La France Juive (édition populaire)/Livre 5/Chapitre 8

Victor Palmé (p. 362-393).


CHAPITRE HUITIÈME


Le cabotinage général. — Les Juifs et le théâtre. — L’Ami Fritz, — La statue de Bartholdi. — La décoration d’un comédien. — Le cirque Molier. — Les hôtels juifs. — Paris coupe-gorge. — Malfaiteurs et souteneurs. — Le livre de M. Macé. — Les brasseries de femmes. — La complicité de la police. — La crise ouvrière. — La terre en friche. — L’alcoolisme. — Le laboratoire municipal. — L’impunité des marchands de vin. — La chasse aux pauvres. — Les chiffonniers. — Les reconnaissances du Mont-de-Piété. — Le peuple attend. — Caractère inévitable de la Révolution, — La fin d’un monde.


I


Un cabotinage général semble s’être étendu du théâtre à la société. La société, pour mieux dire, est devenue un immense théâtre, où chacun s’efforce d’attirer l’attention sur soi en se mettant en vedette sur l’affiche, en lettres gigantesques.

Le théâtre lui-même, a pris une importance anormale, presque monstrueuse, qui s’explique par ce seul fait que la plupart des directeurs et des artistes en renom sont Juifs. Le métier de comédien devait tenter les Juifs : il rapporte beaucoup, en effet ; il satisfait une certaine vanité subalterne, et il ne demande aucune faculté géniale : ils se sont rués sur cette carrière avec une véritable fureur.

Tous les théâtres de Paris sont aux mains des Juifs. La plupart des artistes en vue sont d’origine juive ; dans le cas contraire, ne trouvant que de l’hostilité dans la presse, ils ne seraient arrivés à rien et ils auraient été réduits à courir la province. Les cantatrices célèbres de notre temps ont été célèbres surtout parce qu’elles sortaient de la famille de Jacob : la Stolz, la Patti, la Sass, Fidès Devriès, Rosine Bloch, Heilbronn, Isaac, étaient juives ; Judic, Reichemberg, Milly Meyer, appartiennent aussi au monde juif.

Van Zandt est-elle Juive ? En tout cas, elle n’a pas été baptisée : c’est ce qui explique que les Rothschild l’aient reçue chez eux, l’aient couverte de leur protection, l’aient imposée à Paris. Elle a, d’ailleurs, comme Mlle Nevada, comme la Krauss, l’avantage d’être étrangère en un temps où toute Française est mise sévèrement à l’index. Je me rappelle encore la mélancolie avec laquelle une jeune fille, que des revers de famille avaient forcée d’entrer au théâtre, me répondait un jour que je lui parlais de son avenir : « Oh ! je n’arrirai à rien : je suis Française ! »

J’ai indiqué déjà en mainte occasion, cette habitude spéciale à la race Juive, d’agrandir tout ce qu’elle touche, ou plutôt tout ce qui la touche ; de voir tout, en quelque façon, à travers un mirage ; d’accumuler les épithètes exagérées, familières aux peuples de l’Orient.

L’apothéose a commencé par Rachel, qui fut, dit Tourgueneff, « la force et la fleur de cette Juiverie qui s’est emparée déjà des poches du monde entier, et qui s’emparera bientôt du reste : car qui a la poche, a la femme, et qui a la femme, a l’homme. »

Le véridique portrait de cette étrange créature a été tracé par Philarète Chasles, et il est si finement touché, que je ne puis résister au plaisir de le reproduire.


Ce petit tigre bohémien, Juive lascive, vaste front planté sur des épaules de hyène et sur un torse charmant de Ménade, sublime d’intelligence, et plus rapproché, par l’âme, des carnivores que des hommes, a séduit tous ses contemporains dignes d’elle, et que sa grande qualité, la férocité, a enivrés. Véron le gros en a raffolé. Ricord se serait pendu pour elle. Les archevêques l’ont bénie. La France l'a pleurée. Autrefois, petite gueuse en chemise, qui, la sébile à la main, ramassait des sous dans la fange des estamimets ; toute rompue depuis dix ans au trois-six, aux planches, aux quinquets gras ; aimant le ragoût du vice, mais plus encore le ragoût de l’argent, elle représentait la sauvagerie des Parias, celle des Juifs, celle des Bohèmes, résumées, concentrées et raffinées par la sauvagerie des rues de Paris.


Inutile de dire que les Juifs ne s’en sont pas tenus là : ils n’ont point eu de cesse qu’ils ne nous aient fait accepter une Rachel de fantaisie, chez laquelle tout était pur, noble et beau[1].

Fidèles à leurs coutumes, les Juifs ont donc constamment organisé une réclame éhontée pour les leurs. Ils nous ont présenté comme une artiste inimitable, cette pauvre Sarah, qui bredouille, qui n’a plus un geste juste et d’accord avec ce qu’elle dit, qui ne serait pas digne de dénouer le cothurne de cette grande et dramatique Rousseil, en qui semble palpiter l’âme héroïque de la Tragédie.


II


Pas une protestation ne s’élève. Ce prétendu highlife, cette société selected, comme dit Meyer, a moins d’initiative et d’indépendance dans ses jugements que le petit clerc de procureur qui pour quinze sous allait siffler Attila.

Quelle preuve plus saisissante de ce fait que l’Ami Fritz ? On sait à quelle écœurante besogne se sont consacrés les Erckmann-Chatrian, « les Homères du taf ». Elevés au milieu des Juifs de Phalsbourg, ils en ont pris l’âme haineuse et sordide. Leur œuvre a mérité d’être appelée : l’Iliade de la peur.

Quand on annonça l’Ami Fritz, Saint-Genest rappela, dans le Figaro, que ces hommes auxquels on allait ouvrir la maison de Molière, avaient couvert d’injures notre héroïque armée de Metz. Plus dégradés que les Juifs, qui venaient dépouiller les cadavres, ces futurs collaborateurs du Drapeau de Déroulède avaient dépouillé nos morts de leur linceul de gloire ; ils avaient jeté l’épithète de capitulards et de lâches à ces officiers qui, au premier rang sous les balles et sous les obus, avaient défendu ce cimetière de Saint-Privat où la Garde prussienne avait été décimée, près duquel un chemin porte encore le nom de « Chemin de la mort de la Garde ». M. de Saint-Genest ne se contenta pas d’affirmations : dans six numéros, il mit sous les yeux de ses lecteurs les extraits les plus significatifs, les passages les plus antifrançais et les plus déshonorants.

La première arriva. Dans cette salle des Français, il y avait des veuves, des sœurs, des maîtresses aussi d’officiers tombés sous les murs de Metz. Pas une ne protesta ; pas une seule Française n’eut le courage, devant la pusillanimité des hommes, de se lever et de siffler ces insulteurs de la mort. Tout ce beau monde attendait impatiemment que Rothschild daignât donner son avis. Quand rabbi David parut, ce fut un applaudissement unanime. Tous les Juifs rayonnaient. Songez donc ! un rabbin paraissant pour la première fois sur la scène française, et y paraissant, naturellement, comme le modèle de toutes les vertus !

