La Maison dans l’œil du chat (Crès, 1917)/Des poussins

Georges Crès (p. 139-144).




XX

DES POUSSINS


DES POUSSINS



Chaque poule a eu trois poussins : ça se trouve comme ça : elles ont couvé ensemble. Ils ont éclos le même jour. D’abord il a fallu faire attention, parce qu’on les aimait tant, qu’on aurait bien pu les étouffer de caresses et les manger par énervement, tout vivants. Mais maintenant ils ont grandi (maintenant, on a les uns et les autres à peu près le même âge) et on a compris qu’il fallait les laisser vivre en paix, comme de bons jaunes d’œufs qu’ils sont ; comme des poules et des coqs qu’ils seront ensuite, avant même qu’on soit un homme. Mais ça, on verra plus tard le temps que ça met à venir.

Pour l’instant, on s’entend très bien et la grande joie quand on a dormi pendant les heures chaudes du jour, et quand vers le soir on s’aventure dans le jardin où les fleurs éclatent de vie, où le soleil allonge les ombres, où les cétoines bourdonnent au cœur des roses-roses : c’est d’aller leur donner à manger.

Entre nous, ils n’ont pas bien faim ; mais comme soi-même, on vient de goûter, il faut bien qu’ils fassent pareil.

Chaque poule accompagne son groupe, se trompe-t-elle ? on ne sait pas. Ils se ressemblent tant. Et ainsi tout le monde est content.

Lui, au milieu, comme un roi bienfaisant et riche avec son grand chapeau de paille de riz qui fait de l’ombre sur son visage. Eux, tout autour, posés dans l’herbe comme de grandes fleurs jaunes ou de petit soleils, picorant ce qu’il leur donne, d’un geste encore un peu endormi, où subsiste le charme du dernier rêve qu’il continuera cette nuit.