La Fille de joie (1748-1749)
Chez Madame Gourdan (p. 117-PL-33).

MÉMOIRES
DE
MISS FANNY,

ÉCRITS PAR ELLE-MÊME.


SECONDE PARTIE.


Tandis que j’étois embarraſſée de ce que je deviendrois, une de mes amies, nommée Madame Cole, vint m’offrir ſes bons offices. Comme j’avois toujours eu aſſez de confiance en elle, je prêtai volontiers l’oreille à ſes propoſitions. Il eſt certain que je ne pouvois tomber dans de meilleures, ni de plus mauvaiſes mains : dans de plus mauvaiſes, parce que tenant une maiſon de plaiſir, il n’y avoit point de genre de lubricité & de débauche auquel elle ne formât ſes filles pour ſatisfaire au goût & au caprice de ſes chalands ; dans de meilleures, parce que qui que ce ſoit ne connoiſſant mieux la vie de Londres, n’étoit plus en état de donner de bons avis & de garantir de jeunes proſélites des dangers du métier. Ce qu’il y avoit de plus recommandable en elle, c’eſt qu’elle ſe contentoit d’un médiocre profit, & ſuivoit plutôt la profeſſion par goût que par intérêt : auſſi étoit-elle la grande pourvoyeuſe des gens de la premiere diſtinction.

Cette ſerviable matrone m’admit dans ſon ſerrail près du Commun Jardin[1]. Elle tenoit pour la forme une petite boutique de lingere, où la plupart de ſes Demoiſelles faiſoient, ſemblant de travailler à certaines heures, avec une application des plus édifiantes. Tout y paroiſſoit honnête & décent ; mais dès que la nuit venoit, on ſe dépouilloit des dehors gênans de la modeſtie, pour ſe livrer entierement au plaiſir.

Quatre voluptueux, qu’un même goût avoit réunis, faiſant les frais de leurs ſecrettes orgies, ſe regardoient, dans ces lubriques ſynodes, comme les reſtaurateurs de l’innocente liberté de l’âge d’or.

Le lendemain de mon inſtallation, Madame Cole m’avertit que l’on tiendroit cette nuit-là un Chapître extraordinaire, pour me recevoir membre de la confrérie, & qu’elle ſe flattoit que le cérémonial de la fête ne me déplairoit pas. Je lui répondis, que j’étois entierement à ſes ordres, bien perſuadée qu’elle ne pouvoit rien me propoſer qui ne me fût agréable. Les trois Demoiſelles, qui devoient être de la partie, charmées de la docilité & du bon naturel que je témoignois dans cette occaſion, me firent cent careſſes ; & pour me donner une marque immédiate de l’intimité parfaite avec laquelle elles ſouhaitoient de vivre avec moi, la plus gaie propoſa en attendant l’heure du conclave, que chacune conteroit la maniere dont elle avoit perdu ſon pucellage. Notre mere Supérieure approuva l’idée, à condition qu’on m’en diſpenſât juſqu’à ce que je fuſſe profeſſe. La choſe ainſi réglée, on pria Emilie de commencer. C’étoit une blonde charmante, d’une taille de Nimphe, bien proportionnée, & qui avoit la plus belle peau & les plus beaux yeux du monde.

„ Ma naiſſance & mes aventures, (dit-elle,) ne ſont point aſſez conſidérables pour que vous imputiez à vanité, de ma part, l’envie de vous faire mon hiſtoire. Mon pere & ma mere étoient & ſont encore, je crois, fermiers à quarante milles[2] de Londres. Leur aveugle tendreſſe pour un frere & leur barbarie à mon égard, me firent prendre le parti de déſerter de la maiſon à l’âge de quinze ans. Tout mon fonds étoit de deux Jacobus[3], que je tenois de ma maraine, de quelques ſchellings, d’une paire de boucles d’argent & d’un dé de même métal. Les hardes que j’avois ſur le corps, compoſoient mon équipage. Je rencontrai, chemin faiſant, un jeune garçon vigoureux & ſain, d’environ ſeize ou dix-ſept ans, qui alloit auſſi chercher fortune à la ville. Il trottoit en ſiflant derriere moi, avec un paquet de guenilles au bout d’un bâton. Nous marchâmes quelque tems à la queue l’un de l’autre ſans nous rien dire. Enfin, nous nous joignîmes & convînmes de faire la route enſemble. Quand la nuit approcha, il fallut ſonger à nous mettre à couvert quelque part. L’embarras fut de ſavoir ce que nous répondrions en cas qu’on vint à nous queſtionner. Le jeune homme leva la difficulté, en me propoſant de paſſer pour ſa femme. Ce prudent accord fait, nous nous arrêtames à un cabaret borgne, dans un pauvre hameau. Mon compagnon de voyage fit apprêter ce qui ſe trouva, & nous ſoupâmes tête à tête. Mais quand ce fut l’heure de nous retirer, nous n’eûmes, ni l’un ni l’autre, le courage de détromper les gens de la maiſon, & ce qu’il y avoit de comique, c’eſt que le Gars paroiſſoit plus intrigué que moi pour trouver moyen de coucher ſeul.

„ Cependant l’hôteſſe, une chandelle à la main, nous conduiſit au bout d’une longue cour, à un appartement ſéparé du corps de logis. Nous la ſuivîmes ſans ſouffler le mot, & elle nous laiſſa dans un miſérable bouge, où il n’y avoit pour tout meuble qu’un grand vilain grabat & une chaiſe de bois toute démantibulée. J’étois alors ſi innocente, que je ne penſois pas faire plus de mal en couchant avec un garçon, qu’avec une de nos ſervantes, & peut-être n’avoit-il pas eu lui-même d’autres idées, juſqu’à ce que l’occaſion lui en inſpirât de différentes. Quoi qu’il en ſoit, il éteignit la lumiere avant que nous fuſſions entierement deshabillés. Lorſque j’entrai dans le lit, mon acolite y étoit déja, & la chaleur de ſon corps me fit d’autant plus de plaiſir, que la ſaiſon commençoit à être froide. Mais que l’inſtinct de la nature eſt admirable ! Le jeune homme me paſſant un bras ſous les reins, ſe ſerra contre moi comme ſi c’eût été ſeulement à deſſein d’avoir plus chaud. Je ſentis fermenter, pour la premiere fois, dans mes veines, un feu que je n’avois jamais connu. Encouragé, je le penſe, par ma docilité, il ſe hazarda de me donner un baiſer, que je lui rendis innocemment, ſans penſer que cela tirât à conſéquence : bientôt ſes doigts agiſſans ſous ma chemiſe, & après avoir joué des épinettes par-tout où il lui plut, il me fit tâter la cheville ouvriere du genre-humain. Je lui demandai, avec ſurpriſe, ce que c’étoit ; il me dit, que je le ſaurois ſi je voulois, & mon homme n’attendant point ma réponſe, monta immédiatement ſur moi. Je me trouvai alors tellement entraînée par un pouvoir dont j’ignorois la cauſe, que je le laiſſai faire en paix juſqu’à ce qu’il m’arracha les hauts cris ; mais il n’y avoit plus à reculer, le maquignon étoit trop bien en ſelle pour le déſarçonner : au contraire, les efforts que je fis, ne le ſervirent que mieux. Il me donna à la fin un ſi terrible coup de charniere, qu’il enfila la bague & me dépucella. Le chemin une fois frayé, nous veillâmes le plus agréablement du monde juſqu’au jour. Il
ſeroit inutile de vous ennuier par un plus long récit ; c’eſt aſſez que vous ſachiez que nous vécûmes enſemble tant que la miſere nous ſépara, & me fit embraſſer la profeſſion ”.

Suivant l’ordre de la ſituation c’étoit à Henriette à nous faire ſon hiſtoire. Parmi les beautés de ſon ſexe que j’avois vues avant, & depuis elle, il en eſt bien peu qui puiſſe ſe flatter d’égaler la nobleſſe de ſa taille, & la fineſſe de ſon teint ; de beaux yeux noirs, pleins de feu, ornoient encore la plus heureuſe phyſionomie. Avant de parler, Henriette ſourit, rougit, & commença en ces termes.

„ Mon pere, qui fut meûnier près de la ville de York, ayant perdu ma mere peu de tems après ma naiſſance, confia mon éducation à une de mes tantes, vieille veuve ſans enfans, & qui étoit alors gouvernante ou ménagere de Mylord N… à ſa campagne de… où elle m’éleva avec toute la tendreſſe poſſible.

„ Ayant déja paſſé, de deux années, cet âge, que trois luſtres accompliſſent, pluſieurs bons partis s’empreſſoient à me prouver leur amour, en me procurant des plaiſirs frivoles. J’ignorois encore ceux qui tiennent à l’union des cœurs, quand la nature & la liberté, d’accord avec le penchant, les voient éclore. Si le tempérament me laiſſa méconnoître ſes vives impreſſions juſqu’à ce terme, bientôt il me dédommagea avec profuſion de ce que j’avois ignoré. Heureux momens ! deux ans ſe ſont écoulés, depuis qu’endoctrinée par l’amour, je perdis, plutôt qu’on ne devoit s’y attendre, ce joyau ſi difficile à garder, & voici comment. J’étois accoutumée, lorſque ma bonne tante faiſoit ſa méridienne, de m’aller recréer en travaillant ſous un berceau, que côtoyoit un petit ruiſſeau, qui rendoit ce lieu fort agréable pendant les chaleurs de l’été. Un après-midi que, ſuivant mon habitude, je m’étois placée ſur une couche de roſeau, que j’avois fait mettre à ce deſſein dans le cabinet, la tranquillité de l’air, l’ardeur aſſoupiſſante du ſoleil, & plus que tout cela peut-être, le danger qui m’attendoit, me livrerent aux douceurs du ſommeil ; un panier ſous ma tête me ſervoit d’oreiller ; la jeuneſſe & le beſoin mépriſent les commodités du luxe.

„ Il y avoit au plus un quart-d’heure que je dormois, quand un bruit aſſez fort, qui ſe faiſoit dans le ruiſſeau, dont j’ai parlé plus haut, dérangea mon ſommeil, & m’éveilla en ſurſaut. Imaginez-vous ma ſurpriſe, lorſque j’apperçus un beau jeune homme, nû comme la main, & qui ſe baignoit dans l’onde qui couloit à mes pieds. Ce jeune Adonis étoit, comme je l’ai ſu depuis, le fils d’un Seigneur du voiſinage, qui m’avoit été inconnu juſqu’alors.

„ Les premieres émotions que me cauſa la vue de ce jeune homme in naturalibus, furent la crainte & la ſurpriſe ; & je vous aſſure que je me ſerois eſquivée, ſi une modeſtie fatale n’eut retenu mes pas : car je ne pouvois gagner la maiſon ſans être vue du jeune drôle. Je demeurai donc agitée par la crainte & la modeſtie, quoique la porte du cabinet où je me trouvois étant fermée, je n’avois nulle inſulte à appréhender. La curioſité anima cependant à la fin mes regards ; je me mis à contempler par un trou de la cloiſon, le beau garçon qui s’ébattoit dans l’onde. La blancheur de ſa peau frappa d’abord mes yeux, & parcourant inſenſiblement tout ſon corps, je parvins à diſcerner une certaine place couverte d’un poil noir & luiſant, au milieu duquel je voyois brandiller une piece de chair molle, qui m’étoit inconnue ; mais malgré ma modeſtie je ne pus détourner mes regards. Enfin toutes mes craintes firent place à des deſirs & à des tranſports, qui ſembloient me ravir. Le feu de la nature, qui avoit été caché ſi long-tems, commença à développer ſon germe ; & je connus pour la premiere fois que j’étois fille.

„ Pendant que je réſumois en moi-même les ſentimens qui agitoient mon jeune cœur, la vue toujours fixée ſur l’aimable baigneur, je le vis ſe plonger au fond de l’eau auſſi rapidement qu’une pierre. Comme j’avois ſouvent entendu parler de la crampe & des autres accidens que les nageurs ont à craindre ; je m’imaginai qu’une telle cauſe avoit occaſionné ſa chûte. Pleine de cette idée & l’ame remplie de l’amour le plus vif, je volai, ſans faire la moindre réflexion ſur ma démarche, vers le lieu où je crus que mon ſecours pouvoit être néceſſaire. Mais ne voyant plus nulle trace du jeune homme, je tombai dans une foibleſſe, qui doit avoir duré fort long-tems ; car je ne revins à moi que par une douleur aiguë, qui ranima mes eſprits vitaux ; & ne m’éveillai que pour me voir, non-ſeulement entre les bras de l’objet de mes craintes ; mais tellement priſe, que plus de la moitié de ſa machine m’étoit déjà entrée dans le corps ; ſi bien que je n’eus ni la force de me dégager, ni le courage de crier au ſecours. Il acheva donc de triompher de ma virginité, ce qu’il reconnut par le ſang qui ſortit de ma machine lorſqu’il en retira ſon priape, & par la difficulté que l’entrée lui avoit fait éprouver. Immobile, ſans parler, couverte de mon ſang, que mon ſéducteur venoit de faire couler de ma bleſſure, & prête à m’évanouir de nouveau par l’idée de ce qui venoit de m’arriver, le jeune Seigneur, voyant l’état pitoyable où il m’avoit réduite, ſe jetta à mes genoux, les
yeux remplis de larmes, en me priant de lui pardonner, & en me promettant de me donner toute la réparation qu’il ſeroit en ſon pouvoir de me faire. Il eſt certain que ſi mes forces l’avoient permis dans cet inſtant, je me ſerois portée à la vengeance la plus ſanglante ; tant me parut affreuſe la maniere dont il avoit récompenſé mon ardeur à le ſauver ; quoiqu’à la vérité il ignorât ma bonne volonté à cet égard.