Longtemps à l’avance les Archives Israélites avaient tambouriné la bonne nouvelle : « Le Théâtre-Français de Paris, la première scène du monde, disaient-elles, verra probablement une véritable solennité dramatique. On y donnera dans les premiers jours de décembre l’Ami Fritz, de MM. Erckmann-Ohatrian, dont il a été tant parlé à l’avance. Un des moindres attraits de cette pièce ne sera pas la présence d’un rabbin sur la scène : un des principaux personnages est reb David, type réel, que les écrivains ont sans doute idéalisé, et dont l’original n’est autre, dit-on, que le prédécesseur du grand rabbin Isidor, à Phalsbourg. »

Encouragés par l’immense succès que leur fit la presse juive, les Erckmann-Ohatrian imaginèrent de faire chanter en charge, au commencement des Rantzau, le Kyrie eleison.

Quand furent ânonnées les notes de cet Eleison, il y eut des transports de joie dans ce public du mardi : vous savez, ce fameux public du mardi qui sert de réunion à l’aristocratie, et qui semble aux journaux conservateurs comme la résurrection de la vieille France. Ils étaient là battant des mains, pour faire plaisir aux Juifs, qui regardaient.


III


Il convient, je le sais, de reconnaître que, parmi les prétendues grandes dames qui figurent sans cesse au livre d’or des journaux mondains, le nombre de celles qui appartiennent à Tancienne race française est relativement très limité.

L’Américanisme a envahi Paris presque autant que le Sémitisme.

Que d’histoires piquantes à raconter, si nous ne voulions rester fidèles à notre principe de philosopher seulement sur ce qui est dans le domaine commun !

Le grand seigneur rêvant de faire un opulent mariage a été, dans la plupart des cas, la plus candide des dupes. Certaines familles yankees, venues primitivement d’Allemagne et ayant laissé leur Juiverie dans la traversée de l’Atlantique, s’embarquent un beau jour avec une petite fortune, deux ou trois cent mille francs, qu’elles dépensent bravement, en un an, avec un bruit étourdissant. Les chroniqueurs embouchent la trompette ; les feuilles bien informées brodent à qui mieux mieux des récits de mines fabuleuses, de maisons de commerce colossales.

Vous voyez d’ici le roman qui se bâtit dans la tête de l’Aryen. « L’industrie n’est-elle pas la reine du monde moderne ? Vive l’industrie ! Avec ces millions sans nombre, je reconstruirai mon château, j’aurai les plus brillants attelages de Paris, je ferai du bien… »

Le mariage a lieu… Voilà la petite Yankee duchesse, marquise, comtesse. L’heure sonne où l’heureux époux juge qu’il serait temps de monnayer quelques pépites de ces mines inépuisables, de se faire envoyer un peu d’argent de ces maisons de banque ou de commerce.

Hélas ! les mines ont été inondées, la maison de banque est en faillite. Le père, qui souvent n’avait pas même donne de trousseau, mais qui avait promis une rente énorme, est devenu fou. Le réveil est dur pour quelques-uns. Celui-ci prend son parti, vend son château où Louis XIV avait reçu l’hospitalité, envoie aux enchères les meubles anciens et jusqu’au paravent de sa grand’mère, pour suffire aux caprices d’une enfant gâtée. Celui-là, abattu par un tel coup, disparait de la circulation, se met au lit sans être malade, et vit désormais couché. Cet autre abandonne tout, file en Amérique, y travaille courageusement, découvre de vraies mines, et revient millionnaire et républicain.

Vous me direz que les victimes ne sont guère intéressantes. Je vous l’accorde ; ce qu’il faut noter, c’est l’impossibilité presque absolue pour le Français de tirer aucun bénéfice de ses compromis avec la conscience : il n’est pas organisé pour cela. La ligne droite du devoir aurait toujours été plus avantageuse pour lui, même matériellement, que de prétendues habiletés où il finit invariablement par le rôle de Jocrisse.

A part quelques exceptions, que chacun connaît, ces Américaines sont, d’ordinaire, de bien désagréables créatures : tapageuses, dépensières à l’excès, parlant haut, riant bruyamment, toujours les premières pour les excentricités de mauvais ton, et, ce qui est prodigieux, aussi sottement entichées de leur fraîche noblesse, aussi impertinentes, que les vraies grandes dames d’autrefois étaient simples, indulgentes et bonnes… Elles ont contribué à donner à la société parisienne la physionomie incohérente et bizarre qu’elle a prise depuis quelques années.

Le point douloureux encore est la façon dont on récompense l’hospitalité que nous accordons à tous, les rebuffades dont on paye nos avances.

Quel épisode que la statue de Bartholdi : la Liberté éclairant le monde ! Pendant des années, le comité répétait sur tous les tons : « Notre chère sœur l’Amérique nous adore ; ses ambassadeurs dans toutes les capitales nous l’ont bien prouvé pendant la guerre de 1870, en buvant aux succès de la Prusse et à l’abaissement de la France[2] : souscrivons pour élever un monument impérissable de l’amour qui nous unit ! »

Quand la statue est enfin terminée, après des appels de fonds incessants, les Américains déclarent qu’ils n’en veulent à aucun prix, qu’ils ne donneront pas cinquante centimes pour le piédestal. Le Congrès refuse de voter la moindre somme. Dans un pays où l’on réunit un million de dollars en quelques heures pour n’importe quelle souscription, les particuliers haussent les épaules quand on leur propose de souscrire[3].

Le cœur ne se serre-t-il pas lorsqu’on pense qu’il suffit de quelques imbéciles, ou de quelques agités, pour réduire notre France à ce rôle de pauvre chien qui court porter ses caresses à tout le monde, et que tout le monde repousse à coups de pied ?

Sans les Gambetta, les Waddington, les SpuUer, sans tous les étrangers qui nous ont fourrés dans les complications où l’on intrigue, comme leurs journalistes nous ont fourrés dans les souscriptions où l’on tripote, qu’il eût été magnifique encore une fois le rôle de notre chère patrie ! Avoir émancipé l’Amérique, avoir affranchi l’Italie, avoir combattu partout pour ce qui nous paraissait la justice, et demeurer tranquille dans un recueillement de vaincu ! Au bout de dix ans de ce repos fier, on serait venu humblement nous demander de donner notre avis dans les conseils de l’Europe...


IV


Dès que les Juifs y ont tenu le premier rang, le théâtre lui-même s’est transformé. Tant que les comédiens furent de simples chrétiens, le métier d’acteur resta un métier peu considéré par lui-même, mais que la grandeur du talent, la tenue personnelle de l’artiste, relevaient à l’occasion. Il faut avoir perdu, en effet, tout sens moral et tout bon sens, pour admettre que, dans la hiérarchie sociale, le bouffon, dont la profes- sion est de recevoir des coups de pied dans le derrière pour amuser la foule assemblée, soit l’égal d’un soldat qui expose sa vie pour son pays, d’un marin qui affronte la tempête, d’un médecin qui brave les épidémies.

