Calmann-Lévy, éditeurs (p. 408-431).

XI


Tandis qu’on lui ôtait son manteau, Jacqueline regardait son mari qui devant une glace assurait sa cravate. Il avait l’air satisfait de soi et moqueur. Elle se souvint du soir où elle s’était trouvée avec Léonora, à cette même place, attendant sa voiture pour partir. Alors elle avait la tête pleine de folie parce que cet homme qui était là, si tranquille, aimait une autre femme ; elle était impatiente d’appuyer sa détresse sur le cœur vaillant de son amie, si chère et si sûre ; et l’amie, avait, elle aussi, un mensonge dans la pensée, un mauvais amour pour ce même homme, qui devait faire d’elle le jeu pervers qu’il venait de raconter.

Du dédain, de la colère, circulèrent dans tous les nerfs de Jacqueline et lui firent une figure méchante. Son énergie courbée se redressa, elle refoula le découragement que tant d’images désolantes accumulées depuis deux heures avaient amassé ; sa vitalité s’exaspéra un instant, elle se crut très forte.

Mais, en entrant dans le salon, l’atmosphère chaude, une pesante odeur d’azalées, la lumière, le bruit des voix, et surtout la vue des visages connus et le sentiment de la continuité indifférente des formes banales de la vie, attaquèrent sa sensibilité si durement qu’elle eut un spasme au cœur ; les choses tournèrent devant ses yeux, les bruits devinrent confus, elle pâlit au point que son rouge marqua sur sa figure comme une tache. Elle s’arrêta un instant, hallucinée par le souvenir, crut entendre la sonate de Franck jouée par Léonora et la voix d’Erik disant son lamentable amour ; puis elle se rappela qu’il faisait froid dehors, très froid, et que le vent devait souffler aigrement sur la tombe qu’on avait fermée le matin. Elle sentit qu’elle n’aurait pas la force de parler à tous ces gens, d’être pour eux la femme qu’elle était la veille ; elle voulut s’en retourner, aller ailleurs, n’importe où, céder librement à la syncope.

— Chère petite, que vous est-il arrivé ? Il est huit heures dix, nous mourons de faim ; on a déjà emporté du monde sur des brancards, les grouses seront calcinées… Avez-vous été tamponnée en route par un tramway ?

C’était madame d’Audichamp qui se précipitait sur elle, cordiale et fâchée.

Jacqueline répondit d’un ton vague, faisant des excuses ; elle entendait sa voix avec surprise ; était-ce elle qui disait tous ces mots vides de sens ? Allait-elle tomber sur le tapis, ou crier sa douleur de toute la force qui lui restait ; enseigner à ces gens qu’il y a plus de choses qu’ils n’en soupçonnent sous les cartonnages des décors parmi lesquels s’agite leur indifférence ?

On l’entourait. Barrois se plaignait de quelque chose, elle ne comprenait pas bien si c’était de n’avoir pas reçu de réponse à ses dernières lettres. Madame Steinweg la complimentait sur sa robe ; Roustan s’avançait, guindé, l’œil hésitant, disait des phrases qui n’aboutissaient point ; le général de Troisbras retenait un peu longtemps contre ses lèvres la main qu’elle lui avait tendue. Tout à coup le vague de sa pensée se dissipa, la sensation de syncope s’arrêta net, elle eut tout son sang au cerveau, se remit à comprendre et à voir ; Marken s’était approché et la saluait.

On annonça le dîner, elle prit son bras et marcha avec lui vers la salle à manger. Elle sentait, aboutissant contre son poignet en petites secousses, les coups profonds frappés par le cœur d’Étienne ; elle se rappelait cet après-midi où c’était contre ses genoux qu’avait ainsi battu ce cœur malade. Mais depuis… L’image de Léonora, sa figure adoucie par la défaite, et l’image d’Erik mort se substituèrent aux personnages gais et parés qui jouaient la comédie de s’asseoir autour de cette table avec l’air assuré de leur droit au bonheur. L’épuisement vital, un moment masqué d’espoir, reparut. Pourquoi était-elle là, puisqu’il n’y avait plus pour elle d’émotion heureuse qui valût de vivre ?

On parlait déjà de la pièce des Français.

— Oh ! moi, je déteste les thèses, dit quelqu’un.

— Mais ce n’est pas une thèse, voyons ! C’est un caractère, un type.

— Oui, je sais bien, on dit toujours ça lorsqu’il y a un personnage en scène tout le temps. Au théâtre, j’aime qu’on entre et qu’on sorte, et puis les moyens de séduction de ce don Juan… Vraiment… qui n’y résisterait ?…

— Mais, dit madame Steinweg d’un air entendu, les moyens qu’emploient les séducteurs n’ont d’importance qu’au début de leur carrière. Dès qu’ils sont installés dans la profession, ils n’ont qu’à paraître pour que les femmes leur tombent dans les bras parce qu’elles savent que beaucoup d’autres y sont déjà tombées.

