Magasin d’Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901



CHAPITRE VII


Dans un coin très ombragé du jardin des Myrtes les trois garçons s’étaient réunis dès le matin ; Philippe et Jacques se livraient à une partie de billes ; Norbert, à cheval sur un banc, remontait des hameçons à neuf.

« Papa va demain à Antibes pour acheter des récoltes de fleurs, disait-il… Quel dommage qu’il soit si occupé, nous lui aurions demandé de nous y emmener ; Raybaud et sa femme doivent y être, puisque leur bastide est fermée…

— Raybaud ?… est-ce ce bonhomme qui a décroché mon cerf-volant ? interrogea Philippe d’un air dédaigneux.

— Et qui t’a décroché en même temps ; oui, c’est bien lui.

— Qu’est-ce que ça peut te faire qu’il soit ou non à Antibes ?

— Dame, si j’y allais, il m’emmènerait pêcher dans le bateau de son fils.

— Ah ! la belle affaire !

— On voit bien que tu n’as jamais pêché, tu ne sais pas comme c’est amusant.

— Comment donc ! j’avais à peine six ans que bon papa Francœur m’emmenait déjà à la pêche, et ce que j’en prenais des poissons et de belle taille ! »

Dire à Philippe qu’il ne connaissait pas une chose, c’était le lancer à coup sûr dans une série d’histoires à perte de vue. Cette fois, il fit défiler devant ses auditeurs un nombre incalculable de truites, de lottes, de barbeaux, de perches, de gougeons qu’il se rappelait avoir pris dans des circonstances invraisemblables.

Quoique Jacques préférât le jeu de billes, il l’écoutait docilement, mais Norbert, occupé de ses lignes, sifflotait d’un air narquois.

« Vraiment, fit tout à coup le beau conteur, je suis trop bon de te parler de choses intéressantes, tu n’écoutes même pas.

— Tu te trompes, j’écoute et je compte les poissons ; nous en étions à ton dix-huitième barbeau, tu peux continuer… »

Si inventif que fût l’esprit de Philippe, il était pour le moment à bout de ressources.

« Mais… c’est tout ! fit-il un peu déconcerté, qu’est-ce que tu veux donc que je te raconte encore ?

— La pêche à la baleine, tu en as certainement harponné quelques douzaines. »

Philippe rougit de colère.

« Ah ! par exemple, c’est trop fort ! je vais t’apprendre à te moquer de moi ! »

Et il s’élança vers le banc, mais Norbert avait déjà quitté sa place et s’enfuyait en riant, poursuivi par son camarade toujours furieux.

Jacques entendait leur course à travers les allées, les rires de l’un, les exclamations irritées de l’autre. Au bout de cinq minutes Philippe revint essoufflé :

« Il m’a échappé par la petite barrière, Mme Brial venait lui demander de porter une lettre à ton père, mais il ne perdra rien pour attendre !… tu aurais bien pu m’aider au lieu de rester là comme un nigaud.

— Tu ne me l’as pas demandé, et puis c’était bien inutile, je ne rattrape jamais Norbert à la course.

— Alors, voilà ce qu’il mérite ! »

Et maître Philippe lança de tous côtés avec emportement les engins de pêche que son ami avait abandonnés sur le banc.

« Oh ! s’exclama le gros Jacques, ce n’est pas bien ! pour une plaisanterie, tu abîmes toutes ses affaires !

— Elle est jolie, la plaisanterie !… et puis, si c’était la première fois, mais, dès que je parle, Norbert se moque ; à la fin j’en ai assez, moi.

— C’est que, aussi, tu racontes des choses si étonnantes… non, ne te fâche pas après moi, sans cela je vais retourner aussi à Beau-Soleil. »

Jusqu’à ce jour Jacques ne s’était jamais révolté contre les lubies de son ami ; celui-ci le regarda de travers, mais la crainte de rester seul pendant cette belle journée de congé l’empêcha de répliquer et la partie de billes recommença.

Les deux joueurs ne s’imaginaient guère ce que devenait alors Norbert, qui avait répondu avec empressement à l’appel de Mme Brial.

