La Galanterie sous la sauvegarde des lois/00

Chez tous les marchands de nouveautés (p. Ill.-28).

Le caleçon et l’homme reste !...

À la scène d’exposition on pouvait prévoir le dénouement...

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DESCRIPTION
APOLOGÉTIQUE
DU PREMIER SÉRAIL
DE LA CAPITALE,
NUMÉROTÉ 113.


Sera-t-il absolument nécessaire de déclarer ici hautement, pour satisfaire d’avance au jugement de l’inexorable histoire, et particulièrement contenter les partisans du système d’Épicure, sans omettre les inspecteurs des maisons galantes, harems et sérails de la capitale, qui liront ces présentes, qu’un témoin oculaire et auriculaire des plus petits détails de l’administration des menus plaisirs de la maison de commerce sous la raison de madame L***, s’impose ici le devoir de faire une description impartiale et véridique du numéro 113 ?… de ce numéro si célèbre dans les fastes de la galanterie !… que ce témoin de tant de belles choses qui tiennent comme de la fable et de l’enchantement, c’est moi-même enfin qui, par un concours de circonstances qui seront expliquées plus loin, me trouve en quelque sorte placé dans l’obligation de composer cette petite œuvre apologétique ?

Ce sera donc vivre dix ans parmi les nymphes et odalisques de ce beau sérail, que de lire attentivement ce mémoire justificatif que j’ai rédigé en faveur de madame L***, pour la défendre, à la face de l’univers, des imputations, des fables calomnieuses que l’on débite dans le public contre l’honneur de sa maison…

Dans cet établissement si précieux pour la jeunesse, si avantageux pour les dames, je me fais fort de faire loucher tout au doigt, non par la narration mensongère et romanesque d’un écouteur aux portes qui se plaît dans ses récits infidèles à forger, sous les yeux de ses lecteurs bénévoles, des portraits, des descriptions, des scènes et des dialogues entièrement au gré de son imagination vagabonde, et tel qu’un folliculaire imposteur qui décrit des conversations entre deux majestés, tandis qu’il n’a pas les plus petites liaisons avec le dernier marmiton de leurs palais, a l’audace d’apposer le cachet du sceau de la vérité sur un tissu de mensonges apocryphes ; non, je le répète, je garantis ce que j’écris, et donne ce livre important au public comme le double fruit de la sincérité et de l’examen le plus scrupuleux.

J’entends déjà crier au scandale ; encore une production obscène ! dit ce faux bigot dont la pudeur consiste dans les mots et non dans les choses… — Encore un ouvrage dangereux aux bonnes mœurs ! s’écrie ce libertin mal converti qui, après avoir parcouru pendant trente ans de sa vie la carrière des dissolutions et du libertinage, commence à s’amender par impuissance et par épuisement, et parle de sa sagesse tardive d’une bouche corrompue et encore flétrie des cicatrices de la débauche…

« Point d’œuvres lestes et galantes ; il faut en faire une prohibition complète, dit d’un ton capable et comédien cet homme d’état, ce législateur de fraîche date qui, dans des liaisons adultères, entretient fastueusement à la chaussée d’Antin une piquante concubine ; ce légiste d’hier oublie que, lors des premiers orages de la révolution, piteusement huché dans une mansarde, sa famélique verve ne vivait que de rapsodies érotiques ; mais à force de concussions, de bassesses et de palinodies, descendu au salon il retrouve, au sein d’un brigandage élevé et savant, de la pudeur et des mœurs ; enfin, Ariste le parvenu, que je viens de mettre ici en scène, est pudibond par calcul, et s’est fait un masque d’honnête homme pour mieux nous duper…

Laissons ces hypocrites, ces faux censeurs atrabilaires ; il faut les rejeter dans cette classe d’êtres équivoques.

« Qui n’ont jamais connu que l’art infructueux
» De peindre la vertu sans être vertueux. »

Ne nous interdisons pas, effrayés d’avance du bruit de leurs chastes rumeurs, une débauche d’esprit, une pure folie à laquelle notre imagination seule, et non nos principes, a donné naissance ; notre intention est de distraire, est d’amuser, et non de corrompre et de blesser la pudeur de nos chers lecteurs, et nous sommes bien persuadés déjà que cette bagatelle, la galanterie sous la sauve-garde des lois, ne porte avec elle aucune espèce de danger : non pas que nous nous flattions, au moyen de cette petite apologie, de pouvoir éviter, moi auteur, ainsi que mon éditeur, d’être assaillis d’un déluge de réflexions saugrenues de la part de cette foule d’énergumènes qui vont s’appliquer à trouver dans mon stile ainsi qu’au fond et aux formes de cette bluette légère, une physionomie gravuleuse, et vendant leur courroux et leur pudeur blessée 6 francs la feuille au libraire, et 3 francs l’article aux gazetiers, ne manqueront pas, peut-être encore, dans une brochure in-8o, de nous prêcher morale pour pouvoir payer leur hôtel garni… Mais dédaignant leurs clameurs, laissons-les seuls s’escrimer ; revenons à notre affaire, et décrivons avec impartialité un magasin de galanteries, dont de nombreuses et absurdes relations ont défiguré l’état actuel.

