Traduction par Ernest Jaeglé.
Librairie H. Le Soudier (p. 33-38).
CONVERSION À DROITE DE L’ARMÉE ALLEMANDE


Pour sa retraite, le maréchal de Mac-Mahon avait pris une direction qui l’empêchait absolument de rester en communication avec le maréchal Bazaine.

Comme les Allemands ne le poursuivirent pas, il aurait pu, Pour opérer sa jonction avec la portion principale de l’armée française, employer la ligne du chemin de fer de Lunéville à Metz, car, de fait, cette ligne, le 9 août encore, était libre. Mais le bruit courait que les Prussiens s’étaient déjà montrés à Pont-à-Mousson et le moral de ses troupes était tel qu’il ne pouvait songer à les remettre de suite en contact avec l’ennemi.

En conséquence, le 1e corps français fit un crochet au sud dans la direction de Neufchâteau, d’où il pouvait être transporté à Châlons par les voies ferrées. Le 5e corps recevait des ordres contradictoires du grand quartier général, l’envoyant tantôt ici, tantôt là. D’abord il devait marcher sur Nancy, puis il lui fallut prendre la direction opposée et se rendre à Langres. Arrivé à Charmes, il reçut l’ordre de revenir sur Toul ; finalement on le dirigea, lui aussi, de Chaumont à Châlons. Là, le général Trochu avait organisé un nouveau corps, le 12e, et, en arrière de ce point de concentration, le 7e corps fut transporté par le chemin de fer, de l’Alsace à Paris, par Bar-sur-Aube, et de là à Reims.

De la sorte, il s’était formé, à la date du 22 août, une armée de réserve comprenant quatre corps d’armée et deux divisions de cavalerie ; elle était placée sous les ordres du maréchal de Mac-Mahon ; mais, se trouvant à la distance de 188 kilomètres, elle n’était pas à même de secourir le maréchal Bazaine, posté immédiatement en face de l’ennemi qui s’avançait pour l’assaillir.

Sous la première impression de la double défaite essuyée le 6 août, le grand quartier impérial avait cru devoir faire également rétrograder jusqu’à Châlons l’armée du maréchal Bazaine, et le 6e corps, qui était, en partie du moins, en route pour se rendre de Châlons à Metz, reçut l’ordre de rebrousser chemin. On abandonna encore ce dessein. L’empereur n’avait pas seulement en face de lui l’ennemi du dehors, il avait à compter également avec l’opinion publique au dedans. La nation eût ressenti la plus vive indignation, si elle l’avait vu abandonner des provinces entières au début d’une campagne sur laquelle on avait nourri les espérances les plus brillantes. On pouvait encore concentrer en avant de la Moselle 200 000 hommes qui auraient pour point d’appui une grande place de guerre et, lors même que l’adversaire disposerait de la supériorité numérique, ses corps d’armée n’en étaient pas moins éparpillés sur une ligne mesurant 90 kilomètres d’étendue. Il leur fallait franchir la Moselle et il était fort possible que, forcément séparés les uns des autres pour effectuer ce pas sage, ils se trouvassent inférieurs en nombre au point même où se livrerait la lutte décisive.

L’état-major de la troisième armée allemande ignorait l’état de désorganisation complète de l’ennemi qu’elle avait battu, il n’avait pas davantage pu se rendre compte de la direction dans laquelle celui-ci se retirait. On s’attendait à le trouver rangé en bon ordre sur le versant occidental des Vosges, prêt à résister de nouveau, et comme la chaîne de montagnes ne pouvait être franchie qu’en colonnes isolées, on ne s’avança qu’avec la plus grande circonspection et par courtes étapes.

Bien que la distance de Reichshoffen à la Sarre, mesurée en ligne droite, ne soit que de 45 kilomètres, on n’arriva sur les bords de cette rivière qu’après cinq jours de marche. On n’avait pas rencontré d’ennemis, sauf dans les places de guerre, de peu d’importance à la vérité, mais capables de résister à un assaut, et interceptant les principales routes à travers la montagne. On dut se résigner à tourner péniblement Bitche ; Lichtenberg fut enlevé par surprise, la Petite-Pierre avait été abandonnée par sa garnison, Phalsbourg fut investi par le VIe corps marchant à la suite de l’armée, et Marsal capitula après avoir fait une résistance peu sérieuse.