« Voici une dépêche qu’on vient d’apporter ici par erreur, dit-elle en lui remettant un papier bleu ; ton père peut en avoir besoin, cours la lui porter à l’usine. »

Sans déposer la légère hotte de pêcheur qu’il avait en bandoulière, le jeune garçon avait filé par le chemin le plus court. Lorsqu’il entra dans le bureau, M. Brial était seul.

« Ah ! ah ! fit celui-ci en parcourant le télégramme, je me suis donc trompé ! C’est aujourd’hui et non demain qu’il me faut aller à Antibes… dans un quart d’heure je puis avoir un train ; va dire à ta mère qu’on ne m’attende pas à midi pour déjeuner.

— Tu vas à Antibes !… tout de suite… oh ! papa… »

Le visage de Norbert était tout rose et ses yeux avaient une expression suppliante.

« Eh bien ! quoi ? interrogea le père surpris, qu’est-ce qui te prend ?

— Emmène-moi à Antibes.

— Comme cela, sans prévenir à la maison, c’est impossible, mon ami.

— C’est très facile, au contraire ; si seulement tu consens, nous trouverons bien quelqu’un pour avertir maman que je suis avec toi ; regarde, j’ai justement des lignes préparées dans ce panier ; Raybaud est chez son fils, j’en suis certain ; il me fera pêcher pendant que tu iras voir les marchands de fleurs, je t’en prie, dis oui.

— Hum, si Jacques me présentait cette requête, je dirais non sans hésiter ; son dernier bulletin était déplorable…

— Mais le mien était bon et tu dis oui, hein ?

— Allons, reprit M. Brial en souriant, appelle le concierge, il ira porter à ta mère les deux mots que je vais écrire, et puis : en route, nous n’avons pas de temps à perdre. »

Dix minutes plus tard, Norbert, assis en face de son père dans le train qui les emmenait, examinait le contenu de la hotte qu’un heureux hasard lui avait fait emporter : cinq lignes bien montées à l’aide du précieux filament connu des pêcheurs sous le nom de « racine de vers à soie » ; les nœuds d’assemblage étaient parfaits et selon les règles enseignées par Raybaud, qui fournirait à son jeune ami des bambous et les amorces nécessaires. Quand ils descendirent à la gare d’Antibes, M. Brial se dirigea vers la route de Nice où se trouvaient les champs de fleurs dont il voulait acheter la récolte, et, confiant dans la raison de son fils, il lui permit d’aller à la recherche du vieux marin.

« Louis Raybaud habite sur le cours Masséna, pensa Norbert, le mieux est de suivre la route du bord de l’eau et d’entrer dans la ville par la porte de la Marine. »

Mais, comme il approchait du port qui touche à cette porte, quelqu’un l’appela par son nom :

« Salut, monsieur Norbert ! que faites-vous tout seul ici ?

— Je vais chez vous, Louis, voir si votre père y est, répondit-il en reconnaissant la figure joviale du fils Raybaud, quelle chance de vous rencontrer ! Irez-vous en mer aujourd’hui ?

— Tout à l’heure, j’attends mes parents avec une passagère et nous embarquons.

— Moi aussi, alors, papa me l’a permis ; est-ce que ça vous déplaît ?

— Je ne dis pas cela, M. Norbert, seulement j’aime mieux vous avertir que notre passagère est Mlle Lissac.

— Aïe ! en voilà une tuile ! ça va tout gâter !… »

L’amateur de pèche s’arrêta désolé au moment de sauter dans la barque.

« Quel dommage ! reprit-il, moi qui espérais rapporter une bouillabaisse à la maison !… je ne peux pourtant pas y renoncer, c’est trop dur… ma foi, tant pis, votre bateau n’est pas sur la Foux-aux-Roses, ma cousine n’aura rien à dire ! »

Et Norbert embarqua résolument pendant que Louis demeurait sur le quai et se grattait l’oreille d’un air perplexe. Le brave garçon, dont la pensée n’allait jamais très vite, se demandait si son père serait fâché ou satisfait de l’aventure. Norbert avait surtout peur de rester à terre ; il s’assit sur le pont, entre le bordage et une barrique vide qui le cachait complètement.

