La Main passe !/Acte IV
ACTE QUATRIÈME
Même décor qu’au premier acte. Quelques modifications seulement dans la disposition des meubles. La petite table-rognon, qui était au fond du théâtre, se trouve au lever du rideau devant et à droite du canapé de gauche. La table de salon, qui était posée perpendiculairement au public, est toujours à la même place mais en biais, le sommet de l’angle vers le public, le côté étroit dans la direction de la cheminée, le côté large dans la direction du piano. À droite de l’angle de la table un fauteuil, devant le côté large, le siège tabouret ; sous la table, le petit tabouret de pied. Le fauteuil qui était au-dessus de la cheminée, de même que celui qui était à l’extrême gauche, ne sont plus sur la scène. En revanche un peu au-dessus et à gauche de la table de droite est une large bergère n’appartenant pas au mobilier. Au pied de la bergère, un coussin est tombé. Sur la grande table, des journaux illustrés. Sur le piano, dans un vase, des fleurs de saison indiquant qu’on est au mois de mai ou de juin.
Scène première
Qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là ? c’est pas sa place ! (Il prend la petite table, puis, tout en la portant au fond :) Ah ! là là, là là !
C’est monsieur qui a sonné ?
C’est moi, oui ! (Après un petit temps.) Vous êtes bien sûr que madame doit rentrer ?
Oh ! sûr, monsieur… pour déjeuner. D’ailleurs, madame m’a bien recommandé pour monsieur ; elle m’a dit : « Monsieur mon ancien mari doit venir vers une heure, vous le ferez attendre. »
« Vous » le ferez attendre ? Ou « Je » le ferai attendre ?
« Vous » le ferez attendre.
Deux heures un quart !… Je m’étais pourtant dis : « J’écris que je viendrai à une heure ; en arrivant à une heure et demi, j’ai des chances que… » (S’asseyant sur le tabouret du piano, dos au clavier.) eh ! bien, non ! Il n’y a pas moyen d’être en retard avec madame. Je trouve encore moyen de poser trois quarts d’heure.
Monsieur sait, même du temps de monsieur, madame pour l’heure… !
Oh !
Ça a exaspéré plus d’une fois monsieur !
Moi ?
Non !… Monsieur actuel.
Ah !
Oh !
Oui, eh ! bien, je ne suis pas fâché qu’un autre voie un peu ce que c’est ! (À ce moment, Étienne s’étant baissé pour ramasser le coussin tombé à terre, laisse par sa position apercevoir le sommet de son crâne à Chanal.) Eh ! mais, dites-moi donc, Étienne ; il me semble que vous vous déplumez !
Monsieur est bien bon… (Avec une philosophie douce.) C’est les cheveux qui tombent !
Oui. (Considérant la bergère qu’Étienne a prise par les deux bras et transporte, près et au-dessus de la cheminée.) Tiens ! Qu’est-ce que c’est que cette bergère ?… qu’est-ce qu’elle fait ici ? Elle est du petit salon !
C’est madame qui l’a mise là !
C’est drôle, cette manie de ne jamais laisser les choses à leur place !
Ah ! monsieur, ce qu’on dit ça de fois, nous autres, à l’office ! (Avec amertume.) Mais c’est des choses qu’on est forcé de se dire à soi-même.
Enfin voilà une bergère qui appartient au petit salon… ! (Se levant et traversant la scène.) Ah ! et puis, au fond, je ne sais pas de quoi je me mêle ; ça ne me regarde pas !… Je ne suis pas chez moi ici ! (Il s’est assis sur le tabouret à gauche de la table, le bras gauche appuyé sur celle-ci. Voyant Étienne tout près de lui, pris d’un besoin de lui tirer les vers du nez.) Et… dites-moi !
Monsieur ?
À part ça ; ça… ça va ici ?
Mais… comme ça, monsieur !
Ah ?
J’ai ma femme qui m’a donné un garçon.
Ah ?… aha ? enchanté… Non, je parlais de madame.
Ah ? (Avec indifférence.) Pas mal, monsieur !
Aha ?… tant mieux.
Je peux dire qu’elle a eu une grossesse très dure.
Qui ?
Ma femme.
Ah ! votre… ! bon, bon ! oui, oui !
Un enfant qui est venu avant terme… à cinq mois !
Vraiment ? Oh ! mon pauvre Étienne ! Tant de souffrances pour rien !
Comment, pour rien ! mais il est superbe, monsieur !… Il pesait onze livres en venant au monde.
À… à cinq mois ?
Oui, môssieur ! C’est un cas très rare ! Le médecin a même dit que c’était très heureux qu’il soit né à cette époque ! sans ça, il aurait été trop gros, on n’aurait pas pu l’avoir.
Allons, voyons ! à cinq mois ? vous devez vous tromper.
Oh ! monsieur, impossible !… les dates sont là : ma femme a été pendant dix mois dans le Midi et elle n’est revenu qu’il y a six mois ; ainsi…
Ah !… Ah !… En effet !
Elle était chez ses maîtres, à Montpellier, alors !…
Oui, oui, c’est évident ! si elle était… Qu’est-ce qu’ils font, ses maîtres ?
Il est officier de la remonte.
Aha ?… oui, oui, oui !
Il me ressemble beaucoup.
L’officier !…
Non !… le petit.
Ah ! le petit !… Eh ! bien, mais… c’est bien ça ! c’est une attention ! car enfin… rien ne l’y forçait.
Évidemment ! (Très reconnaissant.) Monsieur est bien bon de s’intéresser à moi.
Oh ! bien, vous savez… en attendant madame !
Ah ! justement, voici madame.
Scène II
Oh ! mon cher, je vous demande pardon. (Décrivant une courbe dans sa marche pour parler à Étienne et sans transition.) Étienne, je meurs ! apportez-moi n’importe quoi sur un plateau, je mangerai ici.
Oui, madame.
Mon pauvre ami, je te… (Elle sourit avec un geste d’excuse, puis se reprenant.) je vous fais toutes mes excuses ! Il y a longtemps que vous êtes là ?
Trois quarts d’heure.
Ah ! tant mieux ! Je craignais de vous avoir fait attendre. (Chanal a un geste des bras et une expression de physionomie comme pour dire : « c’est exquis ! » — Francine tout en se regardant dans la glace.) C’est que avez mal choisi votre jour. Votre lettre m’est arrivée ce matin, et juste, j’avais deux essayages !… et un enterrement… que je n’ai pas pu remettre.
L’enterrement surtout.
Comme vous dites ! (Ayant fini d’arranger ses cheveux, elle s’assied sur le fauteuil à droite de la table, lequel est tourné de façon à faire presque face à Chanal.) Les Duchaumel, vous savez.
Tous ?
Oh ! non pas tous ! vous êtes gourmand, vous !… non, la vieille !… c’est déjà suffisant ! Dix-huit millions qui tombent !
Chanal, avec un geste de la tête de droite à gauche en manière de protestation et un sifflement de la langue contre les dents, mais tout cela de bonne humeur. Ssse !… Cochons, va !… Et c’était beau ?
Ah ! mon cher, à faire rêver !… Trop même ! Ca avait quelque chose d’indécent… dans la joie ; ce n’était plus un enterrement, c’était un gala ! une orgie de fleurs, de musique, de lumière !… il y avait même des feux de bengale à l’église !… verts, oui ! dans des torchères. Vous voyez ça ?
