La France Juive (édition populaire)/Livre 6/Chapitre 5

Victor Palmé (p. 494-521).


CHAPITRE CINQUIÈME

LES JUIFS (fin)


La souffrance des humbles. — Les outrages d’en bas. — Freycinet. — La persécution à l’hôpital. — Infirmiers et infirmières laïques. — Quentin. — Peyron. — Le docteur Després. — Les Sœurs de Charité et le choléra. — Des malades qui se sauvent. — Un conseiller municipal qui a peur des Prussiens, mais qui ne recule pas devant les Sœurs.


I


Les humbles tiennent quand même : on les prend par la famine. Au fond du onzième arrondissement, rue des Trois-Bornes, une indigente famille se lamente autour du lit où l’un de ses enfants agonise. Il n’y a ni pain pour les parents ni médicaments pour l’enfant ; on attend anxieusement la réponse à une demande adressée au bureau de bienfaisance… La réponse arrive… Les parents ont déclaré jadis qu’ils envoyaient leur fils aîné à l’école des Frères : on leur envoie pour tout secours un récépissé de cette déclaration.

Cette blague atroce n’est-elle pas bien franc-maçonnique ? N’y sentez-vous pas bien l’âpreté ricaneuse et froide des maîtres du jour, des aventuriers de tous les pays qui se partagent l’argent que certains catholiques imbéciles continuent à verser à nos bureaux de bienfaisance ?

Ce que sont ces bureaux, un ouvrier l’a dit dans une réunion publique, où il signalait nominativement un des commissaires comme étant inscrit lui-même sur la liste de l’Assistance publique. Ignotus, en rappelant que, sur deux cent quarante administrateurs, cent quatre-vingt-dix avaient été chassés, a constaté que, parmi les remplaçants nommés, il se trouvait « des marchands de vin, des blanchisseurs, dont quelques-uns, ayant leur famille inscrite au bureau même, payaient le ménage avec l’argent des aumônes[1]. »

L’exemple que nous citions plus haut n’est pas isolé. La jovialité cynique, la joie bruyante du mal accompli est un des traits de la persécution actuelle. Le grand bonheur d’un inspecteur de l’Instruction publique, quand il a devant lui une religieuse, c’est-à-dire, quand il peut être insolent impunément, est de salir ce qui est pur, d’imaginer une question équivoque, de risquer un mot à double entente, qui fait éclater de rire les frères et amis répandus dans la salle.

— Qu’est-ce qu’un libertin ? demande un inspecteur à une Sœur.

— Je n’ai pas à répondre à cette question, que vous ne m’adressez qu’à cause de l’habit que je porte.

Celle qui remit ainsi ce malappris à sa place, avait du sang-froid. Combien de nonnes, tremblantes déjà d’être ainsi en spectacle, auraient été démontées ! Dans un discours au Conseil général du Gers, M. Paul de Cassagnac a raconté quelques-uns des exploits de l’inspecteur Carbasse, qui excitait les instituteurs à insulter les Sœurs.

Une religieuse se présente à l’examen. Le cœur lui bat bien fort, elle est tout effarouchée devant cette foule, elle sent que les mots vont rester dans sa gorge. Vous qui avez un peu d’âme, vous devinez cet état d’ici, j’en suis certain. C’est en Dieu seul que la pauvrette espère : il lui donnera la force nécessaire. Elle s’agenouille dans un coin de la salle, elle joint les mains et murmure une petite prière.

Un instituteur a vu ce mouvement.

— Ohé ! la sœur, crie-t-il de cette voix particulière aux gens de son espèce, voulez-vous que je vous donne l’absolution ? je suis carme…

Ce plaisant du ruisseau s’appelait Carme.

Carbasse, se frappant les genoux de la main, rit aux larmes en voyant pâlir la pauvre Sœur tout effarée devant ces yeux fixés sur elle.


II


Voici encore une victime émouvante : Lenoir, un cocher. Vous l’avez peut-être rencontré dans Paris, et, si vous étiez pressé, la rencontre n’a pas été propice pour vous. Le pauvre homme, à moitié fou, ne se rappelait plus l’adresse que lui donnaient les voyageurs et les laissait parfois en chemin. Les Francs-Maçons lui avaient volé son enfant, la mère était morte de chagrin, et il oubliait de gagner sa vie pour venir, dix fois par jour, demander des nouvelles de son fils à M. Lacointa. L’ancien avocat général à la Cour de cassation, qui donna si noblement sa démission au moment des décrets, avait été touché de cette grande douleur : il était devenu le conseiller, le consolateur, presque l’ami de ce prolétaire. Pendant que l’infortuné trouvait, comme tous ceux qui souffrent, quelque soulagement à conter son éternelle histoire, le magistrat envoyait sa bonne garder le fiacre, afin d’éviter au cocher une contravention.

L’affaire était très simple. L’enfant, envoyé, par le chemin de fer, de Paris à Toulouse, où il devait entrer dans un établissement d’éducation religieuse, avait été abordé et circonvenu, dans la gare de Narbonne, par un Franc-Maçon, nommé Richard, qui l’avait fait monter dans son wagon et l’avait placé en apprentissage à Cette, chez un confiseur du nom de Lavaille. Là, on s’était efforcé de corrompre cette jeune intelligence, en lisant chaque soir à l’enfant les immondes publications qu’a produites la librairie anticléricale.

Sans doute, on ne pouvait pas espérer que la justice osât poursuivre un Franc-Maçon ; mais, dès que les faits avaient été signalés au parquet par un homme ayant occupé la situation de M. Lacointa, pouvait-on refuser de rendre immédiatement à sa famille la victime d’un attentat si odieux ? On n’en fit rien. Le chef du parquet était un de ces hommes recrutés par la République dans les bas-fonds sociaux, et qui savent qu’en se mettant au service de la Franc-Maçonnerie juive, ils peuvent tout se permettre impunément. Le premier mandataire qui se présenta avec une lettre du père, fut injurié, et on lui jeta la lettre déchirée au visage ; le second mandataire fut menacé de coups de barre de fer. On savait le père pauvre, et on spéculait là-dessus. Une bonne âme lui fournit les moyens de faire le voyage et de ramener son enfant,

Lenoir intenta au citoyen Richard, un procès en détournement de mineur. Ce fut alors qu’on vit, comme toujours, le Juif apparaître derrière le Franc-Maçon. Lisbonne, l’ancien député, se constitua le protecteur de Richard et plaida pour lui.

