La France républicaine et les femmes/12

F. Aureau, Imprimerie de Lagny (p. 48-51).
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XII



Celui qui aime véritablement « le Père » est plein de mansuétude pour ses frères ; car repousser les enfants du Père, c’est l’offenser ; et qui voudrait offense celui qu’il aime ?

L’amour de Dieu entraîne nécessairement l’amour du prochain. Mais ce prochain, est-ce l’humanité entière comme plusieurs le prétendent ?

Où donc alors la pauvre âme humaine trouvera-t-elle cet amour immense et surnaturel auquel tous ont droit également ?

Si elle est capable d’une abnégation sublime pour ceux qui tiennent à elle par des liens quelconques doit-elle à l’étranger de semblables sacrifices ?

Ce serait à la fois injuste et insensé.

Celui qui mesure le vent à la toison des brebis n’a pu donner une telle loi.

Un des docteurs réunis autour de Jésus lui fît cette question :

« Qui est le prochain ? »

Et le Christ répondit par la parabole du bon Samaritain, et le docteur en tira lui-même cette conclusion :

« Le prochain est celui qui exerce envers nous la miséricorde. »

Ce n’est donc pas le genre humain tout entier.

La loi est donc sage, elle est facile à accomplir : il est doux d’être une source de consolation et de joie pour ceux qu’on aime.

Mais peut-être, jeune fille, tu n’as pas encore songé à la grandeur de ce devoir, l’amour du prochain, — l’amour des tiens ? Tu as reculé devant l’impossibilité de pratiquer une loi écrasante et tu l’as rejetée sans chercher la vérité, sans dire : « Toute loi qui excède les forées humaines et qui est imposée à l’homme ne vient pas de Dieu. »

Ton prochain, ce sont tes parents, ce sont tes amis, c’est surtout celui que ton cœur choisira et les enfants que tu mettras au monde.

Voilà ceux que tu dois aimer comme toi-même. Quant aux autres, tu dois respect, bienveillance ou protection, mais non l’abnégation de ton être qui est le bien propre des tiens ; mais non le sacrifice de toi et des tiens que tu ne dois qu’à la Vérité et à la Patrie.

Depuis ta naissance, tu t’abrites sous l’aile maternelle comme un petit oiseau ; regarde la jeune fauvette enfouie chaudement dans son nid, elle attend que sa mère lui apporte l’insecte qui doit la nourrir. L’an prochain, c’est elle qui, dans ce nid, pourvoira à la nourriture de ses petits et les protégera de son amour.

Aujourd’hui, c’est sur ta tête aimée que sont versés tous les trésors de la famille, mais un temps viendra où il faudra rendre ce qu’on t’a donné.

Souvent on t’a parlé de tes devoirs envers tes parents, et tes tendres caresses ont, bien des fois, fait rayonner leurs sérieux visages ; on t’a parlé de la grande famille humaine et tu as jeté, souriante, ta pieuse aumône sur les genoux de l’indigent ; mais on ne te parle pas du plus important de tes devoirs, de celui dont les conséquences ne s’arrêtent pas à toi. Jamais on ne te dit : « Un jour tu seras femme et tu seras mère ; sache qu’aimer son prochain, c’est lui être utile, c’est le conduire au bien, tu réponds de tes actes devant la Patrie et devant Dieu. »

Amasse donc présentement tous les trésors possibles dans ton âme, car tu ne pourras donner aux tiens plus que tu n’auras acquis.

Si tu as la volonté de faire le bien, la force ne te manquera pas pour y arriver ; le Père aplanit la voie à tous en donnant à chacun ce goût qui les porte à leur fin et que nous nommons instinct ou aptitude : et tu as reçu cette magnifique aptitude de compréhension, l’intelligence ; et tu es douée de ce sublime instinct, le dévouement, parce que tu as pour mission d’inspirer à ton prochain l’amour de la vertu.