La Forêt de Rennes/34. Jean Blanc

La Forêt de Rennes
Legrand et Crouzet (Tome IIIp. 182-188).
XXXIV
JEAN BLANC.


Lorsque Didier arriva au château de la Tremlays, Hervé de Vaunoy était absent. Le château gardait l’apparence d’une place prise d’assaut, et le jeune capitaine fut fort étonné d’apprendre ce qui s’était passé la nuit précédente.

Jean et Marie ne lui avaient raconté, en effet, que ce qui se rapportait immédiatement à lui : savoir, l’attaque nocturne, la mort de Jude et l’enlèvement de lui, Didier, effectué par les deux jeunes filles. Il ne savait rien du vol des cinq cent mille livres, presque rien de l’attaque des Loups.

La première personne qu’il rencontra sous le vestibule fut M. l’intendant royal. Le pauvre Béchameil avait perdu les roses éclatantes de son teint. Il était pâle, et sa physionomie abattue exprimait un profond chagrin, Ce fut lui qui raconta au capitaine les événements de la nuit. Il s’en acquitta fort longuement et d’une voix lamentable.

— Il y a eu trahison, dit-il en finissant ; les soldats et les sergents de la maréchaussée ont été traîtreusement empêchés de faire leur devoir… et cela me coûte cinq cent mille livres, monsieur.

— Il y a eu trahison, en effet, répondit le capitaine ; n’avez-vous nul soupçon ? ne savez-vous quel peut être le coupable ?

Béchameil mit ses doigts dans sa tabatière d’écaille et regarda le capitaine en dessous.

— Des soupçons ? répéta-t-il, je ne sais trop. J’ai perdu cinq cent mille livres, voilà ce qui est cruellement certain… Monsieur le capitaine, je donnerais six mois de ma vie pour vous voir possesseur d’un bon et opulent domaine…

— Pourquoi cela ? demanda Didier étonné.

— Parce que j’ai perdu cinq cent mille livres, et que, pauvre comme vous êtes, le parlement ne pourrait que vous faire pendre ou décapiter. Soit du, monsieur le capitaine, sans offense aucune et avec toute la considération qui est due à votre titre d’officier du roi.

— Oserait-on m’accuser ? s’écria Didier.

— Qui donc ? répondit Béchameil avec mélancolie ; — qui donc prendrait ce soin, monsieur, si ce n’est moi ? Je suis seul victime et ne me plains point… parce qu’il vous faudrait bien longtemps, monsieur le capitaine, pour me solder mes cinq cent mille livres avec les émoluments de votre grade.

Didier était dans l’un de ces instants où le cœur est, pour ainsi dire, inaccessible à la colère. Sa vie venait de subir une crise trop grave pour qu’il songeât à dépenser son courroux contre un personnage comme M. de Béchameil. Au contraire, porté à compatir à ce chagrin qui, en définitive, avait une source sérieuse, et tout plein encore des révélations de Jean Blanc, il répondit à l’intendant à peu près comme il l’eût fait à une personne raisonnable, et lui laissa entendre que sa fortune allait subir un complet changement.

Béchameil haussa les épaules.

— Quelque héritage de vilain, grommela-t-il ; deux cents écus de rentes ! C’est égal, s’il est possible de les saisir, je les saisirai… Mais, puissiez-vous me rendre mes cinq cent mille livres jusqu’au dernier sou, monsieur, nous ne serions pas quittes encore.

— Comment cela ? demanda Didier qui ne prit même pas la peine de répondre à ce qui regardait le vol de la nuit précédente.

— Comment cela ? s’écria Béchameil enhardi par le calme de son interlocuteur : vous me le demandez, monsieur !… J’étais le fiancé de mademoiselle Alix de Vaunoy…

— Eh bien ?

— Ce matin, je l’ai trouvée, demi-vêtue, dans la chambre que vous occupiez ; elle priait auprès du cadavre de votre domestique… Ne me demandez pas d’explications sur ce meurtre. Cette maison est un véritable coupe-gorge, et je n’y coucherais pas une nuit de plus quand il s’agirait de recouvrer mes cinq cent mille livres… Alix priait. Usant des droits que je croyais avoir, je l’ai engagée à regagner sa chambre. Elle m’a parlé de vous… je suppose qu’elle avait le transport… en termes qui ne me permettent pas de douter de mon malheur.