M. Lacointa, alors qu’il était directeur au ministère de la Justice, avait maintes fois obligé ce Juif ; mais l’autre connaissait trop bien la délicatesse des honnêtes gens, pour penser qu’on montrât les lettres qu’il avait écrites pour demander ou pour remercier : aussi ne se gêna-t-il pas pour insulter l’intègre magistrat, et l’accuser de s’être mêlé dans cette affaire avec une arrière-pensée politique.

Inutile de dire que Lisbonne trouve parfaitement légitime, le fait d’enlever un enfant à ses parents par prosélytisme antireligieux. En ceci le Juif se révèle une fois de plus dans tout son brutal cynisme, dans son absence absolue de principes. La liberté de conscience, le droit des pères de famille ne sont pour lui que des effets scéniques ; il est le premier à en rire quand il n’est plus en scène.

À propos du petit Mortara, les Juifs avaient agité toute l’Europe, dérangé toutes les chancelleries, fait couler des flots d’encre ; quand il s’agit du fils d’un plébéien français, le Juif Lisbonne déclare qu’il est permis de ravir un enfant à son père[2].

Le tribunal de Montpellier ordonna la comparution de Lenoir et de son fils ; mais on avait eu bien soin de refuser l’assistance judiciaire à cet homme sans ressources. Il put cependant, grâce à un nouveau secours, faire le voyage et s’entendre traiter comme un malfaiteur par le président du tribunal. Est-il nécessaire d’ajouter qu’il fut débouté de sa plainte ?


III


Les hommes n’ont pas pensé encore à recueillir les noms de tous ces braves gens qui résistent à tout pour défendre leur foi, dans un volume qui serait le Livre d’or des petits ; mais Dieu depuis longtemps les a inscrits au livre de sa justice. Ils sont plus que courageux, en effet : ils sont héroïques. Nul appui ne les soutient. Les Chrétiens riches s’amusent, dansent, parient aux courses, inventent des figures de cotillon ; ils ne songent guère à ceux qui souffrent pour leurs convictions.

C’est sur les pauvres, presque exclusivement, que s’est appesantie surtout cette persécution qui, dirigée, réclamée, payée par les Juifs, portera dans l’histoire le nom inscrit en tête de ce dernier livre : la Persécution juive.

Un journal radical, dans un jour de franchise, reconnaissait lui-même ce fait.

L’évêque disposant de ressources parfois considérables, le curé de grande ville, n’ont pas été atteints. On a frappé avec une particulière rigueur sur le desservant et sur le moine. Parmi les ordres religieux, ce sont même les plus indigents qui ont le plus souffert. Tous ces chétifs qui vivaient grâce à l’association, ont été littéralement condamnés à mourir de faim.

J’ai vu sur son lit de mort une des victimes des décrets, et le souvenir m’en est demeuré ineffaçable.

Si vous ne connaissez pas l’Hermitage, allez le visiter. Rien, en Suisse, ne vaut ce site étrange, pittoresque et charmant.

L’Hermitage est le nom d’un ancien couvent caché par des sapins séculaires, qui s’élève au sommet d’une haute montagne dominant Noirétable. Du haut d’un dolmen, venu là, je ne sais comment, aux premiers âges du monde, on aperçoit, par les temps clairs, la cime du Mont-Blanc ; mais le regard ne songe guère à aller chercher si loin ; il se repose émerveillé et ravi sur un incomparable panorama : à droite, les masses épaisses des Bois-Noirs ; à gauche, les montagnes de Vollor ; devant vous, la plaine, avec son damier multicolore, ses blés dorés, ses prés verdoyants, ses avoines, ses seigles. Par-dessus tout, cette impression du ciel que vous croyez toucher en élevant la main, et qui prête à ce paysage, vu de si haut, un aspect particulier.

C’est là que s’installèrent, il y a une vingtaine d’années, quelques Pères du Saint-Sacrement, que la population du pays entourait de vénération. Ils n’étaient pas fort dangereux : car, au moment des décrets, ils étaient trois en tout. Comment les choses se passèrent-elles exactement ? On n’a jamais pu le savoir au juste. Le maire de Noirétable, un médecin, appartenait à une famille bonapartiste tant que l’Empire avait pu distribuer des places, devenue ardemment républicaine dès que le vent avait tourné. C’était, au demeurant, un assez bon homme, et qui semble avoir voulu tout arranger pour le mieux, sans y avoir réussi.

Le 4 novembre 1880, au matin, le sous-préfet de Montbrison, qui répondait au nom de Mauras, vint pour expulser les bons religieux, et il ébaucha une grimace quand il vit l’ascension à accomplir. Chemin faisant, il avait recueilli quelques renseignements désagréables sur les dispositions des paysans, cœurs d’or, mais fort capables de tirer un coup de fusil aux malfaiteurs qui iraient crocheter les portes de religieux inoffensifs, qui n’avaient fait que du bien à tous. Bref, lâche comme tous ces pareils, il avait une peur du diable.

Voyant les hésitations du personnage, M. Bertrand lui dit : « Déjeunons d’abord ! » Convaincu, — et cette opinion fait honneur à son intelligence — que le bonheur de la France ne dépendait pas de l’expulsion de trois religieux, qui ne descendaient pas au village une fois par mois, le maire espérait peut-être que le sous-préfet oublierait à table la vilaine besogne qui l’amenait, et que tout resterait en l’état.

On déjeuna, comme on déjeune dans le Forez ; et, à la tombée du jour, après le Champagne, l’administrateur républicain était fin saoul — c’est l’expression usitée dans le pays. On l’expédia tant bien que mal vers sa résidence ; et les gens de l’endroit, qui ont la tête solide, allèrent deviser chez Ésope de la supériorité morale des fonctionnaires de la démocratie sur les suppôts de la tyrannie.

Malheureusement, cette fois. Raton, le sous-préfet, avait été plus malin que Bertrand, le maire. Entre deux rasades, sans qu’on puisse savoir à quel moment, il avait ordonné à un gendarme, du nom de Tarbouriech, d’exécuter ce qu’il n osait entreprendre lui-même, et d’aller jeter les religieux hors de chez eux, pendant qu’il continuerait à fêter la dive bouteille et à faire l’éloge de la liberté.