Sans doute, l’histrionisme a régné dans toutes les civilisations corrompues : Athènes asservie donnait à Polus un talent par jour ; Æsopus et Rosius furent gorgés d’or ; deux mimes, Pylade et Bathylle, remplirent de leurs querelles la Rome du Bas-Empire ; Pâris, que Caligula fit battre de verges pour avoir hésité à déclarer que l’empereur chantait mieux que Jupiter, eut un peu les allures d’un sociétaire de la Comédie française actuelle.

En ses hontes mêmes, le peuple romain garda néanmoins un certain respect de la dignité humaine ; il mit son amour du plaisir au-dessus de tout, il témoigna qu’il voulait s’amuser à tout prix et qu’il oubliait tout pour arriver à ce but, mais il ne déclara jamais qu’un homme de joie était l’égal d’un homme de devoir et de sacrifice. Sénèque, qui fut un voluptueux ; Pétrone, qui fut un débauché, auraient brisé leur stylet plutôt que d’écrire les tirades pompeuses que les journalistes de la presse juive consacrent chaque jour à « l’honnêteté », à la « noblesse de la profession d’histrion ».

Si l’empire, grâce à Fould, donna pour la première fois la croix à un comédien, Isidore Samson, parce qu’il était d’origine juive, il le fit encore avec des réserves formelles : il décora le professeur du Conservatoire et l’auteur dramatique, à la condition expresse que l’acteur ne reparaîtrait plus sur les planches.

Avec leur parti pris d’avilir l’armée, les républicains devaient changer tout cela.

Il faut lire dans les journaux de l’époque la scène de la décoration de Delaunay. C’est un vrai tableau de décadence, mais d’une décadence spéciale, déclamatoire et burlesque.

Comme il arrive à la veille de tous les grands événements, des bruits étranges avaient couru. Delaunay avait mis le marché à la main à la France ; il avait fait annoncer ses dernières représentations. Vous comprenez l’inquiétude qui régnait à la Chambre. L’Angleterre venait de nous chasser de l’Égypte, ce qui avait paru peu de chose ; la nouvelle que Delaunay se retirait, était autrement grave. Pour comble de malheur, Delaunay, nous apprend le Gaulois, avait prononcé des paroles sinistres. « On lui avait entendu murmurer : « On m’a dit au 1er janvier qu’il fallait attendre Pâques, à Pâques que la distribution des prix n’était pas loin. »

En ces heures oscillantes et perplexes où va se décider la destinée du monde, les plus forts se sentent agités. Febvre cependant était fort calme ; « il se tenait immobile dans son cabinet. Déroulède, plus nerveux, allait de la salle au foyer et du foyer à la salle. »

Tout à coup Ferry arrive avec le général Pitié, chef de la maison militaire du Président de la République, et dit à Delaunay :

« Je vous décore sur le champ de bataille. »

Vous apercevez le champ de bataille d’ici : des pots de rouge et de blanc, une patte de lièvre, des postiches, des perruques, et cette odeur spéciale de loges d’acteurs, faite de parfums rancis, de mixtures pharmaceutiques, de poudre de riz et d’oppoponax.

Vous voyez ce vieux maquillé délayant son rouge en pleurant sur les favoris de Ferry, et le général Pitié, au milieu de cette scène, disant : « C’est égal, quelle leçon pour M. de Moltke ! »

Bien entendu, dans la salle, Bischoffsheim rayonnait d’avoir, en astronome qui aime le progrès, découvert l’étoile des braves sur la poitrine d’un sociétaire de la Comédie française.


V


Dans les classes supérieures, l’histrionisme a un caractère tout à fait romain.

Au cirque Molier, des jeunes gens élégants, habillés en clowns, donnent chaque année deux représentations : une pour les femmes du monde, une pour les femmes de tout le monde.

Les invitations sont avidement recherchées, et les Françaises sont là, regardant leurs fils ou leurs frères exécutant des rétablissements sur la barre fixe, dansant sur la corde, passant à travers les cerceaux. Ces acteurs vêtus de maillots couleur tendre, couverts de paillettes, chargés d’oripeaux, grimaçant, gambadant, marchant sur les mains, s’appellent le comte de Nyon, le comte de Pully, comte Bernard de Gontaut, comte de Maulle, de Beauregard, de Quélen. Le comte Hubert de La Rochefoucauld, vêtu d’une tunique de soie bleue, avec une écharpe à glands d’or crie : Miousic ! à l’orchestre, avec l’intonation des clowns.

Il y a un véritable cas pathologique, je le répète, dans ce besoin de se ravaler, de se déshonorer soi-même ; mais cela ne choque personne. Les journaux qui défendent la société, insèrent gravement le programme entre une tirade contre les vices du peuple et l’annonce d’un sermon, insistent sur les numéros, expliquent longuement la généalogie des familles[4]

Le plus fort en ce genre est la représentation du Cercle de la rue Royale, où le jeune duc de Morny parut habillé en femme, et dansa un pas du ballet d’Excelsior. Ce fut un ravissement. Les journaux discutèrent pendant toute une semaine, pour savoir si le duc avait bien fait de couper ses moustaches. Le Gaulois fut très affîrmatif : « Il a eu raison, dit-il, c’est très crâne ! » Le Figaro, plus réservé, déclara qu’il y avait du pour et du contre.

Pas plus qu’au Théâtre-Français, pas un vieillard, représentant du vieil honneur, pas une femme, ayant quelque sentiment de dignité au cœur, n’eut l’idée de se lever, de protester, de siffler, devant le spectacle de cet homme déguisé en femme, et dansant avec des gestes à double entente. Le Tout-Paris n’eut pas la pudeur d’Athènes, qui permettait aux esclaves seuls de danser la danse obscène : le Mothon.

N’est-il pas curieux, dans ce perpétuel recommencement de l’histoire, dans l’incessant frétillement de ce serpent qui se mord la queue, de constater que la décadence se traduit toujours sous des formes identiques, de voir qu’après tant de siècles écoulés, la décomposition sociale, comme la décomposition physique, est absolument la même dans ses manifestations ? Le duc attifé en ballerine, et l’Héliogabale à la robe syrienne, aux yeux agrandis par le henné, aux joues fardées, ne semblent-ils pas être un seul et même être ? Ces clowns titrés ne sont-ils pas une incarnation nouvelle des patriciens dégénérés de Juvénal, du Damasippus qui déclame sur la scène le Spectre de Catulle, du Lentulus qui se loue pour jouer le rôle de Lauréolus, ou du Gracchus indigne qui descend dans l’arène, portant

Le riche galérus où flotte un réseau d’or.

Un souvenir des civilisations disparues vous obsède à chaque instant dans ce Paris colossal.

