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VIII

BERNARD DE PEYRAS.


Martin-Simon poursuivit ainsi :

— Ce fut dans ce pays solitaire, et alors presque inabordable, que Bernard vint cacher ses chagrins et son aversion pour le monde. Il prenait sa nourriture chez un pâtre montagnard dont la cabane se trouvait à l’endroit où s’élève aujourd’hui l’église du village, et il passait les jours à parcourir les parties les plus sauvages de la contrée. Son humeur sombre, ses allures farouches, son goût invincible pour la solitude, avaient fait de lui une espèce d’être surnaturel dont on s’éloignait avec effroi ; Bernard fuyait les hommes parce que les hommes le fuyaient. L’Esprit de la Montagne, puisque c’était le nom qu’on lui donnait, passait dans les vallées voisines pour un génie malfaisant, et la haine qu’on lui montrait augmentait sa haine contre les autres. Il fallait un miracle pour le ramener à des sentimens humains, et ce miracle s’accomplit.

» Je vous ai dit que le malheureux Bernard venait chaque jour chercher sa nourriture chez un chevrier. Dans cette cabane, mon père était traité plutôt comme un hôte dont on craint la présence que comme un ami désiré. Quelques pièces d’or données à la pauvre famille avaient pu seules la décider à entretenir des relations avec l’Esprit de la Montagne ; et là, comme dans les chaumières d’alentour, Bernard ne trouva longtemps aucune sympathie. Une femme seule, avec cet admirable instinct particulier aux femmes, comprit ce qui se passait dans l’âme du solitaire ; on avait cru deviner en lui un grand remords, elle soupçonna une grande infortune. Simple et bonne, elle voulut cicatriser son cœur ulcéré, elle lui montra qu’il est des sentimens plus doux que la haine, elle parvint à le rattacher à la vie par une pitié vraie et constante. Un jour, Bernard cessa de rechercher les endroits les plus écartés ; il consentit à échanger quelques paroles avec ses semblables ; puis il ne dédaigna plus d’être témoin de leur bonheur, puis le sourire reparut sur ses lèvres à de rares intervalles, et enfin il prit part aux travaux, aux affaires ; aux joies de ses paisibles hôtes… Une femme avait fait tout cela, et cette femme était ma mère, celle dont vous voyez ici le portrait à côté de celui de Bernard.

Marcellin s’inclina devant l’image de l’épouse de son oncle ; comme il s’était incliné devant celle de son oncle lui-même. Martin-Simon le regarda fixement.

Jeune homme ! s’écria-t-il avec chaleur, ne vous abusez pas… Ce premier portrait, bien qu’il représente un pauvre campagnard, ne représente pas moins le baron Bernard de Peyras, qui se montra si généreux envers votre père. Mais cette bonne et simple femme n’était rien de plus que la fille d’un chèvrier, une paysanne que le baron Bernard épousa dans un moment de misanthropie, peut-être pour fronder un préjugé. Moi son fils, j’ai reçu son sang roturier ; je n’ai pas dédaigné à mon tour d’aller chercher une compagne dans cette race obscure où mon père avait pris la sienne, et je m’en suis applaudi comme lui. Ainsi donc, que ce nom éclatant de baron de Peyras, qui m’appartient encore, ne vous fasse pas illusion : bien peu de personnes savent aujourd’hui que j’ai le droit de le porter, et j’en ai un autre dont je suis fier. J’entends que les services dont vous croyez m’être redevable ne gênent pas votre volonté ; je ne vous demande pas de nous reconnaître comme étant de votre sang ; notre rusticité pourrait être gênante pour vous. Je sais la part qu’on doit faire au rang que vous allez occuper dans le monde, aux préjugés de l’éducation qu’on vous a donnée sans doute. Ainsi donc, mettez-vous à l’aise ; pas de fausse modestie. Lorsque j’appris à l’hospice du Lautaret que vous étiez mon parent, je résolus de vous venir en aide si vous en étiez digne ; plus tard, j’ai pensé que si mon père existait encore, il n’eût pu voir sans douleur le nom de Peyras compromis par l’imprudence d’un jeune fou ; en travaillant à relever votre fortune, j’ai voulu suivre l’exemple qu’il avait donné. Enfin, je suis riche ; ma fille est aussi désintéressée que moi, et je n’ai pas à lui réserver de dot, puisqu’elle ne doit se marier jamais. Ce que je vous offre est notre superflu, le fruit peut-être de longues économies, le produit légitime de spéculations heureuses ; si vous l’acceptez, je n’ai compté sur aucune compensation qui pourrait flatter mon orgueil.

