La Fille et le cheval

Œuvres de Boufflers, Texte établi par Arsène Houssaye, E. Didier (p. 240-242).


LA FILLE ET LE CHEVAL[1].


Dans un sentier passe un cheval
Chargé d’un sac et d’une fille ;

J’observe, en passant, le cheval,
Je jette un coup d’œil sur la fille ;
Voilà, dis-je, un fort beau cheval ;
Qu’elle est bien faite, cette fille !
Mon geste fait peur au cheval,
L’équilibre manque à la fille ;
Le sac glisse en bas du cheval,
Et sa chute entraîne la fille.
J’étais alors près du cheval ;
Le sac tombant avec la fille,
Me renverse auprès du cheval,
Et sur moi se trouve la fille,
Non assise, comme à cheval
Se tient d’ordinaire une fille,
Mais comme un garçon à cheval.
En me trémoussant sous la fille,
Je la jette sous le cheval,
La tête en bas. La pauvre fille !
Craignant coup de pied de cheval,
Bien moins pour moi que pour la fille,
Je saisis le mors du cheval,
Et soudain je tire la fille
D’entre les jambes du cheval ;
Ce qui fit plaisir à la fille.
Il faudrait être un grand cheval,
Un ours, pour laisser une fille
À la merci de son cheval.
Je voulais remonter la fille ;
Preste, voilà que le cheval
S’enfuit et laisse là la fille.
Elle court après le cheval,
Et moi je cours après la fille.
Il paraît que votre cheval
Est bien fringant pour une fille.
Mais, lui dis-je, au lieu d’un cheval,
Ayez un âne, belle fille ;

Il vous convient mieux qu’un cheval,
C’est la monture d’une fille.
Outre les dangers qu’à cheval
On court en qualité de fille,
On risque, en tombant de cheval,
De montrer par où l’on est fille.


  1. Le chevalier de Boufflers avait fait six vers sur les rimes de ce conte. « On le défia d’en faire trente de la même manière : il l’acheva en quarante-quatre, et composa ce badinage piquant, où l’on ne sent ni la gêne ni la contrainte des bouts-rimés. » (Mémoires secrets de la république des lettres, par Bachaumont, à la date du 30 avril 1785).