La France républicaine et les femmes/04

F. Aureau, Imprimerie de Lagny (p. 16-20).
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IV




Lorsque les habitants des campagnes jouiront des bienfaits de l’instruction, quand leur éducation politique sera, sinon faite, du moins commencée, le suffrage universel, ce danger permanent pour la République méconnue, ou plutôt inconnue, deviendra son plus ferme soutien.

Il est impossible qu’un honnête homme connaisse la République sans l’aimer, puisque la République a pour principe l’honnête, et pour fin le bien général.

Plusieurs prétendent qu’avant de l’établir véritablement, il est nécessaire que la société revienne au sentiment du bien.

Diraient-ils au voyageur qui cherche sa route « Quand tu auras franchi un seuil hospitalier, quand tu réchaufferas ton corps épuisé à la flamme bienfaisante d’un foyer ami, je t’indiquerai le chemin qui y conduit. » Ne traiteraient-ils pas de railleur insensé et cruel celui qui parlerait ainsi ? — Et pourtant font-ils autre chose ? Vouloir l’effet avant la cause, c’est vouloir cette chose absurde : la créature avant le créateur ; c’est vouloir que d’une série d’actes naisse le principe ; quand, au contraire, le principe engendre les actes.

Le principe, c’est la source ; l’acte, c’est le flot qui en découle.

L’effet ou l’acte n’influe pas sur le principe ; mais, le principe créant l’effet, celui-ci sera pernicieux si le principe est corrupteur, salutaire si le principe est moralisateur.

D’où il suit que, voulant obtenir tels effets, il faut que tels principes soient.

L’Empire a passé, il a soufflé sur tout ce qui est grand, noble et beau ; il a produit la cupidité, l’égoïsme et la dépravation, étant un principe corrupteur.

Établissez vraiment la République, elle réveillera l’enthousiasme, ce rayonnement de l’âme ; l’amour de la famille, cet épanouissement du cœur ; le patriotisme, ce résumé des vertus civiques ; car la République est un principe régénérateur.

Supposons la majeure partie des campagnes convertie à la République, les classes laborieuses dévouées à sa sainte cause ; supposons, rangés sous son drapeau, ceux qui aujourd’hui se font gloire « de ne pas s’occuper de politique » — comme si on restait homme n’étant pas citoyen ; — admettons à cet honneur les êtres tremblotants « qui ne sont d’aucun parti, » avouant ainsi ou l’engourdissement de leur intelligence ou leur lâcheté ; — supposons cela, — supposons plus encore, — supposons tous les Français sans exception prêts à vivre et à mourir pour la République :

— « Alors, vous écriez-vous dans la joie de votre âme, alors l’œuvre est fondée et ses bases sont inébranlables ! »

Craignez, craignez de porter un jugement trop prompt ! Je vous le dis, en vérité, la tâche n’est point accomplie.

Il y a à vos côtés un être dont vous dédaignez le concours, dont l’esprit vous semble trop inférieur au vôtre pour l’associer à vos œuvres ; cet être peut beaucoup pour le bien et beaucoup pour le mal, selon que son intelligence est cultivée ou qu’elle est noyée dans l’ignorance.

C’est donc un auxiliaire puissant ou un redoutable adversaire.

Son influence est d’autant plus active qu’elle est permanente et pour ainsi dire à l’état latent. Beaucoup la nient, par amour-propre il est vrai, néanmoins, ils la subissent, et d’une façon plus efficace peut-être que ceux qui l’avouent.

Hommes du temps ! vous vous étonnez de l’ineptie de la jeunesse actuelle, et vous vous écriez : « Qui a fait cela ?… » Et, hier encore, je vous ai vus éloignant des lèvres de la femme la coupe de science et de vérité, la repoussant du soleil de l’intelligence comme s’il ne luisait que pour vous ! Je vous ai vus lui jeter et les riches tissus et les fines dentelles et les écrins ruineux…

La femme en a conclu que l’ignorance et la vanité étaient son partage.

À son contact, vous êtes devenus vains et frivoles, égoïstes et lâches comme la faiblesse.

Et vous dites : « Qui a fait cela ? »

Hommes du temps, vous avez semé l’ignorance et vous demandez la vertu ! Vos femmes n’enfantent que selon la chair et vous croyez qu’il en naîtra des hommes ! Je vous le dis, hommes du temps, le chêne ne naît point du roseau : ce sont les Cornélies qui enfantent les Républicains.