„ Mais avec quelle rapidité l’homme ne paſſe-t-il point d’un ſentiment à un autre ? Je ne pus voir ſans émotion mon aimable criminel fixé à mes pieds, & mouiller de larmes une main que je lui avois abandonnée, & qu’il couvroit de mille tendres baiſers. Il étoit toujours nû, mais ma modeſtie avoit reçu un outrage trop cruel pour redouter déſormais la contemplation du plus beau corps qu’on puiſſe voir ; & ma colere s’étoit tellement appaiſée, que je crus accélérer mon bonheur en lui pardonnant. Cependant je ne pus m’empêcher de lui faire des reproches : mais ils étoient ſi doux ! j’avois tant de ſoin de lui en épargner l’amertume ! & mes yeux exprimoient ſi bien cette langueur délicieuſe de l’amour ! qu’il ne put douter longtems de ſon pardon ; cependant il ne voulut jamais ſe lever que je ne lui eus promis d’oublier ſon forfait ; il obtint facilement ſa demande, & ſcella après ſon pardon d’un baiſer qu’il prit ſur mes levres & que je n’eus pas la force de lui refuſer.

„ Après nous être reconciliés de la ſorte, il me conta comment il s’y étoit pris pour me ravir cette fleur charmante, que les hommes eſtiment tant. M’ayant trouvée, lorſqu’il reſortoit de l’eau, couchée ſur le gazon, il crut que je ne pouvois m’être endormie là, ſans quelque deſſein prémédité. S’étant donc approché de moi, & reſtant en ſuſpens de ce qu’il devoit croire de cette aventure, il me prit à tout hazard entre ſes bras, pour me porter ſur le lit de joncs qui ſe trouvoit dans le cabinet, dont la porte étoit entr’ouverte. Là, il eſſaya, ſelon qu’il me le proteſta, tous les moyens poſſibles pour me rappeller à moi-même, mais ſans le moindre ſuccès. Enfin, enflammé par la vue & l’attouchement de tous mes charmes, il ne put retenir l’ardeur dont il brûloit, & les tentations plus qu’humaines, que la ſolitude & la ſécurité ne faiſoient qu’accroître, l’animant de plus en plus, il me plaça alors, ſelon ſon gré, ſur l’autel où devoit expirer cette tendre victime de ſa paſſion ; & ſe mit incontinent à ſatisfaire ſon amour, juſqu’à ce que tirée de mon aſſoupiſſement par la douleur qu’il me cauſoit, je vis moi-même le reſte de cette ſcene touchante, que je me repréſente trop vivement, pour regretter encore le bijou précieux que j’y perdis. Mon vainqueur ayant fini ſon diſcours, & découvrant dans mes yeux les ſymptômes de la réconciliation la plus ſincere, me preſſa tendrement contre ſa poitrine, en me donnant les conſolations les plus flatteuſes, & l’eſpérance des plaiſirs les plus ſenſibles. Pendant ce tems mes yeux jouoient conſtamment ſur l’inſtrument dont j’avois reſſenti les affreuſes ſecouſſes ; alors je le vis s’enfler & ſe roidir de plus en plus, juſqu’à ce que ma main tombant négligemment, le toucha, & s’y fixa par une attraction inconnue. Les feux du deſir ſe rallumerent dans nos cœurs, & ſuccombant une ſeconde fois, je goûtai pleinement les délices de cet inſtant fortuné.

„ Quoique ſelon notre accord, je doive ici mettre fin à mon diſcours, je ne puis cependant m’empêcher d’ajouter, que je jouis encore quelque tems des tranſports de mon amant, juſqu’à ce que des raiſons de famille l’éloignerent de moi, & que je me vis obligée de me donner au public. Je finis donc en priant Louiſe de nous faire part de ſes aventures ”.

Louiſe, brunette fort piquante, & dont je crois inutile de vous retracer ici les charmes, ſe mit alors en devoir de ſatisfaire la compagnie.

„ Selon mes louables maximes, (dit-elle,) je ne vous releverai point la nobleſſe de ma famille, puiſque je ne dois la vie qu’à l’amour le plus tendre, ſans que les liens du mariage euſſent jamais joints les auteurs de mes jours. Je fus la rare production du premier coup d’eſſai d’un garçon ébéniſte, avec la ſervante de ſon maître ; dont les ſuites furent un ventre en tambour & la perte de ſa condition. Mon pere, quoique fort pauvre, me mit cependant en nourrice chez une campagnarde, juſqu’à ce que ma mere, qui s’étoit retirée à Londres, s’y maria, à un pâtiſſier, & me fit venir comme l’enfant d’un premier époux, qu’elle diſoit avoir perdu quelques mois après ſon mariage. Sur ce pied, je fus admiſe dans la maiſon, & n’eus pas atteint l’âge de ſix ans, que je perdis ce pere adoptif, qui laiſſa ma mere dans un état honnête, & ſans enfans de ſa façon. Pour ce qui regarde mon pere naturel, il avoit pris le parti de s’embarquer pour les Indes, où il étoit mort fort pauvre, ne s’étant engagé que pour ſimple matelot. Je croiſſois donc ſous les yeux de ma mere, qui ſembloit craindre pour moi le faux pas qu’elle avoit fait : tant elle avoit ſoin de m’éloigner de tout ce qui pouvoit y donner lieu. Mais je crois qu’il eſt auſſi impoſſible de changer les paſſions de ſon cœur que les traits de ſon viſage.

„ Quant à moi, l’attrait du plaiſir défendu agiſſoit ſi fortement ſur mes ſens, qu’il me fut impoſſible de ne point ſuivre les loix de la nature. Je cherchai donc à tromper la vigilante précaution de ma mere. J’avois à peine douze ans, que cette partie, dont elle s’étudioit tant à me faire ignorer l’uſage, me fit ſentir ſon impatience par ſes titillations & par un feu ſecret, qui ſembloit redoubler à la vue d’un homme. Cette ouverture merveilleuſe avoit même déja donné des ſignes de puberté prématurée, en s’ombrageant d’un poil naiſſant, ſemblable au duvet, qui, ſi j’oſe le dire, avoit pris ſa croiſſance ſous ma main & ſous mes yeux ; car j’étois journellement occupée à viſiter & à manier ce joli réduit, ſes ſenſations délicates, & les chatouillemens que je ſentois ſouvent, m’avoient aſſez fait comprendre, que c’étoit dans ce petit centre que giſoit le vrai bonheur : ſentiment qui me faiſoit languir avec impatience après un compagnon du plaiſir ; & qui me faiſoit fuir toute ſociété où je ne croyois pas rencontrer l’objet de mes vœux, pour m’enfermer dans ma chambre, afin d’y goûter, du moins en idée, les tranſports de l’amour.

„ Mais toutes ces méditations ne faiſoient qu’accroître mon tourment, & augmenter le feu qui me conſumoit. C’étoit bien pis encore, lorſque tranſportée par les irritations inſupportables de ma petite machine, j’en écartois les levres pour y faire entrer inutilement un doigt inhabile dans ſes opérations. Quelquefois, excitée par la véhémence du deſir, je me jettois ſur le lit, j’écartois les cuiſſes, & ſemblois y attendre le membre deſiré, juſqu’à ce que, convaincue de mon illuſion, je les reſſerrois & les frottois l’une contre l’autre. Enfin la cauſe de mes deſirs, par ſes impétueux trémouſſemens. & ſes chatouillemens internes, ne me laiſſoit nuit & jour aucun repos. Je croyois cependant avoir beaucoup gagné, lorſque me figurant qu’un de mes doigts reſſembloit à la piece en queſtion, je l’avois introduit dans l’ouverture délicate ; je m’en branlois avec une agitation délicieuſe, entremêlée de douleur, car je me déflorois autant qu’il étoit en mon pouvoir ; & j’y allois de ſi bon cœur, que je me trouvois ſouvent étendue ſur mon lit, dans une langueur amoureuſe, qui me dédommageoit en quelque ſorte de la peine que je ſouffrois.

„ L’homme, comme je l’avois bien conçu, poſſédoit ſeul ce qui me pouvoit guérir de cette maladie ; mais, gardée à vue de la maniere que je l’étois, comment tromper la vigilance de ma mere, & comment me procurer le plaiſir de ſatisfaire ma curioſité, & de goûter une volupté délicieuſe & inconnue juſqu’alors à mes ſens ?

„ A la fin un accident ſingulier me procura ce que j’avois deſiré ſi longtems ſans fruit. Un jour que nous dînions chez une voiſine, avec une Dame qui occupoit notre premier, ma mere fut obligée d’aller à Greenwich. La partie étant faite, je feignis, je ne ſais comment, un mal de tête que je n’avois pas : ce qui fit que ma mere me confia à une vieille ſervante de boutique ; car nous n’avions aucun homme dans la maiſon.

„ Lorſque ma mere fut partie, je dis à la ſervante que j’allois me repoſer ſur le lit de la Dame qui logeoit chez nous, le mien n’étoit pas dreſſé ; & que n’ayant beſoin que d’un peu de repos pour me remettre, je la priois de ne point venir m’interrompre. Lorſque je fus dans la chambre, je me délaçai, & me jettai moitié nue ſur le lit. Là je me livrai de nouveau à mes vieilles & inſipides coutumes ; la force de mon tempérament m’excitant, je cherchai par-tout des ſecours que je ne pouvois trouver ; j’aurois déchiré mes doigts de rage, de ce qu’ils repréſentoient ſi mal l’objet de mes vœux, juſqu’à ce que, aſſoupie par mes agitations, je m’endormis légerement pour jouir d’un rêve qui, ſans doute, doit m’avoir fait prendre les ſituations les plus ſéduiſantes.

„ A mon réveil je trouvai avec ſurpriſe ma main dans celle d’un jeune homme, qui ſe tenoit à genoux devant mon lit, & qui me demandoit pardon de ſa hardieſſe. Il me dit qu’il étoit le fils de la Dame qui occupoit la chambre ; qu’il étoit monté, ſans avoir été apperçu par la ſervante ; & que m’ayant trouvée endormie, ſa premiere réſolution avoit été de retourner ſur ſes pas ; mais qu’il avoit été retenu par un pouvoir irréſiſtible.

„ Que vous dirai-je ? Les émotions, la ſurpriſe & la crainte, furent d’abord chaſſées par les idées du plaiſir que j’attendois de cette aventure. Il me ſembla qu’un Ange étoit deſcendu du ciel à deſſein ; car il étoit jeune & bien tourné, ce qui étoit plus que je n’en demandois ; l’homme étant tout ce que mon cœur deſiroit de connoître. Je crus ne devoir ménager ni mes yeux, ni ma voix, ni aucune avance pour l’encourager à répondre à mes deſirs. Je levai donc la tête, pour lui dire que ſa mere, ne pouvant revenir que vers la nuit, nous ne devions rien craindre de ſa part ; mais je vis bientôt que je n’avois pas beſoin de l’exciter, & qu’il n’étoit pas ſi novice que je le croyois : car il me dit, que ſi j’avois connu ſes diſpoſitions, j’aurois eu plus à eſpérer de ſa violence, qu’à craindre de ſon reſpect.

„ Voyant que les baiſers qu’il imprimoit ſur ma main n’étoient pas
dédaignés, il ſe leva & collant ſa bouche ſur mes levres brûlantes, il me remplit d’un feu ſi vif, que je tombai doucement à la renverſe & lui ſur moi. Les momens étoient trop précieux pour les perdre en vaines ſimagrées. Mon jeune garçon procéda d’abord à l’affaire principale ; pendant qu’étendue ſur mon lit, je deſirois l’inſtant de l’attaque avec une ardeur peu commune à mon âge. Il leva mes juppes & ma chemiſe ; mes cuiſſes s’étant ſéparées comme d’elles-mêmes, lui offrirent le braſier le plus ardent de l’amour. Cependant mes deſirs augmentant à meſure que je voyois les obſtacles s’évanouïr, je n’écoutai ni pudeur ni modeſtie, & chaſſant au loin la timide innocence, je ne reſpirai plus que les feux de la jouiſſance, une rougeur vive coloroit mon viſage, mais inſenſible à la honte, je ne connoiſſois que l’impatience de voir combler mes deſirs.

„ Juſqu’alors je m’étois ſervie de tous les moyens qui m’avoient paru propres à ſoulager mes tourmens : mais quelle différence des attouchemens laſcifs d’un homme, à l’inſipide manipulation d’une jeune fille ſur elle-même ! lors que ſes mains parcourent cet endroit chéri des hommes & des dieux, & que ſes doigts ſe jouerent dans le tendre duvet qui en environnoit les bords, des ſoupirs enflammés annoncerent mes plaiſirs.

„ Enfin, après s’être amuſé quelque tems avec ma petite fente, qui palpitoit d’impatience, il déboutonne ſa veſte & ſa culotte, & montre à mes regards avides, l’objet de mes ſoupirs, de mes rêves & de mon amour, en un mot, le roi des membres. Je parcours avec délices ſa longueur & ſa groſſeur, ſa tête pourprée… mais bientôt je ſens ſa chaleur à l’endroit où réſide la plus précieuſe des ſenſations, ſes deux levres écarlates, qui en ſerment doucement l’entrée, ſembloient s’ouvrir pour le recevoir, & ajuſtant ſa viſée, je ſentis, contre mon eſpérance, la large tête du trop heureux priape ſe frayer un paſſage parmi les ravages & le ſang.

