La France Juive (édition populaire)/Livre 5/Chapitre 7

Victor Palmé (p. 343-361).


CHAPITRE SEPTIÈME


Simia. — Les affolés de réclame. — Mme Adam. — La Finance à l’Académie. — Le patriotisme du général Boum et la vertu de Mme Cardinal.


I


Le plus étonnant cependant de tous les journalistes chanteurs, c’est Simia. Simia, à parler net, est un phénomène spécial à l’époque. Nul siècle n’a produit de type de basse corruption comparable à celui-là, nul siècle n’en produira jamais. Le Juif moderne s’incarne tout entier dans cet être hybride et singulier.

Il n’a pas de patrie, il n’a pas de religion, il n’a pas de sexe. Ce neutre, encore une fois, est un produit unique, qui ne rentre dans aucune classification existante.

Bastien-Lepage a peint ce mélange de batracien et d’antropopithèque, et le portrait a paru ressemblant. Chacun, en effet, a entrevu, un jour ou l’autre, sur le boulevard, cette créature bizarre, qui fait songer à ces grosses personnes que l’on aperçoit dans certaines maisons, avec des bonnets à fleurs sur des têtes difformes, des seins ballants dans des camisoles sales, et une solennité véritablement comique dans l’accomplissement de leur mission. De ces matrones étranges, Simia a le sourire engageant et sinistre, il a d’elles aussi la façon prud’hommesque de parler de la bonne tenue de la maison des lettres, en discutant les questions malpropres qui l’attirent de préférence.

Il nous faut faire avec la plume ce que Bastien-Lepage a fait avec le pinceau. Cet ouvrage, effectivement, ne serait pas complet, si Wolff n’y figurait pas. Nous avons pour guide, d’ailleurs, une des productions les plus caractéristiques de ce temps, le monument élevé par un jeune Juif littéraire à ce Juif arrivé : Albert Wolff, histoire d’un chroniqueur parisien, par Gustave Toudouze.

Comme beaucoup de ses congénères de la presse, Wolff vit le jour à Cologne, et ce n’est qu’en 1857 que ce uhlan du journalisme daigna venir manger notre pain en préparant notre invasion. Kugelmann le fit entrer au Figaro. En ce temps-là. Wolff n’était pas cher. Pour cinq louis prêtés, il vous accablait de mille compliments ; il est vrai que, lorsqu’il s’agissait de rendre, il vous couvrait d’invectives.

Un pauvre homme, nommé Guinon, qui manquait de philosophie devant les injures, porta son cas devant les tribunaux. Gambetta, qui plaidait pour son coreligionnaire, attesta les dieux tout-puissants que jamais on n’avait compris si bien que Wolff la dignité de la presse.

Les juges, qui, en ces jours arriérés, avaient encore des préjugés, ne furent pas de cet avis ; et, le vendredi 29 décembre 1865, le tribunal de police correctionnelle rendit cet arrêt, qui est un des beaux fleurons de cette existence que Wolff appelle volontiers « toute une vie d’honneur et de probité ».


Attendu que le journal le Figaro a publié dans son numéro du 22 novembre un article ayant pour titre : A travers Paris, signé Albert Wolff ;

Attendu que les six premiers paragraphes de l’article en question renferment les expressions les plus injurieuses et les imputations les plus diffamatoires contre le plaignant ; qu’il y est traité notamment de drôle, de misérable, d’homme d’affaires véreuses, d’escroc de vaudeville, joignant à la rouerie de l’usurier la bassesse du laquais, portant sur son visage les traces de toutes ces hontes, se livrant le soir, après avoir récolté sur son chemin le dégoût qu’il inspire, à l’étude du code pénal pour savoir au juste ce qu’il peut faire sans tomber dans les filets de la police ; n’ayant d’amis que deux ou trois recors, qui consentent quelquefois à s’asseoir à sa table, mais qui se disent en sortant : « Peut-on s’encanailler comme nous venons de le faire ! » qu’il y est signalé, en outre, comme faisant le métier d’acheter des créances sur de malheureux écrivains, d’acquérir à vil prix les vaudevilles des jeunes gens mourant de faim, osant cependant venir s’asseoir au milieu des écrivains qu’il dépouille ;