Sans cependant m’établir ici l’avocat des mauvaises mœurs et des mauvais lieux, je vais céder, par un sentiment de justice, à la nécessité dans laquelle je me suis en quelque sorte mis, de donner une idée exacte ou fabuleuse, comme on voudra, d’un des mieux composés et des plus brillans sérails du palais Royal, et peut-être de l’Europe. On ne trouvera peut-être pas indifférent d’apprendre par quel concours de circonstances je suis appelé à devenir le Petit Salluste de cette histoire ; il est facile d’en faire part à nos lecteurs.

J’étais chez moi, assis à mon bureau, et parcourant par hasard une de mes brochures intitulée les nymphes du palais Royal, je me reprochais intérieurement, sous bien des rapports, l’excès de sévérité hors de propos, que j’avais déployée dans une pareille matière, et je me disais en souriant : « Ces pauvres nymphes doivent bien m’en vouloir de les traiter de la sorte ; je crois, me dis-je, que j’agirai prudemment en ne passant pas devant elles, surtout vis-à-vis celles du no 113. »

Je faisais ces repentantes réflexions, lorsque mon domestique m’annonça qu’une grosse dame désirait me parler… « Faites entrer… — Je reconnais aussitôt madame L***, la directrice de ce no 113, si célèbre dans le monde galant… — » Ah ! mon dieu, m’écriai-je à part moi, comment vais-je me tirer de ce pas ?… C’est mon maudit cri de la pudeur, c’est ma diatribe sur les nymphes du palais Royal qui me vaut cette périlleuse visite… » Je m’empressai aussitôt de jeter de côté la brochure fulminante, et demandai à cette dame le motif qui me procurait l’avantage de la voir. — Vous êtes monsieur C***, me dit-elle, et conséquemment l’auteur des Nymphes du palais Royal ? — Madame, il est vrai, dans un moment d’oisiveté, je me suis plu à jeter quelques idées sans prétentions… — Fort bien, monsieur, répartit madame L*** ; il ne m’appartient pas de m’établir votre juge ici, vos opinions sont tout-à-fait libres, et malgré que je pourrais me plaindre avec quelque droit…, à vous-même peut-être, de la manière cavalière et souvent injurieuse dont je suis traitée dans certaines brochures par des auteurs sans nom, et qui ne me connaissent pas plus que ma maison… — Mais, répartis-je (j’allais l’interrompre pour m’expliquer) — Laissez-moi continuer, je vous prie, monsieur C***, je ne veux point récriminer, et malgré que je pourrais me formaliser vis-à-vis de vous-même, au moins d’un manque de politesse envers une étrangère qui ne vous fit jamais aucun tort : que pensez-vous, poursuivit-elle, de ces dégoûtantes parodies qui nous offrent au public sous la figure de caricatures obscènes, et nous associent, d’un style ordurier, aux saletés de leurs lâches calomnies, de leurs viles compositions sans talent, comme sans acheteurs ??… Sans doute l’homme sensé, l’homme d’esprit, continua madame L***, du ton d’un doux emportement, méprise ces pamphlets licencieux, et les jeunes beautés que je tiens chez moi (c’est l’expression dont elle se servit) n’en perdent pas le plus petit degré d’attrait ; leur mérite personnel ne tient pas à la louange ou aux mépris de ces productions éphémères et invraisemblables… Cependant je ne puis, malgré tout le peu de cas que j’en fais, je ne puis, monsieur C***, vous dissimuler mon déplaisir, mon ennui, mon chagrin même de nous trouver toujours choisies pour le centre commode et les héroïnes bénévoles de toutes les obscénités qui empoisonnent la librairie des baraques de bois du palais Royal et des étalagistes des boulevards ; je souffre, je l’avoue, de nous voir toujours mises en scène par la lie des écumeurs de la littérature, et de fournir du pain pour quelques jours à des auteurs mendians qui vivent et spéculent sur la célébrité des femmes de ma maison et clouent les portraits de mes nymphes sur la première rapsodie que la faim fait sortir de leur cerveau : je vous l’ai déjà déclaré monsieur C***, je ne vous enveloppe pas dans mes ressentimens ; le mal que vous avez dit de nous, vous l’avez du moins raisonné et exprimé d’un ton décent et modéré, et malgré qu’il faut que je convienne ici que vous avez annoncé une grande connaissance des femmes galantes en général, permettez-moi cependant de vous dire que vous avez parlé du no 113 particulièrement, en souverain qui ne connaît l’esprit de ses peuples que par l’organe de ses ministres, c’est-à-dire fort imparfaitement… »