„ Rien ne me paroiſſoit préférable à la jouiſſance que j’allois goûter, de ſorte que craignant peu la douleur, je joignis mes ſecouſſes à celles de mon vigoureux Athlète : bientôt l’inſtant de la volupté fit diſparoître cette fleur qu’on eſtime tant, & dont la garde m’avoit cauſé tant de peine.

„ Extaſiée, fendue par l’énorme groſſeur du vigoureux bourdon de mon dévergineur, & les cuiſſes enſanglantées, je reſtai quelque tems accablée par la fatigue & le plaiſir. Mais à la ſeconde attaque, ma plaie, guérie par le cordial ſouverain qui en humectoit les bords, ne me procura que du plaiſir ; les douces plaintes, que m’avoit arrachées une douleur cuiſante & momentanée, furent appaiſées, & je m’abandonnai ſans réſerve à tous les tranſports de l’amour, auquel je livrai, avec raviſſement, toutes mes facultés ; étroitement unie avec mon jeune amant, ſon allumelle, enfoncée juſqu’aux gardes dans ma bleſſure, y verſoit le plaiſir à grands flots ; plus de douleurs déſormais, l’ouverture étoit faite, & je jouiſſois d’autant plus délicieuſement, que j’avois longtems langui après la poſſeſſion du joyau qui étoit tout entier dans mon étui. Bientôt ſubmergée par un torrent de perles liquides, j’épanchai, de mon côté, cette liqueur glutineuſe, qui fait naître une ivreſſe trop ſentie, pour ne pas s’y livrer avec raviſſement.

„ C’eſt ainſi (continua l’ardente Louiſe) que je vis s’accomplir mes plus violens deſirs ; & que je perdis cette babiole dont la garde eſt ſemée de tant d’épines ; un accident heureux & inopiné me procura cette ſatisfaction, car ce jeune homme arrivoit à l’inſtant du Collége & venoit familierement dans la chambre de ſa mere, dont il connoiſſoit la ſituation pour y avoir été ſouvent autrefois, quoique je ne l’euſſe jamais vu, & que nous ne nous connuſſions que d’oui-dire.

„ Les précautions du jeune Athlète, cette fois & pluſieurs autres, que j’eus le plaiſir de le voir, m’épargnerent le déſagrément d’être ſurpriſe dans mes fréquens exercices. Mais la force d’un tempérament que je ne pouvois reprimer, & qui me rendoit les plaiſirs de la jouiſſance préférables à ceux d’exiſter, m’ayant ſouvent trahie, par des indiſcrétions fatales à ma fortune, je tombai à la fin dans la néceſſité d’être le partage du Public, ce qui, ſans doute, eut cauſé ma perte, ſi la fortune ne m’eut fait rencontrer cet agréable refuge ”.

A peine Louiſe avoit-elle ceſſé de parler, qu’on nous avertit que les confreres étoient arrivés.

Madame Cole me conduiſit en haut. Un jeune cavalier extrêmement aimable, auquel on m’avoit deſtinée, vint à notre rencontre & fut mon introducteur. Mon amour-propre eut lieu d’être content de la ſurpriſe que je cauſai à l’aſſemblée. Ils m’embraſſerent à la ronde, & me prodiguerent les éloges les plus flatteurs. Néanmoins ils ne purent s’empêcher de me dire que j’avois un défaut qui ne s’accordoit pas avec leurs ſtatuts, & que ce défaut étoit la modeſtie, dont ils me ſupplioient de vouloir bien me dépouiller, de peur qu’elle n’empoiſonnât leurs plaiſirs. Ce fut-là le prologue de la piece que nous allions jouer.

Les premiers qui ouvrirent la ſcene, furent un jeune guidon des gardes à cheval, avec la plus douce des beautés, la charmante, la voluptueuſe Louiſe.



Notre cavalier la pouſſa ſur la couche,

où il la fit tomber à la renverſe, & s’y étendit avec un air de vigueur qui annonçoit une amoureuſe impatience. Louiſe s’étoit placée le plus avantageuſement poſſible ; ſa tête, mollement appuyée ſur un oreiller, étoit fixée vis-à-vis ſon amant, & notre préſence paroiſſoit être le moindre de ſes ſoucis. Ses juppes & ſa chemiſe levées, nous découvrirent les cuiſſes & les jambes les mieux tournées qu’on puiſſe voir ; elles étoient écartées avec tant de ſoin & d’avantage pour la commodité du champion, que nous pouvions contempler à notre aiſe cette charmante ouverture, qui ſéparoit un mont couvert d’un beau duvet, & dont la palpitation continuelle invitoit le ſacrificateur à s’y enfoncer. Le galant étoit deshabillé, & nous étaloit ſa vigoureuſe cheville dans un état à faire envie, & prête à combattre ; mais, ſans nous donner le tems de jouir de cette agréable vue, il la plongea dans la cellule de ſon aimable antagoniſte, qui la reçut en véritable héroïne. Il eſt vrai que jamais fille n’eût comme elle une conſtitution plus heureuſe pour l’amour, & une vérité plus grande dans l’expreſſion des ſenſations voluptueuſes. Nous remarquâmes alors le feu du plaiſir briller dans ſes yeux, ſur-tout lorſqu’elle introduiſit l’inſtrument de ſon bonheur dans la place qui lui convenoit ; enfin le fier aiguillon atteignant le vif, les irritations redoublerent avec tant d’efferveſcence, qu’elle perdit toute autre connoiſſance que celle du chatouillement qu’elle éprouvoit. Alors la partie endommagée fut agitée d’une fureur ſi étrange, qu’elle remuoit avec une violence extraordinaire, entremêlant des ſoupirs enflammés à la cadence de ſes mouvemens & aux baiſers voluptueux qu’elle donnoit à ſon amant, qui les lui rendoit avec profuſion, s’efforçant l’un & l’autre d’arriver au période délectable. Louiſe tremblante & hors d’haleine, nous annonça ce moment ſuprême par des mots entrecoupés. „ Ha Monſieur !… (diſoit-elle, en balbutiant,) mon cher Monſieur !… je vous… je vous… prie, ne m’épar…gnez… ne m’épargnez pas !… ha !… ha !… ” Ses yeux ſe fermerent langoureuſement à la ſuite de ce monologue, & l’ivreſſe la fit mourir pour renaître plutôt ſans doute qu’elle n’auroit voulu. Cependant ſon amant arrêtant auſſi tout court ſes vigoureuſes ſecouſſes, pouſſa, comme de concert, le dernier aveu du plaiſir.

Lorſqu’il ſe trouva déſarçonné, Louiſe ſe leva, vint à moi, me donna un baiſer & me tira près de l’autel du plaiſir, où l’on me fit boire à la ſanté de la prêtreſſe qui venoit de ſacrifier, & promettre de ſuivre ſon bon exemple.

Dans cet intervalle le ſecond couple s’apprêtoit à entrer en lice : c’étoient un jeune Baron & la tendre Henriette. Mon gentil Ecuyer vint m’en avertir & me conduiſit vers le lieu de la ſcene.

Henriette fut donc menée ſur la couche vacante. Rougiſſant lorſqu’elle me vit, elle ſembloit vouloir ſe juſtifier de l’action qu’elle alloit commettre & qu’elle ne pouvoit éviter.

Son amant (car il l’étoit véritablement) la mit ſur le pied du lit, & paſſant ſes bras autour de ſon cou, préluda par lui donner des baiſers ſavoureuſement appliqués ſur ſes belles levres ; juſqu’à ce qu’il la fit tomber doucement ſur un couſſin diſpoſé pour la recevoir, & ſe coucha ſur elle. Mais, comme s’il avoit ſu notre idée, il ôta ſon mouchoir & nous fit voir les deux plus beaux globes du monde, qu’il mania délicatement, avec cette dévotion amoureuſe qu’obſervent les vrais amans.

Après s’être délecté quelques momens dans ces doux ébats, il leva peu à peu
ſes juppes, & expoſa à notre vue la plus belle parade que l’indulgente nature ait accordée à notre ſexe. Toute la compagnie qui, moi ſeule exceptée, avoit eu ſouvent le ſpectacle de ces charmes, ne put s’empêcher d’applaudir à la raviſſante ſimétrie de cette partie de l’aimable Henriette : tant il eſt vrai que ces beautés admirables jouiſſent du prix d’une ſinguliere nouveauté. Ses jambes & ſes cuiſſes étoient faites au tour ; & leur blancheur éclatante étoit encore relevée par le poil noir & reluiſant qui ombrageoit la fente la mieux coupée, la plus mignone qu’on puiſſe voir, & dont l’imagination peut à peine ſe former une idée.

Son cher amant, qui étoit reſté abſorbé par la vue des beautés dont il alloit jouir, s’adreſſa enfin à la cheville ouvriere, & levant ſa chemiſe, nous fit voir ſon maître membre, dont la groſſeur nous étonna. Il étoit placé entre les cuiſſes de ſa chere Henriette, qui s’en trouvoit raiſonnablement éloignée. D’une main il écarta les levres brûlantes du ſéjour de la volupté, &, de l’autre, dirigeant ſon dard enflammé, il l’introduiſit pouce à pouce par quelques coups de reins ménagés, juſqu’à ce qu’enfin, il l’eut caché tout entier dans le laboratoire de l’amour. Alors ſon poil, ſe confondant avec le duvet mouſſeux de ſon aimable patiente, nous apperçûmes toutes les gradations du plaiſir ; les yeux humides & perlés de la belle Henriette, annoncerent le bonheur auquel elle étoit prête d’atteindre. Perforée par un vigoureux bourdon, qui la rendoit paſſive, elle reſta quelque tems immobile, juſqu’à ce qu’excitée par les chatouillemens délicieux que le frottement fait naître, elle ne put retenir davantage les tranſports du plaiſir ; ſes mouvemens, d’accord avec ceux de ſon vigoureux vainqueur, ne font que s’accroître ; les clignottemens de leurs yeux, l’ouverture involontaire de leurs bouches, & la molle extenſion de tous leurs membres, firent connoître à l’aſſemblée contemplative, l’éjaculation de la liqueur divine ; l’aimable couple garda, dans le ſilence, cette derniere ſituation, juſqu’à ce qu’enfin, les reſtes du baume de vie furent évaporés de part & d’autre. Un baiſer langoureux donné & repris, marqua le triomphe & la joie du héros qui venoit de vaincre.

Dès qu’Henriette fut délivrée de ſon agreſſeur, je volai vers elle & me plaçai à ſon côté, lui ſoulevant la tête, ce qu’elle refuſa, en repoſant ſon viſage ſur mon ſein, pour cacher la honte que lui donnoit la ſcene paſſée, juſqu’à ce qu’elle eût repris peu-à-peu ſa hardieſſe, & qu’elle ſe fut reſtaurée par un verre de vin, que mon galant lui préſenta pendant que le ſien rajuſtoit ſes affaires.

Le poſſeſſeur d’Emilie la prit alors par la main pour commencer la danſe, & la conduiſit vers la couchette. Il commença par mettre en liberté ſes tetons, & par défaire tous ſes ajuſtemens incommodes : alors un jour nouveau ſembla éclairer la chambre, tant étoit éblouiſſante la blancheur de ſon ſein. Il mania doucement ſes deux globes, mais leur élaſticité repouſſant ſes doigts, il s’y prit d’une maniere plus ſûre, & les empoigna de ſes deux mains ; plaçant entre ſes levres leurs boutons de roſe. Après quelques inſtans de ce joli badinage, il leva tout-à-coup ſes juppes & ſa chemiſe, juſqu’à la ceinture ; ſi bien que reſtant nue, dans la partie la plus intéreſſante, une aimable rougeur couvrit ſon front, & ſes yeux fixés contre terre ſembloient demander quartier, tandis qu’elle avoit un droit inconteſtable à la victoire, par les avantages réels que la nature lui avoit accordés ; en effet, l’aimable Emilie expoſoit à nos yeux les plus rares tréſors de la jeuneſſe & de la beauté ; ſes cuiſſes, qu’elle tenoit cloſes, étoient ſi blanches ! ſi rondes ! ſi admirablement potellées, que rien au monde ne pouvoit engager davantage à l’attouchement ; auſſi le jeune gars profita-t-il de toutes ces beautés, & ôtant doucement la main d’Emilie, que ſa pudeur lui avoit fait porter ſur certain endroit, il ne nous donna qu’une lueur de ſa petite fente, qui alloit ſe perdre entre ſes cuiſſes. Mais on voyoit d’autant mieux le duvet noir qui l’ombrageoit, & dont la beauté étoit encore relevée par la blancheur qui l’entouroit. Le drôle eſſaia alors de mieux expoſer au jour cette partie, en écartant ſes cuiſſes ; mais il n’en put venir à bout. Il la mit donc ſur le pied du lit, & appuyant ſa tête ſur un couſſin, il nous fit voir le centre de l’attraction & tous les charmes qui l’environnoient. La tournant alors, il offrit à nos yeux la plus belle croupe du monde : ſes deux feſſes charnues, blanches & rebondies, reſſembloient à deux monticules de neige, au bas deſquelles on appercevoit une cavité qui terminoit ce point de vue, & qui s’entr’ouvroit tant ſoit peu par l’extenſion de ſes cuiſſes : ce qui nous laiſſa voir l’intérieur incarnat de ſa petite machine. Le galant, qui étoit un gentilhomme d’environ trente ans, & d’une corpulence très-médiocre, choiſit cette ſituation pour exécuter ſon projet. Il la plaça donc à ſon gré, & l’encourageant par des baiſers & des careſſes, il tira ſon engin, qui ſe trouvoit dans une parfaite érection, & dont la longueur extraordinaire étoit d’autant plus étonnante, que cette qualité eſt peu commune aux perſonnes de ſa taille. Ayant choiſi une direction convenable, il enfonça ſon priape juſqu’aux gardes, tenant ſes mains ſerrées autour du corps de la belle, & ſon ventre ſe perdant entre ſes feſſes : ce qui doit avoir donné lieu à une chaleur délectable. Lorſqu’elle ſentit qu’il avoit pénétré auſſi avant qu’il étoit poſſible, levant la tête & tournant un peu le cou, elle nous fit voir ſes belles joues,
teintes d’une écarlate foncée, & ſa bouche, exprimant le ſourire du bonheur, ſur laquelle il appliqua un baiſer de feu. Se retournant alors, elle s’enfonça de nouveau dans ſon couſſin, & reſta dans une ſituation paſſive, auſſi favorable que ſon amant pouvoit la deſirer. Arrivé enfin au moment du bonheur ſuprême, le gars fit ſa décharge, ce qui obligea Emilie, qui, dans cet inſtant, ſupportoit tout le poids de ſon corps, de ſe laiſſer aller ſur la couche, où elle entraîna auſſi ſon amant, & où ils reſterent encore quelque tems, leurs corps ainſi joints enſemble, & dans le plus pur extaſe de la volupté.

