Traduction par Hélène Hart.
Stock (p. 29-32).


LES APPELS D’AMRITSAR[1]


Ces appels ont été rejetés malgré la plaidoirie du meilleur avocat. Le Conseil Privé a confirmé une procédure illégale. Je dois avouer que le jugement ne m’a pas autrement surpris, quoique les réflexions du jury pendant la plaidoirie de Sir John Simon laissassent espérer un verdict favorable. Les jugements prononcés par les plus Hautes Cours, si j’en juge par l’étude des procès politiques, se laissent volontiers influencer par de subtiles considérations politiques. Les précautions les plus compliquées pour arriver à se maintenir dans un esprit purement juridique disparaissent forcément, aux moments critiques. Le Conseil Privé ne saurait être exempt des limitations inhérentes à toutes les institutions humaines qui ne valent que pour des conditions normales. Une décision favorable pour le peuple aurait eu comme conséquence d’exposer le Gouvernement Indien à une extrême déconsidération, dont il lui eût été très difficile de se relever, de toute une génération.

On peut juger de la signification politique de l’événement par ce fait qu’aussitôt la nouvelle parvenue à Lahore, tous les préparatifs commencés pour la réception de Lala Lajpatrai furent décommandés et que le bruit courut que la capitale du Pendjab était en grand deuil. Un discrédit plus profond frappe donc le Gouvernement par suite de ce jugement, car à tort ou à raison l’opinion populaire considérera que, sous la Constitution Britannique, il n’existe pas de justice lorsque d’importantes considérations politiques ou de race entrent en jeu.

Il n’y a qu’une seule manière d’éviter la catastrophe. L’esprit humain et en particulier l’esprit indien est sensible à la générosité. J’espère que le Gouvernement du Pendjab ou le Gouvernement Central annulera immédiatement, sans qu’une agitation ou des pétitions soient nécessaires, les condamnations à mort et, s’il y a la moindre possibilité, rendra en même temps la liberté à tous ceux qui ont fait appel. D’abord et ainsi que je l’ai déjà dit, deux considérations d’égale importance le demandent : premièrement, gagner à nouveau la confiance du public, secondement, obéir textuellement à la Proclamation Royale. Cet important document politique ordonne la mise en liberté de tous les délinquants politiques quand elle ne saurait être un danger pour la société. Personne ne peut dire que les vingt-et-un condamnés qui ont fait appel seraient d’une façon quelconque un danger pour la société s’ils recouvraient leur liberté. Jamais ces hommes n’avaient commis de crimes auparavant ; la plupart d’entre eux étaient considérés comme des citoyens paisibles et respectables. On ne leur connaissait point d’attaches avec des sociétés révolutionnaires. S’ils ont commis un crime quelconque, ce fut sous l’impulsion du moment et devant ce qui leur paraissait une grave provocation. D’autre part, le public est persuadé que la majorité des condamnations des tribunaux militaires ne s’appuyaient sur aucune preuve satisfaisante. Aussi, j’espère que le Gouvernement qui a bien agi en rendant la liberté aux délinquants politiques, même lorsque ces derniers avaient été pris sur le fait, n’hésitera pas à rendre la liberté à ceux qui ont fait appel, et méritera ainsi le bon-vouloir de l’Inde entière. L’acte généreux accompli à l’heure du triomphe est celui qui a le plus de valeur. Et pour le peuple, ce refus de tenir compte de l’appel des condamnés a été considéré comme un triomphe du Gouvernement.

Je demanderai donc respectueusement aux amis du Pendjab de ne point perdre courage. Il faut nous préparer avec calme au pire. Si les condamnations sont justes, si ceux qui ont été condamnés se sont rendus coupables de meurtre, ou d’incitation au meurtre, pourquoi échapperaient-ils au châtiment ? S’ils n’ont point commis les crimes qu’on leur reproche, ce qui est le cas pour la plupart d’entre eux, nous en sommes persuadés, pourquoi échapperions-nous au sort de tous ceux qui veulent s’élever plus haut ? Si nous avons voulu nous élever, pourquoi craindrions-nous le sacrifice ? Aucune nation ne s’est jamais élevée sans faire de sacrifices, et l’on ne saurait parler de sacrifice que s’il y a innocence, et non crime.

3 mars 1920.

  1. Une vingtaine des victimes de l’application de la loi martiale au Pendjab firent appel au Conseil Privé, déclarant que le Vice-roi n’avait pas le pouvoir nécessaire pour en décréter les ordonnances et que le jugement des Tribunaux exceptionnels était irrégulier.