La Guzla/Improvisation de Hyacinthe Maglanovich

Levrault (p. 173-176).


IMPROVISATION1
de Hyacinthe Maglanovich.


1.

Étranger, que demandes-tu au vieux joueur de guzla ? que veux-tu du vieux Maglanovich ? Ne vois-tu pas ses moustaches blanches ? ne vois-tu pas trembler ses mains desséchées ? Comment pourrait-il, ce vieillard cassé, tirer un son de sa guzla, vieille comme lui ?


2.

Hyacinthe Maglanovich, autrefois avait la moustache noire ; sa main savait diriger au but un lourd pistolet, et les jeunes hommes et les femmes l’entouraient la bouche béante d’admiration, quand il daignait s’asseoir à une fête et faire résonner sa guzla sonore.


3.

Chanterai-je encore, pour que les jeunes joueurs de guzla disent en souriant : Hyacinthe Maglanovich est mort ; sa guzla est fausse, et ce vieillard tout cassé radote. Qu’il laisse à d’autres, plus habiles que lui, l’honneur de charmer les heures de la nuit, en les faisant paraître courtes par leurs chants.


4.

Eh bien ! qu’ils se présentent, les jeunes joueurs de guzla ; qu’ils nous fassent entendre leurs vers harmonieux. Le vieux Maglanovich les défie tous. Il a vaincu leurs pères aux combats de l’harmonie ; il les vaincra tous : car Hyacinthe Maglanovich est comme ces vieux châteaux ruinés2. Mais les maisons neuves sont-elles aussi belles ?


5.

La guzla de Hyacinthe Maglanovich est aussi vieille que lui ; mais jamais elle ne se déshonora en accompagnant un chant médiocre. Quand le vieux poëte sera mort, qui osera prendre sa guzla et en tirer des sons ? Non, l’on enterre un guerrier avec son sabre : Maglanovich reposera sous terre avec sa guzla sur sa poitrine.


NOTES.

1. Tout me porte à croire que ce morceau a été réellement improvisé. Maglanovich avait une grande réputation parmi ses compatriotes pour les impromptus, et celui-ci, au dire des connaisseurs du pays, est un de ses meilleurs.

2. Allusion aux monuments antiques dont les ruines imposantes se rencontrent à chaque pas.


Séparateur