En 1867, quand l’Empire, condamné déjà, avait l’air d’une bacchanale montée à son paroxysme, au milieu de cette Babel de l’Exposition universelle, où l’on entendait retentir en toutes les langues ce que Bossuet appelle superbement « le hennissement de la luxure », deux passants se rencontrèrent dans ce promenoir où les peuples semblaient s’être donné rendez-vous pour une orgie cosmopolite : l’un était Henri Lasserre ; l’autre, Ernest Hello, un homme de génie qui aura traversé ce siècle sans que ce siècle l’ait aperçu.

— Une chose m’étonne, dit l’auteur de l’Homme au futur auteur de Notre-Dame de Lourdes : je viens de regarder du côté des Tuileries ; elles ne brûlent pas encore…

On éprouve un sentiment analogue, et l’on se demande comment tient encore cette société où l’égoïsme, la vanité sotte, l’amour du plaisir, l’absence de tout sentiment de dévouement, de toute pensée de sacrifice, de tout instinct même de conservation, sont en haut, où la haine et l’envie sont en bas.


VI


L’identité d’impression s’arrête là. Paris n’a plus l’aspect joyeux, l’air de confiance, la puissance ensorcelante qu’il avait à la fin de l’Empire. Malgré l’effort qu’il fait pour se démener, il exhale une odeur cadavéreuse. Le cœur est comme envahi par une insurmontable tristesse.

La ville où la vie jadis était si débordante, où les pavés eux-mêmes riaient aux passants, donne un peu la sensation de Munich. Au mélancolique et glacial München, il manque de la gloire, du mouvement, pour remplir ce décor de palais, de temples érigés aux grands hommes absents, d’avenues magnifiques. Paris a eu cette gloire : il est plein de souvenirs d’héroïsme et de grâce, de légendes immortelles, de fantômes illustres ; mais tout cela semble appartenir à un Passé pour toujours aboli. Certaines régions ressemblent à des Pompéï, et l’on se demande quelle catastrophe les a rendues tout à coup silencieuses et désolées. Ailleurs l’activité est fébrile, mais avec une sorte d’inquiétude sombre qui persiste malgré tout.

Les hôtels du faubourg Saint-Germain gardent leurs volets fermés pendant dix mois de l’année. Presque tous les beaux hôtels du quartier des Champs-Élysées et du quartier Monceau sont aux Juifs.

Le livre, si français ; le livre, qui fait penser ; le livre, qui tenait tant de place au dix-septième siècle, n’existe plus : c’est la musique, art tout sensitif, art d’amollis et de maladifs, qui tient le premier rang. Après le crocodile, le Juif est le plus mélomane de tous les animaux. Tous les Juifs sont musiciens ou comédiens d’instinct : Camondo joue du violoncelle ; Mme Goldschmidt donne de superbes concerts dans les « salons qui sont en enfilade ». — « Quelle jolie décoration ! que de chefs-d’œuvre ! » s’écrie Meyer toujours ravi. « En pénétrant sous le péristyle, la magistrale statue de Houdon, l’Apollon, vous prend le regard. » J’imagine que le maître de céans a dû nous prendre jadis quelque autre chose, pour donner de si belles fêtes…

Les Ellissen sont aussi fort joyeux, et trouvent que la vie est belle, depuis qu’ils ont quitté le ghetto de Francfort et sont devenus millionnaires. La mésaventure de nos pauvres chiffonniers condamnés à mourir de faim les a particulièrement mis en gaieté ; ils en ont fait le sujet d’une pièce, qui a inauguré leur hôtel du boulevard Haussmann, construit sur l’emplacement des jardins de la princesse Mathilde.

Dans ce Paris conquis, on rencontre jusqu’à des Juifs indiens, les Sassoon, une famille aux aventures fabuleuses, qui possède la moitié de Bombay. Ils viennent donner des soirées chez nous. Mme Gubbay, fille de ce Sassoon, arrive de l’Inde tout à coup, invite des gens qu’elle n’a jamais vus, auxquels elle n’a jamais été présentée, et chacun accourt. Et il y a des naïfs qui prétendent que la société parisienne s’ouvre difficilement !


Dans les quartiers que les Juifs ont choisis pour leurs hôtels, on peut au moins se recueillir sans être écœuré par le spectacle que présente la rue. La rue est maintenant aux souteneurs et aux filles : ils s’y carrent effrontément, ils insultent les passants, et font rougir les femmes honnêtes par d’immondes propos.

C’est le livre de M. Macé, le Service de la Sûreté par son ancien chef, qu’il faut lire d’un bout à l’autre, si l’on veut avoir une idée de ce que les républicains ont fait de Parisien quelques années. Dans sa brutalité administrative, dans son langage de procès-verbal sec et froid, l’ouvrage dépasse tout ce qu’on a écrit sur Paris contemporain ; il dévoile les plaies plus cruellement que ne le feraient les plumes les plus éloquentes. Jamais le naturalisme ne nous a donné un plus épouvantable document humain.

Le chapitre sur les souteneurs est véritablement sinistre. L’auteur fait défiler successivement devant nous les souteneurs du grand monde, de la bourgeoisie, du demi-monde ; les souteneurs ouvriers, les souteneurs des maisons de tolérance, les souteneurs mariés de bas étage, les souteneurs pédérastes, les souteneurs rôdeurs de barrières.

L’immoralité croissante, les doctrines matérialistes ouvertement prêchées, la misère, la rareté du travail, ont créé des catégories jusqu’ici inconnues à Paris. Des hommes mariés vivent en grand nombre de la prostitution de leurs femmes, surveillent eux-mêmes leurs débauches.

L’armée des malfaiteurs se recrute parmi les souteneurs. Chaque jour il se forme une bande nouvelle. On dévalise les maisons de la banlieue et des environs de Paris : Passy, Auteuil, Boulogne, sont à chaque instant visités par les malfaiteurs.

On tire sur les commissaires et les officiers de paix ; tous les soirs, les rares gardiens de la paix qui ne pactisent pas avec les malfaiteurs, sont obligés de livrer bataille. On assassine en plein midi, au milieu de Paris, sur les ponts, dans le jardin des Tuileries ; au bois de Vincennes, un vieillard est étranglé à quelques pas du concours de tir ; sur le boulevard des Capucines, devant le restaurant Hill’s, on jette un lazzo autour du cou d’un homme pour le dévaliser. On arrête les voitures dans les rues, comme jadis sur les grands chemins.

On tue les voyageurs en wagon, les filles dans leur lit, les marchands de vin à leur comptoir[5]. La police se croise les bras devant tous ces crimes, absolument impuissante[6].


VII


Les Brasseries de femmes sont à la fois des lupanars, des tripots, des cabarets. Une fois entré là, tout fils d’honnête famille est perdu : on le grise, on le fait jouer, on le dépouille de mille manières. Jamais peut-être la nature humaine ne fut dégradée davantage que dans ces malheureuses femmes dont la profession est de boire, qui ont l’ivresse pour gagne-pain ; qu’on appelle fainéantes quand leur estomac refuse le travail.

M. Macé adresse rapports sur rapports, demandes sur demandes au préfet de police, pour être autorisé à nettoyer Paris ; il se heurte à un refus formel, et il nous en donne la raison[7].