— Oui, dit Barrois, c’est de l’automatisme par suggestion. Mais il ne faudrait pas généraliser et dire que les femmes préfèrent toujours les séducteurs professionnels à ceux qui ont des cœurs candides. Remarquez qu’elles s’acharnent à troubler les hommes parfaitement chastes — ça se trouve encore madame… à l’étranger, — et aussi qu’elles s’intéressent aux monstres, voire aux criminels… À vrai dire, ce qu’elles recherchent, c’est l’être d’exception.

— Certes, dit Marken d’un ton brusque, mais ce n’est pas l’exceptionnel pour lui-même qu’elles veulent ; la femme vraiment femme, comme l’homme fortement homme, n’a qu’une vraie passion : vaincre. Or on ne vainc que ceux qui ont en eux quelque force qui les distingue : la chasteté en est une, comme le don de séduction, et la monstruosité aussi, et non moins le pouvoir du crime.

— L’important, dit madame Steinweg c’est que les gens soient incompréhensibles. J’ai toujours vu que la seule condition de l’amour, c’était le malentendu. L’amour, voyons, ça ne vit que des crasses qu’on se fait mutuellement et du pardon qu’on s’accorde parce qu’on ne se comprend pas.

— Je crois que vous vous trompez, madame : c’est parce qu’on se comprend mieux, au contraire, que le mal qu’on s’est fait rapproche… On tient davantage aux êtres qu’on aime lorsqu’on a été blessé par eux ; les blessures donnent le sentiment juste de l’importance qu’a celui ou celle qui les fait. La souffrance est une lumière à laquelle nous lisons notre secret et celui d’autrui. Les grands sentiments ne prennent conscience d’eux-mêmes que dans la colère ou la douleur.

— C’est bien démodé, les grands sentiments, dit M. d’Audichamp.

— Je ne le pense pas, cher monsieur, riposta Marken. Cette époque-ci, au contraire, est merveilleusement passionnée ; et ce pays-ci, en particulier. Voyez quelle ardeur on apporte aux luttes politiques. Or, sachez-le, l’intérêt véhément pour la chose publique, la force de la haine, et le développement de cette sauvagerie qu’est l’esprit de parti, tout cela coïncide avec une puissance égale d’exaltation amoureuse. La sensibilité ne vibre pas sur un seul point. Être en violence à propos de quelque chose, c’est avoir de la violence prête pour tout, car tout se tient.

— Vous avez peut-être raison, dit Barrois ; en tout cas, la théorie est tonifiante.

— Ce n’est pas une théorie, reprit Marken en s’animant. Regardez et écoutez autour de vous, cela vaut la peine, et les signes sont multiples de la violence universelle qui cherche ses routes. Les grèves, les revendications, les colères, toutes ces déclamations qui promettent le bonheur pour demain, l’audace croissante des pensées et des espoirs, tout, jusqu’aux crimes passionnels si nombreux, exprime moins un formidable malaise qu’une formidable volonté prête à prendre conscience d’elle-même. Le niveau de la passion humaine s’élève, n’en doutez pas. Chacun veut sentir, aimer, jouir, vivre enfin, à tout prix. Bientôt personne n’acceptera plus la contrainte du destin… Tenez, ces gens que nous trouvons absurdes par défaut de critique, les anarchistes, avec leur froide ardeur et leur courage cruel, ne pensez-vous pas qu’ils soient des témoignages singulièrement forts de l’état de passion où est ce temps-ci ? Vous avez lu peut-être, mon cher maître, vous qui apportez à tout une si pénétrante attention, la mort de celui qui, l’an dernier, a tué un souverain ? Il s’est suicidé dans son cachot. Mais ce que vous ne savez pas sans doute, c’est qu’il avait accepté de commettre ce crime à la place d’un de ses amis que le sort avait désigné. Celui-là, – il s’appelait Erik Hansen, — s’est tiré deux balles dans la poitrine en apprenant la mort de l’autre. Je le connaissais un peu, et, ce matin même, j’ai accompagné son cercueil à Montmartre… Eh bien ! ne croyez-vous pas que des gens qui font des actes pareils — un qui se dévoue et accepte de commettre un crime pour l’éviter à son ami, l’autre qui a un tel sentiment de la responsabilité qu’il se fait justice en se tuant — soient des passionnés et de la plus haute qualité ?

Jacqueline s’appuya fortement au dossier de sa chaise. André la regardait de loin, d’un air d’interrogation. Les propos se croisaient :

— Ah ! non !… pas d’apologie de l’anarchie !

— C’est trop bête !

— Des bandits, en somme. Rien d’autre !