Le chevalier avait écouté d’un air pensif les paroles de ce parent qui mettait tant de bonhomie à l’affranchir de toute reconnaissance…

— Vous m’avez mal jugé, monsieur le baron, s’écria-t-il ; aucun préjugé de naissance, aucune puissance tyrannique du monde ne me fera repousser les membres d’une généreuse famille envers laquelle, mon père et moi nous avons contracté tant d’obligations !… Permettez-moi donc d’en agir avec vous comme avec un parent bien-aimé, cousin de Peyras…

En même temps, il se jeta dans les bras de Martin-Simon, et ils se tinrent pendant quelques minutes serrés l’un contre l’autre, avec une effusion qui semblait franche et cordiale des deux parts.

— Et moi, monsieur le baron, et moi, dit Ernestine en sanglotant, ne me permettrez-vous pas aussi de remercier mon protecteur, mon père adoptif ?

— J’en remplirai demain tout à fait le rôle, dit Martin-Simon en déposant deux gros baisers sur les joues de mademoiselle de Blanchefort. Ce soir le contrat, demain la cérémonie ; j’ai déjà envoyé un exprès au prieur du Lautaret, qui doit vous marier. Petite folle, continua-t-il en souriant, remerciez Dieu d’être ainsi tirée de ce mauvais pas, car je me suis laissé dire que mon cher cousin…

— Monsieur le baron ! s’écria Marcellin d’un ton de reproche.

— Allons, allons, vous vous êtes amendé ; à tout péché miséricorde, n’en parlons plus… Mais à propos, allez-vous encore m’appeler longtemps monsieur le baron ? Du diable si depuis que j’existe on m’a donné ce titre une seule fois, et dans ce pays on rirait bien fort si l’on savait que le roi du Pelvoux s’est métamorphosé en baron. Je n’ai jamais signé d’un autre nom que de celui de Martin-Simon, comme mon père signait de celui de Bernard, et personne, excepté ma fille Margot, ne connaît notre vrai nom de Peyras. D’ailleurs, pour vous ôter la tentation de me donner désormais cette qualification qui ne convient ni à ma position, ni à mon costume, ni à mes manières, apprenez que je m’en suis démis en votre faveur. Votre père, par un sentiment que j’approuve, n’a pas voulu prendre ce titre, ignorant si son frère aîné existait encore ; mais moi j’ai bien le droit de vous transmettre cette partie de mon héritage qui m’est le moins nécessaire. C’est donc vous, mon cousin, que je salue comme le véritable baron de Peyras ; il y a dans le contrat une clause qui régularise tout cela.

Marcellin ne répondit pas d’abord. Ces révélations, si nombreuses, si subites, si inattendues le prenaient à l’improviste ; il lui fallait du temps pour grouper dans sa pensée les faits qui se présentaient à lui en désordre, et pour ainsi dire en bloc. L’usage du monde lui rendait la dissimulation facile ; aussi eut-il l’art de mettre sur le compte d’une émotion que tant de bienfaits rendaient naturelle une hésitation qui résultait peut-être du désir de tirer le meilleur parti possible des événemens.

— Mon généreux parent, dit-il enfin avec un accent pénétré, vos bontés pour moi sont si grandes, que je succombe sous le poids de ma reconnaissance. En vérité je crois rêver, et sûrement j’apprécierai mieux mon bonheur dès que j’aurai le loisir de mieux le comprendre.

Le bailli ouvrit de grands yeux, ne sachant où devait aboutir ce langage entortillé.

