La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-14

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 201-203).

CHAPITRE XIV


Le sacrifice. — Engagée comme
danseuse.



M on tour arriva plus tôt que je ne pensais. Je n’avais encore que quinze ans, mais je m’étais développée d’une façon superbe. Un jour, menée à la maison de correction, je passai l’avant-dernière sur le prie-dieu et dus rester longtemps exposée aux regards lubriques des paillards invisibles. La maîtresse m’avait fouettée avec la méthode qu’elle employait quand elle voulait rendre le spectacle le plus indécent possible. Je souffris beaucoup.

Quand on me détacha, la séance était terminée. Je cherchai des yeux la modiste, elle n’était plus là.

— Vous cherchez votre maîtresse, Mariska. Elle vous aura sans doute oubliée. Mais nous vous offrirons l’hospitalité ; il y a ici de très bons lits, bien moelleux. On vous ramènera demain à l’atelier si vous n’êtes pas trop fatiguée. Le changement de lit, ajouta-t-elle avec un sourire qui me fit frissonner, fatigue quelquefois. Okontina, conduis cette jeune fille au numéro 17, je crois que la chambre est libre.

Okontina me conduisit au numéro indiqué, ouvrit la porte, me poussa dans l’appartement en me disant que je trouverais là tout ce qu’il me faudrait, et m’enferma. Ce que je trouvai, c’était un homme d’une quarantaine d’années, dans une tenue très légère. Mon initiation se fit avec brutalité. Je dus obéir à des fantaisies révoltantes et vierge, au moins de corps, j’épuisai, dans une seule nuit, tous les raffinements de la débauche la plus bestiale.

Je comptais qu’on allait me ramener chez ma maîtresse. Mais les deux filles de service me dirent que le monsieur m’avait louée (telle fut l’expression) pour huit jours, que j’étais son esclave pendant toute la durée de la location, et que je resterais huit jours dans cet appartement si c’était son bon plaisir.

L’annonce de cette longue prison me terrifia. J’avais passé une nuit absolument affreuse. Pourtant, je mentirais si je disais que celles qui suivirent lui ressemblèrent. On eut cette indulgence de me laisser goûter quelque repos avant de me livrer de nouveau au caprice de l’inconnu qui me garda, non pas huit jours, mais quinze.

Puis ce fut le retour à l’atelier. Je revins souvent à la maison de correction, mais uniquement pour y goûter les cuisants baisers des verges ou de la nagaïka, jusqu’au jour où, menée devant un homme qui m’examina sur toutes les coutures, j’appris que j’avais attiré l’attention de l’intendant de l’Académie impériale de Danse. Mes maîtres, sachant par la modiste que je ne ferais jamais qu’une piètre apprentie, consentirent à louer pour cinq ans leur serve Mariska à l’intendant de l’Académie pour la dresser dans l’art chorégraphique et l’exploiter ensuite à son gré, pendant toute la durée du contrat.

Je fus assez sotte pour me réjouir de ce changement. Je ne savais pas, comme on dit en France, que je troquais mon cheval borgne pour un aveugle.