— Pas celui dont je viens de vous parler, en tout cas, dit Marken, d’un accent fort. J’ai eu occasion de le voir assez souvent dans les derniers mois de sa vie ; c’était l’âme la plus haute et la plus noble ; il avait une grande culture et une douceur exquise, la pensée la plus lucide et une ardeur de dévouement, une tendresse incomparables… Au moyen âge, on canonisait des personnages mystiques qui ressemblaient beaucoup à cet anarchiste-là.

— Moi aussi, je l’ai connu, articula résolument Jacqueline. Tout ce que vous avez dit est exact et on en pourrait dire plus encore. C’était un être admirable.

— Comment, ma chère, est-ce possible !… Mais quelle horreur !… Vous avez des relations avec des individus pareils ! Au moins leur recommandez-vous de ne pas mettre des bombes chez vos amis ?

— Comment avez-vous su qu’il était mort ? demanda Jacqueline à Marken pendant que le général de Troisbras proposait des moyens militaires et définitifs de venir à bout de cette racaille.

— C’est mon goût de tout savoir, répondit Étienne ; et il m’intéressait si particulièrement !… Je l’avais connu autrefois à l’étranger, puis perdu de vue ; je l’ai retrouvé à Bayreuth, l’année où… et, depuis ce temps-là, j’ai suivi de loin sa vie… Il avait pour moi une haine singulière, qui a cessé dans les dernières semaines. Il a compris qu’entre nous il y avait la similitude d’une souffrance pareille. Je savais qu’il allait au suicide. J’ai tout fait pour le retenir, tout, inutilement. Il serait mort quelques jours plus tôt, s’il ne m’avait pas eu pour parler de vous. Dès que j’ai su la mort de l’autre, j’ai couru chez lui… mais…

M. d’Audichamp interrompit la phrase :

— Dites-moi, cher monsieur, est-ce vrai, ce qu’on m’a raconté tout à l’heure au cercle, que vous fondiez un journal ?

— Oui, c’est vrai, depuis ce matin, répondit Marken. Ce sera un grand quotidien sur le type des journaux anglais et j’espère y faire de bonne besogne. Puisque vous avez la bonne grâce de paraître vous y intéresser, je vous dirai que mon journal a ceci de spécial qu’il sera entièrement dans mes mains, car je n’aurai ni actionnaires ni commanditaires ; je marcherai avec mes seuls capitaux.

Pendant que, de tous les côtés de la table, arrivèrent des questions et des espoirs que ce journal-là fût destiné à défendre la société, Jacqueline vit dans les yeux forts de Marken, que sa dangereuse lutte était finie et qu’il avait la victoire.

Madame d’Audichamp se pencha :

— Ma chère, dit-elle, est-ce que vous avez eu des nouvelles de Léonora, ces jours-ci ? Je lui avais écrit, elle ne m’a pas répondu. Est-elle à Paris, savez-vous ?

— Je l’ai vue tout à l’heure. Elle partait.

— Tiens, sans prévenir ! Quelle drôle de fille ! Où va-t-elle ?

— En Amérique. — C’était Marken qui répondait pour Jacqueline. — Elle va passer là-bas quelques années, sans doute ; c’est très dommage pour nous.

Jacqueline lui sut gré de la longue phrase qu’il dit ensuite, à la louange du talent de Léonora. Elle avait besoin de se taire. Ces propos creux, mettant en fait divers banal le drame dont la peur et la douleur pesaient sur elle, l’avaient écœurée presque physiquement. L’aboutissement de tout l’essentiel, de tout le terrible de la vie à quelques paroles distraites prononcées autour d’une table où on dîne, parés et indifférents, lui apportait l’aride certitude de la vanité des violences, de l’inutilité des larmes. Les épouvantements, les spasmes des consciences, la torture des cœurs en peine, tout cela sert à alimenter cinq minutes la conversation des oisifs qui oublient avant que l’air ait cessé de bouger au bruit des mots qu’ils disent. Pourtant ces gens-là et leurs pareils, qui semblaient ignorer toute douleur, ne pouvait-on pas les faire, eux aussi, crier de désespoir et maudire l’existence ? Leur odieuse insensibilité était-elle invincible ? Les vaincre ? oui ! Erik avait eu tort de croire que la peur fût le seul moyen ; il en était un autre plus fort et plus sûr, de les tenir, de les dominer : le succès. C’était Marken qui avait raison ! Tous ces mondains qui essayaient leurs pauvres ironies incompréhensives sur des êtres dont ils ne pouvaient deviner la grandeur, c’était le peuple vain à pensée légère, à égoïsmes durs et faibles sur quoi il fallait mettre la main, dont il fallait remuer et contraindre les cervelles vides, auquel on pouvait apprendre un langage et dicter des passions…

On se levait de table. Jacqueline prit le bras de Marken d’un mouvement dominateur.

— M’accorderez-vous quelques instants, dit-il.

— Oui, tout à l’heure, dans la serre.