— Oui, continua Marcellin en portant la main à son front, il me semble que, pour sentir dignement les joies qui m’arrivent, j’aurais besoin de les sentir l’une après l’autre. Tout se mêle dans mon cerveau. S’il était possible de remettre à quelques jours la cérémonie annoncée pour demain…

— Que signifie ceci, monsieur ? demanda le roi du Pelvoux au comble de l’étonnement ; c’est vous maintenant qui proposez de retarder l’événement que vous appeliez naguères de tous vos vœux ?

— Il me repousse, il ne m’aime plus ! s’écria Ernestine avec désespoir.

— Je ne dis pas cela t reprit le jeune gentilhomme d’un air d’embarras ; mais vous-même, mademoiselle, ne souhaiteriez-vous pas de mettre un peu moins de précipitation dans un acte si solennel ? Vous aurez, j’imagine, quelques préparatifs à faire, quelques arrangemens à prendre…

— Que diable chantez-vous là ? interrompit Martin-Simon avec sa rondeur joviale ; il n’est besoin ni de préparatifs, ni d’arrangemens ; la chose s’accomplira très simplement, avec Michelot et le maître d’école pour témoins ; moi et ma fille nous représenterons les grands parens. Il n’y aura ni noces, ni banquet, ni fracas. Je vous dit que tout peut-être bâclé demain à pareille heure… et puis je l’ai décidé ainsi, et vous savez, jeune homme, que je n’aime pas à être contrarié ; d’autant moins, ajouta-t-il en lui lançant un regard sévère, que, mademoiselle de Blanchefort et moi, nous pourrions être fondés à mal interpréter votre peu d’empressement.

— À Dieu ne plaise, mon cher parent ! dit Marcellin en cherchant à effacer le fâcheux effet qu’avait produit son hésitation ; le jour ou cette union s’accomplira sera le plus beau jour de ma vie ! Seulement il y a dans nos relations tant de choses que je ne puis encore m’expliquer…

— N’est-ce que cela ? Écoutez-moi bien… Lorsque vous m’avez raconté votre histoire à l’hospice de Lautaret, j’ai dû vous promettre mon appui, car les liens secrets de notre parenté m’en faisaient en quelque sorte un devoir. Plus tard, quand maître Michelot voulait vous arrêter, je le pris à part ; je lui dis que j’avais des projets sur vous et que je répondais de l’assentiment de monsieur de Blanchefort. Mon nom, ma réputation de richesse, la bienveillance que je paraissait éprouver pour vous deux, le décidèrent à retarder l’exécution de son mandat, qui, du reste, n’était pas parfaitement en règle, je ne parle pas de certains autres argumens personnels dont j’ai souvent reconnu l’efficacité… J’amenai le procureur au village ; avant son départ, je lui appris toute la vérité, et je le chargeai de faire au père de mademoiselle les propositions dont vous voyez le résultat. Tout a réussi, et je me félicite d’avoir choisi maître Michelot pour agent dans cette difficile négociation. Soit à Lyon soit à Grenoble, il a montré une activité merveilleuse, car il a terminé en trois ou quatre jours ce qui eût occupé un autre négociateur pendant un mois. Aussi, mon cher Marcellin, je vous le répète, vous êtes ingrat envers ce pauvre procureur.

Sans doute Marcellin avait encore beaucoup à questionner son protecteur obstiné, et peut-être allait-il lui demander franchement quelques éclaircissemens sur l’origine de sa fortune, sujet que le montagnard évitait avec soin, lorsque la porte s’ouvrit et Marguerite entra. Elle était toujours d’une pâleur livide, bien que pas un muscle de son visage ne trahît plus les sentimens secrets qui lui déchiraient le cœur ; on eût dit d’un visage de marbre. Seulement ses yeux noirs avaient un éclat fiévreux sous ses paupières à demi baissées, et sa démarche était plus grave encore qu’à l’ordinaire. À sa vue, Martin-Simon se leva et courut vers elle avec gaieté.

