La Logique de Port-Royal/Avis de la première édition
AVIS DE LA PREMIÈRE ÉDITION[1]
C’est l’unique vue qu’on avait lorsqu’on se mit en devoir d’y travailler, et l’on ne pensait pas y employer plus d’un jour ; mais quand on voulut s’y appliquer, il vint dans l’esprit tant de réflexions nouvelles qu’on fut obligé de les écrire pour s’en décharger ; ainsi, au lieu d’un jour, on y employa quatre ou cinq, pendant lesquels on forma le corps de cette logique, à laquelle on a depuis ajouté diverses choses.
Or, quoiqu’on y ait embrassé beaucoup plus de matières qu’on ne s’était engagé de faire d’abord, néanmoins l’essai en réussit comme on se l’était promis ; car, ce jeune seigneur l’ayant lui-même réduite en quatre tables, il en apprit facilement une par jour, sans même qu’il eût presque besoin de quelqu’un pour l’entendre. Il est vrai qu’on ne doit pas espérer que d’autres que lui y entrent avec la même facilité, son esprit étant tout à fait extraordinaire dans toutes les choses qui dépendent de l’intelligence.
Voilà la rencontre qui a produit cet ouvrage ; mais, quelque sentiment qu’on en ait, on ne peut, au moins avec justice, en désapprouver l’impression, puisqu’elle a été plutôt forcée que volontaire : car, plusieurs personnes en ayant tiré des copies manuscrites, ce qu’on sait assez ne pouvoir se faire sans qu’il s’y glisse beaucoup de fautes, on a eu avis que les libraires se disposaient à l’imprimer : de sorte qu’on a jugé plus à propos de le donner au public correct et entier, que de permettre qu’on l’imprimât sur des copies défectueuses ; mais c’est aussi ce qui a obligé d’y faire diverses additions qui n’ont augmenté de près d’un tiers[3], parce qu’on a cru devoir étendre ces vues plus loin qu’on n’avait fait en ce premier essai. C’est le sujet du discours suivant, où l’on explique la fin qu’on s’y est proposée, et la raison des matières qu’on y a traitées.