Chacun d’eux regardait devant soi, le visage très calme ; ils avaient prononcé ces quelques mots en remuant à peine les lèvres, comme deux complices qui, dans une foule, échangent un mot d’ordre.

Dans le salon, ils se quittèrent. Roustan s’approcha de Jacqueline avec un sourire indécis, un air charmant de crainte et de plaisir.

— Madame, voilà des mois que je rêve de reprendre notre conversation de l’été dernier… Suis-je importun ?

— Non, pas du tout, venez par ici.

Il la suivit dans la serre. Entre les feuilles du grand paravent, le même fauteuil était placé où, trois ans plus tôt, elle avait imaginé la mort d’Erik et entendu les mots qui révélaient l’infidélité d’André. Elle s’y assit indiquant du geste une chaise voisine.

— Je voudrais bien être certain, madame, que vous m’avez pardonné mes sottises de l’été dernier… Mais, sans doute, vous n’avez même pas pris la peine de vous en souvenir.

— Si. J’ai très souvent pensé à vous, répondit-elle avec un sourire un peu mélancolique, et je vous assure que je ne vous ai pas gardé rancune de cette plaisanterie.

— Ah ! ce n’était pas une plaisanterie… J’ai compris bien des choses depuis notre rencontre.

— Et alors ?…

– Alors… Vous ne vous doutez pas des efforts que j’ai faits pour me rapprocher de vous, et comme j’ai travaillé aussi ! Je ne dors presque plus ! Je dessine la nuit, parce que le dessin, voyez-vous, c’est tout. Et puis aussi, avant de vous connaître, j’étais plein de colère contre la société, je rêvais de grands bouleversements qui remettraient la justice en circulation, j’avais un malaise incroyable. Maintenant je me suis rendu compte que la vie de chacun peut être belle et utile, pourvu qu’elle tende vers un idéal précis. Le travail m’est devenu une joie depuis qu’il conduit à la gloire, et que la gloire, c’est le moyen d’être moins indigne de vous approcher. Je rêve — ah ! c’est que je suis très toqué voyez-vous ! — d’avoir un jour assez de talent pour que vous vous intéressiez à moi ; j’en aurai ! Je veux si fort ! Alors, ce sera comme un cadeau que je vous ferai et que vous accepterez… avec ce regard que vous avez en ce moment et que je ne mérite pas encore. Vos yeux, quand ils ont cette incroyable douceur, semblent promettre quelque chose de plus prodigieux que tout ce qu’on a jamais imaginé ; quelque chose qu’on ne devine même pas, mais qu’on se ferait hacher pour conquérir. C’est bête, ce que je dis là, et inconvenant, et tout ; mais je vois bien que vous n’êtes pas fâchée. Dites, madame, pensez-vous que je vous verrai encore quelquefois ?

— Pourquoi non ?… Alors, décidément, vous avez un peu d’amitié pour moi ?

— Ah ! dieux ! jamais on ne vous a aimée comme je vous aime.

— Croyez-vous ? dit-elle en renversant sa tête au dossier du fauteuil.

Ses yeux se promenaient sur les feuillages lisses d’un grand araucaria dressé au-dessus d’elle.

— J’en suis sûr ! Tenez, hier, je lisais une phrase de Baudelaire qui m’a mis les larmes aux yeux, tant elle exprimait bien toute votre personne, et ce que j’éprouve. C’est dans un poème en prose… vous le connaissez, naturellement… Voilà la phrase : « Il y a des femmes qui inspirent l’envie de les vaincre et de jouir d’elles, mais elle donne le désir de mourir lentement sous son regard. »

— Il faut résister à ce désir-là, dit Jacqueline de sa voix souple dont l’ironie s’affinait de tendresse, il faut vivre le plus fort possible, avoir beaucoup de talent pour que je sois fière de vous quand vous m’aurez persuadée que vous méritez mon amitié.

— Est-ce que ça pourrait arriver, ces choses-là, vraiment ? Ahl ce que je ferais pour que ce soit.

— Voulez-vous faire mon portrait pour commencer ? J’emploierai les séances à tâcher de m’habituer à vous. Mais vous serez un gentil garçon, bien sage. Ce serait ennuyeux de vous mettre dehors à la troisième pose.

— Faire votre portrait ? Vrai ?… Si vous saviez ! J’en avais un tel désir ! Je ne pense qu’à ça ! Mais je le raterai, vous verrez ; ce sera un navet infect. Quant à être sage, comme vous dites… Voyons, vous sentez bien quelle peur j’ai de vous ! Vous pourriez me demander des choses extravagantes… Essayez, vous verrez !

— Bon ! alors je vais vous demander deux choses éminemment raisonnables : la première, c’est de venir après-demain, à une heure, déjeuner chez moi. Nous parlerons du portrait. La seconde chose, c’est de donner votre place à mon vieil ami Barrois qui erre près de la porte comme le fauve de l’Écriture et qui va sûrement trouver quelqu’un à dévorer si vous l’empêchez plus longtemps de causer avec moi.