Pas de chandelles romaines ?
Non.
Eh ! eh ! cependant… bénies par le pape !
Oh ! ma foi !
Enfin, quoi ? Il ne manquait que le bouquet.
Absolument. (S’enfonçant bien dans son fauteuil, le corps rejeté en arrière, les coudes au corps, les avants bras sur les manchettes du siège, les mains crispées sur les poignées et avec un mouvement douillet des épaules contre le dossier… regardant Chanal avec un tendre sentiment de bonne affection.) Ah ! mon ami, ça me fait plaisir de vous voir.
Moi aussi.
On a beau dire, voyez-vous : quand on a été mari et femme !… eh ! bien… ça crée des liens.
Comment, si ça en crée ?… mais indissolubles !… la loi a beau rompre, la nature est là qui crie : « C’est pas vrai ! »
Oui.
Mais, au fond, il n’y a que le premier mari qui compte.
Oh ! Taisez-vous ! Si mon mari vous entendait !
S’il m’entendait je ne le dirais pas. (Se levant et sur un ton de plaidoirie, appuyant ses arguments par la suite, de tapes de la main sur la table, il arrivera ainsi à remonter jusqu’au dessus de celle-ci.) Mais la preuve qu’il reste toujours quelque chose, c’est que je suis ici ! Est-ce que c’est ma place ? Est-ce que je devrais y être ? moi, l’ex-époux de la femme remariée !… Car enfin, qu’est-ce que je viens faire ? Vous demander votre signature pour ces titres que nous n’avons pu négocier au moment de notre divorce, et que nous avons laissés indivis jusqu’à aujourd’hui… Évidemment c’est un bon prétexte, mais ça n’est qu’un prétexte ! et ce n’est pas moi qui aurais dû… c’est mon avoué. Eh bien, oui, je sais bien ! Mais je n’ai pas pu résister. Il y a trois jours que je suis à Paris, je me suis dit : il faut que j’en profite pour aller les voir.
Mon bon Alcide.
C’est parfaitement incorrect, contraire à tous les usages, mais bah ! du moment que ni la femme, ni le premier mari, ni le second ne le trouvent mauvais… au diable ceux qui s’en choqueront ! Quant à moi, (Il est redescendu jusque derrière le fauteuil de sa femme ; prenant affectueusement les épaules de celle-ci entre ses deux mains). si ça me fait plaisir de revoir celle qui fut ma femme ! ah ! mais !… de la revoir en bon camarade !
Ah ! mon petit vieux, tu es toujours gentil, toi !
Eh ! là… Eh ! là… eh ! ben ?
Ah ! qu’est-ce que tu veux ? l’habitude !…
Soit ! mais alors il faudrait peut-être demander à Massenay si…
Oh ! bien, tant pis pour lui s’il n’est pas content !… Est-ce qu’il t’a demandé la permission à toi, autrefois, pour… ? hein ?
Ah ! oui, ça !
Et c’était bien plus grave !
Si ça l’était !
Eh bien, alors ?
Mais tu as mille fois raison ! Tutoyons-nous donc !
Ah ! mon pauvre chéri, je regrette bien qu’il ne t’ait pas demandé la permission alors !… parce que tu aurais dit non, évidemment !
Évidemment !
Et je serais encore ta femme à l’heure qu’il est !
Mais oui.
Ah ! Je n’ai pas su t’apprécier, vois-tu… (Appuyant chaque partie de son argument d’autant de tapes sur l’épaule de Chanal.) Si les maris pouvaient laisser leurs femmes avoir un ou deux amants pour leur permettre de comparer, il y aurait beaucoup plus de femmes fidèles !… (Quittant Chanal, elle va jusqu’au canapé puis se retournant.) beaucoup plus !
Bien oui ! ce serait la sagesse, mais tant que le monde sera monde… ! (Allant s’asseoir près d’elle, sur le bras droit du canapé.) Ah ! ça, voyons, mais ça ne va donc pas ici ?
C’est pas drôle tous les jours.
Quoi ? Massenay… ?
Insupportable ! Tout le temps des scènes !… (Sur un ton d’amère ironie, la voix un peu en fausset.) Lui qui était si large d’idées quand c’était toi qui étais en jeu, ah ! bien !… il faut le voir, maintenant qu’il y est pour son compte : ombrageux, jaloux, voyant le mal dans tout !… et sans raison naturellement, comme toujours !… Car enfin, je le suis, fidèle, (Chanal qui écoute avec beaucoup de sérieux, approuve de la tête.) je ne le trompe pas… (Même jeu pour Chanal. Francine croyant lire un doute qui n’existe pas dans les yeux de Chanal.) Je te le dirais, n’est-ce pas ? Je ne me gênerais pas avec toi.
Merci.
Eh bien, je t’avoue qu’il y a des moments, quand il m’a bien poussée à bout, où il me prend des envies de me jeter dans les bras du premier homme que je rencontrerais ! (Se levant et passant.) qu’au moins il soit jaloux pour quelque chose !
Voyons, voyons, Francine !
Et il est bête avec ça ! ici, il ne reçoit plus un ami, parce que c’est des hommes ! (Nerveuse elle remonte, déplace sans motif un objet sur le piano, puis gagne jusqu’à la cheminée, tout cela, en parlant.) comme si ça avait jamais empêché quelque chose quand une femme a ça dans la tête !… tout au plus Coustouillu, parce qu’il n’est pas dangereux.
Ah ! vraiment, Coustouillu… ?
Oui ; après s’être battus ensemble, ils se sont réconciliés à l’occasion de mon mariage ; et comme Coustouillu bafouille plus que jamais, il est tranquille ; (Tout en s’arrangeant machinalement les cheveux devant la glace.) mais vraiment, comme distraction !… (Se retournant à demi, vers Chanal.) Au fait, comment se fait-il que tu n’aies pas vu Émile ? il était donc déjà sorti ?
Je ne sais pas ! Étienne m’a dit qu’il n’était pas là. (Revenant au sujet qui l’intéresse davantage, tandis que Francine, pour occuper ses nerfs, range machinalement sur la cheminée.) Ah ! alors, ça ne va pas !
Tu dis ça comme si ça te faisait plaisir.
Non, non !
Oh !
Et puis au fond, pourquoi mentir ?… Évidemment, je suis chagriné pour toi !… et à côté de ça, je serais tout de même très vexé, si tu venais me dire : Ah ! mon ami ! comme je suis plus heureuse que de ton temps.
Égoïste !
Qu’est-ce que tu veux ? On est un homme !
Scène III
Francine, à Étienne qui se dirige vers la grande table, lui indiquant de la tête, mais sans regarder d’abord, la place près du canapé où était la petite table au lever du rideau.
Non, tenez… mettez-ça sur la table… (S’apercevant que la table n’est plus à la même place.) tiens, où est-elle ?
Quoi donc ?
Ah !… On l’a remise là au fond.
Tiens ?
Ah ! oui, c’est moi !… l’habitude de la voir là.
Toujours maniaque, alors ?
J’ai l’horreur du désordre.
Où est donc monsieur ?