Je cherchai de nouveau à me justifier vis-à-vis de madame L*** ; elle m’interrompit encore aussitôt. Tenez, me dit-elle, vous me paraissez un galant homme, laissons donc tous ces discours inutiles, et venez passer huit à quinze jours chez moi, vous n’y aurez d’autre qualité que celle d’observateur, je vous donne carte blanche ; votre à-plomb ne me répond-il pas d’avance de votre chasteté ?… Gardez-vous bien toutefois de terminer comme le Philosophe marié, et de laisser échouer votre vertu contre tant d’écueils voluptueux…

J’hésitai, je réfléchis un moment, pensif sur l’espèce de défi que madame L*** m’avait porté ; mais elle insista, et d’une manière aussi pressante qu’enjouée : « Songez, me dit-elle, qu’il ne s’agit pas ici de vous donner un démenti grossier et formel sur vos assertions et celles de tant de sots publicistes qui, trop pauvres de leurs productions éphémères et inconnues, ne sont jamais venus chez moi cueillir des myrtes trop chers pour eux ; mais, ajouta-t-elle, d’une manière obligeante et flatteuse, tenant autant que je le fais, à la sagacité de vos observations, à la justesse de vos remarques, je veux, si vous permettez ici de m’exprimer impérativement, que vous connaissiez de point en point ma maison ; j’y donnerai mes ordres absolus, et vous y verrez d’abord que la plus grande discipline, le plus grand ordre y règnent : un appartement, un boudoir, une alcove, une salle de bain seront-ils fermés ?… un cabinet de toilette, un atelier de voluptés, quelque scène mystérieuse de plaisir enfin seront-ils soustraits à votre vue ?… Avec le mot du guet dont j’aurai soin de vous munir, tout s’ouvrira devant vous comme par l’effet d’un magique enchantement ; enfin vous serez, monsieur C***, au sérail de la galerie, appelé vulgairement le no 113, el punto cadi du Calife de Bagdad, et devant un mot à peu près semblable et aussi puissant, tout obéira, tout fléchira devant vous… Voilà cependant la maison, poursuivit-elle, que beaucoup de plumes indiscrètes ont chamarrée de ridicules, et qui pour première qualité présente au public, sous la sauve-garde des lois, un ensemble parfait d’ordre et de bonne harmonie !… »

Je vis bien, après cette longue et chaude apologie de la part de madame L***, qu’il serait inutile de me défendre davantage, et autant excité par l’aiguillon d’une vive et secrète curiosité, que par l’impossibilité de me soustraire aux offres pressantes de madame L***, je me déterminai à partir avec elle dans la voiture qu’elle avait amenée. Muni d’un peu d’or que je pris sur moi, je me résignai à m’embarquer dans un avenir d’aventures qui ne me permettaient nullement alors d’en prévoir la nature et l’issue : pouvais-je refuser à madame L*** cette espèce de réparation de mes déclamations satiriques ?…

Je passai quinze jours dans cette maison, traité d’une manière tout à fait généreuse et galante, et même fastueuse ; chaque matin je rédigeai la quotidienne de tout ce qui s’était passé sous mes yeux dans les vingt-quatre heures précédentes : j’étais d’abord décidé, lorsque je mettrais au jour ces bulletins journaliers des archives de la Galanterie, de les intituler, à l’instar de tant d’illustres personnages accusés, « Mémoires justificatifs de madame L***…, mais elle-même s’y opposa ; et, après bien des débats, nous arrêtâmes le titre que porte ce précis historique des quinze jours et quinze nuits de mon règne au no 113, où moi-même je m’y trouvai placé sous la garde des lois. »