« À présent, pensa-t-il, ne bougeons pas jusqu’à ce que nous soyons en mer, c’est le meilleur moyen pour que la cousine Dorothée soit obligée d’accepter ma compagnie. Ah ! les voici ! »

On entendait en effet la voix du vieux marin qui disait : « Doucement, mademoiselle, prenez la main de Louis pour embarquer, c’est plus sûr… Femme, passe-moi ton panier de provisions et dépêchons… avec cette brise-là on va joliment filer. Largue la voile, Louis, moi, je prends la barre. »

La Provence, doucement balancée sur l’eau bleue et profonde, quitta le quai et doubla l’extrémité de la jetée. Irène, d’abord un peu surprise par le mouvement du bateau, s’était assise et ne parlait pas ; Misé Raybaud inspectait le contenu de son panier pour s’assurer que rien n’était endommagé ; quant à Louis, il s’occupait de la manœuvre tout en cherchant dans son esprit engourdi une phrase pour annoncer que Norbert était à bord.

« Qu’as-tu, garçon ? lui cria le vieux marin, voilà trois fois que tu te grattes l’oreille comme quand quelque chose t’embarrasse…

— Oh ! pécaïre ! ça m’embarrasse sans m’embarrasser, c’est seulement pour te dire que je n’aime pas refuser aux enfants ce qui leur fait plaisir et que M. Norbert… »

Il n’eut pas le temps d’achever ; le jeune garçon, en entendant prononcer son nom, s’était levé, de sorte que sa tête apparaissait au-dessus du baril. Irène poussa une exclamation de surprise :

« Ah ! Raybaud, regardez-le donc, dit-elle en désignant la figure rieuse de son cousin.

— Oui, oui, je ne vois que trop bien !… une belle affaire pour moi quand votre tante apprendra cela, gronda le marin mécontent ; Louis est un nigaud de l’avoir laissé embarquer, et vous, Norbert, pourquoi vous cacher si vous ne croyiez pas faire mal ?

— J’avais compris que tu allais promener la cousine Dorothée ; je ne voulais pas qu’elle m’aperçut avant d’être en mer ; mais, à quoi bon me rouler de gros yeux, puisque ce n’est pas elle !

— Cela ne vous fâche pas que je sois là ? » demanda timidement Irène.

Norbert examina avec curiosité sa petite cousine et se mit à rire :

« Tiens, c’est drôle de vous entendre parler, vous n’êtes pas du tout la même quand vous nous regardez sans mot dire sur les bords de la Foux ; Jacques prétend que vous nous narguez, moi, je n’en crois rien… »

Le jeune garçon s’arrêta et rougit au souvenir des méchants tours que son frère avait joués à Irène, mais dans les yeux gris de celle-ci il ne lut aucun reproche et, s’enhardissant, il lui tendit la main :

« Nous allons faire connaissance, n’est-ce pas ?

— Je ne demande pas mieux. »

Pauvre tante Dor ! qu’eut-elle dit en voyant la cordiale poignée de main qu’ils échangèrent ?…

« Tu vois bien, vieux Raybaud, que tout est pour le mieux, s’écria Norbert.

— Tout est très mal, au contraire ! riposta le bonhomme d’un ton bourru : Mlle Lissac croira que j’ai fait exprès de vous emmener ; moi, j’aime mieux une tempête aux Açores qu’une colère de votre cousine !… mais, quand je me gendarmerais, cela n’avancerait à rien ; puisque vous êtes contents tous deux, profitez de la promenade, on verra ensuite. »

Les enfants se regardèrent en riant, s’assirent l’un à côté de l’autre, et Norbert qui, au fond, était assez embarrassé de se trouver pour la première fois auprès de cette petite parente, s’avisa de lui prêter la vieille lorgnette de Louis :

« Regardez, Irène, le phare d’Antibes n’est plus qu’un point blanc tout là-bas, voici le golfe Jouan et les villas de Cannes…

— Oh ! fit naïvement Irène, des villas, je connais ça, on en voit à Grasse ; mais je n’avais jamais vu tant d’eau à la fois… la Foux-aux-Roses est vraiment beaucoup plus petite que la mer ! »

Norbert eut un éclat de rire :

« Quelle drôle de réflexion ! d’où sortez-vous, cousinette, est-ce que vous n’apprenez pas la géographie ?