Monsieur a attendu madame pour se mettre à table ; puis comme madame ne venait pas il a pris son chapeau et il est parti sans déjeuner, en disant « Nous allons un peu voir ce que ça signifie ! »
Aha ?… (Rictus amer, puis.) bien !
Monsieur n’avait pas l’air content.
Bon, bon, ça va bien. (changeant de ton.) Eh ! bien, Étienne, vous avez vu Mmonsieur ?…
Oh ! oui, madame.
Chanal, qui toujours sur son tabouret était en train de jeter les yeux sur un journal illustré, relevant la tête en entendant qu’il est question de lui. Comment donc ! nous avons même eu le temps de causer.
Oui, madame ! Ah ! ce que nous avons été heureux de savoir monsieur là !
Merci, Étienne !… Qui, « nous » ?
Mais nous, monsieur ! moi et la cuisinière : Madeleine !
Ah ! Tu as toujours cette bonne Madeleine ?
Toujours.
Oh ! elle serait si contente si elle pouvait voir monsieur !
Mais qu’elle vienne ! (À Francine.) Tu permets ?
Oui, oui !
Ah ! bien, c’est ça qui va lui faire plaisir ! (Parlant à la cantonade, direction gauche.) Venez, Madeleine !… Oui, oui ! vous pouvez ! madame permet. (À Chanal en redescendant un peu et sur un ton d’indulgence.) Elle n’était pas loin ! elle s’était mise là pour si monsieur sortait…
Bonjour, monsieur.
Entrez, ma bonne Madeleine.
Monsieur est bien bon ! Et monsieur va toujours bien ?
Mais comme vous voyez, Madeleine !… et vous ?
Oh ! ça va, monsieur ! Dame, c’est pas comme du temps de monsieur ! (Regardant Francine.) Oh ! c’est pas que monsieur ne soit pas un bon maître ! (À Chanal, avec de la tendresse dans la voix.) Mais c’est égal ! c’est tout de même pas monsieur !… il n’est pas attentionné comme monsieur pour les domestiques ! Monsieur était beaucoup plus gâteux !
Quoi ?
Ça, c’est vrai, monsieur.
Ah !… Vous voulez dire, n’est-ce pas, que je vous gâtais davantage.
Oh ! oui, monsieur !
Oui, oui ! Évidemment ! C’est la même chose ! c’est la même chose !
Allons, c’est bon, Madeleine, maintenant que vous avez vu monsieur !…
Oui, madame.
C’est que je la connais celle-là, si on la laisse bavarder… !
Ah ! bien, madame sait ben… ! On n’a pas si souvent… !
Voulez-vous aller à votre cuisine !
Oui, madame, oui ! (Se retournant vers Chanal.) Au revoir, monsieur.
Au revoir.
Ah !… et dites à Marie…
Marie est sortie, Madame.
Ah ! C’est vrai… Eh ! bien, allez dans ma chambre et apportez-moi ici ma robe que j’avais hier… allez !
Oui madame.
J’ai hâte de quitter cette robe… pour choses tristes !
Scène IV
Ah ! voici monsieur !
Massenay, descendant à demi en scène ; il a son chapeau sur la tête et paraît d’humeur massacrante. Apercevant sa femme, il la regarde par-dessus son épaule puis d’un ton sec. Ah ?… enfin !… (À Étienne lui tendant son chapeau.) vous m’apporterez un peu de viande froide sur un plateau, Étienne !
Oui, monsieur.
Massenay, tout en retirant nerveusement ses gants — il descend vers Chanal comme s’il en appelait à lui et continue son mouvement en courbe de façon à ce que Francine reçoive la fin de son observation. Je n’ai pas encore déjeuné, moi, à l’heure qu’il est !
Eh bien, Massenay ! c’est comme ça qu’on me dit bonjour ?
Bonjour, Chanal. (Revenant à ses moutons.) Je ne sais pas si c’était ainsi de ton temps, mon cher ? mais voilà à quelle heure on peut se mettre à table, avec madame !
Tu n’avais qu’à te mettre à table sans moi.
On n’est pas marié pour prendre ses repas chacun de son côté !
En tout cas, si tu avais été là, il y a assez longtemps que je suis rentrée.
C’est faux ! il y a un quart d’heure ; le concierge me l’a dit.
Ah ! si tu interroges le concierge !
Enfin, où as-tu été ?
Demande au concierge.
Francine !
Quoi ?
Oh !
Allons ! Allons !… Allons, mes enfants ! (se levant.) Vous n’allez pas choisir le jour où je viens, pour vous disputer !
Oh ! il ne choisit pas !
Tu vas me dire, comme toujours, que tu as déjeuné chez ta mère ? (Francine qui a continué de descendre entre la table et la cheminée, hausse les épaules.) Eh ! bien, non ! car je viens, moi, de chez ta mère ! J’ai voulu en avoir le cœur net… et tu n’y as pas déjeuné depuis samedi.
C’est pour m’apprendre ça que tu es sorti ? Tu pouvais aussi bien rester chez toi… Je te ferai remarquer que j’ai déjeuné tous les jours ici ; comme j’ai l’habitude de ne déjeuner qu’une fois… !
Oui, oh !…
Quant à aujourd’hui : voilà un plateau qui m’attend ; si tu avais pris la peine de regarder avant de parler… !
Bon, soit ! C’est possible ! déjeuner ou pas déjeuner, cela importe peu dans l’espèce. Tout ça ne m’explique pas ce que tu peux faire dehors tous les jours jusqu’à des heures indues ?
Oh !
Écoutez, mes enfants !…
Non, pardon !
Je vais chez mon amant, là ! Es-tu content ?
Je commence à le croire.
Quoi ?
Après tout, ce ne serait pas le premier.
Qu’est-ce que tu dis ?
Parfaitement !
Oh !
Moi ? moi, j’ai eu des amants ?
Oui, toi !
Qui ? qui ? nomme m’en un !
Mais… moi !
Oh !
- Elle gagne nerveusement l’extrême gauche, suivie de Chanal qui s’efforce à la calmer.
C’est lui ! lui qui me le reproche !
Il ne s’agit pas de rep… (L’arrivée d’Étienne qui entre avec un plateau servi, lui coupe la parole. — Silence général mais on sent tout le monde tendu. Massenay, les deux mains derrière le dos, arpente la scène jusqu’au fond puis redescend. — Apercevant Étienne pivotant à droite puis à gauche, pour trouver une table où poser son plateau, — avec humeur.) Eh ! bien, c’est fini ! Quand vous aurez fini de valser… posez ça là !
Oui, monsieur. (Sans se rendre compte qu’il est de trop, et que Massenay bout littéralement, il met bien tranquillement de l’ordre sur le plateau, puis :) J’ai mis du sel, de la moutarde…
Bon, bon ! ça va bien !…
Oui, monsieur.
Massenay, qui est remonté derrière Étienne avec des envies de le pousser dehors, redescendant vivement dès qu’il est hors de vue, — reprenant sur le diapason qu’il a quitté. … Il ne s’agit pas de reproches ! Mais je dis que ce que tu as fait pour moi, tu as bien pu le faire pour d’autres.
Voilà ! voilà ! tu l’entends !
Massenay, comment peux-tu… !