La majorité du Conseil municipal est d’accord avec les exploiteurs du vice.

Dans certaines élections, ce sont les souteneurs et les repris de justice qui apportent l’appoint de voix nécessaires. Le témoignage de M. Macé est très grave sur ce point. « La plupart des souteneurs sont électeurs et votent ; avec leur carte ils pénètrent partout. Bon nombre ont cependant subi diverses condamnations, ce qui ne les empêche pas de faire usage de leur qualité de citoyens. Tout récemment, des individus arrêtés et ayant des antécédents judiciaires ont été trouvés nantis de leurs cartes d’électeurs coupées à l’un des angles, indice certain qu’ils en avaient fait usage. »

Les choses se passaient de la même façon pendant la première Révolution, où les repris de justice étaient maîtres souverains dans les sections.

Ces teneurs d’établissements infâmes sont des purs entre les purs, au point de vue républicain ; ils servent la bonne cause à leur façon, en pourrissant les jeunes générations, en détruisant dans les masses tout sentiment honnête qui pourrait aider le pays à sortir de la fange. Nous constaterons plus loin, d’ailleurs, l’étroite connivence des chefs de la démocratie avec les marchands de vin empoisonneurs.

Les prolétaires sont acculés de plus en plus entre la mort, par la faim, et la révolution sociale. « Quand les hommes perdent de vue les nécessités morales, a dit un puissant penseur, M. Blanc Saint-Bonnet, Dieu fait sortir la lumière des nécessités d’un autre ordre. Si la Foi n’est plus enseignée par l’oreille, elle sera enseignée par la faim ! »

La révolution sociale a un caractère presque fatal. Peut-être faut-il voir dans la conviction qu’il a de cette situation l’une des causes de l’hésitation du comte de Paris. Il est, on le sait, un des trois ou quatre hommes d’Europe qui connaissent à fond la question ouvrière ; il n’a pas, dans le principe qu’il représente, la foi qu’il faudrait pour entreprendre une restauration sociale qui seule sauverait la France, et en même temps il aperçoit, avec plus de clairvoyance que les politiciens de son parti, l’intensité de la crise qui se prépare.

Le travail, déjà ralenti partout, s’arrêtera bientôt presque complètement, grâce à la concurrence que nous font l’Europe et l’Amérique.

L’ouvrier parisien a perdu la suprématie qu’il avait autrefois, et les peuples voisins tendent de plus en plus à se passer de nos produits. Tel est le lamentable aveu qui s’échappe de toutes les enquêtes et de tous les rapports.

La civilisation chrétienne avait garanti, ennobli, poétisé le labeur ; la civilisation juive l’exploite par le Juif capitaliste et le diffame par le Juif révolutionnaire : le capitaliste fait de l’ouvrier un serf ; le révolutionnaire, dans ses livres et ses journaux, l’appelle un forçat.


VIII


Comparez l’atmosphère d’idées dans laquelle vivaient les prolétaires du Passé et l’atmosphère dans laquelle vivent ceux du Présent, et vous vous expliquerez que, par une naturelle conséquence, la grossièreté des sentiments ait engendré la vulgarité dans les productions.

Si vous eussiez pénétré autrefois dans quelque intérieur d’ouvrier, vous y auriez trouvé ces images de corporation, gravées par les soins des syndics et des jurés en exercice, et qui représentaient les saints protecteurs de chaque corps d’état. Tandis que des dessins plus ou moins nombreux rappelaient les principaux épisodes de la vie du saint, les détails de son martyre, d’autres représentaient les outils particuliers de sa profession.

Ces gravures, que l’on distribuait à tous les membres d’une confrérie, constituaient comme un signe de ralliement commun dans les mêmes prières et dans la même foi. On les suspendait dans l’atelier, et le saint, avec son nimbe éclatant, en ses vêtements parfois peinturlurés de couleurs criardes, regardait ainsi le maître et le compagnon, l’ouvrier qui avait déjà fait son chef-d’œuvre et l’apprenti encore novice, travailler de leur mieux.

Que verriez-vous aujourd’hui à la même place ? D’immondes caricatures, qui représentent des prêtres ivres, des femmes retroussées, des scènes de crapuleuse débauche.

L’Église donnait aux ouvriers les saints du ciel pour camarades ; la presse franç-maçonne et juive les assimile à des galériens.

Par une mystérieuse opération de l’esprit, cet état d’âme différent, se traduit dans les créations matérielles. Le travail, exécuté sans entrain par un homme dont l’imagination est salie par de vilaines lectures, attristée par la conviction que son sort ne diffère guère de celui des forçats, n’a plus la délicatesse de jadis. La main est devenue lourde à mesure que la pensée devenait basse, et le gros mouvement pornographique et athée de ces dernières années, en enlevant à nos artisans tout idéal, leur a enlevé en même temps tout leur goût.

À ces causes d’infériorité, il faut ajouter la concurrence déloyale qui se donne pleine carrière, grâce au mépris des gouvernements étrangers pour le nôtre. On contrefait nos marques de fabrique, et on les appose sur des produits qui n’ont rien de français.

Quelle autorité voulez-vous qu’aient pour se plaindre des représentants comme ceux qui ont envahi notre diplomatie ? A Vienne, vous aviez Foucher de Careil, ancien candidat officiel de l’Empire, devenu opportuniste servile, qui a jadis dépouillé un pauvre Privat docent de ses travaux de vingt ans sur Leibnitz, pour mettre sur l’œuvre d’autrui sa marque de fabrique à lui. On envoie comme consul général à Panama, pour l’aider à se refaire aux dépens des actionnaires du Canal, le député Lavieille, qui vient d’être flétri par les tribunaux pour ses indélicatesses financières. En Égypte, vous aviez Barrère ; ailleurs, un ambassadeur dont la nièce a été condamnée à cinq ans de prison, à Marseille, pour avoir commis d’innombrables escroqueries en se faisant passer pour l’archiduchesse d’Autriche ; à Rome, vous avez Gérard.

Après la guerre, quand l’impératrice Augusta demanda un lecteur français, on lui déclara qu’il serait impossible de trouver un Français assez vil pour aller remplir un tel emploi à Berlin. Gérard s’offrit, et, moitié valet, moitié lecteur, il accepta cet horrible métier de sourire à tous les sarcasmes qu’on lançait contre sa Patrie mutilée, dans ce palais qui retentissait, du matin au soir, des cris de joie bruyants des vainqueurs. Gambetta, toujours en quête d’hommes assez dépourvus de dignité pour qu’on pût tout leur demander, prit Gérard dans la domesticité d’une souveraine allemande pour en faire un serviteur de la République.


IX


Tandis que nos ouvriers s’entassent dans nos villes à la recherche d’un travail qui devient de plus en plus rare, l’agriculture est abandonnée. En certaines régions, on ne veut prendre de fermes à aucun prix ; la terre a perdu près des trois quarts de sa valeur.

La ruine est générale. Dans cette République où tout meurt, l’art, la littérature, l’industrie, le commerce des marchands de vin prospère seul.