Tarbouriech partit flanqué d’un compagnon, et n’eut pas la main tendre. Des trois religieux, un resta pour garder l’immeuble ; un autre se dirigea vers le château de M. de Barante, où une retraite lui avait été préparée ; le troisième s’achemina vers Verrines, un village au-dessous de la montagne, où il devait également trouver un asile.

Celui-là s’appelait le P. Corentin. Il avait soixante-dix ans. Pendant près de quarante années il avait prêché l’Évangile aux Indiens de l’Amérique ; puis, épuisé, souffrant cruellement de la poitrine, il était venu là pour se reposer. C’était une idée peu heureuse.


IV


En novembre, la neige couvre déjà l’Hermitage. Grâce aux dernières clartés du jour, le pauvre religieux se dirigea d’abord assez bien ; mais bientôt tout prit autour de lui un relief fantastique. Les chemins s’entre-croisèrent ; les silhouettes gigantesques des arbres, sous la réverbération de la neige, revêtirent des formes trompeuses ; le froid fît affluer le sang aux tempes du voyageur. Saisi par le délire, il s’imagina sans doute qu’il avait toujours Tarbouriech à ses trousses : il précipita sa course, et tomba dans des sentiers à peine praticables en plein jour. A l’aube, un bûcheron le trouva étendu, le crut mort, s’aperçut qu’il respirait encore, et parvint à le ramener à la vie.

Le pauvre homme n’en était pas moins perdu. Il revint à l’Hermitage, pour y achever une existence dont les jours étaient désormais comptés. Il aurait fallu, pour empêcher ce vieillard de rentrer chez lui, établir sur ces hauteurs un poste fixe de gendarmerie. On eût demandé les fonds nécessaires à la Chambre, que la gauche, toujours libérale, eût trouvé cette proposition admirable et digne d’elle ; on n’y songea pas.

Tel était le récit qu’on nous avait fait au village, un matin que nous partions en caravane pour accomplir cette excursion à l’Hermitage à laquelle nous ne manquons jamais, chaque fois que les vacances désirées nous ramènent vers le Forez, qui est devenu notre pays d’adoption.

Quand on a fait une lieue environ, l’on s’arrête quelques minutes à un hameau appelé les Baraques.

— Vous savez la nouvelle ? nous dit-on quand nous arrivons.

— Non.

— Ce pauvre P. Oorentin est mort, il a achevé de mourir plutôt ! Il était préparé du reste ; hier dimanche, il nous a fait ses adieux. « J’aurai encore la force de dire ma messe aujourd’hui, et je prierai pour ceux qui nous ont aimés et aussi pour ceux qui nous ont persécutés, puis je m’en irai… » Il a dit sa messe, et il est parti une heure après…

La pensée du brave homme expiré nous attrista, mais bientôt le charme du chemin fit diversion à ce sentiment.

Rien n’est merveilleux comme cette montée en juillet. Les muguets, les jonquilles, les gentianes du printemps, ont disparu, il est vrai ; mais il reste les œillets sauvages, les pensées et les violettes qui tapissent le chemin. On gravit à travers d’énormes fougères, qui font comme un piédestal verdoyant aux grands chênes, aux bouleaux toujours agités et tremblants, aux hêtres touffus qui préparent aux sapins sombres du sommet.

Parfois un murmure régulier étonne l’oreille : c’est un ruisseau qui sort en écume d’argent de quelque rocher couvert de mousse, et qu’il faut traverser sur un tronc d’arbres. Comme l’Obéron des légendes, qui sautait au-dessus des torrents sans mouiller ses grelots, les enfants franchissent l’obstacle d’un bond. Ma petite nièce, Anaïs, qui disait si gentiment, qu’elle voulait apprendre à écrire pour faire de la copie pour son oncle, excellait à ce jeu ; et c’est en vain que mon autre nièce Marie, déjà plus grave, lui prodiguait de sages conseils.

Quand on est au bout, on pousse un cri d’admiration : on débouche en effet sur un tapis de velours vert, qui fait oublier les vieux bâtiments du couvent, devant la féerie de cette nature éternellement jeune.

Malgré tout, le voisinage de la mort donnait à ce paysage une mélancolie qu’il n’a pas ordinairement. Le cri sinistre de la hulotte, qui retentissait obstinément dans cette solitude, disait qu’il y avait là un cadavre. A une fenêtre, on distinguait une lueur presque imperceptible, qui faisait un bizarre contraste avec la clarté radieuse de cette journée de juillet.

Cette lumière venait de la chambre funèbre. Quelle chambre ! Quelque chose de plus indigent qu’une cellule ; une vaste pièce carrelée ouverte à tout vent ; au fond, un lit d’enfant, et dans ce lit, sur une paillasse crevée, sous une couverture qui valait bien vingt sous, un petit vieillard étendu les mains jointes. Une veilleuse achevait de se consumer dans un verre, et, près du lit, une bière taillée à la hâte dans un sapin non raboté, tout fruste, attendait[3].

Je ne saurais vous exprimer l’émotion que produisait la vue de ce petit vieux, et le dégoût qui vous prenait de ces républicains gorgés de tout, trafiquant de tout, agiotant sur tout, et songeant à venir chercher ce solitaire et cet humble, pour le jeter la nuit dans la neige.

Pour tout meuble dans cette chambre, une chaise cassée ; sur une tablette de bois blanc, quelques prospectus d’ouvrages religieux. Le malheureux n’avait même pas de quoi acheter des livres de piété.

Toute cette maison, avec ses escaliers de pierre aux marches branlantes, ses murailles effritées, offrait l’image de la misère. Dans les cuisines, vous savez, ces cuisines de moines où les écrivains juifs font préparer des repas succulents et dignes du chef de Rothschild, il y avait pour toute provision un boisseau de pommes de terre germées.