Oh ! mon ami, c’est très joli de le faire au beau sentiment ! mais n’empêche qu’on raisonne !… qu’on se dit qu’on n’est pas mieux qu’un autre… et que si une femme a pu une fois… !
Oh !
Parfaitement ! et surtout quand on la voit sortir tous les jours…
Tu sais, mon ami, c’était déjà comme ça de mon temps, alors… !
Ah ! ah ! Elle est bien bonne ! Si tu crois me tranquilliser en me disant cela !… on sait ce qui se passait pendant ce temps-là, n’est-ce pas ? Je peux en parler ; et tu ne t’en doutais pas !… Eh bien, qui me dit qu’il ne s’en passe pas autant sans que je m’en doute ?… Ce n’est pas elle qui viendra me le raconter, bien sûr !
Oh !… (Allant jusqu’à Chanal qui tient le milieu de la scène.) Et voilà comme il me récompense de tout ce que j’ai fait pour lui ! (L’avant-bras gauche sur l’épaule de Chanal.) Quand je pense que j’étais la femme d’un honnête homme, (Du revers de la main droite elle frappe sur la poitrine de Chanal pour l’indiquer.) que pour cet être, j’ai foulé aux pieds le bonheur de cet honnête homme ! (Nouvelle tape dans l’estomac de Chanal.) Je l’ai trompé ! (Id.) Oui, oui ! (Id.) trompé !
Ecoutez, si on ne parlait pas de moi !
Et pourquoi l’as-tu trompé ?
Pourquoi ? Parce que je t’aimais.
Tu m’aimais ?
Oui, je t’aimais !
Oh ! tu m’aimais ! (À Chanal lui indiquant sa femme avec un nouveau haussement d’épaules.) Elle m’aimait !
Oh ! que je goûte peu cette conversation !
Francine, qui dans le même état de nerfs que Massenay a arpenté jusqu’à l’extrême gauche, pivotant pour remonter d’un pas saccadé jusqu’au fond, tandis que son mari, assis sur le tabouret, tournant le dos à sa femme, le coude gauche sur la table et la tête dans sa main, l’écoute les yeux au plafond, la jambe droite agitée d’un mouvement nerveux. Malheureusement je t’aimais ! Je le paye assez cher aujourd’hui. (Descendant entre la cheminée et la table et prenant cette dernière comme tribune.) Le grand tort que nous avons nous autres femmes, c’est, pour amant, de chercher toujours un homme que nous aimons ; alors que la vérité serait d’en chercher un qui nous aime !
Ou de n’en pas chercher du tout.
Ce n’est pas toi que j’aurais dû choisir, c’est Coustouillu ! Coustouillu qui m’aimait ! (En appelant à Chanal.) n’est-ce pas ? (Moue de Chanal.) Qui se rongeait pour moi, lui ! et qui ne m’aurait jamais reproché… lui !… Oh ! non !
Mais va donc le chercher, ton Coustouillu ! mais il est encore temps ! Il est toujours là, tu sais ! tu peux le prendre !
Francine, comme si elle allait sauter à la figure de Massenay, fonçant sur le fauteuil de Chanal et écrasant les épaules de ce dernier sous sa poitrine pour défier son mari de plus près. D’abord, mets-toi bien en tête que je le prendrai si je veux !
Tu l’entends, hein ? Tu l’entends, ta femme !
Oui, et puis, tiens ! je te préviens charitablement : tu joues là un jeu dangereux, mon ami ! (Massenay hausse les épaules, se lève et gagne la gauche avec un air persifleur. Mais Francine qui ne lâche pas prise ainsi, fait par en dessus, le tour de la table pour redescendre aussitôt vers son mari.) À force de corner sans cesse aux oreilles d’une femme qu’elle doit avoir un amant, il arrive qu’elle finit par se familiariser avec cette idée. Et prends garde, quand une femme a ça dans la tête !…
Mais dis donc : « quand elle a ça dans le sang ! »
C’est pour moi que tu dis ça ?
Oui, c’est pour toi ! oui, c’est pour toi !… Courtisane !
Quoi ?
Ah ! (Du plat de la main il donne un violent coup sur la table, traverse la scène en quatre massives enjambées et, arrivé à Massenay, d’un coup sec de la main droite il ramène le revers droit de sa jaquette, de la main gauche le revers gauche, se boutonne d’un air de défi, puis.) En voilà assez !
Massenay, qui sur le coup de poing donné sur la table par Chanal, prévoyant l’altercation, a fait quelques pas vers la droite de façon à se trouver au moment de la provocation près et à droite du piano, toisant Chanal. Quoi ?
Je ne permettrai pas qu’on parle à ma… (Se reprenant.) à ta femme comme ça devant moi.
Oh ! mais pardon, mon petit, hein ? Tant qu’elle a été ta femme et qu’elle a eu des amants, je ne m’en suis pas mêlé.
Comment des amants ?
Je n’en ai eu qu’un.
Qu’un !
C’est un de trop !
Oh !
En tout cas, je t’en prie, maintenant, laisse-moi diriger mon ménage comme je l’entends.
Chanal, obsédé par cette discussion, remonte jusqu’au fond, en se prenant la tête dans les deux mains ; puis, de là, après un gros soupir, avec énergie. Voyons, mes enfants, je vous en supplie !
Ah ! Et puis tiens, tu as raison ! je ne sais pas pourquoi je m’abaisse à discuter !
Mais oui, comment donc !
Comme si vous ne feriez pas mieux de déjeuner !
Absolument !
De manger votre viande, là… tant qu’elle est froide.
C’est vrai ça !… Quand je me serai rendue malade… !
Ce sera une occasion pour dire que c’est de ma faute.
Allons, voyons ! As-tu fini, toi ?
Moi ? Mais qu’est-ce que je fais ? Est-ce que j’ai dit quelque chose ?
Non ! c’est le chat !
C’est elle qui tout de suite s’emporte parce que je me suis permis de demander timidement…
Oh ! timidement !
Si on ne peut plus poser une question maintenant… !
Ah ! mes enfants ! Mes enfants !… Quand on pense que la vie est si courte, et que vous vous la gâchez à plaisir !… (Tous deux, la fourchette d’une main, le couteau de l’autre, lèvent les bras et les yeux au ciel.) Et tout ça pour rien ! (Geste de protestation de part et d’autre ; Chanal répétant avec énergie.) Pour rien ! Si vous pouviez prendre l’habitude de vous expliquer simplement, au lieu de partir tout de suite en guerre…
Ah ! combien de fois je l’ai dit !
Mais à commencer par toi ! (Changeant de ton.) Si tu lui avais demandé simplement : « où as-tu été ? »
C’est ce que j’ai dit : « Où as-tu été ? »
Oh ! pardon ! tu as dit : (Ton bourru.) « Où as-tu été ? » Tandis que si tu avais dit : (Voix sucrée.) Où as-tu été, ma chérie pour rentrer déjeuner, (Appuyant sur le trois.) à trois heures de l’après-midi ?… » Elle t’aurait répondu : « Mon chéri !… » Là, comme deux amours — « J’ai été à l’enterrement des Duchaumel. »
L’en… l’enterrement des Duchaumel ?
Mais oui.
C’était aujourd’hui ?
Mais dame !
Diable ! Je l’ai complètement oublié !
Ha !