Nos plaisirs et nos spéculations sont licites, reprit madame L***, chemin faisant, on, ne peut conséquemment pas me blâmer de ce que je justifie ici le plus beau sérail de la capitale, surtout sous le rapport des invectives dont nous sommes accablées. — Rien n’est plus juste, madame, lui répondis-je, et ne prêtez-vous pas déjà assez le flanc aux critiques des mauvais plaisans, sans que l’insulte, l’injure et les imprécations viennent vous troubler sans cesse dans vos augustes fonctions et jeter de la défaveur sur un des monumens les plus aimables de l’utilité publique ?… le légiste ne vous protège-t-il pas ainsi que le manteau commode de la police, l’art de vos chirurgiens et le toit hospitalier de votre hôtel des invalides ??… ne rapportez-vous pas au gouvernement un produit immense, fruit des veilles de la beauté et de la jeunesse ?… et les institutions les plus nobles ne prennent-elles pas des alimens dans vos propres ressources ?… on ne peut nier ces vérités ; à quoi servent donc toutes ces déclamations puériles dirigées contre vous ?…

Vous l’avez fort bien dit dans un de vos ouvrages, interrompit madame L*** en m’applaudissant à cet égard ; ce monde est une statue composée des métaux les plus précieux, comme les plus vils ; la brisera-t-on cette statue, parce qu’elle ne présente pas sur toute sa surface des diamans, des saphirs, des émeraudes !… Non, il faut souffrir les choses telles qu’elles sont et ne point nous ériger en réformateurs terribles… Je pris cette allusion pour moi, mais ma conductrice me protesta qu’elle n’avait voulu parler ici qu’en général ; je convins avec elle que ses sophismes avaient quelque force de ce côté, tout spécieux qu’ils étaient d’ailleurs

J’avais pris la précaution d’instruire mon domestique que je partais, lui avais-je dit, pour la campagne, en lui recommandant de prendre soin de tout dans mon absence ; je m’étais également réservé la facilité d’envoyer chez moi chercher du linge et des habits ; précaution dont j’aurais pu cependant me passer, car ma complaisante introductrice avait dans son vestiaire des habits des deux sexes et était en état d’habiller même des princes sous certains déguisemens nécessaires, me dit-elle, à ceux qui veulent se dérober aux regards du public ou d’une épouse légitime, importune et jalouse.

Ici j’admirai la prévoyance judicieuse et spirituelle de cette institutrice qui alliait tant de prudence à tant de sagacité. Il est nécessaire, pour l’intelligence du lecteur, que je fasse ici remonter mes récits au point de départ que ces légères digressions et ces petits écarts de style ont un instant éloigné de ses yeux.

Arrivés rue du Lycée, derrière le no 113, de la galerie de droite du palais Royal, nous descendîmes de voiture, et madame L*** me prenant par la main, d’une manière affectueuse, dès l’entrée de l’escalier ; venez, mon cher sténographe, me dit-elle, venez écrire l’histoire même du plaisir en petit comité ; venez nous faire passer à la postérité la plus reculée avec vos galans écrits… je vais de suite vous conduire dans l’appartement que je vous destine ; soins, égards, respect, attentions, tout vous y sera prodigué, et j’ordonnerai même qu’on se garde bien de vous parler d’amour ou de galanterie ; je ne veux pas que vous puissiez un jour me faire des reproches sur les atteintes qu’aurait reçues votre vertu : vous ne devez d’ailleurs avoir ici d’autre rôle que celui de l’homme sans passions, de l’historien ; enfin, votre ouvrage, votre unique but est de venger la beauté, la jeunesse et même une certaine partie de la bonne bourgeoisie de Paris, souvent associée à nos travaux, des outrages qu’elles reçoivent souvent : faites donc éclater la vérité qui, loin d’être redoutable pour nous, ne peut au contraire que jeter le jour le plus favorable sur ce vrai temple de la Volupté et ses dignes prêtresses

Madame, j’ai consenti, lui répondis-je, ainsi vous pouvez attendre de ma plume autant de fidélité que d’exactitude. Nous avons déjà flotté, m’observa-t-elle, sur le titre que nous donnerions à vos rapports ; il faut cependant opter… Nous en agitâmes ensemble encore quelques-uns, nous rencontrant à cet égard avec des titres ou déjà connus ou usés, car comme a dit Salomon : rien de nouveau sous le soleil ;… enfin nous nous arrêtâmes, ou pour mieux dire, en ma qualité d’historiographe des sultanes favorites du no 113, je décidai de suite que j’intitulerais le recueil de tout ce qui allait se passer sous mes yeux, du nom de Bulletins anacréontiques. Ainsi, ouvrant aussitôt un petit registre in-18, de papier vélin, embaumé de parfums, chargé de vignettes allégoriques représentant les espiègleries de l’amour, et relié en velours lilas-tendre, dont madame L*** me fit don, j’écrivis sur la première feuille, après y avoir déposé un baiser religieux :