L’aile gauche n’avait donc pas d’ennemi en face d’elle, on pouvait sans crainte l’attirer davantage vers le centre. Pour que les trois armées se trouvassent à hauteur l’une de l’autre, il était nécessaire d’exécuter une conversion à droite. Mais comme la troisième armée n’arriva que le 12 sur la Sarre, il fallut que la deuxième et la première ralentissent leur mouvement en avant. Le mouvement dans bon ensemble fut réglé de telle sorte que les routes de Saar-Union à Dieuze et celles situées plus au sud furent assignées à la troisième armée, tandis que la deuxième suivrait celles de Saint-Avold à Nomény, et les autres situées plus au sud ; quant à la première, elle prendrait la route de Sarrelouis aux Étangs ; cette dernière armée s’avançait donc dans la direction de Metz.

Les divisions de cavalerie qui reconnaissaient le terrain, fort loin en avant du front de l’armée, annonçaient que sur toute la ligne l’ennemi rétrogradait. Elles poussèrent jusque sous Metz et des deux côtés de la place s’étendirent au delà de la Moselle. Elles y trouvèrent des fractions du corps de Canrobert que l’on s’était tout de même décidé à faire venir de Châlons, et les contraignirent à rebrousser chemin. Mais, en même temps, tous les rapports fournis par ces divisions portaient qu’en avant de Metz des masses de troupes fort considérables campaient sous la tente.

De ce fait, on pouvait tout aussi bien conclure que l’adversaire continuait à battre en retraite ou bien qu’il était dans l’intention de prendre l’offensive en se jetant sur l’aile droite de l’armée ennemie, au moment où, pour lui faire franchir la Moselle, l’état-major ne pourrait se dispenser de l’isoler de l’aile gauche.

D’ordinaire, le généralissime et son état-major se contentaient de donner aux armées des directives générales et de s’en remettre, pour l’exécution de détail, aux généraux en chef de chacune d’elles. Mais, dans la situation telle qu’elle se dessinait en ce moment, on crut qu’il était nécessaire de régler, d’après un plan défini, par des ordres directs, les mouvements de chacun des corps d’armée. Aussi le quartier général de Sa Majesté fut-il, le 11 août, transféré à Saint-Avold, en première ligne, en un point central entre la première et la deuxième armée, de façon à pouvoir en temps opportun intervenir immédiatement auprès de l’une ou de l’autre ou des deux à la fois. Le 12 août, les trois corps de la première armée se portèrent en avant dans la direction de la Nied allemande qu’ils trouvèrent abandonnée par les Français. À leur gauche, trois corps également de la deuxième armée, se portèrent sur la même ligne, à Faulquemont et Morhange, tandis que les deux autres venaient à leur suite.

Le lendemain, la deuxième armée atteignit la Seille sans avoir rencontré l’ennemi, et l’infanterie occupa Pont-à-Mousson.

L’étrange inaction des Français et les rapports fournis par les divisions de cavalerie qui, sur la rive opposée de la Moselle, s’étaient portées en avant d’une part jusqu’à Toul et d’autre part jusque sur la route de Verdun, permettaient, il est vrai, d’admettre que l’ennemi ne tiendrait pas davantage devant Metz. Mais il n’était pas impossible, d’un autre côté, qu’avec ses 200 bataillons, il se jetât sur la première armée qu’il avait directement en face de lui. Aussi l’état-major prescrivit-il que les deux corps d’aile de la deuxième armée feraient, pour le moment, halte au sud de Metz et à proximité de la place, afin de prendre, le cas échéant, l’ennemi en flanc, au cas où il tenterait cette attaque. Si, au contraire, ces deux corps étaient assaillis par lui, la première armée devait exécuter cette attaque de flanc.

Les autres corps de la deuxième armée continuèrent, plus au sud, leur marche vers la Moselle. Après avoir franchi la rivière, ils pouvaient, si l’ennemi venait à les assaillir avec des forces supérieures en nombre, se dérober et rejoindre la troisième armée.

Les généraux allemands ne furent pas unanimes à admettre que tant de circonspection fût nécessaire. Cer tains disaient que les Français étant en train de franchement battre en retraite, on ne devait pas les laisser s’éloigner sans leur infliger des pertes et qu’il fallait sans plus tarder se mettre à leurs trousses. En effet, l’état-major français avait résolu de continuer la retraite. Or, quand, dans l’après-midi du 14 août, le VIIe corps constata qu’un mouvement rétrograde était exécuté par l’adversaire, il se produisit encore, de ce côté-ci de la Moselle, un contact qui se transforma graduellement en bataille dans le courant de la soirée, les corps les plus rapprochés accourant de leur propre mouvement au secours des troupes engagées.