— Si fait, mais, sur une carte, comment voulez-vous qu’on se doute de ce qu’on ne voit pas autrement ?… la Méditerranée est mille fois plus belle et plus grande que je ne me le figurais.

— Alors, vous ne l’aviez jamais vue ?

— Non, c’est mon premier voyage. Tante Dor ne veut pas aller en chemin de fer et dit qu’il vaut mieux nous promener dans notre campagne que de faire le tour du monde. Est-ce que vous pensez comme elle ?

— Un garçon de mon âge n’a pas les mêmes goûts que votre tante, et puis je veux être marin. Saviez-vous cela, Irène ?

— Comment pourrais-je le savoir ? Voilà la première fois que nous causons ensemble.

— C’est pourtant vrai ; mais nous nous entendons fort bien, dit le jeune garçon en regardant d’un air amical la petite parente, qui n’était pour lui qu’une nouvelle connaissance.

— Très bien », répéta Irène.

Puis, avec un hochement de tête :

« Malheureusement, quand vous serez à Beau-Soleil et moi dans notre bastide, ce sera comme avant : ma tante ne vous permettrait pas de venir, ni à moi d’aller chez vous.

— Eh bien, en attendant mieux, j’irai vous faire des visites au bord de la Foux-aux-Roses.

— Vous croyez que cela se peut ?

— Comment donc ! la cousine Lissac ne vous défend pas de vous promener dans le bois d’orangers ; au lieu de vous cacher derrière les arbres, vous viendrez au bord de l’eau, et puis… n’ayez pas peur, j’empêcherai Jacques de vous taquiner.

— Merci, Norbert ; vous êtes très bon. »

Une flottille de bateaux de plaisance, aux voiles blanches ou roses, excita l’admiration de la fillette.

« Ils viennent de Cannes, ces promeneurs, expliqua son cousin ; ils vont aux Îles comme nous ; mais ces barques ont beau être plus élégantes que la Provence, si Raybaud voulait, elles ne pourraient pas nous suivre.

— Certainement, appuya le marin flatté, ma barque marche mieux que ces joujoux ; mais nous ne sommes pas aux régates. Arrêtons-nous pour dire deux mots aux poissons qui frétillent là au fond. »

Norbert ouvrit sa hotte et en sortit avec précaution les lignes montées dont il s’agissait d’amorcer les hameçons.

Habitué aux manières brouillonnes de Marthe, il n’osa d’abord confier qu’une ligne à Irène, qui désirait l’aider ; mais les petits doigts de l’adroite fillette firent merveille. L’île Sainte-Marguerite se dressait à quelque distance ; on mit en panne au milieu des rochers qui l’entourent.

« À l’ouvrage ! dit gaiement Raybaud, et surtout pas de bruit ; si messieurs les poissons nous entendent, adieu la bouillabaisse ! »

Au plaisir de la pêche s’ajouta, pour Norbert, celui d’avoir une aide aussi intelligente que sa cousine. Les yeux fixés sur les flottes, ce fut elle qui, la première, s’aperçut qu’un de ces morceaux de liège remuait. En pêcheur adroit, le jeune garçon attendit quelques secondes, puis ferra d’un coup sec.

Ô triomphe ! quand il eut amené la ligne, il jeta sur le pont une superbe rascasse aux écailles mordorées, à la tête luisante et dure comme un casque.

« Vite à votre poste ! cria Raybaud aux deux enfants, qui ne se lassaient pas d’admirer cette première prise. Ça mord ! ça mord ! »

Ils retournèrent à leurs lignes, et « ça mordit » si bien qu’en moins d’une heure et demie le panier de Nanette contenait la plus jolie collection de poissons de roche qu’un amateur de bouillabaisse puisse rêver.