Attendu, enfin, que Wolff est d’autant plus inexcusable que, quelques semaines avant, le 2 novembre, il était en relations presque amicales avec Guinon, qu’il traitait de « cher Monsieur » dans plusieurs lettres terminées par ces mots : « Compliments » ou « mille compliments », lettres dans lesquelles il sollicitait un nouveau délai pour l’acquit d’une dette de cent francs, dont le recouvrement était confié à Guinon, engageant sa parole qu’avant le vingt-deux octobre tout serait réglé ; et qu’il est évident que Wolff, en écrivant et faisant publier l’article sus-analysé, a cédé à un sentiment de vengeance personnelle suscité par la saisie-arrêt formée sur lui, le vingt-cinq octobre, à la caisse des auteurs dramatiques et à la caisse du journal le Figaro :

Condamne Wolff à six jours de prison et à trois cents, francs d’amende.


II


Pour moi, je trouve très précieux, pour l’étude de la vie française moderne, ces détails qui nous montrent bien l’évolution du personnage étranger chez nous.

Allez en Allemagne, essayez d’y emprunter cent francs et d’y trouver du travail, et vous m’en direz des nouvelles. Le Juif de Cologne trouve ici toutes les facilités pour vivre ; et son premier soin est d’insulter le natif, de lui prodiguer des épithètes désagréables et des noms de ménagerie[1].

S’avise-t-on de faire à cet insulteur ce qu’il a fait aux autres, il lève les bras au ciel et déclare que ceux qui osent s’attaquer à lui sont des infâmes et des calomniateurs.

Menacé d’expulsion vers la fin de l’Empire, à la suite de nombreux scandales, Wolff avait répondu fièrement : « Si l’on s’avisait de me toucher, je reviendrais à la tête de trois cent mille hommes. » Les trois cent mille hommes vinrent, et quelques autres aussi avec ; mais Wolff, qui a toujours professé la sainte horreur des combats, n’était pas avec eux. — Il apparut quand tout fut fini.

C’est dans le Panégyrique de Toudouze qu’il faut lire le récit de ce retour. Tout est joli là-dedans. Il y a l’épisode Bourgoing qui est une perle.

Pendant la guerre, Wolff était à Vienne, Si vous aviez fait partie de l’ambassade de France, vous vous seriez dit évidemment : « Voilà un Prussien auquel j’éviterai de confier les affaires de mon pays. » Wolff lui-même semble l’avoir compris ainsi.


Il allait donc par la ville, raconte le biographe, fuyant les Français, presque honteux, lorsqu’il se rencontra ino-pinément avec M. de Bourgoing, premier secrétaire de l’ambassade de France. Celui-ci vint aussitôt au journaliste, et lui demanda pourquoi, puisqu’il se trouvait à Vienne, il ne venait pas, comme l’année précédente, rendre visite à ses amis de l’ambassade.

Le chroniqueur, très ému, répondit que, dans les circonstances actuelles, craignant une réception pénible, il n’avait pas osé.

— Venez donc, répondit gracieusement M. de Bourgoing : vous êtes un ami pour nous, et nos sentiments à votre égard ne sont changés en rien.

Le rédacteur du Figaro se rendit alors à l’ambassade, où il fut accueilli à bras ouverts et où il put désormais venir chaque jour se renseigner sur la marche de la guerre.


Après le spectacle de ce secrétaire d’ambassade allant lui-même chercher un Juif prussien qui ne lui demande rien, pour lui raconter nos affaires, il semblerait qu’il faille tirer l’échelle. Gardons-nous-en bien.

C’est le retour à Paris qui est curieux à voir.

Il est incontestable que les Prussiens avaient un service d’espionnage admirablement organisé, presque aussi bien organisé que celui qui fonctionnait sous Napoléon Ier, du temps où il y avait encore une France. Les hommes qui les avaient ainsi renseignés, devaient avoir été intimement mêlés à la vie française, avoir eu accès partout. Il paraissait donc tout naturel de faire aux vrais Prussiens, aux Prussiens avérés, à ceux qui nous avaient combattus franchement, l’accueil chevaleresque et galant que nous avaient fait les Russes après l’Alma, les Autrichiens après Solferino, et en même temps de nous défier de ceux qui nous avaient témoigné une amitié équivoque.

Les Français de la décadence firent tout le contraire : ils furent mal élevés, grognons, pleins d’une mauvaise humeur, d’un goût déplorable, devant les Allemands qui les avaient vaincus, comme eux-mêmes avaient jadis vaincu l’Europe ; ils se roulèrent aux pieds de ceux qui les avaient trahis.