— Pauvre Alix, murmura le capitaine ; — ne supposez rien qui puisse blesser l’honneur de mademoiselle de Vaunoy, monsieur, ajouta-t-il avec sévérité.

— J’ai assez de certitudes sans me prendre aux suppositions, répondit Béchameil. Cinq cent mille livres et ma fiancée !… Car elle m’a dit, monsieur, qu’elle entrerait en religion plutôt que de m’épouser !

À ces derniers mots, prononcés d’une voix plaintive, M. l’intendant royal tira sa montre de son gousset et leva les yeux au ciel.

— Onze heures ! murmura-t-il. Vous verrez qu’au milieu de cette bagarre personne ne se sera occupé du déjeuner !

Il salua Didier à la hâte et se dirigea vers les cuisines.

Didier demeura pensif.

Évidemment M. de Béchameil ne serait pas le seul à l’accuser. Les deniers de l’impôt étaient à sa garde. Pour se disculper, un moyen unique se présentait, c’était de mettre au jour l’infâme conduite d’Hervé de Vaunoy. — Mais Alix ! Alix qui venait de le sauver ! Alix qui l’aimait et qu’il faisait déjà si malheureuse !… Didier repoussa bien loin cette idée et n’en attendit que plus impatiemment le retour du maître de la Tremlays.

Sans y songer, il prit la route de sa chambre. En traversant la cour, une foule d’objets qu’il n’avait point remarqués d’abord frappèrent ses yeux et réveillèrent des souvenirs depuis bien longtemps assoupis. Il croyait reconnaître les sculptures de la façade et les nobles émaux des écussons.

La porte de la chambre était grande ouverte. Il entra.

Sur son lit, le corps du brave écuyer Jude émit étendu. Une femme, agenouillée au chevet, priait à voix haute, récitant avec lenteur les versets du De Profundis. C’était la dame Goton Rehou qui rendait les derniers devoirs à son vieil ami.

Didier se découvrit et s’avança. En entendant sur les carreaux le bruit des éperons, la femme de charge tourna la tête. Elle n’avait point encore aperçu le capitalise, et sa vue lui causa une émotion dont la cause restait pour elle un mystère. — Didier s’arrêta près du lit et considéra longtemps en silence les traits de Jude, auxquels la mort n’avait pu enlever leur expression de fermeté, de calme intrépide.

— Pauvre Jude ! pensa-t-il tout haut au bout de quelques minutes, Dieu n’a point permis qu’il arrivât au but si ardemment souhaité… Il est mort avant d’avoir retrouvé le fils de son maître… Il est mort un jour trop tôt.

La vieille Goton Rehou se prit à trembler.

— Monsieur, monsieur, dit-elle ; mes yeux sont chargés de vieillesse et il y a vingt ans que je n’ai vu Georges Treml, mais… au nom de Dieu, qui êtes-vous ?

On entendit le cri des gonds rouilles de la porte extérieure. Didier courut à la fenêtre et aperçut Vaunoy qui entrait dans la cour.

— Qui êtes-vous ? répéta Goton en joignant les mains.

— Vous vous souvenez donc aussi de Treml ? dit le capitaine.

— Si je m’en souviens, béni Jésus !…

— Eh bien ! dame, suivez-moi ; vous entendrez le maître de la Tremlays me donner le nom qui m’appartient.

Didier quitta la chambre, traversa le corridor à grands pas et se rendit au salon où Vaunoy venait d’entrer. La vieille Goton le suivit de loin.

Au salon se trouvaient mademoiselle Olive de Vaunoy, M. de Béchameil et l’officier des sergents de Rennes. Celui-ci aborda brusquement Didier :

— Capitaine, dit-il, hier au soir, pendant le souper, vous vous êtes endormi. Cela n’est pas naturel. Durant votre sommeil on a pillé le château… Je me suis trouvé enfermé dans ma chambre ; nos gens se sont vus parqués dans une grange close… Que pensez-vous de cela ?

— Je vous répondrai ce soir, répliqua Didier en s’avançant vers M. de Vaunoy.

Celui-ci se munit de son plus doucereux sourire.

— Saint-Dieu ! mon jeune ami, s’écria-t-il en ouvrant les bras, et faisant la moitié du chemin, je viens d’apprendre des choses qui me transportent de joie… La Bretagne retrouve en vous un de ses vieux noms et moi le fils d’un excellent cousin… Embrassons-nous, mon jeune parent… Monsieur de Béchameil et mademoiselle ma sœur et vous tous ici présents, je vous informe que le vrai nom de ce cher capitaine est Georges Treml…

— De la Tremlays, seigneur de Bouëxis-en-Forêt, ajouta Georges lui-même.

