La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-01

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 97-102).

Mémoires d’une
danseuse russe

CHAPITRE PREMIER


Poupées vivantes



C ’est vers 1842 que j’ai vu le jour, dans le domaine d’un riche boyard de l’Ukraine. Ce seigneur possédait en cette contrée d’immenses propriétés et de nombreux serviteurs des deux sexes. Ma mère, à l’époque de ma naissance, remplissait les fonctions de femme de chambre auprès de la boïarine.

Les spectacles dont je fus plus tard le témoin quand je ne devais pas y jouer un rôle plus ou moins actif m’ont fait deviner assez vite que mon père véritable devait être un des invités de ses maîtres dont elle avait dû, bon gré mal gré, partager la couche. C’était une politesse obligée envers les visiteurs. Les récalcitrantes — il s’en trouvait peu — étaient fouettées jusqu’au sang, ce qui ne les empêchait pas de payer leur tribut… Presque toutes préféraient subir l’affront sans la correction sanglante.

À moins que l’auteur de mes jours ne fût l’un des nombreux serviteurs avec lesquels se consolaient quand l’occasion s’en présentait les pauvres filles de service, chair à plaisir, chair à souffrance. Malheur dans ce cas au couple surpris en flagrant délit ! On fouettait les deux complices jusqu’au sang, se servant d’un knout pour l’amoureux, de verges pour la fille. On les châtiait pour les punir d’avoir profané… ce qui n’était réservé qu’aux nobles invités.

Jusqu’à l’âge de huit ans, je ne sus pas trop ce que c’était que le fouet bien appliqué. J’avais cependant été fessée assez souvent avec la main par mes deux maîtresses, la mère et la fille. J’avais gardé un souvenir douloureux, pas trop cuisant toutefois, de ces corrections dont la dernière remontait à trois mois. Mais ce fut quand j’eus attrapé mes huit ans que je commençai à apprécier la valeur des châtiments que je voyais infliger quotidiennement aux grandes filles qui se lamentaient et dont la croupe se démenait furieusement sous les rudes cinglées qu’on leur appliquait.

On me donna comme jouet à la jeune barine, alors âgée de dix ans et qui dépassait en férocité son frère plus âgé qu’elle de deux ans. Je me trouvais là avec une vingtaine de filles toutes plus grandes que moi, échelonnées jusqu’à vingt ans, et destinées elle aussi à servir de poupées à nos jeunes despotes. Quand la fantaisie leur prenait de s’amuser de nous et de nous fouetter, ils choisissaient une, deux ou plusieurs victimes. Quelquefois, quand ils avaient des amis, toute la bande y passait.

Le jour où j’entrai dans les jouets animés de la jeune barine, comme je lui étais offerte en présent par ses parents pour sa fête, on m’apporta étendue dans une grande corbeille de fleurs, tenant dans ma main droite un martinet de cuir. On me déposa à ses pieds ; je dus m’agenouiller devant ma jeune maîtresse et baiser la pointe de ses souliers, en signe d’humilité, en lui offrant le martinet, épée de Damoclès suspendue… au-dessus de nos croupes.

Pour m’en faire connaître l’usage sans plus tarder et m’en faire apprécier la saveur, elle me fit trousser par une des grandes filles qui étaient à son service et m’appliqua cinq ou six coups vigoureux dont ma peau ressentit cruellement la cuisson. Je commençai donc de suite à apprécier les douceurs du fouet. Ce n’était cependant qu’un prélude indulgent ; je m’en aperçus le lendemain.

Ensuite elle me déshabilla elle-même, voulant connaître la valeur du présent qu’elle venait de recevoir pour sa fête. Elle m’examina sous toutes les faces, me faisant ouvrir la bouche, tirer la langue, mesurant la grosseur de mes bras, la dimension de tous mes membres, parcourant tout mon corps des pieds à la tête, puis elle me décocha, pour terminer l’examen, deux fortes claques au bas des reins.

Pendant que je me rhabillais, elle obligea une grande fille à se trousser elle-même, lui annonçant qu’elle l’avait choisie pour la donner en exemple à la nouvelle venue ; qu’elle allait la fouetter parce que c’était son plaisir et aussi pour montrer à Mariska (c’était mon nom), comment elle serait traitée à la moindre faute.

La pauvre fille, qui devait approcher de la vingtaine, se mit donc elle-même dans la posture favorable, présentant sa chair nue à son impitoyable petit bourreau. Celle-ci la fouetta, ne ménageant aucun coin, tapant avec un tel appétit, que la patiente ne cessa pas un instant de gémir pendant cette danse de son pauvre derrière malmené. Elle était tout en sang quand la petite barine la laissa.

Je ne pus m’empêcher de me demander comment elle me fouetterait au cas où je me rendrais coupable de quelque faute, si elle traitait aussi cruellement et seulement pour son plaisir un pauvre postérieur innocent.

Le lendemain elle me mit à l’épreuve, m’ordonnant d’exécuter des choses que je n’avais jamais faites ni vu faire, n’ayant pas encore assisté à la toilette de mes maîtresses. Je dus l’habiller des pieds à la tête. Je m’en tirai assez bien, sans le moindre heurt, sans le plus léger contact. Elle me donna ses cheveux à démêler. Nous avions l’habitude, mes compagnes et moi, de nous aider pour cette opération, et je n’y étais pas trop maladroite. Aussi n’eut-elle aucun reproche à m’adresser.

Cependant, quand la toilette fut achevée, elle m’annonça que j’allais être fouettée quand même pour augmenter la dose de ma souplesse et de mon agilité et aussi pour savoir comment je supporterais une fessée plus sévère.

Elle me fit trousser par une des grandes filles de chambre employées à sa toilette et elle m’appliqua vingt-neuf coups de martinet, mais cette fois avec une telle vigueur que je ne cessai de sangloter et de me tordre sous les méchantes lanières qui devaient me déchirer la peau. Les parents de la jeune barine, qui assistaient à la correction, applaudissaient et encourageaient la jeune fouetteuse qui accentua si bien la vigueur des coups qu’elle assénait avec rage que les derniers me firent saigner.

Ma chair était en feu, mais je n’en dus pas moins suivre ma jeune maîtresse partout où il lui plut d’aller. On m’avait mis des compresses d’eau fraîche après m’avoir bassiné les parties meurtries, ce qui ne m’empêcha pas de souffrir affreusement toute la journée.