Je revins encore dire un Pater et un Ave près de la couchette du vieillard, qui semblait dormir d’un sommeil enfantin, et involontairement je pensais à Freycinet. Il y avait plus d’un point de ressemblance entre ce petit vieux et le sénateur que l’on aperçoit avec sa tète de souris, sa mine fûtée, glissant à travers les groupes du Sénat. Je songeais que lui aussi serait couché quelque jour dans une bière, un peu plus soignée sans doute, et à la mémoire me revenait la parole que dit saint Marianus au proconsul qui assistait dans la prison à son dernier repas : « Regarde-moi bien, pour me reconnaître au jugement dernier. »

Pourquoi penser à Freycinet plutôt qu’à un autre ? me direz-vous : s’il a signé les décrets, ce qu’on oublie un peu trop, s’il les a présentés à la Chambre, il s’est retiré au dernier moment. Mon Dieu ! si je pensais à Freycinet, c’est simplement parce qu’il n’est pas voleur. Les républicains vous disent, — et cette franchise les honore : — Nous reconnaissons que nos hommes d’État sont tous des concussionnaires et des filous, mais il y a une exception : Freycinet.

C’est précisément cette intégrité privée qui fait de Freycinet un personnage représentatif, lui aussi, et comme l’incarnation d’une certaine situation d’esprit commune en France à l’heure qu’il est. Avec Constans, Cazot et Dauphin, par exemple, tout est clair : « A quelle heure et combien ? » Ferry, lui, n’agit pas lui-même et dit : « Demandez le prix à la bonne, voyez mon frère à la banque Franco-Égyptienne. » Le mobile de Freycinet est différent. Ce qui domine en lui, c’est la lâcheté intellectuelle et morale, c’est cet abaissement de caractère qui a mis tout ce qu’il y avait d’honnête en France à la merci d’une bande de Francs-Maçons et de Juifs.

Entrez dans cet hôtel de la rue de la Faisanderie, vous y trouverez Philémon et Baucis. L’homme et la femme sont allés jadis de compagnie pour se convertir à Solesmes ; et le mari, n’oubliant pas, dans son zèle de catéchumène, qu’il était candidat pour le conseil général à Montauban, a même demandé au Père abbé une recommandation pour l’évêque du diocèse.

J’imagine que ces deux vieillards, en causant au coin du feu, se remémorent l’un à l’autre les circonstances de leur voyage d’autrefois.

— Te rappelles-tu ce religieux qui nous faisait si bon accueil et que tu remerciais si chaleureusement ? qu’est-il devenu ?

— Ma foi ! je n’en sais rien : il doit errer sur une route quelconque, car je viens de mettre la gendarmerie après lui.


V


C’est contre le pauvre encore, contre le pauvre uniquement, qu’est édictée la loi scolaire. Le riche trouvera toujours le moyen de faire élever ses enfants chrétiennement, le pauvre ne le peut pas ; pour lui, l’athéisme est obligatoire. Les malheureux, pour qui la vie sera la plus dure, qui auraient le plus besoin d’une foi, d’une espérance, d’un idéal, sont privés de tout enseignement religieux.

Élevés sans Dieu, vivant sans Dieu, ils mourront sans Dieu.

Le prolétaire est au terme de sa course. Sur la tombe des Romains on inscrivait le cursus honorum ; c’est le cursus dolorum qu’il faudrait inscrire, si les inscriptions ne coûtaient pas si cher, sur cette tombe qu’on va creuser dans la fosse commune pour ce paria et ce vaincu. Il a travaillé pour enrichir les Juifs ; il a été empoisonné par les marchands de vin juifs, chers à Lockroy : il est à bout. Jadis, ce déshérité trouvait près de son chevet un être de bonté, mère, sœur et femme à la fois, qui lui montrait un peu de ciel bleu.

La sœur n’avait pas besoin de parler beaucoup pour affirmer qu’il y avait, au delà de ce monde cruel et misérable, un monde où tout était justice et lumière : sa présence près de ce lit proclamait assez haut les promesses éternelles. Charmante, intelligente, riche souvent, elle avait tout sacrifié ; elle était là dans cette atmosphère empestée, attentive aux souffrances de tous, soignant avec un dévouement souriant des plaies parfois dégoûtantes, préférant à tout ce titre de servante des pauvres, c’est-à-dire, des enfants de Dieu.

Désormais, le malheureux n’a plus même le droit d’espérer dans une patrie céleste. Chien malencontreux qui, de sa vie, n’a jamais trouvé un bon os, il sera enfoui comme les bêtes, perindè ac jumenta.

Cette persécution du moribond, cette laïcisation contre laquelle ont protesté 76 médecins sur 80, est peut-être le crime des crimes parmi tant d’actes abominables. Quelle scélératesse ne faut-il pas pour arracher à ces infortunés qui, pendant de longues heures, repassent mélancoliquement les phases douloureuses de leur pénible existence, ce sentiment religieux qui est le meilleur et le plus doux de tous les baumes ?

Dans de telles conditions, l’hôpital, ce séjour déjà lugubre, devant lequel on ne passe qu’en tremblant, est devenu un enfer véritable, sur la porteduquel on peut lire : Lasciate ogni speranza.

Jadis nos pères avaient épuisé les trésors de leur charité dans l’organisation de ces hôpitaux qui, placés près des monastères ou des églises, étaient comme une annexe de la maison du Seigneur. Viollet-le-Duc lui-même a affirmé la supériorité qu’avaient les établissements hospitaliers d’alors sur nos établissements modernes.

Aujourd’hui, dans ces hôpitaux qui coûtent des millions aux contribuables, la Franc-Maçonnerie juive trouve le moyen de faire comprendre aux déshérités que l’argent, après lequel ils ont couru toute leur vie sans le saisir, est encore la seule chose qui ait une valeur. Aux Sœurs si compatissantes, si désintéressées, si empressées, ont succédé des Harpies, qui font payer le plus léger office, qui tendent la main aux malades, non pour les aider, mais pour recevoir dès qu’ils réclament le moindre service.

On devine, en effet, dans quels milieux, là encore, un homme comme Quentin pouvait recruter son personnel.


VI


Les audiences des tribunaux nous ont édifié sur ce point. Le Français, du 30 mars 1883, a publié comme un tableau d’ensemble de ces mœurs singulières.