Le bon Schnerb, en sa qualité de Juif, fut le premier, nous apprend toujours M. Toudouze, à déclarer que Wolff était le modèle des patriotes ; tous suivirent cet exemple. L’entrevue de Gondinet et de Wolff est une scène de mœurs boulevardières qui indique bien le niveau de l’intelligence actuelle. Wolff, ici encore, semble avoir eu plus de délicatesse que les Français : la première fois qu’il vint dîner chez Brébant, il n’osa pas se montrer. Il était là, dînant solitaire, en cachette, dans son cabinet, lorsqu’on frappa à la porte. « Le garçon venait l’informer qu’un passant, qu’il ne connaissait pas, ayant appris que M. Albert Wolff était de retour et dînait là, demandait à le voir.

« La porte s’ouvrit ; et, les bras tendus, les yeux humides, le nouveau venu s’avança vers Wolff : « Gondinet ! »

N’est-ce pas complet, cet agenouillement devant Wolff, dans l’espoir encore lointain d’une réclame, d’un homme qui, après Dumas et Sardou, est à l’heure présente un des triomphants de la scène française ?

J’ai tort de noircir tant de pages pour écrire l’histoire psychologique de mon temps ; cette histoire pourrait s’écrire en cinq mots : Ce siècle est effroyablement lâche.

C’est à un mensonge perpétuel que l’on a recours pour dissimuler cette universelle lâcheté. Il n’est pas un mot de ce qu’on écrit, qui ne soit une offense à la vérité. Parmi ces écrivains qui parlent à chaque instant de patriotisme, pas un seul n’a eu l’idée de faire ce que j’ai fait, d’aller au Ministère de la Justice s’assurer si ce Prussien, qu’ils recevaient au milieux d’eux, devant lequel ils s’entretenaient ouvertement de toutes choses, avait tenu sa parole, s’il s’était fait naturaliser vaincu.

Or, jamais Wolff n’a été naturalisé français ; jamais il n’a demandé à l’être. Par un décret du 7 mai 1872, « le sieur Wolff (Abraham, dit Albert) a été autorisé à établir son domicile en France. » Cette autorisation le place, il est vrai, sous un régime de tolérance : il peut faire des actes civils, c’est-à-dire, des commerces d’épicerie ou de belles-lettres, sans être exposé à être expulsé ; mais, je le répète, jamais il n’a été naturalisé français, — ce qui lui permet d’avoir un pied en France et l’autre en Prusse. Ce qui m’étonne, c’est que ce Juif ne soit pas encore décoré !

Grâce au Figaro, Wolff exerce dans le monde artistique, la terreur qu’Eugène Mayer de la Lanterne exerce dans le monde politique. L’invraisemblable Turquet cite ce Prussien comme une autorité, dans un discours solennel. J’ai vu des peintres, des artistes vaillants, dont les jambes tremblaient littéralement sous eux, lorsque ce hideux fantoche passait devant leurs tableaux dans les jours qui précèdent l’ouverture du Salon.

Les écrivains qui ont accueilli parmi eux, au Figaro, ce maître chanteur, sont-ils donc semblables à lui ? sont-ils donc capables de couvrir d’invectives dans leurs articles un homme coupable seulement de leur réclamer cent francs ? Assurément non. Francis Magnard est un sceptique, mais un fin lettré, très serviable. Saint-Genest a été un brave soldat avant d’être un journaliste, qui a le courage, plus rare qu’on ne croit, de répéter cent fois la même chose pour essayer de la graver dans l’esprit frivole de ses lecteurs. Le baron Platel, Léon Lavedan, Racot, sont des hommes d’une respectabilité parfaite : ils subissent Wolff, parce que ce misérable leur est imposé par les Juifs.

Si un malheureux Chrétien avait fait le quart de ce qu’a fait ce Juif, les Chrétiens n’auraient pas assez d’anathèmes contre lui ; les Juifs, au contraire, soutiennent et défendent leur coreligionnaire.


III


Pour Israël, la littérature de Wolff est un dissolvant précieux.

