La Marquise de Gange/Préface de l’auteur

Jean-Jacques Pauvert (Œuvres complètes, t. XIIIp. 7-9).


PRÉFACE DE L’AUTEUR


Ce n’est point un roman que nous offrons ici ; l’affreuse vérité des faits que nous allons tracer, se trouve dans les Causes célèbres. L’Europe entière a retenti de cette déplorable aventure. Quels êtres n’en ont pas frissonné ? À quelles âmes sensibles n’a-t-elle pas fait couler des larmes ?

Mais pourquoi les détails que nous transmettons, ne sont-ils pas absolument les mêmes qui nous ont été conservés dans les Mémoires du temps ? Le voici : tout n’a pas été connu du rédacteur des Causes célèbres ; tout, il s’en faut, n’était pas dit dans les Mémoires qu’il a compulsés. Mieux à portée que lui, nous avons donné à cet événement plus d’extension que ne le put faire celui qui ne travaillait que d’après le peu de matériaux qu’il avait sous ses yeux. Mais pourquoi cette teinte de roman ?

C’est qu’elle existe dans les faits ; c’est que rien n’est plus romanesque que cette tragique aventure, et que nous eussions dénaturé les faits en les décolorant ; mais si rien n’a pâli sous nos pinceaux, nous pouvons assurer de même que rien ne s’y est obscurci. À Dieu ne plaise que nous nous soyons permis de rendre le tableau plus noir qu’il ne l’est ! cela serait impossible, même à celui qui en aurait le dessein.

Nous protestons donc avec assurance que nous n’avons en quoi que ce puisse être, altéré la vérité des faits : les affaiblir eût nui à nos intérêts ; les noircir eût fait refluer sur nous l’exécration si bien due aux monstres à qui l’on doit de les avoir tels.

Que les personnes qui veulent acquérir des connaissances exactes sur l’histoire de la malheureuse marquise de Gange nous lisent donc avec l’intérêt qu’inspire la vérité ; et que ceux qui aiment à trouver un peu de fiction, même dans les narrations purement historiques, ne nous blâment point de n’avoir employé que celle où la vérité se retrouve à chaque ligne, le fait pur et simple, sans les accessoires dont nous l’avons entouré, ne pouvant soutenir la lecture ; et, quand on sait que le sujet qu’on traite doit nécessairement révolter, il est bien permis de l’environner de tout ce qui prépare l’âme à le recevoir sans un trop cruel déchirement.

Peut-être aurions-nous dû quitter la plume, immédiatement après la catastrophe ; mais, les mémoires du temps nous fournissant la fin de l’histoire des scélérats dont a frémi le lecteur, nous avons cru qu’il nous saurait gré de la lui apprendre, pas très exactement, nous dira-t-on peut-être, sur le plus coupable des trois ; à la bonne heure. Mais il est si pénible d’offrir le crime heureux que si nous ne l’avons pas montré tel, que si nous avons, pour ainsi dire, contrarié, ou corrigé le sort, c’est dans la vue de plaire aux gens vertueux, qui nous sauront quelque gré de n’avoir pas osé tout dire, quand tout ce qui est ne sert qu’à ébranler l’espoir, si consolant pour la vertu, que ceux qui l’ont persécutée doivent infailliblement l’être à leur tour.