Avant-hier nous racontions l’histoire de cette jeune fille, du nom de Thuvenat, qui, après avoir passé cinq de ses plus belles années dans une maison de correction, était devenue infirmière du Gouvernement, puis, après avoir été chassée de l’hôpital Tenon, où elle avait été appelée pour remplacer les Sœurs, s’était lancée dans une vie de plaisirs et de fêtes au milieu des soldats du 4e de ligne, et, finalement, réintégrée par M. Quentin dans ses fonctions de consolatrice des malades, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour les avoir trop bien soignés.

Aujourd’hui, la vénérable dame dont il a’agit, est accusée par le président de la 9e chambre de passer ses nuits chez les marchands de vin, au lieu de les passer à l’hôpital où elle est infirmière.

On peut donc dire que, devant le tribunal correctionnel de Paris, les infirmières laïques se suivent et se ressemblent.

Quel joli monde, que, le monde de M. Quentin ! quel monde tout à fait propre à la tâche qu’on lui donne ! quels soins empressés doivent recevoir de pauvres malades, de femmes qui passent leurs nuits chez les marchands de vin.


Au mois d’avril 1884, l’infirmier Nermel, de Lariboisière, est condamné à deux mois de prison par la onzième chambre, pour avoir à moitié assommé un malade qui voulait l’empêcher de voler du vin.

Le Cri du Peuple donne sur l’asile de Bicêtre, où règne en maître Bourneville, l’athée frénétique, le cumulard jamais satisfait, qui est à la fois député, rédacteur en chef d’un journal, et médecin en chef de Bicêtre, des détails qui font véritablement horreur. Les salles, qui ne sont balayées que lors des visites officielles, sont dans un état de malpropreté repoussant. Les infirmiers se font un jeu de frapper les malheureux fous à coups de poing ou à coups de clef ; quand ils sont en belle humeur, ils garrottent l’infortuné qui leur tombe sous la main, et le livrent au baigneur, qui le plonge dans un bain froid, « en maintenant la tête sous l’eau jusqu’à ce que le visage du patient soit devenu violet. »


Dernièrement, on livra au baigneur un paralytique général ; le baigneur faisait un cent de piquet : aussi, furieux, il grogna : « Attends, vieille crapule ! je vais t’apprendre à me déranger ! » Et il jeta le misérable dans une baignoire remplie d’eau presque bouillante. Lorsque l’infirmier de la salle, Parizet, revint chercher son paralytique, il s’aperçut avec stupeur que celui-ci était complètement échaudé : « la peau de son corps s’enlevait par longues bandes », nous dit un témoin oculaire. Aujourd’hui — deux mois après ce bain bouillant — les brûlures ne sont pas encore guéries !

Ce n’est là qu’un cas entre mille.

On opère de la même façon avec les vieillards : l’un d’eux a été pendu par les pieds, et est resté la tête en bas, pendant plus d’une minute, parce qu’il avait sali son lit…


Au mois de janvier 1885, un paralytique qui occupait le lit n° 19, dans la salle Saint-François, à l’hôpital Beaujon, est arraché de son lit par un infirmier ivre, et jeté dans le caveau à charbon, où il expire quelques minutes après.

Le procès de cet infirmier, du nom de Bourré, qui en fut quitte pour six mois de prison, révéla des détails incroyables sur l’incurie des Quentin et des Peyron.

Cet homme avait été chassé deux ou trois fois de tous les hôpitaux de Paris, pour ivresse et violences envers les malades, et il rentrait quelques mois après dans les hôpitaux d’où il avait été renvoyé ; il faisait le tour : il avait été successivement à Cochin, à Lariboisière, à la Charité, à Saint-Antoine, à la Pitié, à l’Hôtel-Dieu, à Bichat, à Beaujon !


VII


Les malades sont exposés à toutes les négligences, quand ils ne sont pas victimes de tous les mauvais traitements des mercenaires[4]. Le 26 juin 1882, une malheureuse folle, la femme Georges, est brûlée vive, littéralement cuite plutôt, dans sa baignoire, où Marie Contausse, fille de salle, l’a enfermée et l’a oubliée. A l’hôpital Tenon, la demoiselle Devillers expire dans des douleurs atroces, après un lavement que la femme Prugnand et la femme Thibault lui ont administré en mettant trente grammes d’acide pur au lieu de quarante centigrammes d’acide phénique ; un enfant est brûlé vif en juin 1883, au même hôpital.

A l’hôpital Laënnec, deux infirmières laïques causent la mort d’un enfant, en délivrant à la mère du chlorate de potasse au lieu de phosphate de chaux. Le tribunal acquitte les prévenues, en constatant que l’effroyable désordre qui s'est introduit dans les hôpitaux rend les employés irresponsables.


Attendu, dit-il, que l’organisation défectueuse du service des médicaments usuels, à l’hôpital Laënnec, pouvait facilement amener des confusions ; que le soin du dosage de ces médicaments, généralement préparés par grande quantité à la fois, était abusivement laissé à des filles de service n’offrant pas toujours des garanties suffisantes d’âge, d’expérience ou de savoir ; que, de plus, les paquets ainsi préparés à l’avance, ou tout au moins certains d’entre eux, ne portaient ni étiquette ni indications relatives à la nature de la substance qu’ils contenaient...


N’est-ce pas terrible, la pensée de cet hôpital où les poisons et les substances inoffensives sont pêle-mêle, où l’on prend au hasard, « au petit bonheur », comme on dit, sans même être guidé par une étiquette ? Quelle honte doivent éprouver les vieux médecins, en constatant ce que ce misérable Quentin a fait de ces hôpitaux qui étaient autrefois un modèle pour l’Europe !

Au mois de juillet 1885, deux malades de l’hôpital Saint-Louis, Charles Vandeleyem et Charles Lecouteux, meurent d’une manière foudroyante. On s’aperçoit qu’au lieu de cuillerées d’eau-de-vie allemande, on leur avait fait prendre quelques cuillerées de strychnine. Ces faits sont si fréquents dans les hôpitaux actuels, que nul ne songe à en faire le relevé exact.

Dans le Gaulois (26 février 1884), un médecin raconte l’étonnement éprouvé par un chef de service d’hôpital, en constatant que ses prescriptions sont exécutées absolument à rebours : à un malade auquel il ordonnait du vin, on donnait du lait. A une demande d’explication, le directeur répondit par une prière de vouloir bien diminuer, de la moitié ou au moins du tiers, la quantité du vin prescrit, en alléguant comme excuse la situation financière de l’Assistance.