Roustan se leva avec précipitation, et, rouge, ravi, les yeux riants dans son masque irrégulier, s’en alla, portant sa tête comme font les gens chez qui cette attitude permet aux médecins de diagnostiquer sûrement la folie des grandeurs. Barrois était assis à sa place, l’instant qui suivit.

— La nouvelle victime a l’air bien triomphal ! dit-il d’un ton équivoque.

— Cher ami, quand renoncerez-vous à cette manie de croire qu’aucun homme ne puisse me parler sans être amoureux de moi ?

— Il n’y a rien de maniaque dans l’habitude de constater des faits, répondit le chimiste. Tous les hommes sont ou seront amoureux de vous parce que vous êtes la charmeresse multiforme qui présente à chacun la figure de son rêve particulier. Je me demande pourquoi les gens vont criaillant que la vie est mauvaise, quand il y a des êtres tels que vous !

— Mais, dit Jacqueline d’un air moqueur, c’est qu’évidemment je suis seule de mon espèce, et la vaste armée des pessimistes se recrute parmi les infortunés qui ne me connaissent pas.

— Ça tombe sous le sens ! Dites-moi, goûtez-vous comme il faut ce pouvoir de dispenser la joie et d’augmenter le capital vie de tous ceux qui vous approchent ? Êtes-vous assez fière et assez heureuse d’être vous ?

— Pas très… Au contraire, j’ai une telle certitude de mon inutilité, un sens si net de mon néant !…

— Quelle folie ! Songez qu’il suffit que vous ayez un peu de patience envers ceux qui vous appartiennent pour leur rendre le courage s’ils l’ont perdu, et pour décupler en eux le goût de l’action. Jusqu’à la douleur que vous donnez est féconde, parce que souffrir à cause de vous, c’est se grandir. Ce n’est pas seulement votre beauté et le charme de votre intelligence, c’est votre pouvoir d’aimer, qu’on sent si bien et qui crée de la pensée et de l’énergie chez les autres. L’image de vous est pour moi une excitation à comprendre et à deviner. Mes recherches sont plus lucides, le jour où je vous ai vue. Trouver, — cette griserie du savant curieux, — ne me semble avoir eu sa plénitude et son sens réel que depuis que je mets votre pensée dans tout ce que j’entreprends. Ne le dites pas à mes confrères de l’Académie des Sciences, ils sont trop bêtes pour comprendre cela ; mais, je travaille avec l’idée que dans ce que j’aurai ajouté à la conquête des secrets de la nature il y aura un peu de vous mêlé. En vérité, c’est à cause de vous que mon nom survivra peut-être quelques années… Je me demande parfois si on peut mourir quand on vous aime…

— Oui, dit-elle d’une voix très grave.

Barrois l’examina attentivement, puis :

— Ce doit être encore quelque chose de très beau que de garder la conscience de vous jusqu’à son dernier moment de lucidité, à l’heure de la désagrégation… Pour être heureux, à l’ordinaire, il faut avoir été aimé : mais quand il s’agit de vous, toutes les valeurs se déplacent : il suffit de vous aimer pour que la vie entière soit embaumée et qu’on n’ait plus rien à souhaiter.

— Croyez-vous vraiment ce que vous dites là ?

Elle s’était redressée, et, le visage inquiet et brûlant, elle se pencha vers lui dans une attitude d’interrogation émue.

— Trouvez-vous que ce ne soit pas une sorte de crime, de se laisser aimer ? Est-ce vrai, mon ami, qu’en suscitant de l’amour, on puisse aussi susciter de la force, et que ce ne soit pas une lâcheté abominable et une déchéance, de jouer ce rôle de créature à faire désirer ?

— Oui, je le pense absolument. Exciter un désir, c’est augmenter la vie universelle, en précipiter la pulsation, soulever les êtres au-dessus de leur préoccupation individuelle, donner de nouvelles possibilités au génie de l’espèce. Ce désir que vous avez inspiré, si fort, si divers, si pénétrant, — avidité de votre beauté, curiosité ardente de votre magnifique être sentimental, — peut faire que dans cent ans un homme de génie naisse de l’impulsion donnée par vous à la sensibilité profonde et à l’intellectuallité d’un de ses ancêtres… Allez, allez, faites votre fonction de séductrice ; elle est la plus belle de toutes ! Glorifiez-vous-en, vous donnez aux humains le songe total et puissant qu’ils vont chercher vainement dans les religions décrépites et dans les hypothèses des sciences… Ah ! comme on vous aime !

Un moment, Jacqueline regarda le vieil homme dont les yeux miroitaient sous deux larmes qui y étaient montées ; puis, mettant une grâce merveilleuse dans ce geste, elle lui tendit son front, qu’il baisa avec des lèvres hésitantes.

