Traduction par Henry D. Davray.
L. Vandamme & Co. (p. 229-·).


XXVII

ÉPILOGUE

En terminant mon récit, je regrette de n’avoir pu contribuer qu’en une si faible mesure à jeter quelque clarté sur maintes questions controversées et qu’on discute encore. Sous un certain rapport, j’encourrai certainement des critiques, mais mon domaine particulier est la philosophie spéculative, et mes connaissances en physiologie comparée se bornent à un ou deux manuels. Cependant, il me semble que les hypothèses de Carter, pour expliquer la mort rapide des Marsiens, sont si probables qu’on peut les considérer comme une conclusion démontrée, et je me suis rangé à cette opinion, dans le cours de mon récit.

Quoi qu’il en soit, on ne retrouva, dans les cadavres marsiens qui furent examinés après la guerre, aucun bacille autre que ceux connus déjà comme appartenant à des espèces terrestres. Le fait qu’ils n’enterraient pas leurs morts, et les massacres qu’ils perpétrèrent avec tant d’indifférence, prouvent qu’ils ignoraient entièrement les dangers de la putréfaction. Mais, si concluant que cela soit, ce n’est en aucune façon un argument irréfutable et catégorique.

La composition de la Fumée Noire, que les Marsiens employèrent avec des effets si meurtriers, est encore inconnue, et le générateur du Rayon Ardent demeure un mystère. Les terribles catastrophes, qui se produisirent pendant des recherches aux laboratoires d’Ealing et de South Kensington, ont découragé les chimistes, qui n’osent se livrer à de plus amples investigations. L’analyse spectrale de la Poussière Noire indique, sans possibilité d’erreur, la présence d’un élément inconnu, qui forme, dans le vert du spectre, un groupe brillant de trois lignes ; il se peut que cet élément se combine avec l’argone, pour former un composé qui aurait un effet immédiat et mortel sur quelque partie constitutive du sang. Mais des spéculations aussi peu prouvées n’intéressent guère l’ordinaire lecteur, auquel s’adresse

ce récit. On n’avait naturellement pas pu examiner l’écume brunâtre qui descendit la Tamise après la destruction de Shepperton, et on n’aura plus l’occasion de le faire.

J’ai déjà donné les résultats de l’examen anatomique des Marsiens, autant qu’un tel examen était possible sur les restes laissés par les chiens errants. Tout le monde a pu voir le magnifique spécimen, presque complet, qui est conservé dans l’alcool au Muséum d’Histoire Naturelle, ou les innombrables dessins et reproductions qui en furent faits ; mais, en dehors de cela, l’intérêt qu’offrent leur physiologie et leur structure demeure purement scientifique.

Une question, d’un intérêt plus grave et plus universel, est la possibilité d’une nouvelle attaque des Marsiens. Je suis d’avis que l’on n’a pas accordé suffisamment d’attention à cet aspect du problème. À présent, la planète Mars est en conjonction, mais pour moi, à chaque retour de son opposition, je m’attends à une nouvelle

… les formidables engins, d’une puissance et d’une complexité si grandes et si surprenantes, montaient sinistres, étranges et vagues, hors des ténèbres, vers la lumière.

tentative. En tous les cas, nous devrons être prêts. Il me semble qu’il serait possible de déterminer exactement la position du canon avec lequel ils nous envoient leurs projectiles, d’établir une surveillance continuelle de cette partie de la planète et d’être avertis de leur prochaine invasion.

On pourrait alors détruire le cylindre, avec de la dynamite ou d’autres explosifs, avant qu’il ne soit suffisamment refroidi pour permettre aux Marsiens d’en sortir ; ou bien, on pourrait les massacrer à coups de canon, dès que le couvercle serait dévissé. Il me paraît que, par l’échec de leur première surprise, ils ont perdu un avantage énorme, et peut-être aussi voient-ils la chose sous ce même jour.

Lessing a donné d’excellentes raisons de supposer que les Marsiens ont effectivement réussi à faire une descente sur la planète Vénus. Il y a sept mois, Vénus et Mars étaient sur une même ligne avec le soleil, c’est-à-dire que, pour un observateur placé sur la planète Vénus, Mars se trouvait en opposition. Peu après, une trace particulièrement sinueuse et lumineuse apparut sur l’hémisphère obscur de Vénus, et, presque simultanément, une trace faible et sombre, d’une similaire sinuosité, fut découverte sur une photographie du disque marsien. Il faut voir les dessins qu’on a faits de ces signes, pour apprécier pleinement leurs caractères remarqua blement identiques.

En tous les cas, que nous attendions ou non une nouvelle invasion, ces événements nous obligent à modifier grandement nos vues sur l’avenir des destinées humaines. Nous avons appris, maintenant, à ne plus considérer notre planète comme une demeure sûre et inviolable pour l’Homme : jamais nous ne serons en mesure de prévoir quels biens ou quels maux invisibles peuvent nous venir tout à coup de l’espace. Il est possible que, dans le plan général de l’univers, cette invasion ne soit pas pour l’homme sans utilité finale ; elle nous a enlevé cette sereine confiance en l’avenir, qui est la plus féconde source de décadence ; elle a fait à la science humaine des dons inestimables, et contribué dans une large mesure à avancer la conception du bien-être pour tous, dans l’humanité. Il se peut qu’à travers l’immensité de l’espace les Marsiens aient suivi le destin de leurs pionniers, et que, profitant de la leçon, ils aient trouvé dans la planète Vénus une colonie plus sûre. Quoi qu’il en soit, pendant bien des années encore, on continuera de surveiller sans relâche le disque de Mars, et ces traits enflammés du ciel, les étoiles filantes, en tombant, apporteront à tous les hommes une inéluctable appréhension.

