Traduction par Ernest Jaeglé.
Librairie H. Le Soudier (p. 15-18).
Combat de Wissembourg


4 août. — Ce même jour les corps de la troisième armée, concentrés dans des bivouacs en arrière du Klingsbach, franchirent la frontière française. Ils présentaient un effectif de 128 bataillons, 102 escadrons et 80 batteries, et devaient, s’avançant sur un front étendu, atteindre la Lauter de Wissembourg à Lauterbourg.

Ce cours d’eau forme une position défensive extrêmement forte ; mais le 4 août elle n’était occupée que par une division peu nombreuse et une brigade de cavalerie du 1er corps français dont le gros était en train de s’avancer vers le Palatinat.

De très grand matin déjà, les Bavarois, à l’aile droite, se heurtèrent à une résistance fort vive en avant des remparts de Wissembourg qui étaient parfaitement capables encore de résister à un assaut. Mais bientôt les deux corps prussiens eurent franchi la Lauter, en aval de la ville. Afin de tourner l’aile droite de l’ennemi, le général de Bose fit avancer le XIe corps sur le Geisberg, tandis que le général de Kirchbach se portait en avant avec le Ve contre le front de la position ennemie. Dans l’intervalle, 30 pièces de canon avaient été mises en batterie contre la gare de Wissembourg. Celle-ci puis la ville furent enlevées après des engagements sanglants.

À 10 heures, déjà le général Douay, voyant sa ligne de retraite sérieusement compromise par le mouvement des Prussiens dans la direction du Geisberg, avait donné à sa division l’ordre de se retirer. Afin de rendre possible cette retraite, les Français firent aux Prussiens la résistance la plus opiniâtre dans le château de Geisberg, fort susceptible d’être vigoureusement défendu. C’est en vain que les grenadiers du 7e régiment (régiment du Roi) donnèrent l’assaut à cette position : ils subirent des pertes fort graves. La garnison ne se rendit que quand on fut parvenu, au prix des plus grands efforts, à amener de l’artillerie sur la hauteur.

La division française avait attiré sur elle trois corps d’armée allemands ; elle était parvenue à effectuer sa retraite après avoir fait à l’ennemi une résistance vigoureuse. Ses pertes étaient nombreuses et la retraite se changea en débandade. Son brave chef était tombé au cours de l’engagement. De leur côté les Allemands avaient subi des pertes relativement considérables : 91 officiers et 1460 hommes. Le général de Kirchbach avait été blessé au premier rang.

La 4e division de cavalerie, s’avançant sur un front de 30 kilomètres, s’était croisée avec de nombreuses colonnes d’infanterie ; de là un retard qui ne lui permit pas d’at teindre en temps opportun le champ de bataille : on perdit le contact avec l’ennemi qui battait en retraite dans la direction de l’ouest.

Ne sachant pas de quel côté s’avanceraient de nouvelles forces françaises, la troisième armée se porta en avant, le 5 août, sur des routes divergentes, aussi bien dans la direction de Haguenau que dans celle de Reichshoffen. Cependant la marche en avant fut restreinte de façon qu’il fût possible de concentrer les corps en une faible journée de marche. Le prince royal avait l’intention d’accorder, le lendemain, un jour de repos aux troupes, afin de les mener à l’attaque de l’ennemi, dès qu’il serait parvenu à se rendre un compte exact de la situation.

Mais, dès le soir, les Bavarois à l’aile droite et le Ve corps sur le front, eurent le contact avec l’ennemi, et cela vigoureusement. On constata la présence de forces françaises considérables derrière la Sauer. Il était permis de supposer que le maréchal de Mac-Mahon avait attiré à lui, de Strasbourg, le 7e corps ; mais ce qu’on ne savait pas, c’était s’il comptait opérer sa jonction avec le maréchal Bazaine par Bitche ou accepter la bataille à Wœrth une fois qu’il se serait assuré sa ligne de retraite par la route qui conduit à ce fort. De plus, il était possible qu’il prit lui-même l’offensive, et le prince royal, afin de disposer, en vue de toutes les éventualités, de forces suffisantes, voulut, au préalable, concentrer l’armée à Soultz, le 6 août. Le IIe corps bavarois reçut en outre la mission spéciale d’envoyer une de ses divisions pour observer l’ennemi dans la direction de Bitche, tandis que l’autre, au cas où l’on entendrait le canon du côté de Wœrth, se porterait sur la rive occidentale de la Sauer, dans le flanc de l’ennemi qui aurait pris l’offensive. Le maréchal de Mac-Mahon avait fait tout son possible pour masser le plus de troupes qu’il pût de ses trois corps d’armée ; et il avait, en effet, le dessein d’attaquer sans tarder l’ennemi qui avait envahi le territoire français. L’une des divisions du 7e corps venait d’être transportée à Mulhouse pour protéger l’Alsace ; à peine arrivée, elle fut ramenée à Haguenau et le 6 au matin elle vint former l’aile droite de la position très forte que le 1er corps d’armée français occupait derrière la Sauer en avant de la ligne de Frœschviller à Eberbach par Elsasshausen. À l’aile gauche on attendait l’arrivée de la division de Lespart du 5e corps, venant de Bitche, dont les autres fractions partaient seulement de Sarreguemines pour s’avancer à l’est par Rohrbach. En attendant, la division Ducrot formait sur cette aile un crochet défensif.

De tout ce qui précède il ressort que de part et d’autre les généraux en chef n’avaient l’intention de procéder à l’attaque que le lendemain ; mais partout où les armées ennemies seront aussi rapprochées l’une de l’autre qu’elles l’étaient ici, la lutte s’engagera très facilement, même contre le gré des hommes placés à leur tête.