VIII


Voilà où Quentin en était arrivé, avec un budget de trente-quatre millions ! Où cela passe-t-il ?

Le vol est partout. On s’aperçoit un beau matin que la quinine ne guérit plus, et un procès révèle que l’administration de l’Assistance publique a patriotiquement traité avec une fabrique italienne fusionnée avec une compagnie allemande, qui remplace le sulfate de quinine par de la cinchonine[5].

Il n’y a plus ni discipline ni contrôle. Le National est obligé de reconnaître que Quentin « distribue des viandes pourries aux malades. » La Justice avoue que « le désordre et l’incurie régnent dans les établissements hospitaliers de la Seine »[6].

Ajoutons que le personnel de nos hôpitaux, jadis si dévoué, si humain, sous des apparences parfois rudes, s’est modifié complètement depuis quelques années par l’invasion des étudiants étrangers, auxquels sont réservées toutes les faveurs, et qui se livrent sur les malades à toutes les fantaisies, à toutes les expériences in anima vili imaginables.

J’ai reçu de médecins, récemment sortis des hôpitaux, des lettres contenant des détails atroces. On n’a point l’idée des tortures que, dans un but de vaine curiosité, souvent même pour s’amuser simplement, on fait subir à certains patients. « J’ai vu, m’écrivait le docteur Chalvan à la date du 22 décembre 1884, des étrangers passer vingt fois de suite la sonde dans le canal d’un malheureux Français ; et eux de rire entre eux de ces bons Français sur qui on apprend si bien. Je puis même dire que beaucoup sont morts à la suite de ces examens insensés. »

Quand Peyron, nommé à la direction de l’Assistance publique à la place de Quentin, chassé par le mépris général, se présenta devant les étudiants, le 27 décembre 1884, pour proclamer les noms des externes et des internes d’hôpitaux pour 1885, un scandale sans nom se produisit. Les vociférations, les sifflets, les insultes, couvrirent la voix du fonctionnaire opportuniste, auquel on criait de tous les points de la salle : « Tais-toi, bacille ! »

Incapable de prononcer un mot, totalement affolé, l’exécuteur des basses œuvres du Conseil municipal s’enfuit par une porte dérobée. Après son départ, les tables furent renversées, les livres jetés par terre, le lustre brisé.

L’internat, d’ailleurs, cette institution si respectée où se formaient jadis dans le travail les maîtres de la science, n’est plus que l’ombre de ce qu’il était, depuis que les Juifs s’y sont introduits. Toutes les traditions d’honneur professionnel tendent à disparaître là encore. Au mois d’octobre 1885, le médecin juif Gougenheim livre à son interne Kahn le sujet du concours : les récriminations éclatent de tous côtés, et l’on est obligé d’annuler le concours.


IX


Le grand témoin de cette enquête, que l’on reprendra peut-être quelque jour pour punir les vrais coupables, ceux qui ont spéculé sur la souffrance pour s’enrichir, c’est un libre penseur, un républicain, un filleul même d’Armand Carrel, le docteur Després, qui, dans un siècle de défaillance universelle, apparaît vraiment comme une figure loyale et sympathique. Il n’est pas de jour où, au nom de la science, du bon sens, de l’humanité, il n’ait mis Quentin face à face avec les crimes qu’il commettait.

La lettre qu’il a adressée aux journaux, le 22 février 1883, en réponse à quelques mensonges de Bourneville, qui avait essayé de tromper l’opinion, est comme le résumé de la question.


Paris, 22 février 1883.
Monsieur le rédacteur,

Tout mauvais cas est niable. M. Bourneville se défend comme il peut, et, faut-il le dire, péniblement. Mais je ne puis laisser passer l’audacieuse apologie des prétendus services que M. Bourneville aurait rendus aux hôpitaux, avec l’aide de ses collègues du Conseil municipal. Voici, du reste, la vérité sur ces services et sur leurs résultats :

1° Les infirmiers, auxquels le vin a été délivré en plus grande quantité, le vendent aux malades ;

2° Les infirmiers, dont on a augmenté les gages, rentrent généralement ivres leur jour de sortie ; un d’eux même, l’an dernier, en rentrant, a battu un malade dans une de mes salles, à l’hôpital de la Charité ;

3 » Les surveillantes et infirmières laïques, substituées aux religieuses, ont déjà, en dix-huit mois, quatre morts par imprudence à leur charge ; une malade étouffée dans un bain ; trois empoisonnements par lavement d’acide phénique : un à l’hôpital Tenon, un à l’hôpital Laënnec, la même semaine, et un, l’an passé, à l’hôpital Cochin. C’est même ce fait auquel M. Quentin, directeur de l’Assistance publique, a fait allusion devant le Conseil municipal, en lui laissant croire qu’il s’agissait d’un fait imputable aux religieuses. Je le répète, il s’agissait d’une malade de la Maternité de Cochin, bâtiment isolé, desservi exclusivement par des laïques, et où les religieuses n’ont pas le droit de pénétrer.

Le mal qui a été fait aux hôpitaux est plus grand encore que je ne l’ai dit.

L’ordre, la tenue et la moralité sont bannis des hôpitaux laïcisés. Le désordre du linge, à l’hôpital Saint-Antoine et à l’hôpital Tenon a été tel, qu’il a fallu envoyer des inspecteurs, des femmes à la journée, pour réparer le désordre.

Au Mardi-Gras dernier, le personnel laïque de l’hôpital Saint-Antoine, hôpital laïcisé, hommes et femmes, a changé de costume, et ne s’est pas même abstenu de paraître dans les salles avec ce déguisement.

Voilà, Monsieur, le personnel qui sort de l’école d’infirmières laïques de M. Bourneville, école qui, suivant ce dernier, aurait été fondée pour le plus grand bien de l’Assistance publique.

Tous ces faits sont de notoriété publique dans les hôpitaux. Je n’en dirai pas plus long. Seulement, je fais le public juge, et je lui rappellerai ce mot du bon La Fontaine :

A l’œuvre on connaît l’artisan.

Veuillez agréer, Monsieur le rédacteur, l’assurance de ma considération distinguée.