L’ouvrier de Paris, particulièrement, boit avec excès. Les races déclinent, les fils les plus robustes de la province sont vite usés dans ce Paris qui corrompt et qui épuise. Les Parisiens naissent vieux, ne se soutiennent que par une force nerveuse qui doit incessamment se retremper dans l’alcool.

On s’enfonce certains breuvages dans le corps, comme on s’enfoncerait à demi un poignard dans la peau, pour avoir un chatouillement aigu, une sensation âpre et violente, qui remue, stimule et secoue. Les femmes, les faibles, les maladifs, se piquent le bras à la morphine ; les travailleurs se piquent le nez à l’alcool ; et tous deux éprouvent réellement un bien-être passager, une accélération de mouvement, une détente en même temps.

Ce qui est terrible, c’est que ce n’est ni du vin ni de l’eau-de-vie que l’on vend au prolétaire ; c’est un mélange sans nom, un poison véritable.

Les meurtres de plus en plus nombreux, les maisons de fous pleines, les suicides qui augmentent sans cesse, attestent les effrayants ravages que produisent ces breuvages dans lesquels, à part l’eau, n’entre aucun élément qui ne soit funeste à la santé.

Les rois chrétiens avaient fait de cette question l’objet de leur plus constante sollicitude. Écoutez Louis Blanc lui-même, dont on ne récusera pas le témoignage.

Mêlées à la religion, écrit-il, les corporations du Moyen Age y avaient puisé l’amour des choses religieuses ; mais protéger les faibles était une des préoccupations les plus chères au législateur chrétien. Il recommande la probité aux mesureurs ; il défend au tavernier de hausser jamais le prix du gros vin, comme boisson du peuple ; il veut que les denrées se montrent en plein marché, qu’elles soient bonnes et loyales, et, afin que le pauvre puisse avoir sa vie au meilleur prix, les marchands n’auront, qu’après tous les autres habitants de la cité, la permission d’acheter des vivres[8].

Si vous consultiez sur ceci un Passy quelconque ou un économiste officiel, il vous débiterait de solennelles turlupinades sur le mécanisme des échanges. La vérité, comme vous pouvez vous en rendre compte à l’aide de votre seule raison, est que saint Louis faisait de la grande économie politique, en mettant directement en rapport le producteur et le consommateur ; il plaçait face à face les deux représentants du travail, en reléguant au second plan l’intermédiaire, le parasite.

L’organisation actuelle, étant juive, est naturellement la contre-partie de l’organisation chrétienne de saint Louis.

Le commerce des vins, est donc devenu un commerce de produits chimiques, où l’on expérimente toutes les inventions ; où l’on pratique la gallisation, la pétiotisation, l’alunage, le salage, le sucrage, le plâtrage ; où l’on combine les matières colorantes de toute espèce, les ingrédients de toute nature.

On devine quelle influence désastreuse cette chimie exerce sur la santé publique. Les vins naturels, en effet, ont des principes d’assimilation, et les excès mêmes, avec eux, n’ont que de médiocres inconvénients. Vous avez vu en Bourgogne, par exemple, des vignerons dont la trogne est rubiconde, dont la face a pris les couleurs du pampre à l’automne : ils sont toujours gais, bien portants, vivent très vieux. Les breuvages composés avec des essences, au contraire, ne s’assimilent pas ; ils ont l’action de véritables poisons ; ils déterminent des crises de delirium tremens, des accès de frénésie, des raffinements de férocité dont l’homme est à peine responsable.

Il eût semblé logique que les démocrates, ceux qui se déclarent en toute occasion les amis du peuple, exagérassent même la sévérité contre les commerçants qui, pour s’enrichir, empoisonnent les classes populaires[9].


X


Les Franc-Maçons ne pensent pas ainsi. L’abrutissement par l’alcool frelaté est un de leurs principaux moyens d’action : ils ne veulent pas y renoncer. Rien n’est symptomatique, sous ce rapport, comme les attaques dont le Laboratoire municipal a été l'objet.

Le Laboratoire municipal est dirigé par un chimiste éminent et incorruptible. M, Girard, qui a ce qu’on appelait au dix-huitième siècle « la passion du bien public ».

En quelques années, ce Laboratoire a obtenu d’importants résultats : il a éclairé d’un jour terrible les périls qui menaçaient les travailleurs ; il a fait même cesser complètement certaines falsifications plus meurtrières que les autres.

Au lieu d’encourager ces opérations bienfaisantes, d’augmenter les attributions de ce véritable Comité de Salut public, les députés de la gauche craignirent de voir revenir à la raison le cerveau des infortunés prolétaires qu’ils trompent par de perfides promesses : ils prirent ouvertement, brutalement, sans vergogne, le parti de l’empoisonneur ; ils organisèrent une sorte de syndicat pour garantir au marchand de vin ses bénéfices malhonnêtes, une manière d’assurance de la Fraude contre le Châtiment.

Une première fois, Gambetta avait présidé une réunion qui se proposait franchement ce but méprisable. Après la mort du chef de l’opportunisme, Édouard Lockroy reprit l’affaire, qui lui sembla bonne ; et, dans la réunion qui eut lieu au mois de mars 1883, au Cirque d’Hiver, il fut entouré de tous les hommes politiques appartenant à la Maçonnerie.

Sur l’estrade on remarquait à côté de lui :

MM. Brelay, Spuller, Barodet, Frébault, Anatole de la Forge, Cadet, Greppo, Cantagrel, Farcy, de Heredia, Lafont, Tony Révillon, Beauquier, Pelletan, Peytral, Courmeaux, Boue, Rousselle, colonel Martin, Amouroux, de Ménorval, Delabrousse, Robinet, Dreyfus, Hamel, Marsoulan, Curé, Jobbé-Duval, Deligny, Hovelacque, Ranc, Ernest Lefebvre, Germain Casse, etc.

Au point de vue de la note à prendre, cette tranquille impudence est peut-être un des symptômes les plus caractéristiques de la bassesse d’âme de ces députés républicains, quelles généreuses paroles eût pu prononcer un homme véritablement digne de ce beau titre d’ami du peuple ! Quels nobles accents il eût pu trouver, pour dire à cet auditoire populaire : « Ne vous dégradez pas par l’ivresse ! Songez à tout ce qui s’engloutit dans les assommoirs, à la femme, aux enfants, qui attendent le salaire de la semaine ».

Parmi les flatteurs du peuple qui figurent dans cette liste, aucun, je le reconnais, n’eût été capable dé tenir ce langage, que tiennent les plus pauvres desservants de nos campagnes. Tout au moins ces favoris de la multitude eussent pu dire : « Peuple, puisque tu veux boire, nous veillerons à ce qu’on ne t’intoxique pas, à ce que l’on ne gagne pas en quelques années une scandaleuse fortune aux dépens de ta santé ».

De toutes ces bouches, il ne sortit qu’un cri d’encouragement aux falsificateurs et aux distillateurs du poison, un cri de réprobation contre l’institution qui avait pour but de préserver la vie de l’ouvrier.