Tu… tu m’as inscrit ?
Naturellement, je t’ai inscrit !
C’est bête, ça !…
Eh bien, tu vois… hein ? (Allant à lui et le prenant par la manche de son veston.) Allons, lève-toi !
Comment !
Allons ! Allons !
Mais je n’ai pas fini !
Allez hop ! (Massenay, tout en ronchonnant, obéit ; Chanal pose le plateau sur le piano, puis revenant à Massenay.) Et maintenant vous allez faire la paix.
Ah ! non !
Veux-tu bien ! (Bon gré mal gré, il entraîne Massenay qui a conservé sa serviette dans la main gauche, jusqu’à proximité du canapé ; là, il le lâche pour aller chercher Francine — À Francine.) À toi, maintenant ! (Francine fait un peu de résistance, tout en maugréant la bouche pleine.) Allons, voyons !
Oui, oh ! mais je l’en préviens : un jour ou l’autre ça lui jouera un mauvais tour.
Allons ! fini, hein ? (Il leur met la main dans la main.) Là ! (Les rapprochant l’un de l’autre en les prenant simultanément par la nuque.) Embrassez-vous !
Quand il m’aura poussée à quelque coup de tête, il sera bien avancé !
Là, tu l’entends !
Je le regretterai peut-être après, mais il sera trop tard.
Allons, allons !
Massenay, tout en ronchonnant, enfonçant nerveusement sa serviette qu’il prend pour un mouchoir, dans la poche ad hoc de sa jaquette. Oui, oh ! mais je suis prévenu : j’aurai l’œil.
Oui, oh ! « tu auras l’œil » : juste assez pour n’y voir que du feu !… comme tous les maris ! Il n’y a qu’à voir quand ça arrive : c’est toujours celui-là qu’ils soupçonnent le moins… (Touchant Chanal pour en appeler à lui.) N’est-ce pas, Alcide ?
Oh ! non, je vous en prie, laissez-moi en dehors !
Ah ! la, la, la, la !
Oh ! oui ! Ah ! la, la, la, la.
Scène V.
Qu’est-ce qu’il y a, Madeleine ?
C’est la robe que Madame m’a demandée !
Ah !
Elle n’était pas dans l’armoire, Marie l’avait mise à la lingerie pour la brosser.
Comment, ta robe ? Tu ne vas pas t’habiller ici, je suppose ?
Pourquoi pas ? Il n’y a personne.
Comment, « personne » ? Eh bien, et lui ?
Oh ! lui, il me connaît !
Je ne compte pas, moi.
Tu ne comptes pas ! Tu ne comptes pas !
Monsieur a été assez longtemps le mari de madame !
Ah ! je ne vous demande pas votre avis, à vous !
Ça n’a aucune importance. Allez !
C’est bien ! C’est très bien ! Si tu trouves que c’est convenable !
Tu es jaloux de moi ?
Du tout ! du tout !… Je trouve seulement que dans le salon… ! Enfin, ça va bien, n’en parlons plus ! (Il arpente la scène au fond de long en large, jetant de temps en temps des regards rageurs sur les trois personnages qui ne font pas plus attention à lui que s’il n’existait pas. Madeleine au n°(1), près du piano, aide Francine à se dévêtir. Celle-ci (2), retire tranquillement sa jupe que Madeleine va porter sur le canapé où elle prendra en échange la nouvelle jupe. — Chanal planté toujours à la même place considère cet habillage en badaud et sans la moindre malice. Mais cela suffit à exaspérer Massenay ; une ou deux fois il semble près d’intervenir mais il se retient. Enfin n’y tenant plus, il fait en lui-même : « oh ! non, non ! » puis prenant un brusque parti, il descend au (4)derrière Chanal, le prend par les deux épaules et lui fait faire demi-tour sur place ; cependant ne voulant pas que son acte puisse être mis sur le compte de la jalousie, il prend un air dégagé tandis que Chanal interloqué roule des yeux ahuris.) Et à part ça, mon cher Chanal… ?
— À part, avec un sourire ironique.
Ah ?… bon !
Quoi de neuf ?
Gros malin, va ! (Haut.) Mais… rien !
Ahâ ? (Chanal n’ayant rien d’autre à dire tourne la tête du côté de Francine ; Massenay qui a passé son bras sur l’épaule de Chanal, de façon à ouvrir la main en regard de son cou, lui retourne vivement la tête de son côté d’une pression brusque de la main contre la nuque.) Y a… y a longtemps qu’on ne s’est vu.
Un an !
Eh ! oui ! (Chanal tourne de nouveau la tête, Massenay la lui tourne de la même façon.) Un an !… Moi aussi.
Naturellement.
Naturellement, oui, oui !
Ah ! non je t’en prie, écoute ! laisse ma tête tranquille !
Oh ! pardon.
C’est vrai, ça !
Là, agrafez-moi, Madeleine.
C’est que j’ai peur, madame ; les doigts d’une cuisinière, c’est toujours un peu gras. (À Massenay.) Si monsieur voulait…
Moi ? (À Chanal afin qu’il ne se retourne pas.) Bouge pas !
Oh ! non, lui, il est trop maladroit !
Ah ! bon !… bien, bien !
Tiens, Alcide, veux-tu… ?
Moi ? volontiers.
Oh ! non, non… ! (Il se précipite sur Chanal qu’il fait pirouetter et passer au 4.) Allons ! en voilà assez !
Hein !
Ah ! ça, tu deviens fou ?
Allez ! allez ! mets ton caraco !
Ah ! mais à la fin…!
Allez ! Allez !
Et vous, allez, filez ! emportez tout ça et qu’on ne vous voie plus !
Madeleine, détalant prudemment en emportant les effets retirés par Francine.}} Oui, monsieur, oui !
Ah ! nous allons voir si on va se moquer longtemps de moi ici !
En tous cas, tu fais bien tout ce qu’il faut pour ça.
C’est possible ! Mais je t’ai épousée et tu m’obéiras !
Prends garde ! ne me pousse pas à bout !
Parce que ?
Parce que j’en ai assez ! j’en ai assez ! j’en ai assez !
Oh ! moi aussi, j’en ai assez !
Ah ! C’est comme ça ! Eh ! bien c’est toi qui l’auras voulu !
Oui ! je connais le refrain : tu prendras un amant ! Eh ! bien prends-le donc cet amant, puisque tu en meurs d’envie ! Prends-le une bonne fois et que je te pince ! c’est tout ce que je demande !
C’est bien, tu n’auras pas à me le dire deux fois.
À ton aise !
Mais tu es fou ! On ne défie pas une femme !
Fiche-moi la paix !
Oh !… Mais quel bâton de poulailler !… (Entrant dans le cabinet.) Massenay !… voyons ! Massenay !
Oh ! non, il n’aura pas à me le dire deux fois !… l’imbécile ! l’imbécile ! l’imbécile !
Voici justement madame, monsieur !
Scène VI.
Coustouillu ! Ah ! c’est le ciel qui l’envoie !
Oh ! oh ! Mad… euh !… non… Je… euh ! pardon !
Venez, vous ! j’ai à vous parler.
Hein ? Moi euh… je… quoi ?…
Vous m’aimez, n’est-ce pas ?
Hein ! moi ?… non, non !