Dr A. Després[7]

Les scènes scandaleuses du Mardi-Gras auxquelles le Dr Després fait une discrète allusion, sont un des faits les plus caractéristiques encore de notre époque.

Se peut-il concevoir vision plus affreuse que l’orgie à l’hôpital ? infirmiers et infirmières à demi ivres se cherchant dans les salles ; les malades, brusquement réveillés, se mettant sur leur séant pour regarder ces hommes habillés en femmes et ces femmes habillées en hommes, et se demandant s’ils ne sont pas les dupes de quelque horrible cauchemar ?

Il manque à cela Quentin, ce gros satyre à lunettes débordant de santé, regardant ces choses après un souper avec quelques conseillers municipaux, et disant à ses acolytes entre deux hoquets : « Hein I mes enfants, comme c’est beau le Progrès ! Les salles n’avaient pas cet aspect folâtre avec les Sœurs. » Je dis : il manque ; c’est une façon de parler, car vraisemblablement il y était : de tels objets sont faits pour lui plaire.

Dans presque tous les hôpitaux laïcisés, des scènes analogues à celles dont parle le Dr Després, ont lieu maintenant. L’Écho de la Brie nous raconte ce qui s’est passé à l’hospice de Meaux, à la suite du décès d’une pauvre vieille de soixante-quatorze ans, dont la maigreur avait mis le personnel en gaieté.


Suivant l’usage, les infirmiers se préparaient, après le décès, à enlever le corps de la défunte, lorsqu’un sentiment d’inqualifiable curiosité les poussa à se repaître de la vue de ce pauvre cadavre dans toute sa misère. Ils le découvrirent complètement, sans être arrêtés par les protestations émues, les supplications, les cris d’indignation même de quelques femmes malades et d’un jeune enfant de onze ans qui assistaient à cette profanation.

Une grosse infirmière de vingt ans, mafflue et rebondie, qui assistait à la chose, servait de point de comparaison aux infirmiers, au milieu des ricanements, des moqueries et des plus inconvenantes réflexions.

Attiré par le bruit, un surveillante arriva, et se contenta de faire taire… les malades ; puis, dès que la morte eut été placée dans la civière, la grosse infirmière, paralysée par le fou rire, fut saisie, couchée par-dessus la morte, le couvercle fut fermé, et le tout fut enlevé au milieu des rires, des cris de joie, en un mot, d’un tumulte indescriptible.


X


Les Sœurs ont protesté, à leur façon, contre la laïcisation : elles ont redoublé d’héroïsme au moment du choléra ; on les avait chassées, on les a rappelées quand il a été nécessaire de braver la mort, et elles sont revenues en disant comme d’habitude : A la volonté du bon Dieu !

Elles ont lutté partout vaillamment, A Paris, il a fallu, pour que l’hospice des vieillards de l’avenue de Breteuil, fondé par les Petites Sœurs des pauvres, fût décimé, que le Conseil municipal aidât la peste et qu’il fît mourir les vieillards de faim.

— Que dites-vous ? va s’écrier un républicain honteux de l’être. Cette fois, vous exagérez.

— Non ! un journal moins hypocrite que les autres, l’Intransigeant, avoue le fait dans son numéro du 12 novembre 1884.


On sait que l’Assistance publique fait distribuer à toutes les maisons d’asile et aux hôpitaux les restes recueillis dans les réfectoires des collèges. C’est ainsi que l’hospice des vieillards de l’avenue de Breteuil recevait autrefois tous les jours une certaine quantité de vivres provenant du collège Chaptal. Mais, il y a deux ans, sur la proposition faite au Conseil municipal par le colonel Martin, ancien lieutenant-colonel des dragons de l’Impératrice, ce supplément de nourriture a été supprimé à l’hospice, et n’a pas été remplacé : de sorte qu’actuellement ces pauvres vieillards n’ont absolument pour vivre que leur ration réglementaire, qui est des plus maigres. Aussi n’est-il pas surprenant que le fléau fasse parmi eux de nombreuses victimes.


Le colonel Martin, dans une guerre où tant de fautes furent commises, mais où le courage des officiers et des soldats ne fut contesté par personne, est le seul qui ait été convaincu de lâcheté devant l’ennemi. Le général Lebrun a raconté le fait tout au long dans son livre Bazeilles-Sedan.

Le 29 août, à Mouzon, au moment où le 5 corps était écrasé, le général de Failly aperçut quelque cavalerie parmi les troupes du général Granchamp ; il dépèche tout aussitôt vers les régiments du général de Béville un de ses aides de camp, le commandant Haillot, avec mission d’inviter les officiers qui les commandaient à exécuter une charge sur le flanc gauche de son corps d’armée, pour dégager le flanc qui était en ce moment très engagé avec l’ennemi. Le premier des régiments que le commandant Haillot atteignit, était le 6e régiment de cuirassiers.

Le colonel de ce régiment, qui était notre Martin, au lieu de se mettre à cheval pour charger, trouva l’occasion opportune pour se mettre à cheval… sur les principes de la hiérarchie, et protesta qu’il n’avait d’ordre à recevoir que de ses chefs directs.

Tandis que les officiers du 6e régiment, désespérés de leur inaction, se détournaient avec mépris de leur colonel blême de peur, le commandant Haillot poursuivait sa route et arrivait devant le 5e régiment. Cette fois, il trouvait devant lui un Français, un soldat, un gentilhomme. Le colonel de Contenson ne répondit pas un seul mot, s’inclina, et, faisant mettre le sabre en main à ses escadrons, « les porta au galop vers le point que l’aide de camp du général de Failly lui avait indiqué, et il commanda : Chargez ! Ce devait être le cri suprême d’adieu qu’il adressait à ses cuirassiers. Un instant après, il tomba de cheval, mortellement frappé par une balle allemande. »

Cet officier qui refuse de charger les Prussiens et qui prend les Petites Sœurs des pauvres par la famine, est, on le comprend, l’idole du Conseil municipal. La loge Alsace-Lorraine, dont ce Franc-Maçon zélé fait partie, ne se possède pas de joie quand il vient débiter là ses tirades patriotiques.

C’est sur le trait de ce Conseil municipal enlevant des débris de nourriture à de malheureux vieillards que nous nous arrêterons : nous ne trouverions rien d’aussi beau.