Auſſi-tôt qu’Emilie fut libre, nous l’entourâmes, pour la féliciter ſur ſa victoire ; car il eſt à remarquer que quoique toute modeſtie fût bannie de notre ſociété, l’on y obſervoit néanmoins les bonnes manieres & la politeſſe : il n’étoit pas permis, ni de montrer de la hauteur, ni de faire aucuns reproches déſobligeans ſur la condeſcendance des filles pour les caprices des hommes, leſquels ignorent ſouvent le tort qu’ils ſe font, en ne reſpectent pas aſſez les perſonnes qui cherchent à leur plaire.

La compagnie s’approcha enſuite de moi, & mon tour étant venu de me ſoumettre à la diſcrétion de mon galant, & de celle de l’aſſemblée ; le premier m’aborda, & me dit, en me ſaluant avec tendreſſe : “ qu’il eſpéroit que je voudrois bien favoriſer ſes vœux ; mais que ſi les exemples que je venois de voir, n’avoient pas encore diſpoſé mon cœur en ſa faveur, il aimeroit mieux ſe priver de ma poſſeſſion, que d’être en aucune façon l’inſtrument de mon chagrin ”.

Je lui répondis ſans héſiter, ou ſans faire la moindre grimace : “ que ſi même je n’avois pas contracté un engagement formel avec lui, l’exemple d’auſſi aimables compagnes ſuffiroit pour me déterminer ; que la ſeule choſe que je craignois, étoit le déſavantage que j’aurois après la vue des beautés que j’avois admirées : & qu’il pouvoit compter que je le penſois comme je venois de le dire ”. La franchiſe de ma réponſe plut beaucoup ; & mon galant reçut les complimens de félicitation de toute la compagnie.

Madame Cole n’auroit pu me choiſir un cavalier plus eſtimable, que le jeune Seigneur qu’elle m’avoit procuré : car indépendamment de ſa naiſſance & de ſes grands biens, il étoit d’une figure des plus agréables, & de la taille la mieux priſe ; enfin, il étoit ce que les femmes nomment un bel homme.

Il me mena vers l’autel où devoit ſe conſommer notre mariage de conſcience ; & comme je n’avois qu’un petit négligé blanc, je fus bientôt miſe en jupon & en chemiſe, qui d’accord aux vœux de toute la compagnie me furent encore ôtés par mon amant ; il défit de même ma coëffure & dénoua mes cheveux, que j’avois, ſans vanité, fort beaux.

Je reſtai donc devant mes juges dans l’état de pure nature, & je dois, ſans doute, leur avoir offert un ſpectacle aſſez, agréable, n’ayant alors qu’environ dix-huit ans. Mes tetons, ce qui, dans l’état de nudité eſt une choſe eſſentielle, reſtoient fermes & durs, ſans avoir beſoin de l’aide d’un corſet. J’étois d’une taille grande & déliée, ſans être dépourvue d’une chair néceſſaire. Je n’avois point abandonné tellement la pudeur naturelle, que je ne ſouffriſſe une horrible confuſion de me voir dans cet état : mais la bande joyeuſe m’entourant, & me comblant de mille politeſſes & de témoignages d’admiration, ne me donna pas le tems d’y réfléchir beaucoup ; trop orgueilleuſe, d’ailleurs, d’avoir été honorée de l’approbation des connoiſſeurs.


Après que mon galant eut ſatisfait ſa curioſité & celle de la compagnie, en me plaçant de mille manieres différentes, la petiteſſe du réceptacle des amours me faiſant paſſer pour pucelle, mon antagoniſte, animé d’une noble fureur, défit tout-à-coup ſes habits, jetta bas ſa chemiſe & ſa culotte, & reſta nud comme la main, expoſant au grand jour ſon priape décoëffé, dans une érection qui faiſoit juger de la chaleur de ſes deſirs. Je vis alors l’ennemi que j’avois à combattre : il étoit d’une grandeur médiocre, préférable à cette taille giganteſque, qui dénote ordinairement une défaillance prématurée. Collé contre mon ſein, il tâcha de faire entrer ſon idole dans ma chapelle, à quoi je l’aidai en écartant les cuiſſes & en avançant le croupion, autant qu’il me fut poſſible. Enfin, il réuſſit. Alors, fixé ſur ce pivot central, je jettai mes bras autour de ſon cou, & nous fimes trois fois le tour de la couche ſans nous quitter. M’ayant poſée ſur le pied du lit, il commença à jouer ſi furieuſement des reins, que nous atteignîmes bientôt le période délicieux, & que je me ſentis arroſer d’un déluge de perles liquides ; mais comme mon feu n’étoit éteint qu’à demi, je tâchai de parvenir à une ſeconde éjaculation ; mon antagoniſte me ſéconda ſi bien, que nous nous replongeâmes dans une mer de délices. Me rappellant alors les ſcenes dont j’avois été ſpectatrice, & celle que je repréſentois moi-même en ce moment, je ne pus retenir mes irritations, & je fus prête à déſarçonner mon homme, par les mouvemens violens que je me donnai, lors que je me ſentis de nouveau humecter par l’injection balſamique de mon aimable vainqueur. Après être reſté quelque tems dans une langueur délectable, juſqu’à ce que la force du plaiſir fut un peu modérée, mon amant ſe dégagea doucement d’entre mes cuiſſes, non ſans m’avoir témoigné auparavant ſa ſatisfaction, par mille baiſers & mille proteſtations d’un amour éternel.

La compagnie qui, pendant notre ſacrifice, avoit gardé un profond ſilence, m’aida à remettre mes habits, & me complimenta de l’hommage que mes charmes avoient reçu, comme elle le diſoit, par la double décharge que j’avois ſubie dans une ſeule jonction. Mon galant me témoigna ſur-tout ſon contentement, & les filles me féliciterent d’avoir été initiée dans les tendres miſteres de leur ſociété.

C’étoit une loi inviolable, dans cette ſociété, de s’en tenir chacun à la ſienne, ſur-tout la nuit, à moins que ce ne fût du conſentement des parties, afin d’éviter le dégoût & la crapule que ce changement pouvoit cauſer.

Il étoit néceſſaire de ſe rafraîchir ; on prit le thé, le chocolat, méthode nouvelle pour ſe reſtaurer : enſuite la compagnie ſe ſépara à une heure après minuit & deſcendit deux à deux. Madame Cole avoit fait préparer pour mon galant & pour moi, un lit de campagne, où nous paſſames la nuit dans des plaiſirs répétés de mille manieres différentes. Le matin, après que mon cavalier fut parti, je me levai, & comme je m’habillois, je trouvai, dans une de mes poches, une bonne bourſe de guinées, que j’étois occupée à compter, quand Madame Cole entra. Je lui fis part de cette aubaine, & lui offris de la partager entre nous ; mais elle me preſſa de garder le tout, m’aſſurant que ce Seigneur l’avoit payée fort généreuſement. Après quoi elle me rappella les ſcenes de la veille, & me fit connoître qu’elle avoit tout vu, par une cloiſon faite exprès, qu’elle me montra.

A peine Madame Cole eut-elle fini, que la troupe folâtre de filles entra, & renouvella ſes careſſes à mon égard ; j’obſervai avec plaiſir que les fatigues de la nuit précédente n’avoient en aucune façon altéré la fraîcheur de leur teint : ce qui venoit, à ce qu’elles me dirent, des ſoins & des conſeils que notre bonne mere abbeſſe leur donnoit. Elles deſcendirent dans la boutique, tandis que je reſtai dans ma chambre à me dorlotter juſqu’à l’heure du dîner.

Le repas fini, il me prit un léger mal de tête, qui me fit réſoudre à me mettre quelques momens ſur mon lit. M’étant couchée avec mes habits, & ayant goûté environ une heure les douceurs du ſommeil, mon galant vint, & me voyant ſeule, la tête tournée du côté de la muraille, & le derriere hors du lit, il défit incontinent ſa culotte & jetta bas ſes habits, afin de mieux goûter le plaiſir de la jouiſſance ; puis levant mes juppes & ma chemiſe, il mit au jour l’arriere avenue de l’agréable recoin des délices. Se poſant alors doucement entre mes feſſes, il m’inveſtit par derriere ; & comme il appuyoit ſon ventre contre mes cuiſſes, pour faire entrer ſon braquemart, je ſentis ſa chaleur naturelle qui m’éveilla en ſurſaut ; mais ayant vû qui c’étoit, je voulus me tourner vers lui, lorſqu’il me pria de garder la poſture que je tenois, &, levant ma cuiſſe ſupérieure, il introduiſit ſon priape juſqu’à la garde. Après que j’eus reſté quelque tems dans cette poſition, je commençai à m’impatienter, & à jouer des reins, à quoi mon ami m’aida de ſi bon cœur, qu’une décharge liquide des deux côtés calma bientôt nos tranſports amoureux.

Je fus aſſez heureuſe pour conſerver mon amant juſqu’à-ce que des intérêts de famille & une riche héritiére qu’il épouſa en Irlande, l’obligerent à me quitter. Nous avions vécu à-peu-près quatre mois enſemble, pendant leſquels notre petit conclave s’étoit inſenſiblement ſéparé. Néanmoins Madame Cole avoit un ſi
grand nombre de bonnes pratiques, que cette déſertion ne nuiſit en nulle maniere à ſon négoce. Pour me conſoler de mon veuvage, Madame Cole imagina de me faire paſſer pour vierge ; mais je fus deſtinée, comme il le ſemble, à être ma propre pourvoyeuſe ſur ce point.

J’avois paſſé un mois dans l’inaction, aimée de mes compagnes, & chérie de leurs galans, dont j’éludai toujours les pourſuites, lorſque, paſſant un jour, à cinq heures du ſoir, chez une fruitiere dans Covent-garden, j’eus l’aventure ſuivante.

Tandis que je choiſiſſois quelques fruits dont j’avois beſoin, je remarquai que j’étois ſuivie par un jeune gentilhomme habillé très-richement, mais, au reſte, qui n’avoit rien de remarquable, étant d’une figure fort exténuée, & fort pâle de viſage. Après m’avoir contemplée quelque tems, il s’approcha du panier ou j’étois, & fit ſemblant de marchander quelques fruits. Comme j’avois un air modeſte, & que je gardois le decorum le plus honnête, il ne put ſoupçonner la condition dont j’étois. Il me parla enfin, ce qui jetta un rouge apparent de pudeur ſur mes joues, & je répondis ſi ſottement à ſes demandes, qu’il lui fut plus que jamais impoſſible de juger de la vérité ; ce qui fait bien voir qu’il y a une certaine ſorte de prévention dans l’homme, qui, lorſqu’il ne juge que par ſes premieres idées, le mêne ſouvent d’erreur en erreur, ſans que la grande ſageſſe s’en apperçoive. Parmi les queſtions qu’il me fit, il me demanda ſi j’étois mariée ? je répondis que j’étois trop jeune pour y penſer encore. Quant à mon âge, je jugeai ne devoir me donner que dix-ſept ans. Pour ce qui regardoit ma condition, je lui dis que j’avois été à Preſton, dans une boutique de modes, & que préſentement j’exerçois le même métier à Londres. Après qu’il eut ſatisfait avec adreſſe, comme il le penſoit, à ſa curioſité, & qu’il eut appris
mon nom & ma demeure, il me chargea des fruits les plus rares qu’il put trouver, & partit fort content, ſans doute, de cette heureuſe rencontre.

Dès que je fus arrivée à la maiſon, je fis part à Madame Cole de l’aventure que j’avois eue ; d’où elle conclut ſagement, que s’il ne venoit point me trouver, il n’y avoit aucun mal ; mais que s’il paſſoit chez elle, il faudroit examiner ſi l’oiſeau valoit bien les filets.

Notre drôle vint le lendemain matin dans ſa voiture, & fut reçu par Madame Cole, qui s’apperçut bientôt que j’avois fait une trop vive impreſſion ſur ſes ſens, pour craindre de le perdre : car, pour moi, j’affectois de tenir la tête baiſſée, & ſemblois redouter ſa vue. Après qu’il eut donné ſon adreſſe à Madame Cole, & payé fort libéralement ce qu’il venoit d’acheter, il retourna dans ſon carroſſe.