Comment, « non, non » ?
Hein ! Euh ! oui ! non ! Je ne sais pas !
C’est bien ! je suis à vous ! faites de moi ce qu’il vous plaira.
Qu’est-ce que vous dites ?
Allez ! Allez ! c’est le moment psychologique : profitez-en !
Eh bien ! quoi donc ? (Pivotant sur les genoux de Coustouillu et le voyant dans cet état.) Ah ! non, mon ami, non ! vous n’allez pas vous trouver mal ? ce n’est pas le moment !
Non… non… Ah ! Francine… Francine ! est-ce possible !
Mais oui ! mais oui !
Ah !
C’est ça ! Allez ! Allez !
Oui.
Allez, allez, c’est ça !
On a sonné ! vite, venez !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Du monde ! venez par là ! nous avons à causer !
Oui ! oui, ah ! Francine. (Dans son emballement, il ne regarde pas où il marche et ses pieds vont rencontrer une chaise qu’il renverse.) Oh !
Mais venez donc voyons ! vous ramasserez cette chaise plus tard !
Oui ! oui ! Ah ! Francine ! Francine !
Viens, toi ! Viens !
Mais quoi ? Quoi ?
Quand je te disais tout à l’heure qu’on ne défie pas une femme !
Oh ! non, mon ami, non je t’en prie ! Si c’est pour me reparler de ma femme… !
Mais voyons !…
Non !… non !
Oh !
Eh ! le voilà !
Belgence !… Ah ! mon ami, entre ! Entre !
Enfin, Massenay, je t’en conjure… !
Oh ! non, mon ami, non ! Tu vois, j’ai un ami à recevoir, ainsi… !
Mais sapristi, quand je te répète que ta femme… !
Oui ? Eh ! bien, je m’en fiche, de ma femme, je te dis ! J’en ai assez ! j’en ai par-dessus la tête !
Mais justement ! Il s’agit de ta tête !
Eh bien, tant mieux ! ne t’occupe pas de ma tête ! et va par là.
Oh !
Massenay, allant à Belgence les mains tendues, et tout en parlant, le ramenant ainsi, les mains dans les mains, en marchant à reculons jusque devant la table de droite, de façon à ce que Belgence vienne s’asseoir sur le tabouret et Massenay sur le fauteuil. Ah ! mon bon Belgence ! Tu m’apparais comme le rayon de soleil ! Mais qu’est-ce que tu es devenu, depuis un an ? M’as-tu assez lâché !
Bien, tu sais, dans la vie… !
Et ma première femme, tu la vois toujours ? Qu’est-ce qu’elle devient ?
Eh bien, mais… !
Massenay, d’affilée et comme un homme qui a tant de choses à dire qu’il ne sait par quel bout commencer, passant d’une idée à l’autre, sans se donner presque le temps de respirer. Ah ! quelle boulette j’ai fait de la quitter ! car enfin nous étions si heureux ! Ah ! Quelle différence jadis et aujourd’hui !… et elle aussi, tu sais, elle a fait une boulette ! elle est bien avancée maintenant, seule dans la vie ! Enfin, ne parlons pas de tout ça ! Le passé est le passé… tout ce que nous dirons ou rien… ! (Sur un tout autre ton.) et qu’est-ce qui t’amène ?
Eh ! bien, voilà : justement, je venais t’annoncer… j’ai l’intention de me marier.
Oh ! mon ami, prends garde !… tu ne sais pas à quel danger tu t’exposes !… si tu tombes mal !… regarde, moi !
Oh ! Mais je ne tombe pas mal.
Oui ! Oh ! ça, mon pauvre vieux, on croit toujours… avant ; et puis quand une fois ça y est !… Connais-tu seulement bien la femme que tu épouses ?
Oh ! oui !
Oho !
Je t’assure !… C’est ta femme !
Hein !
Sophie, ta première femme !
Tu veux épouser ma femme, toi ?
Mais oui, quoi ?
Ah ! ça tu es fou ! et c’est pour m’apprendre ça que tu viens ici ? Mais qu’est-ce qu’il te faut encore ? Tu ne veux pas que je te serve de garçon d’honneur ? Désolé, mon cher, j’ai passé l’âge !
Mais qu’est-ce que tu as ? On dirait que ça te vexe ?
Moi ?… Moi, vexé !
Mais oui !… Tu ne peux cependant pas exiger de Sophie qu’elle se voue éternellement au célibat ?
Mais allez ! allez ! Mariez-vous. Je m’en fiche, moi ! Qu’est-ce que ça me fait ? Vous êtes libres !
Bien oui, je sais bien !… seulement, c’est Sophie… elle a tenu absolument à ce que je vienne te demander ton consentement.
Comment, mon consentement ?
Oui.
Ah ! ça, est-ce qu’elle perd la tête ? Est-ce que je suis son père ? Est-ce que je suis sa mère ? Est-ce que ça me regarde ?
C’est ce que je lui ai dit ; mais c’est sa condition sine qua non.
Sa condition… !
Bien oui, n’est-ce pas ? Comme nous sommes liés tous les deux, elle ne veut pas avoir l’air de t’enlever tes amis.
Non, c’est extraordinaire !
Voyons, ça t’est égal… ! du moment qu’elle n’est plus à toi… que ce soit moi ou un autre ?…
Soit, c’est entendu, là ! Je t’enverrai un papier ! je te donnerai un certificat.
Ah ! c’est ça !… Je vais aller lui dire ça tout de suite ; elle m’attend, en bas, dans une voiture.
Ah ?… (Sur un ton qu’il s’efforce de rendre plus indifférent, en voyant que Belgence s’est retourné à son « ah ».) Ah ! elle est… ?
Oui ! pour ne pas perdre de temps n’est-ce pas… ? Oh ! si au lieu d’écrire… ça ne t’ennuyait pas de descendre deux étages… !
Moi ? Ah ! non, par exemple ! pourquoi donc ? est-ce qu’elle est montée, elle ?
Oh !… elle n’aurait pas osé…
Pourquoi donc ?
Mais… à cause de ta femme.
Francine ? Ah ! ben !… non, mais est-ce qu’elle se gêne, elle, pour m’amener ses maris ?… (Indiquant de la main le cabinet de travail.) J’en ai un ici, tiens, en ce moment.
Ah ? Alors, ça n’aurait pas… ?
Mais, voyons ! quand vous venez en fiancés !
Oh ! si j’avais su…
Écoute, si ça peut t’obliger : veux-tu que je lui fasse demander de ta part… ?
Oh ! ce serait gentil !
Mais voyons ! c’est facile !
C’est tout à fait gentil ! (Le faisant descendre et sur un ton confidentiel.) Et puis, dis donc, écoute : quand elle sera là, si, sans avoir l’air de rien, tu pouvais un peu me faire valoir… citer mes qualités… j’en ai, tu sais !
Ah ? Lesquelles ?
Oh ! t’es rosse !… Tu comprends, c’est des choses que je ne peux pas faire moi-même ; tandis que venant de toi, ça aurait tout de suite un poids… !
Bon, bon, je ferai valoir la marchandise.
Scène VII
Monsieur a sonné ?
Oui… téléphonez au concierge qu’il y a en bas une dame dans une voiture : qu’il la prie de la part de M. Belgence d’avoir la complaisance de monter.
