La Logique déductive dans sa dernière phase de développement/3/06

Syllogistique

101. Le syllogisme est la forme de raisonnement que les scholastiques ont toujours considérée comme le pivot de la Logique déductive, jusqu’à identifier celle-ci avec la Syllogistique.

Comme les scholastiques distinguent 19 modes du syllogisme et que nous n’en considérons qu’un (dans ses deux formes : collective [ 47] et individuelle [ 56], dont la seconde est une particularisation de la première [90]), on croit que notre Logique est plus restreinte que la Logique scholastique.

Mais, au contraire, tandis qu’un si grand nombre de modes du syllogisme n’est qu’une illusion due aux moyens imparfaits d’expression dont se servent les scholastiques, nous avons déjà énoncé 100 (et nous en verrons bien d’autres) dont 2 seulement sont des syllogismes !

L’analyse que je vais faire de la syllogistique (et qui ne se trouve pas dans le Formulaire) sera fatigante et peu agréable ; mais le but que je me propose est justement de persuader les futurs professeurs de Logique de ne plus fatiguer leurs élèves avec des leçons inutiles sur cette question.

Il me faut donc affronter et abattre des moulins a vent ; en effet, comme la plupart des hommes croient encore qu’ils sont des géants, si je les évitais, quelqu’un pourrait croire que j’en ai peur !

Je vais donc adopter le langage des scholastiques.

102. D’abord on distingue quatre espèces de jugements, à savoir : universel affirmatif, universel négatif, particulier affirmatif, particulier négatif ; et on les représente en cet ordre par les voyelles A, E, I, O.

Donc, a et b étant deux données, l’on a :


A) « tout a est un b »,
E) « nul a n’est un b ou bien tout a est un non b »,
I) « quelque a est un b »,
O) « quelque a n’est pas un b ou bien quelque a est un non b ».

En symboles [31, 70, 71, 75, 39, 72  29] :
A) «  »,E) «  »,I) «  »,O) «  ».

Comme tout syllogisme se compose de trois propositions, les scholastiques distinguent les modes du syllogisme selon l’espèce A, E, I, O de chacune des trois propositions. Or, en changeant de toute manière possible l’espèce A, E, I, O de chaque proposition, le nombre des modes du syllogisme serait «  » ! Heureusement la plupart ont déjà été éliminés comme faux, par les scholastiques eux-mêmes ; mais il en resterait toujours un bon nombre, à savoir 19 !

103. Les deux premières propositions de chaque syllogisme s’appellent prémisses, la troisième conclusion.

Dans tout syllogisme il doit y avoir seulement trois termes : on appelle respectivement petit terme et grand terme le sujet et l’attribut (ou prédicat) de la conclusion ; et on appelle terme moyen un terme qui doit se trouver seulement dans les prémisses, une fois avec le grand terme (et c’est la prémisse qu’on dit majeure) et l’autre avec le petit terme (et c’est la prémisse qu’on dit mineure). Pour fixer les idées, j’indiquerai toujours par a, b, c (en cet ordre) le petit terme, le terme moyen et le grand terme[1].

On distingue quatre figures du syllogisme, selon le rôle du terme moyen :

dans la première figure, b est sujet par rapport à c et attribut par rapport à a ;
xxxxdans la deuxième figure, b est toujours attribut ;
xxxxdans la troisième figure, b est toujours sujet ;
xxxxdans la quatrième figure, b est attribut par rapport à c et sujet par rapport à a.

Il y aurait 4 modes de la première figure, 4 de la deuxième, 6 de la troisième et 5 de la quatrième, auxquels on a donné des noms mnémoniques dont l’importance réside dans les voyelles ; en effet, dans chaque nom il y a trois voyelles qui désignent, dans cet ordre, l’espèce [102] de la majeure, de la mineure, et de la conclusion[2].

