Traduction par E. La Chesnais.
Société du Mercure de France (p. 381-384).
LIVRE V


CHAPITRE VIII

CONCLUSION


Vers neuf heures du matin, Lord Foxham conduisait sa pupille, de nouveau habillée comme il convient à son sexe, et suivie d’Alicia Risingham, à l’église de Holywood, lorsque Richard le Bossu, le front déjà chargé de soucis, les rencontra et s’arrêta.

— C’est la jeune fille ? demanda-t-il ; et, lorsque Lord Foxham eut répondu affirmativement : Mignonne, ajouta-t-il, levez la figure, que j’en voie la grâce.

Il la regarda un moment d’un air chagrin.

— Vous êtes jolie, dit-il enfin, et riche, me dit-on. Que diriez-vous si je vous offrais un beau mariage, qui conviendrait à votre figure et votre noblesse ?

— Seigneur duc, répliqua Joanna, plaise votre grâce, j’aime mieux épouser Sir Richard.

— Comment ? demanda-t-il durement. Épousez l’homme que je vous nommerai, et il sera Lord, et vous Lady, avant la nuit. Quant à Sir Richard, je vous le dis, il mourra Sir Richard.

— Je ne demande au Ciel rien de plus, Monseigneur, que de mourir la femme de Sir Richard, répliqua Joanna.

— Réfléchissez-y, Monseigneur, dit Gloucester, se tournant vers Lord Foxham. Voilà un couple pour vous. Le garçon, lorsque, pour ses bons services, je lui laissai le choix de sa récompense, choisit seulement la grâce d’un vieil ivrogne de marin. Je l’avertis durement, mais il tint ferme à cette bêtise. Ici meurt votre faveur, lui dis-je ; mais lui, Monseigneur, avec l’assurance la plus impertinente, répondit : J’en supporterai la perte. Et il en sera ainsi, par la croix !

— A-t-il dit cela ? cria Alicia. Alors, bien dit, lion !

— Qui est celle-ci ? demanda le duc.

— Une prisonnière de Sir Richard, répondit Lord Foxham, mistress Alicia Risingham.

— Voyez à la marier à un homme sûr, dit le duc.

— J’avais pensé à mon cousin, Hamley, s’il plaît à votre grâce, répliqua Lord Foxham. Il a bien servi la cause.

— Cela me plaît, dit Richard. Qu’on les marie promptement. Dites, jolie fille, voulez-vous vous marier ?

— Seigneur duc, dit Alicia, si l’homme est droit… Et, à ce mot, consternée, la voix resta étouffée dans sa gorge.

— Il est droit, Madame, répliqua Richard, avec calme. Je suis le seul bossu dans mon parti ; autrement, nous sommes assez bien bâtis. Mesdames, et vous, Monseigneur, ajouta-t-il, prenant tout à coup un air de gravité courtoise, veuillez m’excuser si je vous quitte. Un capitaine en temps de guerre, ne dispose pas de son temps.

Et, avec un élégant salut, il passa, suivi de ses officiers.

— Hélas ! s’écria Alicia, je suis perdue !

— Vous ne le connaissez pas, répliqua Lord Foxham. Ce n’est rien ; il a déjà oublié vos paroles.

— Il est, alors, la vraie fleur de chevalerie, dit Alicia.

— Non, mais il pense à autre chose, répliqua Lord Foxham. Ne tardons pas davantage.

Dans le sanctuaire ils trouvèrent Dick qui attendait, avec une suite de quelques hommes : et là eut lieu le mariage. Lorsqu’ils sortirent, heureux, et pourtant sérieux, à l’air froid et à la lumière du soleil, les longues files de l’armée déjà remontaient la route ; déjà la bannière du duc de Gloucester était déployée et s’éloignait de l’abbaye dans un groupe de lances ; et derrière, entouré de ses chevaliers couverts d’acier, le hardi Bossu au cœur sombre, s’avançait vers sa royauté éphémère et son éternelle infamie.

Mais les mariés et leur suite prirent le chemin opposé, et se mirent à table avec une joie douce. Le père sommelier les servait et s’assit avec eux à table. Hamley, toute jalousie oubliée, commença à faire sa cour à Alicia, nullement rebelle. Ainsi, au bruit des trompettes, du cliquetis des armures et des chevaux, Dick et Joanna, assis côte à côte, se tenaient tendrement par la main et se regardaient dans les yeux, avec une affection grandissante.

Ensuite la poussière et le sang de cette époque troublée passèrent loin d’eux. Ils habitèrent sans alarmes la forêt verte où leur amour avait commencé.

Deux vieillards, cependant, jouissaient de leurs pensions en grande paix et prospérité, et peut-être avec un excès d’ale et de vin, au village de Tunstall. L’un avait toute sa vie été marin, et continua jusqu’au dernier jour à regretter son matelot Tom. L’autre, qui avait été un peu tout, vers la fin tourna à la piété et mourut très religieusement sous le nom de frère Honestus dans l’abbaye voisine. Ainsi fut faite la volonté de Lawless, et il mourut moine.