souillé le citoyen Rogon. Jugé le 6e jour du mois de décembre 1799. Signé Fortuné, lieutenant-colonel ; Carfort, chef de colonne mobile ; Taupin, chef de la cinquième légion ; de Jugon, chef de la quatrième légion ; Legris-Duval, général commandant la division de Saint-Brieuc. » Archives nationales, BB18 253.
  70. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 80.
  71. Chassin, Pacifications, III, p. 616.
  72. Voir sur cette discussion les correspondances publiées par É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, IV, p. 93 et suiv.
  73. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 80.
  74. Archives nationales, BB18 254. En décembre 1801, on arrêtait et on emprisonnait à Moncontour trois hommes de la bande de Dujardin, Torcaret, Puisard et Brunet. Les deux premiers furent exécutés à Saint-Brieuc, le 9 janvier 1802. Le troisième, évadé de la prison de Moncontour, fut repris et fusillé le 2 avril. Archives nationales, F7 7939.
  75. Révélation anonyme. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, IIB, p. 481.
  76. … « Dujardin, pour se venger de sa fuite (de la fuite de Le Gris-Duval), s’est emparé de sa femme (de madame Le Gris-Duval) et de ses deux domestiques, dont on ignore absolument. » Le préfet des Côtes-du-Nord au ministre de la Police générale, 6 avril 1802. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 81.
  77. Bulletin historique de l’armée de l’Ouest, numéro du 31 mai au 9 juin 1801 : — « Le 7 (prairial an IX), dix déguisés en militaires et commandés par Duraux, ex-chef de brigands, l’ont conduit à quelque distance de la maison et l’ont fusillé, sans qu’on puisse en imaginer le motif. »
  78. Archives des Côtes-du-Nord. Rapport du capitaine commandant la gendarmerie, au Préfet, 4 juin 1802.
  79. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 83.
  80. Archives nationales, F7 6381.
  81. « Détestable sujet ; Georges lui-même a failli le faire fusiller pour ses excès. » Rapport du Préfet du Morbihan, 16 nivôse, an XII. Archives nationales, F7 6381.
  82. Archives nationales, F7 6381.
  83. « Les recherches faites ne permettent pas de satisfaire entièrement à cette demande ; on prie la famille de compléter les renseignements. » Archives nationales, même dossier.
  84. Carfort avait été précédemment écroué au château de Lourdes et transféré au château d’If à la suite, croit-on, d’une tentative d’évasion.
  85. Kerigant, Les Chouans, p. 140, n. Kerigant mourut au château de Kerigant, le 25 mai 1834 ; sa femme, sœur de madame Le Gris-Duval, décéda à Quintin, le 1er juillet de la même année.
  86. Archives nationales, F7 6481.
  87. Communication de M. le docteur O. Sagory, maire de Moncontour. Je ne saurais trop remercier M. le docteur Sagory de l’inépuisable complaisance de son érudition sur tous les points concernant Moncontour et sa région. Il voudra bien trouver ici la vive expression de ma gratitude.
  88. La Fontaine-aux-Anges est à deux kilomètres et demi du bourg de La Motte.
  89. Sur la mort de Mercier, voir : Archives nationales, F7 6235, plaquettes 2 et 3, et F7 6228, fo 742.
  90. Les ossements du « Patrocle breton » furent exhumés du cimetière de Notre-Dame-des-Vertus en 1817 et recueillis dans une cassette de chêne qui fut déposée dans la chapelle de l’hôpital. Disparue en 1830, retrouvée quarante ans plus tard par M. G. de Cadoudal, cette cassette fut ouverte et l’on y trouva, parmi les ossements entassés, un papier portant ces mots : — « Ce sont les ossements du général La Vendée, mort dans la commune de La Motte ; d’abord enterré dans le cimetière de la place de Notre-Dame-des-Vertus, ensuite, le cimetière ayant été défait, Claude Carimalo reconnut le général. On l’a transporté à l’hospice où il a été conservé par les soins des Religieuses qui ont régi l’établissement. » Georges Cadoudal, par G. de Cadoudal, p. 361, n.
  91. Il était né le 2 avril 1782. Kerigant, Les Chouans, p. 128.
  92. On trouva sur son cadavre un Règlement de vie que M. l’abbé Pierre Nicol a découvert aux Archives départementales du Morbihan — « avec la grâce de Dieu et sous les auspices de la Très-Sainte Vierge Marie et de mon bon ange, comme chrétien et militaire, je me propose — de ne donner que six heures à mon repos, à moins d’une très grande fatigue ; — … dans mes repas d’exercer la frugalité et sobriété, aussi indispensables à un militaire qui veut bien remplir ses devoirs qu’expressément ordonnées par la loi chrétienne ; — … dans mes conversations, d’éviter de parler avantageusement de moi-même et de dire la moindre chose aux dépens de qui que ce soit ; — … de fuir l’oisiveté, de ne refuser l’aumône à aucun pauvre, de jeûner les mercredis, vendredis et samedis… » etc. Les prisonniers du château de Penvern, par l’abbé Pierre Nicol, Revue de Bretagne, 1913, p. 22-23 n.