104. Voici ces 19 modes du syllogisme, exprimés par nos symboles, avec leur noms scholastiques à côté.

Première figure


1)(bArbArA)

2)(cElArEnt)

3)(dArII)

4)(ƒErIO)

Deuxième figure


5)(cEsArE)

6)(cAmEstrEs)

7)(ƒEstInO)

8)(bArOcO)

Troisième figure


9)(dArAptI)

10)(dIsAmIs)

11)(dAtIsI)

12)(ƒElAptOn)

13)(bOcArdO)

14)(ƒErIsOn)

Quatrième figure


15)(brAmAntIp)

16)(cAmEnEs)

17)(dImArIs)

18)(ƒEsApO)

19)(ƒrEsInOn)

105. On remarquera d’abord que, moyennant la  73 :


et son analogue                          

le Datisi (11) se réduit au Darii (3), le Ferison (14) au Ferio (4), le Dimaris (17) au Disamis (10) et le Fresinon (19) au Festino (7).

On remarquera ensuite que, moyennant la  97 [99]


et son analogue                     

le Cesare (5) se réduit au Celarent (2), le Festino (7) au Ferio (4), le Camenes (16) au Camestres (6) et le Fesapo (18) au Felapton (12).

La  96 [99]                     


et ses analogues nous permettent par exemple d’appeler «  » et «  » les qu’on nommait «  » et «  », ou celles qu’on nommait «  » et «  ». Dans le premier cas, sauf le remplacement partout de la lettre d à la lettre c (ce qui n’a aucune importance), le Celarent (2) se réduit au Barbara (1), le Ferio (4) au Darii (3) [ 29], le Felapton (12) au Darapti (9) et le Bocardo (13) au Disamis (10). Dans le second cas, sauf le remplacement partout de la lettre d à la lettre b, le Camestres (6) se réduit au Cesare (5) — qui a déjà été réduit au Celarent (2), qui à son tour a déjà été réduit au Barbara (1) — et en même temps le Baroco (8) se réduit au Festino (7) — qui a déjà été réduit au Ferio (4), qui à son tour a déjà été réduit au Darii (3).

Maintenant nous pouvons échanger entre eux les noms des a et c ; alors le Disamis (10) se réduit au Darii (3), à cause de la propriété commutative [ 78] du signe «  », d’intersection et du signe «  » sous-enlendu d’affirmation simultanée [ 2]. Quant au Darii (3), de son on tire [ 73, 89] la formule


dans laquelle on trouve seulement deux termes (à savoir «  », «  ») et d’où l’on tire la «  » comme application immédiate de la  100.

En résumant, il nous reste seulement les syllogismes en Barbara (1), en Darapti (9) et en Bramantip (15).

Mais ces deux derniers sont faux[3] ; en effet leurs sont des affirmations d’existence, tandis que leurs n’en renferment aucune, pas même sous forme d’appartenance [100][4].

Il nous reste donc seulement le syllogisme en Barbara (1), c’est-à-dire la propriété transitive du signe «  » [ 47], ou syllogisme en forme collective.

Si on pose à côté, comme cas particulier [90], le syllogisme en forme individuelle [ 56], toute la Syllogistique vient se trouver résumée dans ces deux  !

106. J’ajouterai un mot au sujet du sorite, qui n’est autre chose que l’application répétée, autant de fois que l’on veut, du syllogisme en Barbara.

C’est-à-dire que : étant donnée une succession de (ou de conditions), telles que (dans l’ordre donné) chacune (sauf la dernière) soit contenue dans (implique) la successive, on pourra conclure que la première est contenue dans (implique) la dernière. Par exemple, a, b, c, d, e étant des (ou des conditions),
101.                    

Dans le cas des , la première (seulement) des inclusions et la Ts peuvent être remplacées par des appartenances par rapport au même individu ; c’est-à-dire, par ex. :
102.                    

  1. Que d’habitude on représente par les lettres S, M, P (Sujet, Moyen, Prédicat).
  2. Petrus Hispanus, pontifex sub nomine Johannes XXI (m. 1227).
  3. Ainsi que le Felapton et le Fesapo, équivalents au Darapti
  4. La fausseté des modes traditionnels du syllogisme, moyennant lesquels de deux jugements universels on voudrait déduire un jugement particulier, a été reconnue séparément par Miss Ladd (a. 1883), Schröder, Nagy, Peano, etc. C’est un des premiers et des plus remarquables résultats de l’adoption d’une idéographie logique.