Bien, Monsieur.
Pardon… !
Oh ! non, mon ami, non ! si c’est encore pour me parler de ma femme !
Eh ! non, puisque tu ne veux pas. (Levant la main comme les écoliers.) Un mot… rien qu’un mot !
Eh bien, quoi ? Dis vite.
Eh bien, voilà…
Ah ! (Présentant Chanal (3) à Belgence (1).) M. Chanal !… l’ancien mari de ma femme.
Monsieur !
M. Belgence !… le futur mari de la mienne.
Je vous félicite.
Moi de même.
Et maintenant, quoi ? Qu’est-ce que tu voulais ?
Peu de chose : Je suis là tout seul…
Eh bien, prends un journal ! lis !
C’est ce que je fais, mais quand je lis, j’aime bien fumer… tu n’as rien par là ?… J’ai oublié mes cigarettes…
Mais tu sais bien que je ne fume pas !… Ah ! attends ! dans la crédence, tu sais ! il doit y avoir encore des cigares… même qui viennent de toi.
Ah ! parfait ! merci ! ne vous dérangez pas ! (À Belgence.) Monsieur, tous mes vœux !
Tous mes compliments !
Je te demande pardon, mon cher Belgence…
Comment, c’est moi, au contraire !… (Lui mettant une main sur l’épaule, et de l’autre main lui serrant la main.) Tu sais, je suis profondément touché.
Mais voyons…
Si, si ! je sens bien l’effort que tu t’imposes pour me rendre service ! (Quittant Massenay et descendant un peu.) Car enfin, tu en veux toujours à Sophie.
Moi ? Oh !
Si, si… Et sincèrement ce n’est pas juste… Au fond, Sophie a toujours eu pour toi beaucoup d’affection.
Elle ne l’a pas prouvé.
Bien oui ! on fait souvent des choses dans la vie… ! Tu sais, elle était bien jeune… et puis, on donne un tas d’idées fausses aux jeunes filles dans les familles : on leur parle de la fidélité conjugale… alors, elles s’imaginent que c’est fait pour le mari.
C’est absurde !
Absurde ! (Se levant.) En tout cas, je puis te certifier une chose… c’est que bien des fois elle a regretté devant moi d’avoir été aussi intransigeante avec toi.
Ah !… Oui ?
Bien des fois !
Non, c’est vrai ?
Oui-oui !
Scène VIII.
C’est ici, madame !
Ah !
Vous ! C’est vous !
Le concierge m’a dit…
Oh ! dites-moi ! dites-moi ! est-ce vrai ce que me dit Belgence ? Que vous regrettez… ! que si ç’avait été aujourd’hui… !
Quoi ? Quoi ? De quoi me parlez-vous ?
Belgence… Belgence vient de m’affirmer…
Oui, c’est moi. Je sentais que Massenay avait conservé de l’animosité contre vous… alors, j’ai pensé… je lui ai dit combien souvent vous aviez regretté devant moi votre sévérité d’autrefois.
Hein ?… Mais pourquoi avez-vous dit… ?
Est-ce vrai, voyons ?… Est-ce vrai ?
Mais je ne sais pas !… En tous cas, je ne l’avais pas chargé… !
Oh ! mais alors, pourquoi avez-vous fait ce que vous avez fait ? Pourquoi avoir été si inflexible ?
Hein ?
Pourquoi !
Oui, pourquoi ? Car enfin, est-ce que je méritais tant de rigueur ?… Pour une folie d’un moment ! pour rien !… et cela sans vous demander si je n’allais pas être très malheureux.
Eh ! là, Massenay ! Eh ! là !
Chut ! assez toi ! (À Sophie.) Car enfin vous saviez que je vous aimais.
Oh !
Oh ! vous m’aimiez !
Oui, je vous aimais ! (Nouveau sourire d’incrédulité de la part de Sophie.) Oui, je t’aimais !
Ah ! mais dis donc ! mais je suis là, moi.
Mais tais-toi donc, toi !
Ah ! mais… !
Tu m’aimais ! pas assez pour t’empêcher de chercher des diversions ailleurs.
Eh ! qu’est-ce que ça prouve ?
Oh ! naturellement, pour vous autres hommes, ça ne prouve jamais rien ! Moi, oui ! moi je t’aimais !
Oh !
Pas si profondément, puisque tu as su t’en guérir.
Moi ?
Eh ! oui, puisque ça ne t’empêche pas d’épouser Belgence.
Ah ! mais à la fin.
Belgence ! Mais qu’est-ce que ça prouve ?… Il le sait bien Belgence !… J’ai beaucoup d’affection pour lui, mais… je ne l’aime pas.
C’est vrai ! (Avec une superbe conviction.) Mais alors, tu n’as pas le droit de l’épouser !
Comment, « elle n’a pas le droit » ?
Non, elle n’a pas le droit !
Oh ! mais dis donc, ça n’est pas pour lui dire ça que je t’ai prié de la faire monter !
Ça m’est égal ! (Avec une éloquence persuasive.) En ce moment, c’est ton bonheur que je défends.
Tu appelles ça mon bonheur ?
Oui, ton bonheur !… Et c’est même une chance pour toi que cette explication ait eu lieu aujourd’hui ! (Passant au (2) et allant serrer Sophie contre sa poitrine.) Ça nous a permis de voir que nous nous aimons toujours.
Oh !
Émile !
Oui, nous nous aimons toujours. Et tu sais, quand deux êtres s’aiment, fatalement un jour les rejette dans les bras l’un de l’autre ! et pouvons-nous faire cette peine à un ami comme toi ?
Mais…
Tais-toi !… Évidemment, tu vas être très malheureux !
Oui…
Mais oui ! mais oui ! (Changeant de ton.) Mais nous te devons ça ! (Sur un ton sentencieux.) Mieux vaut te savoir malheureux une bonne fois tout de suite, que de t’exposer à le devenir plus tard.
Non, pardon, mon cher…
Oh ! parbleu ! s’il ne s’agissait que de me sacrifier pour toi, ce serait un plaisir. Mais nous n’avons pas le droit de ne penser qu’à nous ! Nous devons penser, elle à moi ! moi à elle ! Nous n’avons pas le droit d’être égoïstes.
Oh !
N’est-ce pas, ma Sophie ?
Ah ! Émile, pourquoi n’es-tu pas libre !
Oh ! Mais je me ferai libre ! Je t’aime, tu m’aimes, nous nous aimons : je divorce et nous nous remarions.
Ah ! mon Émile !
Ah ! non ! non ! non !
Vous dites ?
Je dis non… non, j’aime mieux m’en aller.
Oh ! mais allez-vous en, mon ami !
Oui.
Personne ne t’a demandé de venir.
Ah ! si j’avais su… !
Ah ! bien merci ?… Je ne vous soupçonnais pas ce caractère.
Comment ?
Autoritaire, jaloux… ? Ah ! bien !… non mais regardez Émile, est-ce qu’il est jaloux, lui ?
Moi ?… Ah ! ben… !
Un mari jaloux ! ah ! non, merci !
Mais enfin, tu me prends ma femme !
Ah ! non, tu es superbe ! Mais c’est toi qui me prends ma femme… et non pas moi qui te prends la tienne. J’étais son mari avant toi !