La vieille Goton qui arrivait au seuil s’appuya contre la muraille. Ses jambes, coupées, — comme on dit vulgairement, mais énergiquement, — par l’émotion, lui refusaient service.

— Je l’avais deviné ! murmura-t-elle en essuyant une larme du revers de sa main ridée. Oh ! que c’est bien ainsi que j’espérais le revoir !… beau, fort, l’épée au côté, la mine haute et fière, comme il convient à un Breton de bon sang…

Mademoiselle Olive joua de l’éventail. Cette belle personne excellait à cet exercice estimable. M. de Béchameil ouvrit de grands yeux.

— Peste ! pensa-t-il, ce n’est pas un mendiant après tout.

— Tels étaient les noms et titres de Nicolas Treml, votre aïeul vénéré, mon jeune ami, reprit Vaunoy, répondant aux derniers mots du capitaine.

— Et tels seront aussi les miens, monsieur, prononça Georges avec fermeté.

— Bien dit ! pensa Goton Rehou, qui admirait chaque mot, chaque geste de son jeune maître.

— Monsieur mon cousin, repartit Vaunoy en mettant de côté son patelin sourire, — je crois que vous vous faites une idée fausse et singulièrement exagérée de votre position nouvelle.

— Ne suis-je pas l’héritier de mon aïeul ?

— Si fait, Saint-Dieu !… mais…

— Mais quoi ? demanda Georges avec impatience.

— Mais quoi ? répéta en aparté la vieille Goton triomphante.

Il n’y eut pas jusqu’à M. l’intendant royal qui, persuadé du bon droit du capitaine, ne se dit in petto :

— Mais quoi ?

Hervé de Vaunoy reprit son sourire.

— Mon jeune ami, dit-il, l’emportement nuit parfois et ne sert jamais. À mon âge on ne parle pas à la légère… Croyez-moi : l’héritage de Nicolas Treml, — dont Dieu puisse avoir l’âme loyale en son paradis ! — ne vous fera pas bien riche.

Le capitaine sentit le rouge de l’indignation lui monter au visage. Il s’approcha de manière à n’être entendu que de Vaunoy.

— Il y a sous votre toit, dit-il d’une voix contenue et que la colère faisait trembler, une personne que je respecte autant que je vous méprise, que j’aime autant que je vous hais… Rendez grâce à Dieu de posséder une pareille égide, monsieur ; car je vous connais. Je porte les traces de vos traitreuses attaques, je sais combien de fois vous avez tenté de m’assassiner ; je sais que cette nuit encore…

— Que ne parlez-vous haut, monsieur mon cousin ? demanda Vaunoy, qui fit appel à toute son effronterie.

— Misérable ! poursuivit Georges sans élever la voix ; tu sais bien que ta fille est entre nous… ta fille qui est aussi sainte que tu es, toi, impur et souillé. Je ne dirai rien ; mais tu es aussi chez moi, et à tout le moins, je puis te faire chasser par les soldats sous mes ordres.

Vaunoy fit un salut ironique.

— Mademoiselle ma sœur, dit-il, et vous, monsieur l’intendant, veuillez excuser notre entretien secret. Je vais, du reste, vous mettre au fait… Mon jeune cousin, pour premier acte de bonne parenté, me menace de me faite chasser de chez moi par les soldats de Sa Majesté.

— En vérité !… répliqua Béchameil pour dire quelque chose.

— Est-il possible ! déclama mademoiselle Olive qui voulait avoir l’air de comprendre.

— Il n’y a point entre nous de bonne parenté, monsieur, reprit Didier en faisant effort pour concentrer sa colère au dedans de lui-même ; je vous menace, en effet, de vous chasser, mais non pas de votre maison, car ce château est ma propriété.

— Pour ça, tu en peux faire serment, mon enfant chéri ! murmura la dame Goton Rehou.

— Oui dà ! s’écria Vaunoy en ricanant ; vous croyez cela ?… Eh bien ! mon jeune cousin, vous êtes dans l’erreur. Permettez que je m’absente une minute… le temps d’aller jusqu’à mon cabinet… et je reviendrai vous apprendre une foule de choses que vous paraissez ignorer.