  93. Archives nationales, F7 6230, plaquette 4, et F7 6332.
  94. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, III, p. 403, 405.
  95. Archives nationales, F7 6147.
  96. « 28 mars 1801. La bande de Dujardin force le citoyen Viet, de la commune de La Motte, à verser 7.000 francs sous menace d’être fusillé. Viet n’ayant pas cette somme, Dujardin et ses hommes font bombance chez lui, emportent dix couverts d’argent, une cuiller à potage, trois fusils doubles et emmènent un cheval. » Archives nationales, BB18 154. — « 1er mai 1801. Le citoyen Duval, ancien receveur du district de Broons, est massacré par la bande Dujardin. » — « 6 juin. Assassinat de Legouaille, juge de paix à La Chèze. » Même dossier. — « 2 avril 1802. Le brigand Brunet, de la bande Dujardin, évadé des prisons de Moncontour, est repris et fusillé à Saint-Brieuc. » Archives nationales, F7 7939.
  97. Archives nationales, F7 6332, cité par Le Falher, le Royaume de Bignan, p. 696.
  98. É. Sageret, ouvrage cité, IIA, p. 86-87.
  99. Idem, IIB, 214.
  100. Idem, III, p. 58.
  101. Chassin, à la Table générale. Dujardin sollicita, en effet, lors de la Restauration, un emploi civil et la croix de Saint-Louis. Il semble, en effet, que la croix lui fut accordée. V. La Vendée militaire, par Crétineau-Joly, édition Drochon, V, p. 187 et 380.
  102. P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 76, n.
  103. Sa descendance existe encore. Mémoires du colonel Dufour, de Saint-Coulomb, par P. Delarue, Saint-Servan, 1906.
  104. Préface de P. Delarue aux Mémoires du Colonel Dufour.
  105. V. sur l’occupation prussienne en Bretagne et sur ses résultats, Les Bourbons et la Vendée, par Émile Gabory, p. 10 à 31.
  106. Louis-Charles, né le 10 prairial, V, — 29 mai 1797 — à Moncontour, et Charles-Jean, né à la Ville-Louët, en Bréhand, le 18 juillet 1799. À cette date le père était détenu à Rennes.
  107. Elle mourut à Auteuil, rue Boileau, no 8. Son domicile, indiqué à l’acte de décès est Plœuc, Côtes-du-Nord. État civil de l’ancienne commune d’Auteuil.
  108. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, IIA, p. 302.
  109. « M. Humbert est de la plus belle apparence ; il s’exprime avec facilité : il appartient à une famille honorable du département des Vosges. » Lettre du préfet de la Loire-Inférieure au ministre. (Archives nationales, F7 6355.)
  110. « L’empereur a pensé qu’il ne pouvait en aucune manière prononcer sur cette demande qui regarde le ministre de la Guerre. » En fructidor an XII, le ministre de la Police demande au ministre de la Guerre les causes de la disgrâce d’Humbert : il lui est répondu simplement que « l’intention de l’Empereur est que ce général soit éloigné de Paris où ses intrigues peuvent rendre sa présence dangereuse ». Archives nationales, F7 6355.
  111. Le 5 septembre 1803.
  112. Il y est logé chez le sieur Barreswil, restaurateur, à la grille de l’Orangerie.
  113. Archives nationales, F7 6355.
  114. Idem.
  115. 18 fructidor, an XIII — 3 septembre 1805. Archives nationales, F7 6355.
  116. 28 vendémiaire, an XIV, — 20 octobre 1805.
  117. Chassin, Pacifications, III, p. 200, n.
  118. Napoléon et sa famille, II, p. 230.
  119. Chassin, Pacifications, III, p. 200, n.
  120. Sauf Dufour, condamné à six mois de prison, les aides de camp de Cormatin furent acquittés.
  121. Archives nationales, F7 6327.
  122. Les Tribunaux répressifs de la Manche, p. É. Sarot, I, p. 382. et suiv.
  123. Probablement à l’occasion d’un de ses transfèrements, car il ne paraît pas que Cormatin fût jamais venu à Cherbourg autrement qu’en prisonnier.
  124. On retrouve au carton F7 6327 des Archives nationales, outre des lettres touchantes des enfants de Cormatin adressées à leur père, toutes celles de la marquise de Feuardent. Welschinger en a donné de longs extraits dans Aventures de guerre et d’amour du baron de Cormatin, p. 157 à 283.
  125. Outre ses trois filles, Cormatin eut un fils, Gustave. Je ne sais s’il vécut et fit souche.