— Merci, dit-il ; je ne suis pas fou, n’est-ce pas, en pensant que ceci n’était pas l’aumône de votre pitié ?

— Non, c’était l’aveu de ma reconnaissance et de ma tendresse. Vous ne saurez jamais le bien que vous venez de me faire.

Barrois allait répondre, mais Marken entra dans la serre et vint à eux. Jacqueline les regarda tous les deux. La vie avait fait sur leurs visages un travail révélateur, leurs fronts étaient l’un et l’autre griffés par son passage, et leurs traits avouaient les passions, l’effort, les grandes luttes meurtrières. Mais ce qui mettait entre eux une telle différence, ce n’était ni l’écart de l’âge, ni que l’un fût beau de cette obscure et volontaire beauté et l’autre insoucieusement laid : Barrois avait les marques de la fatigue longue, inscrites dans l’affaissement des modelés, le pli lassé de la bouche, et l’expression du regard ; Marken, avec ses tempes creusées où déjà ses cheveux blanchissaient, la force amère de sa lèvre mince et dure comme l’ourlet de marbre des bouches de statues et ses yeux éclatants et directs, avait l’air d’un vainqueur. L’un était la pensée repliée sur soi-même, silencieuse, secrète et lente ; l’autre, l’action éblouissante, rapide, irrésistible.

— Mon cher maître, commença Marken, sans paraître s’apercevoir de la malveillance qu’exprimait à son endroit toute la figure du savant, si vous avez eu l’espoir de monopoliser madame des Moustiers la soirée durant, je vous avertis qu’il faut y renoncer. Je sens bien que je risque de m’attirer son déplaisir, voire sa haine définitive, en troublant votre causerie ; mais, n’importe, à moins qu’elle ne me chasse, je m’installe.

Il prit une chaise. Barrois se leva avec un mauvais sourire, et dit :

— Je vous quitte la place. Aussi bien m’évitez-vous d’être importun en « monopolisant » — comme vous dites — l’attention de madame plus longtemps qu’il ne faudrait.

— Vous voulez qu’on vous dise que vous partez toujours trop tôt ? fit Jacqueline, je le dirai donc. Mais, si vous tenez absolument à vous en aller, il me faut une compensation. Venez dîner avec moi demain soir ; je suis seule, mon mari m’abandonne pour ce qu’il appelle — car c’est un homme correct – un dîner de conseil d’administration. Je compte sur vous ; ne dites pas non ; ce serait inutile.

— Je n’en ai nulle envie, répondit Barrois.

Et sa mauvaise expression s’effaça.

Quand il fut sorti, madame des Moustiers se tourna vers Marken. Il était très sérieux, et, de ses longs doigts au geste adroit, travaillait les soies d’un gland qui pendait au bras du fauteuil de Jacqueline.

— Vous aviez à me parler ? commença-t-elle.

Elle s’arrêta, sentant que les mises en train habituelles ne convenaient pas à la conversation, et attendit.

Au bout d’un instant, comme s’il reprenait un entretien à peine interrompu, Étienne dit :

— Quand je vous ai quittée à la porte de cet hôtel — je ne vous demande même pas pardon de la façon dont je me suis conduit en cette minute-là, car, ou vous avez compris que l’ignoble phrase que je vous ai dite n’avait pas plus de sens qu’un cri de douleur et alors vous m’avez pardonné, ou vous n’avez pas compris et alors vous ne me pardonnerez jamais…

— J’ai compris.

— Je le pensais. Eh bien, donc, quand je vous ai quittée, j’étais ivre de colère et de souffrance. Les quelques minutes qu’il vous avait fallu pour descendre cet escalier avaient suffi à me remettre en face du vieux moi que vous veniez de briser et de dompter : j’ai eu un sursaut si violent que je n’ai pas pu y résister. Cela s’est augmenté après votre départ ; j’avais envie de vous tuer. À quel point je vous désirais ce jour-là ! Et comme, en vous abordant, j’étais sûr que vous aviez compris, accepté… Et après… Si vous saviez comment vous étiez, dans ce fiacre, avec le soleil couchant dans vos yeux qui riaient, les lèvres plus rouges de mes baisers, et cet air de triomphe calme, assuré !… Jamais je n’avais rien voulu comme je vous voulais, et, quand vous êtes partie enfin avec tant de mépris au pli de votre bouche, moi, qui dans les pires minutes, n’ai pas douté de moi-même, j’ai eu la certitude d’avoir touché ce point de la vie après lequel rien ne peut plus réussir. Vous m’êtes apparue comme le symbole de ma défaite irréparable, je me suis senti fini, sans énergie que pour une rage inutile… J’avais lu en vous si bien ! J’avais vu quel plaisir cruel vous preniez, non à mon amour, mais à me dominer… J’ai marché, marché, retournant en moi le couteau de ma pensée. Je suis rentré à dix heures du soir, sans m’être une fois arrêté, je ne pouvais pas : les grandes émotions me donnent un besoin égal de frapper et d’aller devant moi, sans savoir où, indéfiniment… Lorsque j’ai revu ce tableau qui vous ressemble, je me suis aperçu que quelque chose m’était arrivé pendant cette longue course : je vous avais comprise enfin. Chacun des efforts que je n’avais cessé de faire depuis cinq heures pour vous salir dans ma pensée avait dégagé votre image plus merveilleuse. Après vous avoir haïe, méprisée, insultée, j’ai subi une crise de dépression, de silence intérieur, puis il s’est produit dans ma sensibilité surmenée un bizarre phénomène : j’ai cessé de vous voir à travers ma volonté, c’était la vôtre qui pénétrait en moi. Toutes vos raisons de me traiter comme vous avez fait m’apparaissaient légitimes, nécessaires… Je vous avais comprise.

