La Grande Morale/Livre I/Chapitre 18

CHAPITRE XVIII.

§ 1. La fin véritable de la vertu, c’est le bien ; et la vertu vise plus à cette fin qu’aux choses qui la doivent produire, attendu que ces choses même font partie de la vertu. Quelque vraie que soit cette théorie, si. l’on voulait la généraliser, elle pourrait devenir absurde ; par exemple, en peinture, on pourrait être un excellent copiste, sans cependant mériter la moindre louange, à moins que l’on se proposât exclusivement pour but de faire des copies parfaites. Mais on peut dire absolument que le propre de la vertu, c’est de se proposer toujours le bien.

§ 2. «Mais pourquoi, dira-t-on peut-être, avez-vous établi tout à l’heure que l’acte vaut mieux encore que la vertu elle-même? Et pourquoi maintenant accordez-vous à la vertu, comme sa condition la plus belle, non pas ce qui produit l’acte, mais ce dans quoi il n’y a pas même d’acte possible ? »

§ 3. Sans doute ; et maintenant même, nous le disons encore comme nous le disions plus haut : Oui, l’acte est meilleur que la simple faculté. Les autres hommes, en observant un homme vertueux, ne le peuvent juger que par ses actions, parce qu’il est impossible de voir directement l’intention que chacun peut avoir. Si nous pouvions toujours, dans les pensées de nos semblables, connaître où ils en sont relativement au bien, l’homme vertueux nous paraîtrait tout ce qu’il est, sans même avoir besoin d’agir. Mais puisque nous avons énuméré, en comptant les passions, quelques-uns des milieux qui constituent la vertu, il nous faut dire quelles sont les passions auxquelles ces milieux s’appliquent.