Il y a des trésors dans cette littérature. Sur un fond resté tudesque et badaud éclatent des fusées d’orgueil juif, naïf dans son cynisme. Quelle vision que Wolff, remplaçant à lui seul l’ancien tribunal des Maréchaux, juges d’honneur en matière délicate ! Les grands Cercles l’ont consulté sur le cas de M. de la Panouze, l’époux infortuné de la Juive Heilbronn, et il pèse longuement son verdict. « Il y a forfaiture ! oui et non. Jeune homme, réhabilitez-vous en allant vendre des diamants au Cap avec votre estimable beau-père ! »

Tout ce qu’un homme de bonne compagnie évite ordinairement de toucher, est prétexte à Wolff pour se répandre longuement. On n’a pas encore cloué le cercueil de Gabrielle Gautier, qu’il raconte à fond ce faux ménage, qu’il nous dit grossièrement ce que personne ne lui demandait, et qu’il nous apprend que cette morte était la maîtresse d’un Juif, moitié courtier marron, moitié auteur dramatique, du nom d’Ernest Blum.

Ce Blum, qui profite de l’occasion pour se faire faire une annonce sur le cadavre de sa compagne, s’élève avec indignation, dans le Rappel contre les faiblesses d’un Henri IV ou d’un Louis XIV !

Mais c’est Sarah Bernhardt qui inspire Wolff le plus heureusement. Le chroniqueur du Figaro bénit l’enfant, il bénit l’époux, il bénit la mère ; il la compare à « un ange qui a étendu ses ailes sur l'art », et il ne nous épargne rien sur l’intérieur de l’éphémère ménage Damala. Il ouvre la table de nuit, il étale les draps à la fenêtre, avec le clignement d’œil navrant et lubrique à la fois que Gérôme a prêté à l’un de ses personnages.

Quand on lit cela à l’étranger, en trois colonnes de première page, au milieu de peuples qui déjà se partagent nos dépouilles, la nausée vous monte aux lèvres. Comment des hommes comme ceux dont nous parlons plus haut, ne protestent-ils pas contre ces saletés ? comment ne songent-ils pas que leur journal est presque le seul que l’on consulte au dehors, et qu’un peu de toute cette honte retombe sur eux-mêmes ?

Ils sont d’ailleurs cinq ou six à Paris, cinq ou six puffistes, toujours les mêmes, qui constituent de véritables plaies d’Égypte. Ils enlèvent même sa poésie à l’universelle tristesse qui est partout à l’heure actuelle ; ils empêchent ce monde qui se sent disparaître, de rentrer en lui-même pour finir décemment. Ils sont toujours en mouvement, incessamment sur l’affiche, occupant continuellement Paris de leur bruyante et vaine personnalité ; ils s’attirent entre eux, et se servent mutuellement d’échos.

Sarah Bernhardt ne peut faire un pas sans que Wolff embouche la trompette ; Arthur Meyer s’en mêle immédiatement ; Marie Colombier intervient, et c’est un vacarme à ne plus s’entendre. Quand on se croit tranquille, Déroulède se montre ; et, peu après, Mme Adam met la ville sens dessus dessous pour organiser quelque fête.

La bienfaisance n’est plus ce mouvement du cœur qui nous pousse à prendre sur notre superflu, parfois sur notre nécessaire, pour déposer discrètement une offrande dans la main de celui qui souffre ; c’est un acte charlatanesque qu’on accomplit à grand orchestre, en appelant la foule à coups de grosse caisse, pour qu’elle vienne vous regarder ; c’est le triomphe de cette ostentation que Bossuet appelle « la peste des bonnes œuvres ».

Parmi celles qui poussent loin cette monomanie de la publicité, Mme Adam vient immédiatement après Sarah Bernhardt. Je sais les ménagements que l’on doit au sexe, et je n’aurais garde d’y manquer. Il me paraît nécessaire, cependant, de faire figurer dans ce livre cette individualité, curieuse sans être bien originale au fond, qui a tenu une certaine place dans ces dernières années.

S’il n’était pas Juif, comme je l’avais cru, Edmond Adam n’en était pas moins mêlé à toutes les affaires de la Juiverie. Quand elle en parlait dans les feuilles juives, Mme Adam appelait volontiers son mari « le chevaleresque Adam ». En quoi était-il chevaleresque ? C’est encore un de ces problèmes que nous ne nous chargerons pas de résoudre.