Il salua et sortit. — Le capitaine demeura indécis et ne sachant plus trop sur quoi compter.

Béchameil, l’officier rennais et mademoiselle Olive se formèrent en groupe afin de gloser à leur, aise sur cet événement étrange.

Pendant que chacun était ainsi diversement occupé, la figure noircie du charbonnier Pelo Rouan se montra sur le seuil. Il tenait sous son bras un petit coffret de fer tout rongé par la rouille. La vieille Goton seule l’aperçut et fit un mouvement de surprise, mais Pelo Rouan mit un doigt sur sa bouche. — Pelo se glissa dans l’ombre projetée par l’un des hauts battants de la porte ouverte.

Presque au même moment, M. de Vaunoy reparut, suivi de maître Alain. Il avait à la main un parchemin déplié.

— Mon jeune ami, dit-il d’un air d’insolent triomphe à peine tempéré par son habitude d’hypocrite courtoisie, je vous prie humblement de m’excuser si je vous ai fait attendre. Veuillez prendre connaissance de cet écrit.

Le capitaine prit le parchemin et lut.

C’était l’acte de vente écrit tout entier de la main de Nicolas Treml et confié par ce dernier à Hervé de Vaunoy.

En lisant, Georges devint pâle.

— Il paraît, murmura Béchameil, que cet écrit ne fait point plaisir au jeune homme ; mais comment diable ressaisir mes cinq cent mille livres ?

— Chut ! fit mademoiselle Olive avec beaucoup d’importance.

— Monsieur, dit le capitaine après un silence, — il y a en tout ceci quelque odieuse machination que je ne comprends pas… Comment vous, pauvre et nourri des bienfaits de mon aïeul, avez-vous pu acheter et payer son domaine ?

— L’économie ! mon jeune ami, répondit Vaunoy en raillant ; — avec de l’économie et quelque triture des affaires, on accomplit des choses réellement surprenantes… Mais à n’est pas la question, et j’espère qu’il ne vous prendra plus fantaisie de me menacer… Voulez-vous que nous fassions la paix ?

— Jamais ! s’écria Georges en repoussant la main que Vaunoy lui tendait. Je puis vous épargner pour l’amour de votre fille ; je puis mettre un voile sur vos infamies…

— Monsieur mon cousin, dit Vaunoy en se redressant, toute patience a un terme.

— Vos infamies ! répéta Georges avec éclat. — Mais il y a guerre entre nous désormais, monsieur !

— La guerre… soit… Mademoiselle ma sœur et vous, monsieur l’intendant, vous êtes témoins que j’ai poussé la modération jusqu’à ses plus extrêmes limites… Je crois donc, à mon tour, pouvoir dire au capitaine qui m’a outragé devant tous ; Sortez de chez moi, monsieur.

— Béni Jésus ! murmura la dame Goton, il va chasser notre pauvre petit Georges !

Le capitaine se couvrit, lança au maître de la Tremlays un regard de provoquant dédain et se dirigea vers la porte.

À moitié route, il se trouva face à face avec Pelo Rouan, qui le prit par la main et le ramena au milieu du salon.

— Jean Blanc ! dit le capitaine étonné.

— Jean Blanc ! répéta mentalement Vaunoy qui regarda attentivement le nouveau venu. — Saint-Dieu ! c’est lui en effet.

Il se pencha et dit un mot à l’oreille du majordome qui sortit aussitôt.

— Que venez-vous faire ici ? ajouta-t-il en s’adressant au charbonnier.

— Je viens faire justice, répondit Jean Blanc d’une voix grave ; je viens, Hervé de Vaunoy, t’enlever le prix de vingt ans de fraude et de crimes.

Vaunoy regarda du côté de la porte. Maître Alain ne revenait point encore.

— Tu t’es prévalu d’un parchemin signé par Nicolas Treml ; notre jeune seigneur va te répondre par un parchemin signé de toi…

— Que veux-tu dire ? interrompit Vaunoy avec inquiétude.

Jean Blanc posa le coffret de fer sur le plancher, s’agenouilla auprès, et introduisit son couteau dans la fente de la charnière. La rouille avait rongé le métal, et le couvercle sauta presque sans efforts. Le coffret contenait de l’or et un parchemin que Vaunoy reconnut sans doute, car il se précipita pour le saisir. Georges Treml le repoussa rudement. Ce fut lui qui prit l’acte des mains de Jean Blanc.