J’appris bientôt que ce Seigneur n’étoit autre choſe que Mr. Norbert, d’une fortune conſidérable, mais d’une conſtitution très-foible, & lequel, après avoir épuiſé toutes les débauches poſſibles, étoit tombé dans les manies des pucellages. Madame Cole conclut de ces prémiſſes, qu’un tel caractere étoit une juſte proie pour elle ; que ce ſeroit un péché mortel de n’en point tirer la quinteſſence ; & qu’une fille comme moi n’étoit que trop bonne pour lui.

Elle fut donc chez lui à l’heure indiquée. Après avoir admiré l’ameublement riche & luxurieux de ſes appartemens, & s’être plainte de l’ingratitude de ſon métier, la converſation tomba inſenſiblement ſur moi. Alors elle fit jouer ſa langue, s’armant de toutes les apparences d’une vertu rigide, louant, ſur-tout, mes charmes & ma modeſtie ; & finit par lui donner l’eſpérance de quelques rendez-vous, qui ne devoient cependant pas, diſoit-elle, tirer à conſéquence.

Comme elle craignoit que de trop grandes difficultés ne le dégoûtaſſent, ou que quelque accident imprévu ne fit éventer notre méche, elle fit ſemblant de ſe laiſſer gagner par ſes promeſſes, ſes bonnes manieres, mais ſur-tout par la ſomme conſidérable que cela lui vaudroit.

Ayant donc mené notre Fréluquet par les différentes gradations des difficultés néceſſaires pour l’enflammer davantage, elle acquieſça enfin à ſa demande, à condition qu’elle ne parût entrer pour rien dans l’affaire qu’on tramoit contre moi. Mr. Norbert étoit naturellement aſſez clair-voyant, & connoiſſoit parfaitement les intrigues de la ville ; mais ſa paſſion, qui l’aveugloit, nous aida à le tromper. Tout étant au point déſiré, Madame Cole lui demanda trois cent guinées pour ma part, & cent pour récompenſer ſes peines & les ſcrupules de conſcience qu’elle avoit dû vaincre avec bien de la répugnance. Cette ſomme devoit être comptée claire & nette à la réception qu’il feroit de ma perſonne, qui lui avoit paru plus modeſte & plus charmante encore pendant quelques momens que nous nous vîmes chez notre ambaſſadrice, que lorſque nous parlâmes chez la fruitiere ; du moins l’aſſuroit-il ainſi.

Lorſque tous les articles de notre traité furent pleinement conclus & ratifiés, & que la ſomme eut été payée, il ne reſta plus qu’à livrer ma perſonne à ſa diſpoſition. Mais Madame Cole fit difficulté de me laiſſer ſortir de la maiſon, & prétendit que la ſcéne ſe paſſât chez nous, quoiqu’elle n’auroit point voulu, pour tout au monde, comme elle le diſoit, que ſes gens en ſçuſſent quelque choſe — ſa bonne renommée ſeroit perdue pour jamais, & ſa maiſon diffamée —.

La nuit fixée, avec tout le reſpect dû à l’impatience de notre héros, Madame Cole ne négligea ni ſoin ni conſeil pour que je me tirâſſe avec honneur de ce pas, & que ma prétendue virginité ne tombât point à faux. La nature m’avoit formé cette partie ſi étroite, que je pouvois me paſſer de ces remedes vulgaires, dont l’impoſture ſe découvre ſi aiſément par un bain chaud ; & notre abbeſſe m’avoit encore fourni pour le beſoin, un ſpécifique, qu’elle avoit toujours trouvé infaillible.

Toutes choſes préparées, Mr. Norbert entra dans ma chambre à onze heures de la nuit, avec tout le ſecret & tout le miſtere néceſſaires. J’étois couchée ſur le lit de Madame Cole, dans un déshabillé des plus galans, & avec toute la crainte que mon rôle devoit m’inſpirer : ce qui me remplit d’une confuſion ſi grande, qu’elle n’aida pas peu à tromper mon galant. Je dis galant, car je crois que le mot de dupe eſt trop cruel envers l’homme, dont la foibleſſe fait ſouvent notre unique gloire.

Auſſi-tôt que Madame Cole, après les ſingeries que cette ſcéne demandoit, eut quitté la chambre, qui étoit bien éclairée à la requiſition de Mr. Norbert, il vint ſautiller vers le lit, où je m’étois cachée ſous les draps, & où je me défendis quelque tems avant qu’il pût parvenir à me, donner un baiſer ; tant il eſt vrai qu’une fauſſe vertu eſt plus capable de réſiſtance, qu’une modeſtie réelle ; mais ce fut bien pis, lorſqu’il voulut en venir à mes tetons ; car j’employai pieds & poings pour le repouſſer ; ſi bien que fatigué du combat, il défit ſes habits & ſe mit à mes côtés.

Au premier coup d’œil que je jettai ſur ſa perſonne, je m’apperçus bientôt qu’il n’étoit point de la figure ni de la vigueur que l’enlévement des pucellages exige ; & que ſa machine mollaſſe avoit plutôt l’air d’un invalide étique, que d’un volontaire capable d’un ſervice auſſi vigoureux.

Quoiqu’il eût à peine trente ans, il étaloit cependant déja ſa précoce vieilleſſe, & ſe voyoit réduit à des provocatifs que la nature ſécondoit très-peu. Son corps étoit uſé par les excès répétés du plaiſir charnel, excès qui avoient imprimé ſur ſon front les marques du tems, & qui ne lui laiſſoient au printems de l’âge, que le feu & l’imagination de la jeuneſſe, ce qui le rendoit malheureux, & le précipitoit vers une mort prématurée.

Lorſqu’il fut au lit, il jetta bas les couvertures, & je reſtai expoſée à ſa vue. Ma chemiſe lui cachant mon ſein & l’antre ſecret des voluptés, il me la paſſa deſſus la tête, mais en uſa du reſte, avec toute la tendreſſe & tous les égards poſſibles ; tandis que de mon côté je ne lui montrai que de la crainte & de la retenue : affectant toute l’appréhenſion, & tout l’étonnement qu’on peut ſuppoſer à une fille parfaitement innocente, & qui ſe trouve pour la premiere fois au lit avec un homme nud. Vingt fois je repouſſai ſes mains de mes tetons, qu’il trouva auſſi fermes & auſſi polis qu’il pouvoit le déſirer : mais lorſqu’il ſe jetta ſur moi, & qu’il voulut introduire ſon doigt dans ma fente, pour commencer l’ouverture, je me plaignis amérement de ſa façon d’agir. “ J’étois perdue. — j’avois ignoré ce que j’avois fait. — Je me leverois, je crierois au ſecours ”. — Au même moment je ſerrai tellement les cuiſſes, qu’il lui fut impoſſible de les ſéparer. Trouvant ainſi mes avantages, & maîtreſſe de ſa paſſion comme de la mienne, je le menai par gradations où je voulus : tandis que ſa machine, qui étoit d’une figure fort meſquine, s’enfla & ſe roidit joliment par l’attouchement de mon duvet. Voyant enfin qu’il ne pouvoit vaincre ma réſiſtance, il commença par m’argumenter ; à quoi je repondis avec un ton de modeſtie, „ que j’avois peur qu’il ne me tuât ; — que je ne voulois pas cela ; — que de mes jours je n’avois été traitée de la ſorte ; — que je m’étonnois de ce qu’il ne rougiſſoit pas pour lui & pour moi — ”. C’eſt ainſi que je l’amuſai quelques momens ; mais, peu à peu, je ſéparai enfin mes cuiſſes au point, qu’il pouvoit toucher ma fente avec le bout de ſon mince priape ; cependant comme il ſe fatiguoit vainement pour le faire entrer, je donnai un coup de reins, qui l’engloutit, & je jetai en même tems un cri, diſant qu’il m’avoit percée juſqu’au cœur ; ſi bien qu’il ſe trouva deſarçonné par le contre-coup qu’il avoit reçu de ma douleur ſimulée. Touché du mal qu’il crut m’avoir fait, il tâcha de me calmer par de bonnes paroles, & me pria d’avoir patience. Etant donc remonté en ſelle, & ayant écarté mes cuiſſes, il recommença ſes manœuvres ; mais il n’eut pas plutôt percé l’orifice, que mes feintes douleurs eurent de nouveau lieu. — „ Il m’avoit bleſſée ; — Il me tuoit ; — J’en devois mourir — ”. Telles étoient mes fréquentes interjections. Mais après pluſieurs tentatives réitérées, qui ne l’avançoient en rien, le plaiſir gagna tellement le deſſus chez lui, qu’il fit un dernier eſſort, qui donna aſſez d’entrée à ſa machine pour que je ſentiſſe à l’orifice la chaude injection qu’il venoit de faire, & que j’eus la cruauté de ne pas lui laiſſer achever en cet endroit, le jettant de nouveau bas, non ſans pouſſer un grand cri, comme ſi j’étois tranſportée par le mal qu’il me cauſoit. C’eſt de la ſorte que je lui procurai un plaiſir qu’il n’auroit certainement pas goûté ſi j’avois été pucelle. Calmé par cette premiere décharge, il m’encouragea à ſoutenir une ſeconde attaque, & tâcha, pour cet effet, de raſſembler toutes ſes forces, en examinant avec ſoin, & en maniant toutes les parties de mon corps, qui pouvoient l’exciter. Sa ſatisfaction fut complette, ſes baiſers & ſes careſſes me l’annoncerent. Sa vigueur ne revint néanmoins pas ſi-tôt, & je ne le ſentis qu’une fois frapper au but, encore ſi foiblement, que quand je l’aurois ouvert de mes doigts, il n’y ſeroit pas entré ; mais il me crut ſi peu inſtruite des choſes, qu’il n’en eut aucune honte. Je le tins le reſte de la nuit ſi bien en haleine, qu’il étoit déja jour lorſqu’il fit ſa ſeconde ſalve, à moitié chemin ; tandis que je criois toujours qu’il m’écorchoit & que ſa vigueur m’étoit inſupportable. Haraſſé & fatigué, mon drôle me donna un baiſer, me recommanda le repos, & s’endormit profondément. Alors je ſuivis le conſeil de la bonne Madame Cole, & donnai aux draps les prétendus ſignes de ma virginité.

Dans chaque pillier du lit, il y avoit un petit tiroir, ſi artificiellement conſtruit, qu’il étoit impoſſible de le diſcerner, & qui s’ouvroit par un reſſort caché. C’étoit-là que ſe trouvoient des fioles remplies d’un ſang liquide, & des éponges, qui, preſſées entre les cuiſſes, fourniſſoient plus de matiere qu’il n’en falloit pour ſauver l’honneur d’une fille. J’uſai donc avec dextérité de ce remede, & fus aſſez heureuſe pour n’être pas ſurpriſe dans mon opération ; ce qui, certainement m’auroit couverte de honte & de confuſion.

Etant à l’aiſe & hors de tout ſoupçon de ce côté-là, je tâchai de m’endormir, mais il me fut impoſſible d’y parvenir. Mon cavalier s’éveilla une demi heure après, & ne reſpectant pas long-tems le ſommeil que j’affectois, il voulut me préparer à l’entiere conſommation de notre affaire. Je lui répondis en ſoupirant, „ que je n’en pouvois plus ; — que j’étois certaine qu’il m’avoit bleſſée & fendue ; — qu’il étoit ſi méchant ! ” — En même tems je me découvris, & lui montrant le champ de bataille, il vit les draps, mes cuiſſes & ma chemiſe teints de la prétendue marque de ma virginité ravie ; il en fut tranſporté à un point, que rien ne pouvoit égaler ſa joie. L’illuſion étoit complette : il ne put ſe former d’autre idée que celle d’avoir triomphé le premier de ma perſonne. Me baiſant donc avec tranſport, il me demanda pardon de la douleur qu’il m’avoit cauſée ; me diſant que le pire étant paſſé, je n’aurois plus que des voluptés à goûter. Peu à peu je le ſouffris, & j’écartai inſenſiblement les cuiſſes, ce qui lui donna l’aiſance de pénétrer plus avant. De nouvelles contorſions furent miſes en jeu ; & je ménageai ſi bien l’introduction, qu’elle ne ſe fit que pouce à pouce. Enfin, par un coup de reins à propos, je fis entrer ſa foible machine juſqu’à la garde ; & donnant, comme il le diſoit, le coup de grace à ma virginité, je pouſſai un ſoupir douloureux ; tandis que lui, triomphant comme un coq qui bat de l’aîle, pourſuivit paiſiblement ſes frictions, juſqu’au moment de l’éjaculation, dont je ſentis à peine les effets, que j’affectai d’être plongée dans une langoureuſe ivreſſe, & que je me plaignis de ne plus être fille.

Vous me demanderez, peut-être, ſi je goûtai quelque plaiſir ? Je vous aſſure que ce fut peu ou point ; ſi ce n’eſt dans les derniers momens, où j’étois échauffée par une paſſion méchanique, que m’avoit cauſée ma longue réſiſtance ; car au commencement j’eus de l’averſion pour ſa perſonne, & ne conſentis à ſes embraſſemens que dans la vue du gain qui y étoit attaché ; ce qui ne laiſſoit pas de me faire de la peine & de m’humilier, me voyant obligée à de telles charlataneries qui n’étoient point de mon goût.