Remarquons qu’à part les produits nuisibles, le Laboratoire n’empêche de rien vendre ; il dit seulement aux marchands de vin : « Ne trompez pas ; annoncez du vin additionné d’eau, du vin fabriqué avec de la fécule de pomme de terre, du cognac orné d’un bouquet d’éther. En boira qui voudra ».

C’est cet appel à la plus élémentaire loyauté qui révolte les républicains organisateurs de ces meetings. Ils ont obtenu gain de cause, en tous cas ; et, depuis le mois de juillet 1883, il est défendu au Laboratoire d’employer officiellement les mentions mauvais et nuisibles.

N’est-ce pas bien Franc-Maçon, tout cela ?

Si l’on pouvait mettre l’air qu’on respire en exploitation, ces aigrefins formeraient un syndicat pour empêcher les indigents d’en profiter.


XI


A défaut de l’air, nos braves républicains eurent l’idée d’exploiter les débris jetés à la borne.

L’affaire était bonne.

Le nombre des chiffonniers chiffonnants peut s’élever, à Paris, à cinquante mille. Chacun gagne, en moyenne, trois francs par jour, ou plutôt par nuit ; mais, en mettant les choses au plus bas, en fixant la moyenne à deux francs, on trouve que cinquante mille fois deux francs font cent mille francs par nuit. Cent mille francs par nuit, font trois millions par mois et trente-six millions par an.

Trente-six millions étaient un joli denier pour des gens qui pensent que l’argent n’a pas d’odeur. Au premier abord, on prétendit qu’une compagnie anglaise s’était offerte pour bénéficier de ces trente-six millions, qui faisaient vivre quarante mille êtres humains. Le gouvernement indigné s’empressa de faire déclarer par l’agence Havas qu’il n’y avait pas une seule compagnie, mais plusieurs compagnies.

Sur l’affaire principale on greffa la petite affaire des récipients. Une maison de la rue du Quatre-Septembre, dont la raison sociale cachait deux Juifs prussiens, inonda Paris de prospectus pour annoncer aux habitants de la ville que ceux qui se fourniraient chez elle, seraient désormais à l’abri des procès-verbaux qui allaient pleuvoir sur les simples mortels. Devant les protestations qui s’élevèrent, on fit semblant d’ouvrir une instruction ; mais je ne vous étonnerai pas en vous disant qu’elle n’amena aucun résultat.

La chose était pourtant claire. La circulaire disait :

Tout propriétaire qui pourra justifier de l’achat d’une boîte ménagère à notre maison ou succursale, sera exempt de contravention.

Tout propriétaire, au contraire, qui ne pourra donner cette justification, encourra les conséquences de l’ordonnance préfectorale dès demain.

On ne poursuivit pas : car on eût été forcé de mettre en cause Alphand, un Juif d’origine encore, pour lequel le Conseil municipal a des tendresses que l’on comprend.

La gauche, d’ailleurs, pénétrée d’admiration pour ce Poubelle qu’un dépouillement de scrutin resté fameux, devait immortaliser plus tard, n’eut pas une parole de pitié pour les malheureux chiffonniers. Ce fut le duc de la Rochefoucauld-Bisaccia qui s’honora infiniment, en prenant en main la cause des infortunés que l’on condamnait à mourir de faim, et en la défendant devant des républicains repus, qui, supputant d’avance la part qu’on leur ferait dans l’affaire, riaient aux éclats tandis qu’il parlait.

Les jeunes résistèrent comme ils purent ; les vieux se couchèrent dans leurs cahutes et y attendirent la mort.

Une vieille femme écrivit à un journal radical pour demander à Poubelle « de la faire abattre ».

Comment cela finira-t-il ? On n’en sait rien. Je veux dire qu’on ignore dans quelles circonstances au juste se produira une débâcle qui est inévitable. Le peuple attend et s’organise. Ce n’est plus dans les ruelles étroites, dans les faubourgs malpropres de jadis, qu’il faut aller étudier la Révolution. Elle habite les beaux quartiers d’aspect moderne, ces environs de la rue Monge, par exemple, où la misère semble plus froide et plus terrible encore, au milieu de ce décor édilitaire tout battant neuf, où rien ne parle du Passé.

Les liens qui rattachaient l’homme d’autrefois à cette église où il avait été baptisé, où les dernières prières avaient été dites sur les siens, au patron qui avait été l’ami de son père, aux bons Frères qui l’avaient élevé, sont brisés depuis longtemps. L’être qui est là, est un moderne, un nihiliste : il ne tient à rien ; il n’est guère plus patriote que les trois cent mille étrangers, que l’aveuglement de nos gouvernants a laissés s’entasser dans ce Paris dont ils seront les maîtres quand ils voudront ; il ne se révoltera pas, comme les aïeux, sous l’empire de quelque excitation passagère, sous une influence atmosphérique en quelque sorte, qui échauffe les têtes et fait surgir des barricades instantanément.

Un monarque quelconque auquel on aurait à reprocher la moitié des infamies, des prévarications, des hontes sans nombre accumulées par le régime actuel, aurait entendu depuis longtemps l’émeute rugir aux portes de son palais. En réalité, tout cela laisse la masse profondément indifférente ; toute à son idée fixe, elle rumine silencieusement son projet de révolution sociale, et attend le moment pour s’élancer sur Paris, par ces grandes avenues qui semblent faites pour charrier des fleuves humains.

Dans une société livrée à toutes les convoitises, où le sentiment du juste et de l’injuste a presque entièrement disparu, où ceux qui souffrent sont foulés aux pieds sans pitié, par ceux qui jouissent, la catastrophe finale, je le répète, n’est plus qu’une question de temps. Il n’est pas un être qui pense, qui ne prévoie le dénouement. Causez avec quelque religieux qui suit de loin ce navire qui sombre, et lisez ensuite quelque chroniqueur bien, boulevardier, bien frivole, bien athée, ils vous diront la même chose.

Un jour qui n’est peut-être pas loin, écrit Aurélien Scholl, la chaudière éclatera. De grandes maisons de crédit crèveront comme des ballons surchauffés ; il n’y aura plus que des ruines autour de nous ; Paris sera Ischia après le tremblement de terre ! Ce ne sera pas encore la fin du monde, mais ce sera au moins la fin de ce monde-là.

Je ne serai pas de ceux qui le regretteront.

Moi non plus.