— Tu viens trop tard, ma pauvre Margot, s’écria-t-il, pour assister à une scène attendrissante. Tout à l’heure nous pleurions comme des Madeleines, excepté maître Michelot que voilà là-bas et qui a la fibre lacrymale passablement dure. Mais comme il est procureur, ce n’est pas de sa profession de larmoyer… Tu devines, que j’ai tout dit à ces chers enfans, et que maintenant les mystères sont expliqués… Du reste, ils ne se doutaient de rien, et tu m’as religieusement gardé le secret que tu savais depuis ce matin.

— En est-il ainsi, mon père ! demanda Marguerite d’une voix altérée ; avez-vous entièrement assuré leur bonheur, et puis-je appeler votre attention sur des devoirs moins agréables à remplir ?

— Oh ! comme te voilà sérieuse ! reprit Martin-Simon, qui alors seulement remarqua l’air solennel de sa fille ; mais avant de me dire les grosses nouvelles que tu m’apportes sans doute, tu devrais au moins féliciter ton cousin de Peyras et sa jolie future de leur union prochaine, que diable !

Marguerite ne fit pas un mouvement pour déférer à cette invitation. Les yeux baissés vers la terre, elle répondit lentement, en laissant tomber les paroles une à une :

— Qu’ils m’excusent tous les deux ! Je ne saurais forcer ma bouche en ce moment à exprimer des vœux de bonheur ; Dieu ne les exaucerait pas !

— Ah çà ! que signifie cette tristesse ! demanda le bailli ; à qui en as-tu, Margot, et qu’est-il donc arrivé ? Sa fille l’entraîna dans un angle de la salle, et lui dit quelques mots à voix basse.

— Raboisson trouvé mort au fond d’un précipice ! s’écria le roi de Pelvoux au comble de l’étonnement, je te dis, Marguerite, que la chose est impossible.

Ce nom de Raboisson fit tressaillir le procureur, qui était à l’autre bout de la salle. Il se leva brusquement et s’approcha des interlocuteurs.

— J’ai vu le corps, répondit Marguerite ; le chevalier et mademoiselle de Blanchefort ont pu le voir comme moi.

— Ne s’agit-il pas, demanda Michelot, de ce gagne-petit qui s’introduisit ici d’une façon si insolente le jour de notre arrivée au Bout-du-Monde ? Est-ce lui que l’on vient de retrouver mort.

Martin-Simon répondit par un signe affirmatif.

— Ignoriez-vous cet événement, mon père ? demanda Marguerite en dardant sur lui ses yeux enflammés.

— Et d’où diable veux-tu que j’aie appris la nouvelle ? Je n’ai pas vu Raboisson depuis le matin où il nous quitta pour se rendre à Briançon, et je le croyais arrivé depuis longtemps dans cette ville, quand j’apprends qu’il s’est laissé tomber dans le précipice de la Grave. Ma foi ! tout bien considéré, je ne trouve pas, Marguerite, qu’il y ait tant à se désoler ; ce n’est qu’un vaurien de moins.

— Est-on sûr, demanda Michelot en affectant l’indifférence, que cette mort ne soit pas le résultat d’un crime ? Ne connaissait-on pas quelque ennemi à ce malheureux ?

— Des ennemis… à lui ? allons donc ! répliqua Martin-Simon avec impatience. Non, non, il ne peut y avoir dans cet événement qu’un simple accident… Raboisson aimait immodérément la bouteille, et la bouteille lui aura été fatale une fois, surtout si, comme je le suppose, cet accident est arrivé le jour même où Raboisson est parti d’ici.

— Pourquoi cela, je vous prie ?

— Pourquoi ? parce que je lui avais donné quelque argent à son départ, et qu’il fit remplir d’eau-de-vie sa gourde, en passant devant une maison du village où l’on vend des liqueurs fortes contre ma volonté ; sans doute le vieux coquin était ivre lorsqu’il a péri.

— Le croyez-vous ? reprit le procureur ; je pourrais faire des révélations particulières dans le procès-verbal que vous êtes appelé à dresser, comme bailli de ce village, sur l’événement dont il s’agit.