Dans nos vieux chroniqueurs, comme dans Homère, du reste, certaines épithètes, une fois accolées à un nom, ne le quittent plus. Il en est ainsi dans certains milieux parisiens. De même qu’Anatole de la Forge est toujours un « galant homme », même lorsqu’il approuve qu’on vole le pain d’un pauvre prêtre de 80 ans, Déroulède est toujours « le patriotique Déroulède » ; Delpit, « notre sympathique confrère ». Adam était « le chevaleresque Adam »,

Mêlé aux affaires du Comptoir d’escompte, cet homme chevaleresque ne prouva guère sa chevalerie qu’en acquérant une fortune énorme, grâce à l’expédition du Mexique. Comment un républicain aussi pur, pouvait-il tremper dans ce qu’on nommait les « hontes impériales » ? Il faudrait ne pas connaître le parti pour songera s’en étonner.

Adam entré dans le scheol, sa veuve, qui avait mis une espèce d’auréole autour de cette nullité futée seulement pour ses intérêts, songea à s’auréoler elle-même. Robert de Bonnières nous l’a montrée faisant des incantations à Gambetta, et lui annonçant que tous les trèfles étaient sortis : ce qui est, comme on sait, signe d’argent. C’est par là qu’elle prit tous ces athées, superstitieux au fond comme des Cafres ; elle fut comme une sorte de Cailhava plus jeune, et se posa dans le parti en disant la bonne aventure à des gens qui n’avaient pas de destinée.

Elle était vraiment belle alors, elle avait une manière de salon, ce’qui ravissait tous ces bohèmes qui n’avaient jamais été qu’à l’estaminet. Elle apparaissait à toute cette Juiverie triomphante, avec des airs de reine de Saba. Un moment, elle espéra épouser Salomon alors dans toute sa gloire ; mais Gambetta ne témoigna qu’un médiocre empressement, et elle ne voulut pas — et elle eut raison — de ce gros Jéroboam de Spuller.


IV


Cet heureux temps semble passé. Quand l’opportunisme fut en baisse, Mme Adam essaya en vain d’aller donner des représentations à l’étranger. Ce puffisme parisien, ces allures garçonnières ne sont pas des objets d’exportation. En Russie, le czar et la czarine refusèrent, avec une énergie qui se comprend, de recevoir la veuve du révolutionnaire qui avait contribué à jeter sa patrie dans le désordre et l’anarchie. Lors de son voyage à Vienne, au mois de mars 1884, Mme Adam trouva la plupart des portes fermées ; de toute l’aristocratie autrichienne, qu’elle s’imaginait, sans doute, prête à lui ouvrir les bras, elle ne put voir que les Rothschild, chez lesquels elle dîna. L’ambassade de France, qui s’était ouverte toute grande à Wolff en 1870, fut hospitalière à la voyageuse. Mme Adam s’assit à la table de Foucher de Careil, « seul candidat décoré de la main de l’Empereur », qui, avant la guerre, allait de journaux en journaux nous apporter des petites réclames sur ses conférences au boulevard des Capucines. Ce souvenir m’est resté : car à la Liberté, c’était à moi, en qualité de nouveau, qu’était réservée la corvée, de recevoir ce fâcheux périodique, qui revenait avec la régularité d’une épidémie, et que les garçons connaissaient à son pas.

L’accueil sembla mince à la directrice de la Nouvelle Revue, et le Gaulois d’Arthur Meyer s’en montra justement froissé. Que voulez-vous ? Bismarck et Mme Adam sont au plus mal, nul ne l’ignore. L’Autriche a obéi au « mot d’ordre de Berlin ». Elle a organisé autour de Mme Adam — l'ennemie de Bismarck — la conspiration du silence. On s’est bien gardé de parler de l’auteur de « Grecque et de Païenne », de peur de mécontenter le vindicatif Chancelier[2].

On n’invente pas ces choses-là ; mais il est permis de les cueillir comme des fruits savoureux poussés dans les serres chaudes de la réclame, de les enchâsser comme des perles qui rappelleront à nos neveux à quel point on a pu se moquer de nous.

Devant l’indifférence des peuples, des cours et des cabinets, Mme Adam se replia sur elle-même. Le bas-bleu prévalut sur la reine ; or le bas-bleu, chez Mme Adam, n’a jamais été qu’en coton. Ce n’est ni Corinne, ni Sapho, ni Lélia ; ce n’est pas même Olympe Audouard. Cette Muse, en réalité, est bien départementale. Il y a chez la Turcarette, qu’a peinte Barbey d’Aurevilly, comme un souvenir de l’Hermance Lesguillon, la femme de lettres de 1830, portant des socques et un parapluie, pour en frapper les barbares qui demeuraient froids devant sa prose.