A la fin je fis ſemblant de me calmer un peu par les careſſes continuelles qu’il me prodiguoit, & je lui reprochai alors ſa cruauté, dans des termes qui flattoient ſon orgueil, diſant, qu’il m’étoit impoſſible de ſouffrir une nouvelle attaque ; qu’il m’avoit accablée de douleur & de plaiſir. Il m’accorda donc généreuſement une ſuſpenſion d’armes ; & comme la matinée étoit fort avancée, il demanda Madame Cole, à qui il fit connoître ſon triomphe, & conta les proueſſes de la nuit, ajoutant qu’elle en verroit les marques ſanglantes ſur les draps du lit, où le combat s’étoit donné.

Vous pouvez aiſément vous imaginer les ſingeries qu’une femme de la trempe de notre vénérable abbeſſe, mit en jeu dans ce moment. Ses exclamations de honte, de regret, de compaſſion, ne finirent point ; elle me félicitoit ſur-tout de ce que l’affaire ſe fût paſſée ſi heureuſement ; & c’eſt en quoi je m’imagine qu’elle fût bien ſincere. Alors elle fit auſſi comprendre, que comme ma premiere peur de me trouver ſeule avec un homme, étoit paſſée, il valoit mieux que j’allaſſe chez notre ami, pour ne point cauſer de ſcandale à ſa maiſon ; mais ce n’étoit réellement que parce qu’elle craignoit que notre train de vie ordinaire ne ſe découvrît aux yeux de Mr. Norbert, qui acquieſça volontiers à cette propoſition, puiſqu’elle lui procuroit plus d’aiſance & de liberté ſur moi.

Me laiſſant alors à moi-même pour goûter un repos dont j’avois beſoin, Mr. Norbert ſortit de la maiſon ſans être apperçu. Après que je me fus éveillée, Madame Cole vint me louer de ma bonne maniere d’agir, & refuſa généreuſement la part que je lui offris de mes trois cens guinées, qui jointes à ce que j’avois déja épargné, ne laiſſoient pas que de me faire une petite fortune honnête.

J’étois donc de nouveau ſur le ton d’une fille entretenue, & j’allois ponctuellement voir Mr. Norbert dans ſa chambre, toutes les fois qu’il me le faiſoit dire par ſon laquais, que nous eûmes toujours ſoin de prévenir à la porte, pour qu’il ne vît jamais ce qui pouvoit ſe paſſer dans l’intérieur de la maiſon.

Si j’oſe juger de ma propre expérience, il n’y a point de filles mieux payées, ni mieux traitées que celles qui ſont entretenues par de vieux paillards, ou par de jeunes énervés, qui ſont le moins en état d’uſer du ſexe : aſſurés qu’une femme doit être ſatisfaite d’un côté ou de l’autre, ils ont mille petits ſoins, & n’épargnent ni careſſes, ni préſens pour remédier autant qu’il eſt poſſible au point capital. Mais le malheur de ces bonnes gens eſt, qu’après avoir eſſayé les attouchemens laſcifs, les poſtures & les mouvemens lubriques, pour ſe mettre en train, ſans pouvoir accomplir l’affaire, ils ont tellement échauffé l’objet de leur paſſion, qu’il ſe voit obligé de chercher dans des bras plus vigoureux, un remede ſatisfaiſant au feu qu’ils ont allumé dans ſes veines ; & de planter, ſur ces chefs uſés, un ornement dont ils ſont fort peu curieux : car, quoique l’on en diſe, nous avons en nous une paſſion contrariante, qui ne nous permet pas de nous contenter de paroles, & de prendre la volonté pour le fait.

Mr. Norbert ſe trouvoit dans ce cas malheureux ; car quoiqu’il cherchât tous les moyens de réuſſir, il ne pouvoit cependant parvenir à ſon but, ſans avoir épuiſé toutes les préparations néceſſaires, qui m’étoient auſſi déſagréables qu’enflammatoires. Quelquefois il me plaçoit ſur un tapis près du feu, où il me contemploit des heures entieres, & me faiſoit tenir toutes les poſtures imaginables. D’autres fois même ſes attouchemens étoient ſi laſcifs & ſi luxurieux, que leurs titillations me rempliſſoient ſouvent d’une rage, qu’il ne pouvoit jamais calmer ; car, quand même ſa pauvre machine avoit atteint une certaine érection, elle s’anéantiſſoit d’abord par une effuſion avortive, qui ne faiſoit qu’accroître mon tourment ; ou qui, lorſque par bonheur, elle s’étoit gliſſée dans ma fente, ne répandoit que quelques tiédes goutes d’une liqueur inſuffiſante pour éteindre la flamme qui me dévoroit.

Un ſoir (je ne puis m’empêcher de le rappeller à ma mémoire) un ſoir que je retournois de chez lui, remplie du deſir de la chair, je rencontrai en tournant la rue, un jeune matelot. J’étois miſe de maniere à ne point être accrochée par des gens de ſa ſorte ; il me parla néanmoins, & me jettant la main autour du col, il me baiſa avec tranſport. Je fus fâchée au commencement de ſa façon d’agir ; mais l’ayant regardé, & voyant qu’il étoit d’une figure qui promettoit quelque vigueur, d’ailleurs bien fait & fort proprement mis, je finis par lui demander avec douceur ce qu’il vouloit ? Il me répondit franchement, qu’il vouloit me régaler d’un verre de vin. Il eſt certain, que ſi j’avois été dans une ſituation plus tranquille, je l’aurois refuſé avec hauteur : mais la chair parloit, & la curioſité d’éprouver ſa force, & de me voir traitée comme une coureuſe de rue, me fit réſoudre à le ſuivre. Il me prit donc ſous le bras & me conduiſit familiérement dans la premiere Taverne, où l’on nous donna une petite chambre avec un bon feu. Là, ſans attendre qu’on nous eut apporté le vin, il défit mon mouchoir, & mit à l’air mes tetons qu’il baiſa & mania avec ardeur ; puis, ne trouvant que trois vieilles chaiſes, qui ne pouvoient ſupporter les chocs du combat, il me planta contre le mur, & levant mes juppes, me fit voir ſon ſuperbe brandon, qu’il approcha de mon deſſous, & qu’il fit agir avec toute l’impétuoſité qu’un long jeûne de mer pouvoit lui fournir. Après m’avoir donné une décharge des plus copieuſes, qui m’inonda ; changeant d’attitude & me couchant ſur la table, il me fit de nouveau ſentir la roideur de ſon engin, qui me perça juſqu’au cœur, & qui me lança bientôt une ſeconde éjaculation, non moins grande que la premiere ; ce qui, joint à ce que je venois de répandre, cauſa un déluge de liqueur balſamique, qui s’écoula le long de mes cuiſſes.

Après que tout ſe fut paſſé, & que je fus devenue un peu calme, je commençai à craindre les ſuites funeſtes que cette connoiſſance pouvoit me coûter, & je tâchai en conſéquence de me retirer le plutôt poſſible. Mais mon inconnu n’en jugea pas ainſi : il me propoſa d’un air ſi déterminé de ſouper avec lui, que je ne ſçus comment me tirer de ſes mains. Je tins pourtant bonne contenance, & promis de revenir dès que j’aurois fait une commiſſion preſſante chez moi. Le bon matelot qui me prenoit pour une fille publique, me crut ſur ma parole, & m’attendit ſans doute au ſouper qu’il avoit commandé pour nous deux.

Lorſque j’eus conté mon aventure à Madame Cole, elle me gronda de mon indiſcrétion, & me remontra le ſouvenir douloureux qu’elle pourroit me valoir ; me conſeillant de ne pas ouvrir ainſi les cuiſſes au premier venu. Je goûtai fort ſa morale, & fus même inquiéte pendant quelques jours ſur ma ſanté. Heureuſement mes craintes ſe trouverent mal-fondées, mon cher marin ne m’ayant laiſſé aucune trace d’infection maligne ; c’eſt pourquoi je repare ici le tort que j’avois fait à ſa mémoire.

J’avois vécu quatre mois avec Mr. Norbert, paſſant mes jours dans des plaiſirs variés chez Madame Cole, & dans des ſoins aſſidus pour mon entrepreneur, qui me payoit graſſement les complaiſances que j’avois pour lui ; & qui fut ſi ſatisfait de moi, qu’il ne voulut jamais chercher d’autre amuſement. J’avois ſçu lui inſpirer une telle œconomie dans ſes plaiſirs, & modérer ſes paſſions, de façon qu’il commençoit à devenir plus délicat dans la jouiſſance, & à reprendre une vigueur & une ſanté qu’il ſembloit avoir perdu pour jamais : ce qui lui avoit rempli le cœur d’une ſi vive reconnoiſſance, qu’il étoit prêt de faire ma fortune, lorſque le ſort écarta le bonheur qui m’attendoit.

La ſœur de Mr. Norbert, pour laquelle il avoit une grande affection, le pria de l’accompagner à Bath, où elle comptoit paſſer quelque tems pour ſa ſanté. Il ne put refuſer cette faveur, & prit congé de moi, le cœur fort gros de me quitter, en me donnant une bourſe conſidérable, quoiqu’il crût ne reſter que huit jours hors de Ville. Mais le bon homme me quitta pour jamais, & fit un voyage dont perſonne ne revient. Ayant fait une débauche de vin avec quelques-uns de ſes amis, il but ſi copieuſement qu’il en mourut au bout de quatre jours. J’éprouvai donc de nouveau les révolutions qui ſont attachées à la condition de fille de joie ; & je retournai, en quelque maniere, dans le ſein de la communauté de Madame Cole.

Je reſtai vacante quelque tems, & me contentai d’être la confidente de ma chere Henriette, qui me contoit les plaiſirs ſuivis qu’elle goûtoit avec ſon petit Baron, qui l’aimoit conſtamment ; lorſqu’un jour Madame Cole me dit, qu’elle attendoit dans peu, en Ville, un de ſes anciens chalands, nommé Mr. Barville ; & qu’elle craignoit ne pouvoir lui procurer une compagne convenable, parce que ce Seigneur avoit contracté un goût fort biſarre, qui conſiſtoit à ſe faire fouetter, & à fouetter les autres juſqu’au ſang : ce qui faiſoit qu’il y avoit très-peu de filles qui voulûſſent ſoumettre leur poſtérieur à des fantaiſies, & acheter, aux dépends de leur peau, les préſens conſidérables qu’il faiſoit. Mais le plus étrange de l’affaire, c’eſt que ce gentilhomme étoit jeune : car paſſe encore pour ces vieux pécheurs, qui ne peuvent ſe mettre en train que par les dures titillations que ce manege excite.

Quoique je n’euſſe en aucune façon beſoin de gagner à tel prix de quoi ſubſiſter, & que ce procédé me parût auſſi déplacé que vilain dans ce jeune homme. je conſentis, & propoſai même de me ſoumettre à l’expérience, ſoit par caprice, ſoit par une vaine oſtentation de courage. Madame Cole, ſurpriſe de ma réſolution, accepta avec plaiſir une propoſition, qui la délivroit de la peine de chercher ailleurs.

Le jour fixé, notre flagellant vint, & je lui fus préſentée par Madame Cole, dans un déshabillé fort galant, & convenable à la ſcène que j’allois jouer.

Dès que Mr. Barville m’eût vue, il me ſalua avec reſpect & étonnement ; & demanda à mon introductrice, ſi une créature auſſi belle & auſſi délicate que moi, voudroit bien ſe ſoumettre aux rigueurs & aux ſouffrances qu’il étoit accoutumé d’exercer. Elle lui répondit ce qu’il falloit, & liſant dans ſes yeux qu’elle ne pouvoit ſe retirer aſſez tôt, elle ſortit, après lui avoir recommandé d’en uſer modérément avec une jeune novice.

Tandis que Mr. Barville m’examinoit, je parcourus avec curioſité la figure d’un homme, qui, au printems de l’âge, s’amuſoit d’un exercice qu’on ne connoît que dans les écoles.

C’étoit un fort beau garçon, très-bien découplé & d’un embonpoint qui faiſoit plaiſir à voir. Il avoit vingt-trois ans, quoiqu’on ne lui en eût donné que vingt, à cauſe de la blancheur de ſa peau & de l’incarnat de ſon teint, qui joints à ſa rotondité, l’auroient fait prendre pour un Bacchus, ſi un air d’auſtérité ou de rudeſſe, ne ſe fut oppoſé à la parfaite reſſemblance. Son habillement étoit propre, mais fort au-deſſous de ſa fortune : ce qui venoit plutôt d’un goût bizarre, que d’une ſordide avarice.

Dès que Madame Cole fut ſortie, il ſe plaça près de moi, & ſon viſage commença à ſe dérider. J’appris par la ſuite, lorſque je connus mieux ſon caractere, qu’il étoit réduit par ſa conſtitution naturelle, à ne pouvoir goûter les plaiſirs de l’amour, avant que de s’être préparé par la voie extraordinaire de la flagellation.

Après m’avoir diſpoſée à la conſtance par des apologies & des promeſſes, il ſe leva & ſe mit près du feu, tandis que j’allai prendre dans une armoire voiſine les inſtrumens de diſcipline, compoſés de petites verges de bouleau liées enſemble, qu’il mania avec autant de plaiſir, qu’elles me cauſoient de terreur.

Il approcha alors un banc deſtiné pour la cérémonie, ôta ſes habits, & me pria de déboutonner ſa culotte & de rouler ſa chemiſe par deſſus ſes hanches ; ce que je fis en jettant un regard ſur l’inſtrument pour lequel cette préparation ſe faiſoit. Je vis le pauvre diable qui s’étoit, pour ainſi dire, retiré dans ſon ventre ; montrant à peine le bout de ſa tête, au travers du poil où il ſe perdoit : tel que vous aurez vu au printems un roitelet qui éléve le bec hors de l’herbe.