— Vous ? s’écrièrent à la fois le père et la fille.

— Moi-même ; souvenez-vous que je partis pour Grenoble peu d’instans avant que cet homme quittât de son côté votre maison, et il me rejoignit à une demie-lieue d’ici, dans un endroit sauvage, non loin du précipice où l’on a retrouvé son corps… J’échangeai quelques mots avec lui, et je puis affirmer par serment qu’il n’était nullement ivre. Sans doute ce fut peu de momens après mon passage qu’arriva l’accident, quoique je n’aie rien entendu.

Un profond silence suivit ces paroles. Le bailli paraissait réfléchir à la circonstance que venait de rapporter Michelot.

— Bah ! dit-il enfin, votre entrevue avec ce pauvre diable ne donne aucun jour nouveau à l’affaire. Que Raboisson fût ivre ou non, il a bien pu chanceler sur le bord du rocher, ou être entraîné par le poids de sa machine à aiguiser… Mais on consignera votre déposition dans le procès-verbal, et l’autorité supérieure fera une enquête si elle le juge convenable. Ce qui m’embarrasse, continua le roi du Pelvoux en se grattant l’oreille, c’est le procès-verbal lui-même…

— Comment cela ? demanda Michelot.

— Voilà la première fois que je vais dresser un acte de ce genre, et, je vous l’avouerai, je ne parviendrai jamais à rédiger seul un rapport digne de passer sous les yeux de messieurs du parlement de Grenoble.

Le procureur sourit.

— Je n’aime pas à me mêler de semblables affaires, dit-il ; si cependant ma faible expérience et mon habitude des formes de la procédure pouvaient vous être utiles…

— J’accepte de tout mon cœur, répondit Martin-Simon avec empressement, et vous me rendrez un véritable service en voulant bien m’assister dans cette besogne. Le maître d’école, Eusèbe Noël, nous servira de greffier ; son écriture est fort belle, et, pourvu qu’il n’ait pas de distractions, il ne manquera rien à notre procès-verbal.

— Oui, oui ; il n’y manquera rien, je vous l’assure, répliqua Michelot.

En recevant cette assurance, dans laquelle le procureur mettait certainement de l’ironie, le bailli parut déchargé d’une grande inquiétude.

— Eh bien ! dit-il avec vivacité, finissons-en au plus tôt avec cette vilaine corvée… Il ne faut pas attrister ces enfans par de pareilles images… Allons bien vite où l’on nous attend. Ma chère Margot, fais prier Noël de se rendre chez Robert… Vous, mes amis, continua-t-il en s’adressant aux jeunes gens, songez que ce soir nous signons le contrat.

— Mon bon parent, murmura le chevalier à son oreille au moment où il allait sortir, l’événement qui vient d’arriver est de nature à vous occuper exclusivement pendant quelques jours… Si donc vous vouliez attendre que votre esprit fût plus tranquille…

— Je n’attendrai pas un jour, pas une heure, pas une minute, dit Martin-Simon d’un ton péremptoire ; tout sera fini demain ou tout sera rompu, et, dans ce dernier cas, monsieur le chevalier, vous perdrez avec mon amitié et mon estime beaucoup plus que vous ne pensez.

En même temps il fit signe à Michelot, et ils sortirent tous les deux.

Peyras resta comme étourdi du ton menaçant qu’avait pris le bailli en prononçant ces paroles. Ernestine se rapprocha de lui, espérant peut-être un mot bienveillant, un signe affectueux.

— Marcellin, dit-elle avec mélancolie, n’est-ce pas un triste présage pour nous que la découverte de ce cadavre en ce moment ?

— Je ne crois pas aux présages ! répondit-il froidement sans la regarder.

Et il sortit aussitôt.

— Il ne m’aime plus ! dit la pauvre Ernestine avec désespoir.

Marguerite lui prit la main et, la serrant avec force, elle murmura d’un ton farouche :

— Je suis plus malheureuse que vous… moi qui n’ai pas mérité mon malheur !