Après avoir rêvé de gouverner l’Europe, la directrice d’une Revue qu’on lit le moins qu’on peut, en est réduite à essayer l’effet de ses manuscrits sur un petit cercle d’invités, faux romanciers, faux poètes, faux savants, que les satisfactions de l’estomac ont préparés aux indulgences de l’esprit ; elle a, pour eux, maison de ville pour l’hiver et maison des champs pour l’été. Blanche de Castille a fondé l’abbaye des Vaux-de-Cernay pour que Mme Nathaniel de Rothschild pût l’acheter avec notre argent et y vivre commodément. J’ignore quelle autre souveraine a bâti l’abbaye de Gif, où Mme Adam, en joyeuse boulangère, fait danser les écus des Emprunts mexicains. Ce qui est certain, c’est qu’on y est fort bien. On prend les invités à domicile, on les transporte en mail-coach, on les abreuve et on les nourrit ; le soir on les ramène, après avoir enregistré leurs noms au complet, afin de les faire figurer dans les journaux du lendemain. La chronique dit même qu’au départ on remet, à ceux que Païenne a émus, la pièce ronde pour aller chez Mélissandre.

Quelle sera la fin ? J’avoue qu’elle m’inquiète un peu. Il y a comme une marque, non point tragique, mais malheureuse, sur cette femme envers laquelle la Fortune semble avoir épuisé ses sourires, et je n’ai pu, à maintes reprises, me défendre de cette impression pénible. Peut-être verrons-nous Mme Adam, à quelque cinquième étage de la rue Coquenard, faisant encore le grand jeu et proposant à l’Abeille de Longjumeau quelque roman dont le journal ne voudra pas.

On comprend devant ces spectacles la mélancolique parole de Leuven.

— C’est bien ennuyeux de mourir, disait-il ; mais je m’en console presque, en pensant que je n’entendrai plus parler ni de Sarah Bernhardt ni du grand Français.

Comment se fait-il que M. de Lesseps ne comprenne pas qu’il déshonore une vie qui a été belle, laborieuse et utile, somme toute, par ce saltimbanquisme effréné ? Pourquoi mêler ses enfants à toutes ces réclames financières, exhiber sans cesse ces pauvres petits comme dans le tableau de, Pelez, faire décrire sa nursery à chaque instant ?

Quel accueil ferait le corps des ingénieurs à quelqu’un qui lui apporterait un volume de vers ? A quel titre M. de Lesseps se présente-t-il à l’Académie française, par l’unique motif qu’il a creusé un canal ?

Quel rôle magnifique eût pu jouer cependant l’Académie ! représenter dans ce naufrage général, le respect de tout ce qui avait constitué la vieille France, encourager de son approbation, grandir de son suffrage, ceux qui étaient restés fidèles à un généreux idéal, et, pour tout dire d’un mot, être Française !

Elle est jolie, la Française ! Elle va prendre par la main le complice d’Offenbach, le Juif qui, après avoir obéi à sa race en travestissant, aux éclats de rire de la foule, les pures créations du génie aryen de la Grèce, a travaillé consciencieusement pour la Prusse en apprenant aux soldats à outrager leurs généraux, en raillant le panache du chef qui flottait jadis au-dessus des mêlées comme un signe de ralliement, le sabre des pères qui, brandi dans les charges héroïques, a tant de fois sauvé la patrie[3].

L’œuvre démoralisante, je l’avoue, est réussie et vraiment juive. L’homme qui l’a écrite, était au courant et savait de quoi il retournait. Les mots de 1867 semblent autant de pronostics pour 1870. Le général Boum, qui déclare que l’art de la guerre consiste « à couper et à envelopper », raconte d’avance nos malheurs, et c’est bien notre pauvre armée qui se rend « par trois chemins vers un point unique où elle doit se concentrer ».