— Vous auriez pu m’écrire tout cela et ne pas attendre deux mois pour me le dire.

— Non : je continuais de souffrir et de rager, car, jusqu’au moment où je vous ai revue, j’ai eu la certitude de vous avoir définitivement perdue. J’avais senti le contact de votre orgueil, qui est aussi grand que le mien, et je ne savais pas que le mien pût être détruit, comme il l’est par le vôtre. Vous vous étiez trompée sur moi : quelle raison avais-je d’espérer que jamais vous pussiez revenir de votre erreur ?

— En quoi m’étais-je trompée ?

— En me confondant avec tous ceux que vous avez connus et dédaignés. Jusqu’ici vous n’avez rencontré que cette comédie de l’homme qui, après avoir beaucoup supplié, se met à vouloir. Je vous avais stupidement donné l’impression que, moi aussi, j’étais tel. Je sais maintenant qu’il ne faut ni vous prier, ni rien vouloir de vous que vous n’ayez résolu d’abord d’accorder ; vous n’êtes pas de la race des serves, mais de celle des souveraines qui se courbent pour choisir. Vous êtes autre chose encore… votre fierté a la passion de la fierté d’autrui, vous voulez qu’en vous subissant on la conserve toute. Je suis capable de cela, mais qu’en pouviez-vous savoir ? Au reste, je ne le savais pas moi-même avant cette épreuve. Il faut, qu’on se donne à vous sans conditions et sans espoir, parce qu’on a le courage d’un tel effort et en sachant bien d’avance que vous vous garderez toute. Quand j’ai bien vu cela, j’ai eu un grand désespoir et une grande force. J’ai fait de vous mon but en acceptant la possibilité de ne plus jamais vous baiser les doigts. C’est pour cela que je n’ai pas cherché à vous rejoindre, pour cela que j’ai tant parlé de vous avec Erik Hansen qui sentait quelques-unes des choses que je sentais.

— Et maintenant ?

— En vous revoyant j’ai compris que vous m’aviez pardonné, que peut-être vous accepteriez ce don de moi qui ne vous engageait à rien. Et puis les circonstances de ma vie sont changées et j’ai dans les mains des moyens de domination qui vous amuseront peut-être à employer.

— Votre journal ?

— Oui… Quelle terrible douceur de voir ainsi vos yeux, de sentir que vous croyez en moi, car… me suis-je trompé ?

— Non !

Il se tut, un moment ; pendant lequel leurs regards se pénétraient, les paupières de Jacqueline battirent. Elle respira plus vite et dit, les yeux de nouveau dans les siens :

— Racontez comment est arrivé cette transformation de votre vie.

Marken se leva et se mit à marcher devant elle en parlant.