Absolument.
Quand je pense que tout à l’heure je me dévouais pour son bonheur ! maintenant qu’il s’agit du nôtre, monsieur pense à lui !
Oh ! moi qui vous croyais tant de qualités !
Je vous demande pardon.
Oh ! je ne vous en veux pas : c’est votre caractère !… Seulement je suis heureuse d’avoir appris à vous connaître… (Changeant de ton.) Allons, au revoir, Émile !
Au revoir, Sophie !… À bientôt ?
Oui. (Elle remonte puis se retournant, d’un ton hautain à Belgence.) Vous me reconduisez ?
Ah ?… Je peux tout de même… ?
Mais oui, vous êtes toujours… notre ami.
Ah ? bon…
Allons, au revoir, toi.
Ah !… non !
Non ?… Eh ! mon vieux… à ton aise.
Ah ! non, tu sais… ! tu aurais mieux fait de me dire cela tout de suite !
Ingrat ! (Courant au cabinet où est Chanal et appelant.) Chanal ! Chanal !
Scène IX
Quoi ?
Ah ! mon ami, tu vois un homme éperdument amoureux de sa femme !
De Francine ?
Eh ! non, pas de Francine ! Qu’est-ce que tu me chantes avec Francine ? (Avec ardeur.) Non, de Sophie, de ma première femme !
Hein ?
Ah ! non, merci, Francine ! celle-là, quand je pourrai divorcer… !
Ah ! bien, du train dont vont les choses… !
Quoi, « du train » quel train ?
Quel train ? (Le prenant par la main et le faisant descendre.) Pas plus tard qu’il y a dix minutes, ta femme… là !… avec Coustouillu !
Ah ! là !… Qu’est-ce que tu chantes ? « Coustouillu » ?
Parfaitement ! Il l’étreignait dans ses bras, il la couvrait de baisers.
Coustouillu ? (Riant.) Ah ! tiens tu me fais rire.
Oui, ris, ris, nous verrons bien.
Ah ! et puis tant mieux, après tout, si cela est ! Qu’est-ce que je cherche ? Le divorce : Eh bien, comme ça, ça fera le bonheur de tout le monde. Francine regrettait son Coustouillu, elle pourra l’épouser. (Avec amour.) Et moi, je répouse ma femme.
Hein !… mais tu n’en as pas le droit.
Parce que ?
Eh bien, tant pis pour la loi, si la loi le défend ! C’est elle qui commet une monstruosité en empêchant deux égarés d’un moment de réparer leur erreur ! Au-dessus des lois sociales, il y a les lois de la nature ! et foin de ceux qui s’en choqueront ! nous nous aimerons quand même ! nous serons des époux illégitimes, et voilà tout ! (Apercevant Francine qui arrive de gauche, à mi-voix à Chanal.) Oh ! ma femme ! chut !
Scène X
Eh ! bien, voilà !… j’ai choisi un amant !
Ah ?
Tu as fait tout ce qu’il fallait pour ça ; tu m’as bien poussée à bout… tu n’auras à t’en prendre qu’à toi-même ! Demain, ce sera chose accomplie.
Ah ? c’est demain ?… Tu es bien aimable de me prévenir.
Oui, tu n’en crois pas un mot.
Mais si… mais si !…
Et pourtant, c’est l’exacte vérité !…
Parfait ! Parfait ! Et… quel est celui qui ?
Oh ! Ça c’est mon secret ! Tu ne penses pas que je vais aller te le dire !
Oh ! pardon ! pardon !
Parbleu ! C’est bien ça : c’est Coustouillu !
Ah ! ouat, Coustouillu !
Bien ! bien ! N’empêche que si tu le voyais entrer ne bafouillant plus… et parlant comme tout le monde… !
Monsieur Coustouillu !
Allez, Étienne ! inutile de m’annoncer. (Sans transition tout en descendant vers Massenay et Chanal qui coude à coude l’un contre l’autre le regardent bouche bée.) Bonjour, mon cher Massenay ! Comment ça va aujourd’hui ? Quel temps, hein ! Un soleil radieux ! Je passais devant tes fenêtres, je me suis dit : « Je vais monter lui serrer la main ! » Tu as bonne mine tu sais ! C’est vrai, il a bonne mine.
Il parle !
Tiens, Chanal !… Ah ! bien !… un revenant alors !
Tu parles !
Coustouillu, allant à Francine qui, ayant fait le tour du piano pendant ce qui précède, est redescendue peu à peu à l’angle droit du piano et du canapé. Quant à vous, madame, je vous gardais pour la bonne bouche : la dernière !… Vous allez bien depuis hier ?
Mais faites donc attention, voyons ! vous ne bafouillez plus !…
Ah ! oui ! (Haut et essayant maladroitement de bafouiller.) Hein ? euh ! je… je… parce que le le…
Oui, oui, oui !
Alors, mon cher, euh… !
… Massenay !
Massenay… oui, euh !…
Et puis, je ne sais pas pourquoi tu te remets à bafouiller ? tout à l’heure, quand tu es entré, il semblait que tu étais guéri.
Hein ? euh !… Je vais te dire : depuis quelque temps, je suis un traitement pour ça, et ça va beaucoup mieux ; tiens, tu vois.
Oui, oui, oui !
Mon Dieu, les pauvres !
Mais ce n’est pas tout ça ! Voici ce qui m’amène : je voulais te faire part d’une idée que j’ai eue et savoir si elle t’agrée…
Vraiment ?… Et quoi donc ?
Eh bien voilà : je trouve qu’amis comme nous le sommes, nous demeurons bien loin les uns des autres…
Hein ?
Tu as un entresol à louer… Qu’est-ce que tu dirais de m’avoir pour locataire ?
Toi ?
L’imprudent !
Mais à la bonne heure ! Toi ! Toi ! mais je crois bien ! un ami comme toi ! Parle-moi de ça !
Brave ami !
Non, quel rôle joue-je, mon Dieu ? Quel rôle joue-je ?
Quand veux-tu ça ?
Mais tout de suite… j’emménage demain et je couche après demain.
Et tu couches après demain !… Parfait, parfait !… (Affectant l’air contrarié.) Ah ! diable ! c’est qu’après-demain je ne serai pas là !… (Avec perfidie.) je passe toute la journée jusqu’au lendemain à Rouen.
Ah !
Mais au fait, tu n’as pas besoin de moi ! le concierge sera là pour t’installer.
Oui, oui, ne t’inquiète pas !
Je vais m’occuper de ça tout de suite.
Merci.
Ah ! le malheureux !
Mercredi soir alors ?
Soit !
Qu’est-ce que tu écris là ?
Tiens, lis !
C’est mon bail ?
Oui, oui ! c’est ton bail.
C’est mon bail.
« Monsieur le Procureur de la République !… »
Chut ! Tais-toi !
Mais qu’est-ce que tu comptes faire ?
Tu le demandes ? mais exactement ce que tu as fait pour moi.
Le flagrant délit ?
Ah ! mon cher, je suis de ton école : « le mariage est une partie de baccara… ? » (Désignant Coustouillu.) À lui les cartes ! la main passe !
La main passe ?
La main passe.
Ah !… non, non, ça n’est plus une main !… c’est une muscade !