Incontestablement le public des Variétés, n’est guère accessible à des sentiments bien hauts ; et cependant, à la reprise, quand on entendit le pitre, qui représentait le général Boum, s’écrier : « Ous qu’est l’ennemi ? » il y eut tout à coup un grand silence. Pendant une minute, dans cette salle pleine de ces gommeux, de ces boursiers, de ces comédiens, qui composent ce qu’on nomme le tout Paris des premières, se dressa le spectre de l’invasion et le douloureux fantôme de la défaite. On revit nos généraux, interrogeant l’horizon de cette France dont ils ne connaissaient pas les chemins, nos régiments toujours surpris, et nos malheureux soldats tombant par milliers sous les balles, sans savoir d’où elles venaient.

Si on eût demandé à une des filles plâtrées qui étaient là, ce qu’elle pensait de cette œuvre qui semblait destinée à éteindre d’avance toute flamme vaillante dans les cœurs, elle se fût écriée : « Elle est ignoble ! » Camille Rousset, le savant historien ; Alexandre Dumas, l’auteur des belles Lettres de Junius ; Sardou, l’auteur du drame émouvant de Patrie, ont dit : « Cette œuvre est belle, et nous récompensons l’auteur en lui accordant un honneur que n’ont obtenu ni Balzac, ni Veuillot, ni Gautier, ni Proudhon, ni Paul de Saint-Victor[4]. »

Au moment où l’Allemagne élevait en grande pompe sur le sommet du Niederwald la fière statue de la Germania, l’Académie a voulu chanter le Péan à sa façon ; elle a demandé à se mêler au trio de Boum, de Puck et du prince Paul, et, d’une voix un peu chevrotante, elle a entonné :

Il sera vaincu.
Il sera battu :
Son artillerie.
Sa cavalerie,
Son infanterie,
Tout cela sera,
Je le vois déjà
Écrase, brossé.
Brisé, dispersé...
Et dans les chemins,
Et dans les ravins.
Il en laissera,
Il en oubliera.
On le poursuivra,
On le traquera,
Et les ennemis
De notre pays
Gaiement entreront
Et se répandront...
Ils brûleront tout,
Pilleront partout...
Ce sera bien fait !
Du choix qu’elle a fait
Ce sera l’effet !
Et nous, réjouis.
Voyant ce gâchis.
Nous, n’en pouvant plus,
Nous rirons tous trois comme des bossus.


Le point qu’il faut toujours bien voir, c’est l’hypocrisie, le mensonge, la convention, qui sont l’estampille, le stigmate de l’époque. Les Académiciens, en effet, ne sont pas honnêtement et franchement folâtres : ils parlent solennellement ; ils déclarent que le talent ne suffit pas pour entrer à l’Académie, qu’il faut encore faire un bon usage de ce talent.

« Oui, Monsieur, l’Académie est un grand corps. Nous aimons la tenue, nous demandons des œuvres qui excitent le patriotisme, qui élèvent les cœurs : Sursum corda !

Comme exemple de Sursum corda, il faut rappeler ce qui s’est passé au moment des funérailles de Victor Hugo. Rien ne montre mieux l’abaissement dans lequel l’Académie est tombée. C’était M. Maxime du Camp qui, en qualité de directeur en exercice, devait se charger du discours d’usage ; et il convient de dire que, très résolu à ne pas reculer, il prépara immédiatement son discours, en disant qu’il le prononcerait avec deux revolvers dans sa poche. Le discours, ajoutons-le, était un éloge complet du poète, que M. Maxime du Camp admire plus que personne.

L’Académie, le premier corps littéraire de France, s’affola devant les menaces de quelques feuilles de chou écarlate, et, dérogeant à tous les usages, elle retira lâchement à M. Maxime du Camp le droit de porter la parole en son nom.

Ce fut M. Émile Augier qu’on désigna : on n’avait pas à craindre avec lui de déplaire à la plèbe. Ancien parasite du prince Napoléon, ennemi de Victor Hugo quand il était proscrit, insulteur de Veuillot quand il n’avait plus de journal pour lui répondre, il se consola de ne pas avoir à demander, comme les sénateurs de l’ancienne Rome, la mise au rang des dieux d’un Tibère ou d’un Caracalla, en étouffant, sous des louanges qui sonnaient faux, le pauvre grand génie que l’amour de la popularité avait fait tomber de si haut[5]

La vérité est que personne ne veut se gêner, personne ne veut sacrifier son avantage immédiat ou sa fantaisie à un intérêt général, personne ne veut faire son devoir. Chacun trahit dans la mesure de ses forces et dans la sphère de ses attributions. L’Académie ne peut livrer nos arsenaux, puisqu’elle n’en a pas la surveillance : elle livre aux Juifs le dépôt d’honneur dont elle a la garde ; elle capitule, comme le Sénat a capitulé ; elle accorde à un faiseur d’opérettes, qui est persona grata des Rothschild, ce qu’elle a refusé à Pontmartin, à Jules Lacroix, qui a écrit Œdipe roi, le Testament de César, Valéria, la Jeunesse de Louis XI, l'Année infâme ; qui a mis à la scène le Roi Lear et Hamlet, traduit Horace et Juvénal.