— Vous savez que j’ai renvoyé ma femme. J’étais depuis longtemps au courant de ses aventures, qui m’étaient fort indifférentes, vous l’imaginez ; mais j’attendais le moment utile pour me débarrasser d’elle. Quand le besoin d’être complètement libre est venu, je lui ai montré le paquet de lettres qui prouvaient ses fantaisies et que j’avais depuis six mois dans un tiroir, et je l’ai sans phrases conduite au train de Rome. Je me suis battu avec son amant, parce que cela m’a paru convenable ; puis j’ai une fois pour toutes rayé cet épisode de ma vie. Vous n’avez pas su cette rencontre, je m’étais arrangé pour que les journaux n’en parlassent point ; il me déplaisait que vous l’apprissiez indirectement. Cela réglé, je me suis occupé d’une autre affaire, plus importante. Mes renseignements, qui, vont d’un bout de l’Europe à l’autre, m’avaient fait pressentir un grand mouvement de Bourse. J’ai joué, sans un centime de capital, des sommes énormes. Je me trouvais un droit absolu à faire ainsi, car, si mes calculs s’étaient trouvés faux, je me serais tué. Le succès valait l’enjeu de la vie, et cet enjeu-là justifiait l’importance du risque. Comme j’ai pensé à vous pendant les heures tragiques où mon sort oscillait ! Je ne m’étais pas trompé ; à la dernière liquidation, j’ai réalisé deux millions. Excusez-moi de vous parler de ces choses. Avant-hier, dans l’après-midi, j’ai payé toutes mes dettes dont, depuis douze ans, j’avais la liste toujours grossissante dans mon portefeuille… Elle ne me quittait jamais ; chaque fois que je prenais une carte ou un billet de banque, ce bout de papier dépassant les autres me rappelait que je ne pouvais pas me permettre la fierté continue… Ah ! quelle admirable journée, madame, que celle d’avant-hier ! Vous rappelez-vous ? il y avait un petit soleil si gai ! l’atmosphère avait l’air de rire. Je suis allé à pied chez mes usuriers pour bien goûter mon plaisir, avec mes billets de banque à même dans mes poches… Vous ne pouvez pas savoir quelle allégresse… J’avais dû parfois supplier ces brutes abjectes pour obtenir de leur condescendance le moyen de rester debout… Je pensais à vous encore en montant leurs étages, il me paraissait que cette libération de moi était un hommage à vous rendre… C’est l’affre et la beauté du grand amour, voyez-vous, que de sentir l’être adoré augmenter ou s’avilir avec soi-même. Depuis que je vous aime, chaque fois que j’ai été humilié, j’ai eu l’impression de commettre un manquement grave envers vous… Vous savez maintenant ce qui m’est arrivé ; libre de dettes, avec un capital suffisant à qui sait comme moi le maniement de ces choses, je fonde un journal. Dans deux ans, j’aborderai la politique… Le chemin est ouvert devant moi… Je marcherai ! Paris m’aidera, car je le tiens. Tout le monde sait que je n’attache pas assez d’importance à ma vie pour la défendre en reculant ; on aura peur de moi. L’opinion sera un instrument dont je jouerai à ma guise. Je ne dois rien à personne. Je n’ai ni une obligation ni un remords, ni une amitié, pas même le goût puéril de me venger de qui m’a nui ; c’est bon pour les demi-forts cela ! Tout ce que je pourrai demain, et ce sera beaucoup, je le mets à votre discrétion. Je vous donnerai, comme on faisait jadis aux Augusta, les jeux féroces et beaux de la vie moderne vue dans ses secrets, pour distraire vos heures. Votre doigt tendu sauvera, et votre antipathie pourra détruire. Voulez-vous accepter tout cela sans avoir rien à rendre ?

— Oui, dit Jacqueline en redressant la tête.

— Que vous êtes belle en ce moment !… si vous saviez !…

Elle était admirable, en effet, la bouche entr’ouverte par un souffle plus fort, la narine durcie, et la lumière de ses yeux et de ses dents mettant dans son visage comme un triangle de joaillerie. Sa pâleur s’était effacée, elle était grave et violente sous son grand air de calme, et la petite couronne de pierreries qui la coiffait semblait avoir pris le style d’un symbole.

— Je ne demanderai rien de vous, dit Marken, rien, sinon que vous tolériez ma présence ; cela suffira. Vous ne m’aimerez jamais, sans doute ; mais, si cela arrive, il faudra que vous veniez à moi, car je ne vous ferai plus l’injure de vous supplier.

Jacqueline, d’un mouvement lent et comme si tout son corps eût participé à sa pensée intime, s’était levée. Ils restèrent un moment l’un en face de l’autre ; elle dit, d’une voix nette et unie :

— L’an dernier, à cette même époque, un jour où j’étais triste et irrésolue, je suis allée à Versailles, et, l’après-midi durant, j’ai marché dans le parc… C’est un endroit étrange ; on y respire tout l’orgueil de la France. J’ai eu, ce jour-là, l’inutile désir d’être heureuse et de me sentir libre de tout. Je devinais obscurément ce que je sais aujourd’hui : que la vie est magnifique et vaut la peine qu’elle coûte… et qu’il faut vivre… Je voudrais retourner là avec vous…

Marken se rapprocha, cherchant ses yeux.

— Voulez-vous ?… dit-elle.

— Quand ?

— Demain.

Il se pencha vers elle : aucune parole n’aurait interrogé plus âprement que l’expression de son regard. Elle répondit d’un signe de tête, et passa devant lui. Au moment de sortir de la serre, elle se retourna, s’arrêta, et leurs yeux encore une fois rejoints avaient une expression pareille de triomphe et de certitude. Elle rentra dans le salon. M. des Moustiers vint à elle.

— Vous vouliez partir de bonne heure. C’est le moment. On va faire de la musique…

Jacqueline était souriante, rose, elle avait un air de grande douceur.

— Non, dit-elle, je reste encore. Je vais mieux et… je m’amuse.


FIN