Pitié démocratique, fraternité républicaine, philanthropie franc-maçonnique, je vous salue encore une fois avec l’équerre et le compas !

  1. Il y a toujours des gens qui vont trop loin. Cuvillier, marchand de graines à la Chapelle, était de ce nombre : il payait ses employés et jusqu’à son tailleur avec des bons du bureau de bienfaisance ; le scandale parut dépasser la mesure, et, au mois de janvier 1880, il fut condamné par la 11e Chambre à huit mois de prison.
  2. En 1859, les Juifs avaient mis tout Paris en mouvement et fait intervenir même l’Empereur, parce que deux jeunes détenus condamnés pour vol, David et Isaac Salomon, avaient été l’objet de tentatives de conversion.
  3. Le sous-préfet Mauras poursuivit sa victime jusque dans la mort : le religieux avait demandé à être enterré dans son cher Hermitage ; l’autorisation fut brutalement refusée. Le même fait s’est d’ailleurs reproduit à peu près partout.
  4. Lire la pétition touchante adressée, au mois de janvier 1884, au président Grévy, par douze cents malades de l’hospice des Incurables d’Ivry-»ur-Seine, qui rappellent ce qu’ils ont souffert ailleurs, de la part des infirmières laïques, et qui supplient qu’on ne les prive pas des soins que leur prodiguent les religieuses.
      « La plupart d’entre nous, disent ces pauvres gens, ont fait un séjour plus ou moins long dans les hôpitaux laïcisés. C’est vous dire, Monsieur le Président, que nous avons fait par nous-mêmes l’expérience de la laïcisation, et que tous, sans distinction d’opinion, nous savons, à n’en point douter, qu’en perdant les Sœurs nous perdons en même temps le repos, l'ordre, et, il faut l’avouer, hélas ! les soins qui nous sont si nécessaires et les égards qui nous sont dus. A l’appui de notre dire, nous pouvons citer un fait : les pensionnaires de La Rochefoucauld et des Petits-Ménages, laïcisés depuis trois ans, ont déjà pétitionné deux fois pour demander la réintégration des Sœurs. »
      Dans la séance du 28 janvier 1885, le Conseil municipal, saisi de la question, se prononça naturellement pour la laïcisation, malgré un éloquent discours du docteur Desprès. Un conseiller trop connu, Menorval, voulut intervenir dans la discussion en lisant une lettre ignoble contre les Sœurs, qui dégoûta même cette assemblée peu difficile. « M. Marins Martin et M. Després, dit le Figaro, obligent leur collègue à donner le nom du signataire de cette ignominie, et il finit par avouer que c’est un Israélite du nom de David. »
  5. On comprend l’horreur qu’éprouve maintenant pour les hôpitaux ce peuple de Paris, qui autrefois avait une égale confiance dans la science des maîtres et dans le dévouement du personnel. Pendant le choléra, les infortunés, croyant que tout avait été laïcisé, n’osaient pas avouer qu’ils étaient malades, dans la crainte d’être livrés au personnel choisi par Quentin, et demandaient en grâce aux médecins de ne pas les trahir, Rue de Nevers, un infirmier qui, appuyé par des agents, venait s’emparer d’un malade, fut à demi assommé par les voisins.
      Je ne sais rien de navrant comme la fuite éperdue de deux malheureux de mon quartier. Le médecin qui les soignait, avait dû révéler au commissaire Bugnottet que la femme était atteinte du choléra… Alors la pauvre femme, prévenue qu’elle allait être enlevée de force, supplia son mari de l’arracher à ce supplice ; et voilà ces doux êtres, la femme agonisante, l’homme fou de douleur, partis en pleine nuit à travers l’immense Paris, errant comme la bête qui cherche un coin pour y mourir. La police, qui n’arrête jamais les malfaiteurs, découvre les malades. Le couple fut repris à la Maison-Blanche le lendemain, et la femme, qui avait rêvé de finir en paix chez elle, fut traînée dans un hôpital, où elle succomba presque immédiatement.
  6. Une circulaire confidentielle de Quentin, que tous les journaux ont publiée au mois d’avril 1884, proclame plus énergiquement que nous ne le pourrions faire le gaspillage scandaleux qui règne dans ces hôpitaux laïcisés, où, à demi ivres dès le matin, les femmes qui ont remplacé les religieuses, sont hors d’état de distinguer un médicament d’un autre. Il résulte de cette pièce qu’en chiffres ronds on employait autrefois 4,000 litres d’eau-de-vie par an ; depuis la laïcisation, on en boit 16,000 litres ; autrefois on consommait 5,000 litres de rhum, maintenant 32,000 litres ; autrefois 141,000 kilogrammes de sucre, maintenant 200,000 kilogrammes ; autrefois 1,893,000 litres de vin, maintenant 2,646,000 litres ; autrefois 56,000 litres de vin de Banyuls, maintenant 128,000 litres ; autrefois 1,130,000 litres de lait, aujourd’hui 2,675,000 litres.
  7. Au mois de février, à propos de la laïcisation des hôpitaux de la ville, un médecin de Lyon, le docteur Augagnem, républicain et libre penseur, adressait au Courrier de Lyon trois lettres fort remarquables, qui concluaient absolument dans le même sens. « Sur les 600 Sœurs des hôpitaux, disait-il, 405, occupées dans les salles, sont en contact direct avec les malades. Je mets en fait, et aucun médecin ne me contredira, qu’il est impossible de trouver, non seulement à Lyon, mais dans toute la France peut-être, 400 femmes capables de faire immédiatement ce service. Nous voyons chaque jour, en ville, des gardes-malades, et nous sommes fixés sur la valeur moyenne des membres de la corporation…
      « Entre les religieuses et les laïques, il y aura toujours une différence originelle d’une extrême importance. Les religieuses n’embrassent pas la vie d’hospitalisme uniquement pour trouver des moyens d’existence ; les causes de leur choix sont d’un ordre plus élevé. Elles se contentent de 40 fr. par an, et pensent faire leur salut. A combien les laïques estimeront-elles l’indemnité équivalente au salut ? Agir pour une idée, fût-elle fausse, sera toujours supérieur au fait d’agir pour de l’argent. Dans l’armée, les volontaires ont toujours été préférés aux remplaçants, à ceux qu’on appelait les vendus. »