Halévy, du reste, ne s’arrêtera pas là : il sera Secrétaire perpétuel. La place est d’importance. En réalité, c’est le Secrétaire qui fait la pluie et le beau temps dans les commissions, qui guide les choix. Petit à petit, le Juif éliminera tous les ouvrages qui ont un accent chrétien et français ; et, sans bruit, sans qu’on s’en aperçoive, insensiblement, la Juiverie sera la maîtresse à l’Académie comme partout.

  1. C’est là le signe du Juif. Les Juifs de Paris nous ont décidés, à force de lamentations, à faire quand même une place, à ce foyer en ruine, aux Israélites de Russie. Savez-vous à quoi ces étrangers consacrent le premier argent gagné par eux en France ? A applaudir à l’assassinat d’un Français ! Ces gens sur lesquels les Rothschild ont voulu nous attendrir, en prétendant qu’ils avaient été l’objet de violences, ne sont pas encore assis, qu’ils approuvent chaleureusement la plus criminelle des violences.
      Nous avons tous pu lire, dans le Cri du Peuple du 16 février 1886, cetle mention significative :
      La Société des ouvriers Israélites russes, résidents à Paris, envoie, avec son obole, l’expression de sa vive sympathie aux justiciers de Decazeville et aux grévistes de Saint-Quentin.
  2. Gaulois, du 9 avril 1884.
  3. Un grand Chrétien, qui, après avoir été un soldat intrépide, est devenu un orateur de premier ordre, nous racontait l’impression qu’il avait éprouvée en entendant le souvenir du général Boum évoqué tout à coup en 1870, dans la retraite de Saint-Avold sur Metz. On cheminait la nuit, dans la tristesse de la défaite présente, avec l’appréhension du désastre qu’on sentait venir. Les têtes de colonne des régiments se confondaient avec l’état-major des généraux. Soudain, un vieux colonel, qui ne décolérait pas depuis le commencement de la campagne, se mit à parler des Juifs, d’Halévy, d’Offenbach, de la Grande-Duchesse, à maudire les histrions et les railleurs qui avaient appris à la France à mépriser le drapeau. Quelle réponse au choix de l'Acadéraie que cette conversation sur le chemin de Metz !
  4. Que penser d’un homme de la valeur et du caractère du duc de Broglie, qui était maître de l’élection ? On l’avait laissé libre, par déférence, de choisir celui qui serait chargé de faire l’éloge de son beau-frère, le comte d’Haussonville ; et ce Chrétien, cet écrivain éminent, a écarté des candidats comme M. Oscar de Vallée ; il a tenu à ce que cette oraison funèbre fût prononcée par un bouffon de bas étage, qui avait tourné en ridicule tout ce qui fait l’honneur d’une nation.
  5. Nous retrouvons là l’éternelle race des affranchis, insolents à l’occasion contre le pauvre, contre celui qu’ils croient faible, contre ceux qui refusent de plier le genou devant les idoles, et toujours prêts à entonner les litanies pour le divin Empereur ou le divin Marat.
      C’est Anatole de la Forge déshonorant, par son exagération dans l’adulation, notre cher et glorieux Victor Hugo, et qu’un républicain moins servile que les autres cingle au visage de ce mot méprisant : * Pas de surenchère ! »
      C’est Renan, écrivant quelque temps auparavant : « Qu’on se figure un homme à peu près aussi sensé que les héros de Victor Hugo, un personnage de Mardi-Gras, un mélange de fou, de Jocrisse et d’acteur » ; et tout à coup déclarant, pour plaire à la foule, que « Victor Hugo a été créé par un décret nominatif de la Providence, tandis que les autres hommes n’ont été créés que par un décret collectif. » Ce mot, d’ailleurs, est inestimable ; c’est un mot lapidaire, un mot en retard, un vrai mot de sénateur du temps de la Rome impériale.