— Je savais bien, s’écria-t-il après avoir lu ; — je savais bien qu’il y avait fraude et mensonge… Voici une déclaration signée de vous qui porte que tout descendant de Treml pourra racheter le domaine, moyennant cent mille livres tournois.

— El voici les cent mille livres ! ajouta Jean Blanc en frappant sur le coffret.

Vaunoy frémit de rage, ses lèvres écumaient et tremblaient ; ses yeux sortaient de leurs orbites.

L’officier rennais, mademoiselle Olive et Béchameil s’étonnaient grandement, et ce dernier concevait un vague espoir de recouvrer ses cinq cent mille livres.

Quant à la vieille femme de charge, elle s’émerveillait et promettait en son cœur une neuvaine à Notre-Dame de Mi-Forêt.

À ce moment, maître Alain reparut à la porte du salon ; il était suivi des domestiques du château, armés jusqu’aux dents, et des sergents de Rennes. L’œil d’Hervé de Vaunoy étincela sous ses épais sourcils.

— Gardez toutes les issues ! s’écria-t-il. Je promets dix louis d’or à qui mettra le premier la main sur ce brigand !…

Il désignait Jean Blanc du doigt.

— Cet acte est contre moi, reprit-il en faisant effort pour contenir sa rage ; — je suis dépouillé, pillé… Mais, saint-Dieu ! je serai vengé !… Regardez bien cet homme, monsieur de Béchameil ; cette nuit, cinq cent mille livres vous ont été enlevées ; le capitaine n’a pas su les défendre, ou plutôt il les a livrées, et sans doute l’argent que voici — il montrait le coffre — est le prix de sa trahison !

— Infâme ! infâme ! balbutia Georges, mis hors de garde par cette incroyable audace.

M. de Béchameil était tout oreilles, et l’officier rennais semblait à demi convaincu.

— As-tu bien le courage de nier, Georges Treml ? poursuivit Vaunoy ; cet homme qui vient à ton secours n’est-il pas le même qui, cette nuit, a dirigé l’attaque ?

— Si j’avais su cela, grommela Goton, du diable si j’aurais fait le coup de fusil !

— Cet homme qui t’apporte de l’or, reprit encore Vaunoy, n’est-il pas de ceux dont le nom seul est une condamnation ?… En avant, bons serviteurs du roi ! emparez-vous du chef des Loups.

— Le Loup blanc ! s’écrièrent ensemble Béchameil, mademoiselle Olive, les soldats et les domestiques.

Ces derniers, en même temps, firent prudemment un mouvement de retraite. Les soldats s’avancèrent et entourèrent Jean Blanc.

— Saisissez-le ! s’écria Béchameil. — Ah ! brigand détestable ! tu vas me rendre mes cinq cent mille livres !

Mademoiselle Olive, au seul nom du Loup blanc, était tombée en pamoison.

Georges Treml avait tiré son épée, résolu à défendre l’homme qui l’avait servi si puissamment et qui était le père de Marie.

Mais il n’eut pas besoin de faire usage de son arme. Au moment où les sergents, rétrécissant leur cercle, allaient mettre la main sur le roi des Loups, celui-ci ramassa sous lui ses longues jambes et fit un bond extraordinaire qui le porta par-dessus la ligne des assaillants, jusqu’à l’une des fenêtres du salon. Les soldats demeurèrent stupéfaits. Jean Blanc se mit debout sur l’appui de la fenêtre.

— Quoi que tu fasses, Hervé de Vaunoy, dit-il, tu es vaincu… Tu n’auras pas même la vengeance !

— Feu ! feu !… Mais tirez donc ! hurla Vaunoy qui arracha le mousquet de l’un des soldats et mit Jean Blanc en joue.

Georges, d’un coup de son épée, détourna le canon, et la balle alla se loger dans les lambris.

— Nous nous rencontrerons encore une fois, Hervé de Vaunoy, reprit l’albinos sans s’émouvoir ; ce sera la dernière, et tous nos comptes seront réglés.

Il sauta dans la cour à ces mots, puis on le vit franchir la muraille extérieure avec la prodigieuse agilité qui lui était propre.

— Feu ! feu ! répéta Vaunoy, qui tomba épuisé sur un siège.

Les soldats firent une décharge. — Ce fut du bruit et de la fumée.

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