Il s’arrêta ici pour défaire ſes jarretieres, qu’il me donna, afin que je le liâſſe par les jambes ſur le banc : circonſtance qui n’étoit néceſſaire, comme je le ſuppoſe, que pour augmenter la farce qu’il s’étoit preſcrite. Je le plaçai alors ſur ſon ventre, le long du banc, je lui liai pieds & poings, & j’abattis ſa culotte juſques ſur ſes talons : ce qui expoſa à ma vue deux feſſes charnues & fort blanches, qui ſe terminoient inſenſiblement vers les hanches.

Prenant alors les verges, je me mis à côté de mon patient, & lui donnai, ſuivant ſes ordres, dix coups appliqués de toute la force que mon bras put fournir : ce qui ne fit non plus d’effet ſur lui, que la piqûure d’une mouche n’en fait ſur les écailles d’une écreviſſe. Je vis avec étonnement ſa dureté, car les verges avoient déchiré ſa peau, dont le ſang étoit prêt à couler ; & je retirai pluſieurs eſquilles de bois ſans qu’il ſe plaignît du mal qu’il devoit ſouffrir.

Je fus tellement émue à cet aſpect pitoyable, que je me répentois déja de mon entrepriſe, & que je me ſerois volontiers diſpenſée de faire le reſte : mais il me pria de continuer mon office, ce que je fis juſqu’à-ce que le voyant ſe frotter contre le banc, d’une maniere qui ne dénotoit aucune douleur ; curieuſe de ſavoir ce qui en étoit, je gliſſai doucement la main ſous une de ſes cuiſſes, & trouvai les choſes bien changées à mon grand étonnement ; cette machine que je croyois impalpable, ayant pris une conſiſtance ſi ſurprenante, que ſa tête auroit ſuffi ſeule pour remplir l’intérieur de ma coquille ; & lorſqu’en s’agitant de côté & d’autre, il l’eut fait paroître à mes yeux, j’en fus effrayée, car elle étoit courte, & d’une groſſeur qui répondoit à l’embonpoint du maître ; mais dès qu’il ſentit ma main, il me pria de continuer vivement ma correction, ſi je voulois qu’il atteignît le dernier période du plaiſir.

Reprenant donc les verges, je commençai d’en jouer de plus belle, quand, après quelques violentes émotions, & deux ou trois ſoupirs, je vis qu’il reſta ſans mouvement. Il me pria alors de le délier, ce que je fis au plus vîte, ſurpriſe de la force paſſive dont il venoit de jouir, & de la maniere cruelle qu’il ſe la procuroit ; car lorſqu’il ſe leva, à peine pouvoit-il marcher, tant j’y avois été de bon cœur.

J’apperçus alors ſur le banc les marques de la copieuſe effuſion qu’il venoit de répandre, & je vis ſon vilain membre qui s’étoit déja de nouveau caché dans ſon poil, comme s’il avoit été honteux de montrer ſa groſſe tête : ne voulant ceder qu’aux coups réiterés ſur ſes deux voiſines poſtérieures, qui ſouffroient ſeules du caprice de ce priape entêté.

Mon gaillard ayant repris ſes habits ſe plaça doucement près de moi, avec une feſſe ſur le couſſin, qui étoit encore trop dur pour ſon derriere en marmelade.

Il me remercia alors beaucoup du plaiſir que je venois de lui donner ; & voyant quelques marques de terreur ſur mon viſage, il me dit, que ſi je craignois de me ſoumettre à ſa diſcipline, il ſe paſſeroit de cette ſatisfaction ; mais que ſi j’étois aſſez complaiſante pour cela, il ne manqueroit pas de conſiderer la différence du ſexe, & la délicateſſe de ma peau. Encouragée, ou plutôt piquée d’honneur de tenir la promeſſe que j’avois faite à Madame Cole, qui, comme je ne l’ignorois point, voyoit tout par le trou pratiqué pour cet effet, je ne pus me défendre de ſubir la fuſtigation.

J’acceptai donc ſa demande, avec un courage qui partoit de mon imagination plutôt que de mon cœur : je le pria même de ne point tarder, craignant que la réflexion ne me fit changer d’idée.

Il n’eut qu’à défaire mes juppes & lever ma chemiſe juſqu’au nombril, ce qu’il fit : lorſqu’il vit mon poſtérieur à nud, il le contempla avec joie : puis me coucha ſur le banc, poſant ma tête ſur le couſſin. J’attendois qu’il me liât, & j’étendois même déja en tremblant les mains pour cet effet ; il me dit qu’il ne vouloit pas pouffer ma conſtance juſqu’à ce point, mais me laiſſer libre de me lever quand le jeu me déplairoit.

Tout mon derriere nud étoit pleinement à ſa diſpoſition : il ſe plaça au commencement à une petite diſtance de ma perſonne, & ſe délecta à parcourir les plus ſecrets recoins de la partie que je lui avois abandonnée ; puis ſautant vers moi, il la couvrit de mille tendres baiſers, & prenant alors les verges, il commença à badiner légérement ſur ces deux maſſes tremblantes ; mais bientôt redoublant peu à peu ſes coups, mes pauvres feſſes ſanglantes s’ouvrirent en mille plaies. Alors s’élançant ſur elles il les baiſa en les ſuçant, ce qui ſoulagea un peu ma douleur. Il me fit poſer enſuite ſur mes genoux, les cuiſſes écartées, ce qui mit au jour le centre des plaiſirs, ſur lequel le barbare dirigea ſes coups, qui me faiſoient faire mille contorſions variées, dont la vue le raviſſoit.

Il jetta alors ſes verges, mania mes groſſes levres, ſur leſquelles il appliqua les ſiennes ; puis les ouvrit, les branla, ſe joua dans la mouſſe qui les couvre, & reprit enfin ſa férule, dont il recommença à me fuſtiger ſur nouveaux fraix. Je ſupportai tout & ne donnai aucune marque de mécontentement : bien réſolue néanmoins de ne plus m’expoſer à des caprices auſſi étranges.

Vous pouvez bien penſer dans quel pitoyable état mon pauvre poſte-face fut réduit : écorché, gonflé & ſanglant, ſans que je ſentiſſe la moindre idée de volupté ; quoique l’auteur de mes peines me fit mille complimens & mille careſſes.

Dès que j’eus repris mes habits, Madame Cole apporta elle-même un ſouper qui auroit ſatisfait la ſenſualité d’un Cardinal, ſans compter les vins délicieux qui l’accompagnerent. Après nous avoir ſervi, notre diſcrete abbeſſe ſortit ſans dire un mot ni ſans avoir ſouri : précaution néceſſaire pour ne point me remplir d’une confuſion, qui auroit nui à la bonne chere.

Je me mis à côté de mon boucher, car il me fut impoſſible de regarder d’un autre œil un homme qui venoit de me traiter ſi rudement, & mangeai quelque tems en ſilence, fort piquée des ſourires qu’il me lançoit de tems en tems. ?

Mais à peine le ſouper fut-il fini, que je me ſentis poſſédée d’une ſi terrible démangeaiſon, & de titillations ſi fortes, qu’il me fut pour ainſi dire impoſſible de me contenir : la douleur des coups de verges s’étoit changée en un feu qui me dévoroit & qui me faiſoit ſerrer & frotter les cuiſſes, ſans pouvoir diſſiper l’ardeur de certain endroit où s’étoient concentrés, je crois, tous les eſprits vitaux de mon corps.

Mon compagnon, qui liſoit dans mes yeux la criſe où j’étois, & qui n’ignoroit pas les ſuites de la flagellation, eut pitié de moi. Il tira la table, déboutonna ſa culotte, & tâcha de provoquer ſon cruel priape ; mais le vilain inſtrument ne voulut pas céder à nos inſtances : il fallut donc en venir aux verges, dont j’uſai de bon cœur, & dont je vis bientôt les effets, par la croiſſance de l’allumelle de mon homme, qui, profitant du moment heureux, me plaça ſur le banc, & commença à jouer au trou-madame. Mes pauvres feſſes ne pouvant ſouffrir la dureté du banc, ſur lequel Mr. Barville me clouoit, je dus me lever, pour me placer la tête ſur une chaiſe & le cul en l’air : cette poſture nouvelle fut encore infructueuſe, car je ne pus ſupporter l’attouchement vigoureux de ſon ventre contre la partie meurtrie. Le plaiſir eſt inventif : il me prit tout d’un coup, me mit nue comme la main, plaça un couſſin près du feu, & me tournant ſans-deſſus-deſſous, il entrelaça mes jambes autour de ſon cou ; ſi bien que je ne touchois à la terre que par la tête & les mains. Quoique cette poſture ne fût point du tout agréable, notre imagination étoit ſi échauffée, & il y alloit de ſi bon cœur, que la groſſe tête de ſa machine fut bientôt placée dans mon endroit ; ce qui me fit oublier ma douleur & ma poſition forcée. Après quelques mouvemens de part & d’autre, je ſentis enfler ſon priape, & goûtai à longs traits les flots de l’injection qu’il me lançoit : de mon côté je rencontrai ſi juſte l’inſtant de cette décharge, que je répandis à point nommé le nectar de la nature ; ce qui me remplit de telle ſorte l’orifice, que cette précieuſe liqueur en ſortit à gros bouillons, & vint me couler le long du ſein.

J’avois donc achevé cette ſcène plus agréablement que je n’aurois oſé l’eſpérer, & je fus ſur-tout fort contente des louanges que Mr. Barville donna à ma conſtance, & du préſent magnifique qu’il me fit ; ſans compter la généreuſe récompenſe que Madame Cole en obtint.

Je ne fus cependant pas tentée de recommencer de ſitôt cette manipulation magiſtrale, qui avoit fait ſur mes pauvres feſſes, tout l’effet des mouches cantharides : ayant plutôt beſoin d’une bride pour retenir mon tempérament, que d’un épéron pour lui donner plus de feu.

Madame Cole, à qui cette aventure m’avoit rendue plus chere que jamais, redoubla d’attention à mon égard, & ſe fit un plaiſir de me procurer bientôt une bonne pratique.

C’étoit un ſeigneur d’un certain âge, & fort grave, dont le plaiſir conſiſtoit à peigner de belles treſſes de cheveux. Comme j’avois une tête bien garnie de ce côté-là, il venoit régulierement tous les matins à ma toilette, pour ſatisfaire ſon goût. Il paſſoit ſouvent plus d’une heure à cet exercice, ſans ſe permettre jamais d’autres droits ſur ma perſonne ; ce qui dura juſqu’à-ce qu’un rhûme m’enleva ce vieux & inſipide fou.

Je vécus depuis dans la retraite, & je m’étois toujours ſi bien ſû tirer d’affaire, que ma ſanté, ni mon teint, n’avoient encore ſouffert aucune altération. Louiſe & Emilie n’en uſoient pas ſi modérément ; & quoiqu’elles ne fuſſent point des abandonnées, elles pouſſoient néanmoins ſouvent la débauche à un excès qui prouve que quand une fille s’eſt une fois écartée de la modeſtie, il n’y a point de licence où elle ne ſe plonge alors volontairement. Avant de continuer le fil de mon hiſtoire, je crois devoir rapporter ici deux aventures, dans leſquelles je fus mêlée, & qui ſerviront à faire connoître mes deux compagnes.

Un matin que Madame Cole & nos autres Nymphes étoient ſorties, nous fimes entrer dans la boutique un gueux qui vendoit des bouquets. Le pauvre garçon étoit inſenſé & ſi bégue, qu’à peine pouvoit-on l’entendre. On l’appelloit dans le quartier Dick le bon, parce qu’il n’avoit pas l’eſprit d’être méchant, & que les voiſins, abuſant de ſa ſimplicité, en faiſoient ce qu’ils vouloient. Au reſte, il étoit bien fait de ſa perſonne, jeune, robuſte & d’une figure aſſez revenante pour tenter quiconque n’auroit point eu de dégoût pour la malpropreté & les guenilles.

