La Logique déductive dans sa dernière phase de développement/1/07


Logique mathématique ?

20. J’ai déjà dit que l’Idéographie logique est un instrument et que la Logique mathématique est une science [15] ; maintenant je précise ma pensée en disant que la Logique mathématique est la Science dont l’Idéographie logique est le Langage.

En effet — comme toute Science, considérée dans son expression verbale, n’est autre chose que l’ensemble de toutes les relations connues entre les symboles de sa terminologie spéciale — de même la Logique mathématique est l’ensemble des relations connues entre les symboles logiques.

En d’autres termes, l’Idéographie logique et la Logique mathématique fournissent respectivement le vocabulaire et la syntaxe qui sont communs à toutes les Sciences déductives.


21. Mais la Logique mathématique ne diffère pas seulement par l’écriture de la Logique traditionnelle : car, en vertu des actions réciproques entre pensée et langage, dont j’ai touché un mot et qui en lient les progrès d’un lien indissoluble, le contenu de cette science s’est perfectionné avec sa structure.

Pour la distinguer de la Logique traditionnelle, M. Peano l’appela Logique mathématique, parce qu’elle forme l’Introduction naturelle et nécessaire aux Mathématiques et leur est comparable par la précision du langage et la rigueur des procédés.

Cependant, cette dénomination a donné naissance à une équivoque funeste qui en a retardé la diffusion. Presque tous les philosophes de profession — qui, par le caractère plus littéraire que scientifique de leur préparation intellectuelle, ont une forte répugnance pour les formules — se sont apaisés par le renoncement à élargir l’enceinte de leurs connaissances, en croyant peut-être que cette Logique mathématique n’était qu’une partie de la Logique qu’ils avaient apprise et qu’ils enseignent. Ainsi, croyant peut-être que cette partie avait été développée minutieusement pour les buts immédiats des Mathématiques, les philosophes lettrés ont cru pouvoir se soustraire à l’étude pénible de détails techniques qu’ils estimaient insignifiants à leur point de vue.

Eh bien ! je crois que l’œuvre déjà accomplie par M. Peano et par ses collaborateurs leur donne le droit d’affirmer que la Logique mathématique est l’extension naturelle et perfectionnée de cette analyse de la pensée qu’Aristote (-384, -322) conçut, le premier, comme une science en soi[1] et à laquelle, jusqu’à Leibniz, il fut ajouté bien peu, si l’on excepte quelques commentaires et quelques divagations non exempts d’erreurs. Par suite il me semble que le temps est venu pour l’appeler Logique déductive tout court : car, entre la logique traditionnelle et la logique mathématique, c’est bien à celle-ci, qui contient l’autre, que l’on doit la dénomination la plus générale !

Si grâce à ce Cours je parviens à justifier cette affirmation audacieuse, j’espère qu’on trouvera raisonnable que j’aie tenté la diffusion de ces études en dehors de l’enceinte, nécessairement très restreinte, des spécialistes.


22. D’abord, dans mes deux prochaines leçons j’expliquerai l’Idéographie logique, en mettant tout le monde à même de lire sans difficulté le Formulario mathématico et les dissertations originales des auteurs que je viens de nommer.

Mais, — comme la simple connaissance de la signification des signes employés dans l’Arithmétique et dans l’Algèbre ne permet pas d’entrevoir l’ampleur de ces Sciences et la variété de leurs applications — de même la seule connaissance de l’Idéographie ne permet pas de deviner à quelle étendue est déjà parvenue « la Logique déductive dans sa dernière phase de développement ». Il s’ensuit qu’en deux autres leçons sur ce sujet, je ne pourrai en donner qu’un essai : assez vaste toutefois pour vous donner une idée exacte des résultats les plus importants que l’on a obtenus, et aussi des recherches qu’on pourrait encore entreprendre avec profit.

Mon Cours se terminera par un essai de Méthodologie[2], qui relèvera toute la valeur et toute l’importance des études d’Idéographie et de Logique, en montrant quelle aide précieuse (je dirai même indispensable) elles donnent autant à la construction qu’a la critique d’une théorie déductive quelconque.

Ce n’est pas que j’espère vous insinuer l’optimisme sympathique et touchant de Leibniz qui, prophétisant le succès triomphal de ces recherches, affirmait : « J’ose dire que ceci est le dernier effort de l’esprit humain et, quand ce projet sera exécuté, il ne tiendra qu’aux hommes d’être heureux, puisqu’ils auront un instrument qui ne servira pas moins à exalter la raison que le télescope ne sert à perfectionner la vue ». Bien que, depuis une quinzaine d’années, je me sois adonné à ces études, moi-même, je n’ai pas en elles une confiance si hyperbolique ; mais j’aime toujours à rappeler la candeur de ce Grand qui, étant absorbé dans ses investigations scientifiques et philosophiques, oubliait que la plupart des hommes ont cherché et continueront à chercher le bonheur dans la conquête fiévreuse du plaisir, de l’argent et des honneurs.

Toutefois il convient d’éviter un scepticisme excessif ; car, toujours et partout, il y a eu une élite — aujourd’hui moins restreinte que par le passé — laquelle s’est plu et se plaît à tout ce qui l’élève au-dessus des vagues troubles des passions, dans l’immensité imperturbable de la connaissance, dont les horizons deviennent plus vastes à mesure que les ailes de la pensée deviennent plus puissantes et plus rapides.

  1. >Άναλυτικἁ πρότερα
  2. Voir la note à la p. 5.