Bientôt on accosta. Pendant que Louis amarrait le bateau, sa mère débarqua les provisions. Quel plaisir nouveau et inconnu de l’heureuse Irène que les apprêts de ce repas en plein air !… Sur la plage, Raybaud creusa un trou dans le sable, le garnit de pierres ; sa femme alluma le feu, et la « pignate » destinée aux poissons ne tarda pas à chanter sur ce fourneau improvisé. Norbert et la fillette se chargèrent de préparer la salle à manger sous un beau pin parasol, à la lisière du bois qui couvre une partie de l’Île. Un pâté doré, du vin frais, d’excellent nougat noir complétaient le régal, auquel les convives firent honneur, la traversée leur ayant singulièrement ouvert l’appétit.

« Irène, demanda le jeune garçon, comment faisiez-vous au bord de la Foux pour tenir votre langue, qui est si bien pendue ? »

Elle secoua la tête :

« Oh ! ce n’est pas très difficile de se taire avec ceux qui ne vous aiment pas… et vous ne m’aimiez pas, dites, Norbert ; vous me détestiez presque…

— Non, non ; mais je suis ravi que nous nous connaissions mieux !

— Et moi donc ! »

Le repas terminé, Norbert voulut montrer à sa cousine la fameuse allée d’eucalyptus géants, qui mène à la maison forestière ; puis, il fallut revenir à la Provence, qui glissa de nouveau sur la mer d’azur, ramenant nos amis au port. Les enfants convinrent de nouveau qu’ils se verraient près de la Foux-aux-Roses, et ce fut l’esprit plein de ce projet qu’Irène donna une dernière poignée de main à son cousin. Accompagné de Raybaud, celui-ci, aussitôt, débarqué, courut au chemin de fer rejoindre M. Brial.

« Ah ! la belle, la délicieuse journée ! répétait la fillette, que Nanette emmenait vers la demeure de Louis ; quel dommage que la pauvre tante Dor n’ait pas pu en jouir !

— Misé Raybaud, une lettre pour la petite demoiselle ; le facteur me l’a confiée », cria une voisine, au moment où elles rentraient.

Elle remit à l’enfant une enveloppe sur laquelle s’étalait la grande écriture de la tante Dorothée.

« C’est de ma tante ; Misé, écoutez », dit Irène.

Et elle lut tout haut :


« Ma chère Irène, voilà déjà le quatrième jour que tu es loin. Marie-Louise me rompt la tête avec ses histoires, sous prétexte que tu n’es pas ici pour l’écouter ; Caprice te cherche et miaule sans cesse ; tes oiseaux s’envolent dès qu’ils ont mangé, parce qu’ils ne te voient plus. Mais tu sais que je suis ferme ; j’étais décidée, malgré cela, à te laisser en exil jusqu’à ce que tu eusses promis de ne plus pleurnicher. Si je change d’avis, c’est uniquement pour faire plaisir à Mme Jouvenet, qui est fort aimable, et à cette petite Nadine, qui raisonne mieux que toi ! Prie donc Nanette de te ramener le plus tôt possible ; j’irai te chercher demain matin à la gare, et, une autre fois, ne t’avise pas de pleurer, car, je t’en préviens, je serai plus ferme que jamais !

« Ta tante,
« Dorothée Lissac. »


« C’est tout de même drôle, Misé, dit Irène après avoir fait le tour de la chambre en dansant, tante Dor répète toujours qu’elle est ferme, et, quand elle s’est fâchée très fort, elle finit par m’accorder ce que je désire, comprenez-vous cela ? »

Nanette embrassa l’enfant et répondit en souriant :

« Oui, je le comprends, parce que je connais Mlle Dorothée depuis sa jeunesse ; c’est avec sa tête qu’elle se fâche, tandis que c’est son cœur qui cède… et, comme vous avez ce cœur-là tout entier, ma belle pichoune, vous pourrez obtenir d’elle des choses bien plus difficiles que de voir cette petite Nadine…

— Plus difficiles ?…

— Comme de faire la paix avec M. Honoré…

— Oh ! Nanette, ce serait trop beau ! » s’écria Irène dans un élan joyeux, en voyant sa compagne remuer la tête d’un air approbatif.

La nièce de Mlle  Lissac, s’endormant ce soir-là bercée par une grande espérance, rêva que la Foux-aux-Roses n’était plus qu’un tout petit ruisseau au-dessus duquel M. Brial et sa tante se donnaient la main.