Il serait difficile d’exagérer le merveilleux développement de la pensée humaine, qui fut le résultat de ces événements. Avant la chute du premier cylindre, il régnait une conviction générale qu’à travers les abîmes de l’espace aucune vie n’existait, sauf à la chétive surface de notre minuscule sphère. Maintenant, nous voyons plus loin. Si les Marsiens ont pu atteindre Vénus, rien n’empêche de supposer que la chose soit possible aussi pour les hommes. Quand le lent refroidissement du soleil aura rendu cette terre inhabitable, comme cela arrivera, il se peut que la vie, qui a commencé ici-bas, aille se continuer sur la planète sœur. Aurons-nous à la conquérir ?

Obscure et prodigieuse est la vision que j’évoque de la vie, s’étendant lentement, de cette petite serre chaude du système solaire, à travers l’immensité vide de l’espace sidéral. Mais c’est un rêve lointain. Il se peut aussi, d’ailleurs, que la destruction des Marsiens ne soit qu’un court répit. Peut-être est-ce à eux et nullement à nous que l’avenir est destiné.

Il me faut avouer que la détresse et les dangers de ces moments ont laissé, dans mon esprit, une constante impression de doute et d’insécurité. J’écris, dans mon bureau, à la clarté de la lampe, et soudain, je revois la vallée, qui s’étend sous mes fenêtres, incendiée et dévastée ; je sens la maison autour de moi vide et désolée. Je me promène sur la route de Byfleet, et je croise toutes sortes de véhicules, une voiture de boucher, un landau de gens en visite, un ouvrier à bicyclette, des enfants s’en allant à l’école, et soudain, tout cela devient vague et irréel, et je crois encore fuir avec l’artilleur, à travers le silence menaçant et l’air brûlant. La nuit, je revois la Poussière Noire obcurcissant les rues silencieuses, et, sous ce linceul, des cadavres grimaçants ; ils se dressent devant moi, en haillons et à demi dévorés par les chiens ; ils m’invectivent et deviennent peu à peu furieux, plus pâles et plus affreux, et se transforment enfin en affolantes contorsions d’humanité. Puis je m’éveille, glacé et bouleversé, dans les ténèbres de la nuit.

Je vais à Londres ; je me mêle aux foules affairées de Fleet Street et du Strand, et ces gens semblent être les fantômes du passé, hantant les rues que j’ai vues silencieuses et désolées, allant et venant, ombres dans une ville morte, caricatures de vie dans un corps pétrifié. Il me semble étrange, aussi, de grimper, ce que je fis la veille du jour où j’écrivis ce dernier chapitre, au sommet de Primrose Hill, pour voir l’immense province de maisons, vagues et bleuâtres, à travers un voile de fumée et de brume, disparaissant au loin dans Le ciel bas et sombre, de voir

… en une seule semaine, l’examen des mécanismes marsiens avait donné des résultats surprenants.

les gens se promener dans les allées bordées de fleurs, au flanc de la colline, d’observer les curieux venant voir la machine marsienne, qu’on a laissée là encore, d’entendre le tapage des enfants qui jouent, et de me rappeler que je vis tout cela ensoleillé et clair, triste et silencieux, à l’aube de ce dernier grand jour…

Et le plus étrange de tout, encore, est de penser, tandis que j’ai dans la mienne sa main mignonne, que ma femme m’a compté, et que je l’ai comptée, elle aussi, parmi les morts.

ILLUSTRATIONS HORS TEXTE

Pages
Livre PremierL’arrivée des Marsiens
5
CHAPITRE i.
11
CHAPITRE ii.
17
CHAPITRE iii.
23
CHAPITRE iv.
29
CHAPITRE v.
35
CHAPITRE vi.
41
CHAPITRE viii.
47
CHAPITRE ix.
53
CHAPITRE x.
63
CHAPITRE xii.
73
83
CHAPITRE xiv.
93
CHAPITRE xv.
111
CHAPITRE xvi.
125
CHAPITRE xvii.
131
139
CHAPITRE xviii.
143
CHAPITRE xix.
153
159
CHAPITRE xx.
165
CHAPITRE xxii.
175
CHAPITRE xxiii.
181
CHAPITRE xxiv.
187
193
199
205
CHAPITRE xxv.
215
CHAPITRE xxvi.
221
227
CHAPITRE xxvii.
231
235

ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE

Pages
CHAPITRE i.
7
14
CHAPITRE ii.
15
20
CHAPITRE iii.
21
25
CHAPITRE iv.
26
28
CHAPITRE v.
31
32
34
CHAPITRE vi.
37
38
39
CHAPITRE vii.
40
45
CHAPITRE viii.
46
50
CHAPITRE ix.
51
57
CHAPITRE x.
58
62
CHAPITRE xi.
65
68
70
CHAPITRE xii.
71
75
76
77
82
CHAPITRE xiii.
85
86
90
CHAPITRE xiv.
91
95
97
98
99
101
102
103
CHAPITRE xv.
104
105
108
109
113
CHAPITRE xvi.
114
116
118
120
122
123
124
CHAPITRE xvii.
127
128
129
130
134
135
137
CHAPITRE xviii.
141
146
147
149
CHAPITRE xix.
150
152
155
156
157
159
159
CHAPITRE xx.
162
163
168
169
CHAPITRE xxi.
170
CHAPITRE xxii.
174
178
CHAPITRE xxiii.
179
183
184
CHAPITRE xxiv.
185
198
203
204
207
CHAPITRE xxv.
208
209
211
212
213
218
CHAPITRE xxvi.
219
220
224
225
226
CHAPITRE xxvii.
229
230
234
237