Sans doute il faut prier pour ces imprévoyants, ces corrompus et ces niais. Et cependant, si de suppliants on nous transformait en juges, si l’on nous disait : « Dans la sincérité de votre conscience, prononcez sur ces hommes pour lesquels vous venez d’implorer ce Dieu dont le nom est Miséricorde ! » que répondrions-nous ? ne devrions-nous pas dire, sous peine de rendre un jugement mauvais : « Ce monde a mérité dépérir ; il est puni justement : que sa destinée s’accomplisse ! »

  1. Rachel n’avait pas la moindre notion de l’orthographe. C’était Crémieux qui lui servait de secrétaire. Rachel adressait à Crémieux un brouillon informe, écrit en style de cuisinière, et celui-ci lui envoyait un petit chef-d’œuvre de grâce et d’esprit, que Rachel n’avait qu’à recopier.
      N’est ce pas gentil, cet avocat occupé, et qui trouve le temps de rendre d’une manière assidue un service, subalterne en apparence, mais quia, à ses yeux, l’avantage de grandir une coreligionnaire ? Citez-moi donc un catholique qui en ferait autant ! En revanche, Rachel aurait appris, dans le lit d’un prince ou d’un homme d’État, une nouvelle intéressante pour la politique européenne, qu’elle en aurait immédiatement prévenu Crémieux. Voilà comment les Juifs sont toujours admirablement informés : ils s’aident entre eux.
  2. Il convient de reconnaître la noble attitude de Victor Hugo, qui se souvenait parfois, malgré les promiscuités auxquelles il se prêtait, qu’il était fils d’un soldat. On lui avait annoncé la visite de Grant, le président agioteur dont la langue, on le sait, est tombée pourrie, sans doute de toutes les injures qu’il avait vomies contre nous en 1870 : « Que M. de Mac-Mahon le reçoive, s’il le veut, disait un jour le poète devant nous ; s’il se présente ici, je le fais jeter à la porte ! » Qui ne se rappelle, dans l’Année terrible, la pièce intitulée Bancroft, et surtout le Message de Grant :

    … Ah ! sois maudit, malheureux qui mêlas
    Sur le fier pavillon qu’un vent des cieux secoue
    Aux gouttes de lumière une tache de boue !

  3. Pour se débarrasser de cette statue dont on les ennuyait sans cesse, les Américains finirent par l’inaugurer au mois d’octobre 1886 ; mais ils profitèrent de la circonstance, pour donner une verte leçon au Spuller et au Desmons que la France avait envoyés là pour la représenter. La cérémonie commença par une prière ; et les députés qui persécutent toute croyance en France, durent s’incliner sous îa bénédiction d’un pasteur, tandis que les Yankees se montraient du doigt en ricanant ces deux étranges ambassadeurs de la France catholique. Il est vrai que les deux bons républicains, avaient saisi au vol l'occasion de se faire octroyer 6,000 francs chacun, pour un voyage dont tous les frais étaient payés.
  4. N’oublions pas un joli trait de mœurs. Dans un journal qui lui appartenait alors, le Voltaire, M. Albert Ménier avait chargé l’un des rédacteurs de flétrir ces grands seigneurs qui déshonoraient leurs ancêtres en s’affublant des oripeaux du clown. Quelques mois après, il fondait lui-même un cirque à Neuilly, le Cirque Alberti, et conviait tout Paris à venir le regarder faire la voltige. Ce trait de Bourgeois-Gentilhomme moderne, de Bourgeois-Gentilhomme républicain, n’est-il pas exquis ? ne prouve-t-il pas une fois de plus quels exemples utiles auraient pu donner les derniers survivants de l’aristocratie, s’ils avaient aimé autre chose que le cabotinage, le jeu et les filles ?
  5. Voici, d’après les journaux, le bilan d’une semaine de janvier 1886 :
      Paris : Assassinat de Mme Laplaigné, marchande de vins, rue Beaubourg ; assassinat de M. Barréme, préfet de l’Eure ; assassinat de Marie Aguétant, rue Caumartin ; tentative criminelle, 103, rue du Poteau, où le nommé Victor Boqueteau blesse grièvement à coups de canne sa femme et sa belle-mère ; à Clichy, Victor Arynthe frappe sa tante de deux coups de couteau, puis se suicide en absorbant de l’acide sulfurique.
      Départerments : A Viry-sur-Mont (Somme), le sieur Jacques François tue à coups de serpe Mme veuve Piédocq et sa fille ; à Horgny (Somme), Basset (Alexandre), manouvrier, âgé de cinquante-huit ans, est égorgé au lieu dit la Cavée d’Horgny ; à Cusey (Haute-Marne), un vannier est poignardé par son ouvrier ; à Garnerans (Ain), Mme veuve Ferrand est étranglée dans son domicile de Deboste ; à Beaune, Lamothe, vigneron, se rendant à Dijon, est foudroyé d’un coup de fusil ; au Havre, le sieur Laplante étrangle sa maîtresse, la Belle Nantaise ; à Villeneuve-sur-Lot, le nommé Fiasse, détenu à la maison centrale, après avoir jeté du vitriol à la figure du gardien Bonnassie, lui porte plusieurs coups de tranchet ; près de Saint-Valbert (Eure), M. Charles Nardin, garde forestier, est terrassé par un individu qui lui porte à la tête plusieurs coups de couteau.
      Au total, neuf assassinats et cinq tentatives de meurtre en six jours.
  6. La police coûte seize millions de plus qu’en 1869. Sous l’Empire, elle se contentait de 9,332 agents ; elle en emploie aujourd’hui seize mille !
  7. La police ne touche pas aux souteneurs ; elle se déclare impuissante vis-à-vis d’eux, pour ne pas avouer qu’elle est complice.
      Qu’on se rappelle les scènes qui se passèrent au Quartier Latin au mois d’avril 1883. Quelques étudiants, moins dégénérés que leurs camarades, voulurent accomplir eux-mêmes la besogne dont l’autorité refusait de se charger. En une soirée, ils eurent débarrassé le quartier de la population aquatique qui l’infestait. Que fit le commissaire de police Schnerb, le Juif allemand, le frère du pornographe Schnerb, qui était alors directeur de la Sûreté ? Il se mit à la tête d’une bande de souteneurs et d’agents, et se rua sur les étudiants, qui, roués de coups, ensanglantés, assommés à coups de casse-tête, durent battre en retraite. En d’autres temps, on se fût indigné du cynisme de cette police, faisant cause commune avec les hommes sans nom qui rançonnent les prostituées. Le sens moral est si complètement oblitéré, qu’on se contenta de rire, et d’offrir à Camescasse un casse-tête d’honneur, qui amusa beaucoup le préfet et le honteux entourage au milieu duquel il vivait.
  8. Tous les règlements du Passé révèlent ces préoccupations d’humanité, de vigilance pour les petits. L’ordonnance du Livre des Métiers sur les tapis sarrazinois prend soin de garantir, avec une délicate prévoyance, la santé de la femme pauvre, dont notre civilisation moderne a fait une bête de somme.
  9. Les Israélites, pour se préserver eux-mêmes, prennent des précautions très sages : ils ne boivent que du vin dont la pureté est certifiée par un rabbin. Nous lisons à chaque instant dans les Archives des annonces de ce genre :
      Jules Simon, marque spéciale, sous la surveillance et avec l'autorisation de M. Kahn, rabbin de Nîmes, successeur de M. Aron.
      Pourquoi les catholiques ne demandent-ils pas au curé de la localité de garantir les vins qu'on leur envoie ?