Nous lui avions ſouvent acheté des fleurs par pure compaſſion ; mais Louiſe qu’un autre motif excitoit alors, ayant pris deux de ſes bouquets, lui préſenta malicieuſement un écu à changer, Dick, qui n’avoit pas le premier ſou, ſe grattoit l’oreille, & donnoit à entendre, par ſon embarras, qu’il ne pouvoit fournir la monnoie d’une ſi groſſe piece. „ Eh bien ! mon enfant, (lui dit Louiſe,) monte avec moi, je te payerai ”. En même tems elle me fit ſigne de la ſuivre, & m’avoua, chemin faiſant, qu’elle ſe ſentoit une étrange curioſité de ſavoir ſi la nature ne l’avoit pas dédommagé par quelque don particulier du corps, de la privation de la parole & des facultés intellectuelles. La ſcrupuleuſe modeſtie n’ayant jamais été mon vice, loin de m’oppoſer à une pareille lubie, je trouvai ſon idée ſi plaiſante, que je ne fus pas moins empreſſée qu’elle à m’éclaircir ſur ce point. J’eus même la vanité de vouloir être la premiere à faire la vérification des pieces. Suivant cet accord, dès que nous eûmes fermé la porte, je commençai l’attaque, en lui faiſant de petites niches, & employant les moyens les plus capables de l’émouvoir. Il parut d’abord à ſa mine honteuſe & interdite, à ſes regards ſauvages & effarés, que le badinage ne lui plaiſoit pas ; mais je fis tant par mes careſſes, que je l’apprivoiſai, & le mis inſenſiblement en humeur. Un rire innocent & nigaud annonçoit le plaiſir que la nouveauté de cette ſcene lui faiſoit. Le raviſſement ſtupide où il étoit, l’avoit rendu ſi docile & ſi traitable, qu’il me laiſſa faire tout ce que je voulus. J’avois déja ſenti la douceur de ſa peau à travers mainte déchirures de ſa culotte, & m’étois, par gradation, ſaiſie du véritable & ſenſible végétatif, qui, loin de ſe retirer au toucher de mes doigts, s’allongeoit & ſe gonfloit pour les rencontrer. Il fut bientôt en ſi bel état, que je vis le moment que tout alloit rompre ſous ſes efforts. Je détortillai une eſpece de ceinture déchiquetée de vieilleſſe, & rangeant une loque de chemiſe qui cachoit en partie ce reſpectable morceau, je le découvris dans toute ſon étendue & ſa pompeuſe forme. J’avoue qu’il n’étoit guere poſſible de rien voir de plus ſuperbe. Auſſi ma laſcive compagne, ravie en admiration, & domptée par le démon de la concupiſcence, me l’ôta bruſquement de la main ; puis tirant comme on fait un âne par le licou, le paiſible Dick vers le lit, elle s’y laiſſa tomber à la renverſe, & ſans lâcher priſe, le guida dans le charmant labyrinthe des amours. L’innocent y fut à peine introduit, que l’inſtinct lui apprit le reſte. Il enfonça, déchira, pourfendit la pauvre Louiſe ; mais elle eut beau crier ; il étoit trop tard. Le fier agent, animé par le puiſſant aiguillon du plaiſir, devint ſi furieux, qu’il me fit trembler pour la patiente. Son viſage étoit tout en feu, ſes yeux étincelloient, il grinçoit les dents, tout ſon corps, agité d’une impétueuſe rage, faiſoit voir avec quel excès de force la nature opéroit en lui. Tel on voit un jeune taureau ſauvage que l’on a pouſſé à bout, renverſer, fouler aux pieds, frapper des cornes tout ce qu’il rencontre : tel le forcené Dick briſe, rompt tout ce qui s’oppoſe à ſon paſſage. Louiſe toute ſanglante ſe débat, m’appelle à ſon ſecours, & fait mille efforts pour ſe dérober de deſſous ce cruel meurtrier, mais inutilement ; ſon haleine auroit auſſi-tôt calmé un ouragan, qu’elle auroit pu l’arrêter dans ſa courſe. Au contraire, plus elle s’agite & ſe démene, plus elle accélere & précipite ſa défaite. Dick machinalement gouverné par la partie animale, la pince, la mord, & la ſecoue avec une ardeur moitié féroce & moitié tendre. Cependant Louiſe, à la fin, ſupporta plus patiemment le choc, & bientôt le ſentiment de la douleur faiſant place à celui du plaiſir, elle entra dans les tranſports les plus vifs de la paſſion, & ſeconda de tout ſon pouvoir la bruſque activité de ſon acteur. Tout trembloit ſous la violence de leurs mouvemens mutuels. Agités l’un & l’autre d’une fureur égale, ils ſembloient poſſédés du démon de la luxure. Sans doute ils auroient ſuccombé à tant d’efforts, ſi la criſe délicieuſe de la ſuprême joie ne les eût arrêtés ſubitement, & n’eût terminé le combat.

C’étoit une choſe pitoyable, & burleſque à la fois, de voir la contenance du pauvre inſenſé après cet exploit. Il paroiſſoit plus imbécile & plus hébété de moitié qu’auparavant, Tantôt d’un air ſtupéfait il laiſſoit tomber un regard morne & languiſſant ſur le déplorable & flaſque inſtrument qui venoit de lui faire tant de plaiſir ; tantôt il fixoit d’un œil triſte & hagard Louiſe, & ſembloit lui demander l’explication d’un pareil phénomene. Enfin, l’idiot ayant petit à petit repris ſes ſens, ſon premier ſoin fut de courir à ſon panier & de compter ſes bouquets. Nous les lui prîmes tous, & les lui payâmes le prix ordinaire, n’oſant pas le récompenſer de ſa peine, de peur qu’on ne vînt à découvrir les motifs de notre généroſité.

Louiſe s’eſquiva quelques jours après de chez Madame Cole avec un jeune homme qu’elle aimoit beaucoup ; & depuis ce tems, je n’ai plus reçu de ſes nouvelles.

Peu après qu’elle nous eut quitté, deux jeunes Seigneurs de la connoiſſance de Madame Cole, & qui avoient autrefois fréquenté ſon académie, obtinrent la permiſſion de faire, avec Emilie & moi, une partie de plaiſir dans une maiſon de campagne ſituée ſur le bord de la Thamiſe, & qui leur appartenoit.

Toutes choſes arrangées, nous partîmes un après-midi d’été pour le rendez-vous, où nous arrivâmes ſur les quatre heures. Nous mîmes pié à terre près d’un pavillon propre & galant, où nous fûmes introduites par nos écuyers, & rafraîchies d’une collation délicate, dont la joie, la fraîcheur de l’onde, & la politeſſe marquée de nos galans rehauſſoient le prix.

Après cette réfection nous fimes un tour au jardin, & l’air étant fort chaud, mon cavalier propoſa, avec ſa franchiſe ordinaire, de prendre enſemble un bain, dans une petite baie de la riviere, auprès du pavillon, où perſonne ne pouvoit nous voir, ni nous diſtraire.

Emilie, qui ne refuſa jamais rien, & moi, qui aimois le bain à la folie, nous acceptâmes la propoſition avec plaiſir. Nous retournâmes donc d’abord au pavillon qui, par une porte, répondoit à une tente dreſſée ſur l’eau, de façon qu’elle nous garantiſſoit de l’ardeur du ſoleil & des regards des indiſcrets.

Il y avoit autant d’eau qu’il en falloit pour ſe baigner à l’aiſe ; mais autour de la tente on avoit pratiqué des endroits ſecs pour s’habiller, ou enfin, pour d’autres uſages que le bain n’exige pas. Là ſe trouvoit une table chargée de confitures, de rafraîchiſſemens & de confortatifs néceſſaires contre la maligne influence de l’eau. Enfin mon galant, qui auroit mérité d’être l’intendant des menus plaiſirs d’un empereur Romain, n’avoit rien oublié de tout ce qui peut ſervir au goût & au beſoin.

Dès que nous eûmes aſſuré les portes, & que tous les préliminaires de la liberté eurent été reglés de part & d’autre, l’on cria bas les habits : auſſi-tôt nos deux amans ſauterent ſur nous, & nous mirent dans l’état de pure nature. Nos mains ſe porterent d’abord vers cette fente ombragée de la plus belle mouſſe ; mais ils ne nous laiſſerent pas longtems dans cette poſture, nous priant de leur rendre le ſervice que nous venions de recevoir d’eux, ce que nous fimes de bon cœur.

Mon cavalier fut bientôt nud, à la chemiſe près, dont il me fit remarquer les mouvemens, cauſés par un inſtrument qu’elle cachoit, & qu’il me montra enſuite à découvert, auſſi droit qu’une pique. Il voulut ſur le champ m’en faire éprouver la force ; mais, plutôt preſſée du deſir de me baigner, je le priai de ſuſpendre l’affaire ; donnant ainſi à nos amis l’exemple d’une continence qu’ils étoient ſur le point de perdre, nous entrâmes main à main dans l’onde, dont la bénigne influence calma la chaleur de l’air, & me remplit d’une volupté amoureuſe.

Je m’occupai quelque tems à me laver, & à faire mille niches à mon compagnon ; laiſſant à Emilie le ſoin d’en agir avec le ſien à ſa diſcrétion. Mon drôle, peu content, à la fin, de me plonger dans l’eau juſqu’aux oreilles, & de me mettre en différentes poſtures, commença à jouer des doigts ſur ma gorge, ſur mes feſſes & ſur tous ces petits & cætera, ſi chers à l’imagination ; le tout ſous prétexte de les laver. Comme nous n’avions de l’eau que juſqu’au nombril, il put manier à ſon aiſe cette partie qui diſtingue notre ſexe, & qui ſe trouve ſi admirablement fermée, qu’aucune liqueur ne ſauroit y avoir accès : en l’ouvrant des doigts, il y faiſoit entrer plus de feu que d’eau. Il ne tarda pas d’y pouſſer ſon engin, qui étoit d’une roideur propre à ſatisfaire mon envie. Je ne pus cependant me prêter à ſa volonté, parce que nous étions dans une poſture trop gênante pour que j’y goutaſſe du plaiſir : ainſi je le priai de différer un inſtant, afin de voir à notre commodité les débats d’Emilie & de ſon galant, qui en étoient au plus fort de l’opération. Ce jeune homme, ennuyé de jouer à l’épinette, avoit couché ſa patiente ſur un banc, où il lui faiſoit ſentir la différence qu’il y a du badinage au ſérieux.

Il l’avoit premierement miſe ſur ſes genoux, lui montrant d’une main ſa ſuperbe machine, qui ne reſſembloit pas mal à une piece d’ivoire animée, au bas de laquelle pendoient ces deux boules ſi délicieuſes au toucher, & ſi capables de faire naître l’amour. De l’autre main il lui avoit manié les plus belles des levres pour les préparer à recevoir leur vainqueur, qui tenoit ſa tête de cardinal élevée, & ſembloit demander à être admis : ce que la charmante Emilie refuſoit tendrement, afin de rendre les plaiſirs plus vifs & plus piquans.

Comme l’eau avoit jetté un incarnat animé ſur leurs corps, dont la peau étoit à-peu-près d’une même blancheur, on pouvoit à peine diſtinguer leurs membres, qui ſe trouvoient dans une aimable confuſion. Le champion s’étoit pourtant à la fin mis à l’ouvrage. Alors plus de tous ces rafinemens & de ces tendres ménagemens. Emilie ſe trouva incapable d’uſer d’aucun art ; & de quel art en effet, auroit-elle uſé, tandis qu’emportée par les ſecouſſes qu’elle éprouvoit, elle devoit céder à ſon fier conquérant, qui avoit fait pleinement ſon entrée triomphale ? Bientôt cependant il fut ſoumis à ſon tour ; car l’engagement étant devenu plus vif, elle le força de payer le tribut de la nature, qu’elle n’eut pas plutôt recueilli que, ſemblable à un duelliſte qui meurt en tuant ſon ennemi, la belle Emilie fit de ſon côté une copieuſe décharge, & nous donna à connoître, par un profond ſoupir, par l’extenſion de ſes membres, & par le trouble de ſes yeux, qu’elle avoit atteint la volupté ſuprême.

Pour ma part, je n’avois point vu toute cette ſcene avec une patience bien calme ; je me repoſois avec langueur ſur mon galant, à qui mes yeux annonçoient la ſituation de mon cœur. Il m’entendit, & me montra ſon membre, de telle roideur, que quand même je n’aurois pas deſiré de le recevoir, c’eût été un péché de laiſſer crever le pauvre garçon dans ſon jus, tandis que le remede étoit ſi près.

Nous prîmes donc un banc, pendant qu’Emilie & ſon ami bûvoient à notre bon voyage ; car comme ils l’obſervoient, nous étions favoriſés d’un vent admirable. A la vérité, nous eûmes bientôt atteint le port de Cithere, & déchargé cette précieuſe liqueur qui nous peſoit ſi fort ; mais comme les circonſtances ne nous permirent pas d’admettre beaucoup de variation, je t’en épargnerai le détail trop uniforme.

Je te prie auſſi, ma chere amie, de vouloir excuſer le ſtile figuré dont je me ſuis ſervie, quoiqu’il ne puiſſe être mieux employé que pour un ſujet qui eſt ſi propre à la poëſie, qu’il ſemble être la poëſie même, tant par les imaginations pittoreſques qu’il enfante, que par les plaiſirs divins qu’il procure.

Nous paſſames le reſte de la journée & une partie de la nuit dans mille plaiſirs variés, & nous fûmes reconduites en bonne ſanté chez Madame Cole, par nos deux cavaliers, qui ne ceſſerent de nous remercier de l’agréable compagnie que nous leur avions faite.

Ce fut ici la derniere aventure que j’eus avec Emilie qui, huit jours après, fut découverte par ſes parens, leſquels ayant perdu leur fils unique, furent ſi charmés de retrouver une fille qui leur reſtoit, qu’ils n’examinerent ſeulement pas la conduite qu’elle avoit tenue pendant une ſi longue abſence.

Il ne fut pas aiſé de remplacer cette perte ; car, pour ne rien dire de ſa beauté, elle étoit d’un caractere ſi liant & ſi aimable, que ſi l’on ne l’eſtimoit pas, on ne pouvoit cependant ſe paſſer de l’aimer. Elle ne devoit ſa foibleſſe qu’à une bonté trop grande, & à une indolente facilité, qui la rendoit l’eſclave des premieres impreſſions. Enfin elle avoit aſſez de bon ſens pour déférer à de ſages conſeils, lorſqu’elle avoit le bonheur d’en recevoir, comme elle le montra dans l’état de mariage, qu’elle contracta peu de tems après, avec un jeune homme de ſa qualité : vivant avec lui auſſi ſagement & en auſſi bonne intelligence, que ſi elle n’eut jamais mené une vie ſi contraire à cet état uniforme.

Cette déſertion avoit néanmoins tellement diminué la ſociété de Madame Cole qu’elle ſe trouvoit ſeule avec moi ; telle qu’une poule à qui il ne reſte plus qu’une poulette : mais quoiqu’on la priât ſérieuſement de recruter ſon corps, ſes infirmités & ſon âge l’engagerent à ſe retirer à tems à la campagne, pour y vivre du bien qu’elle avoit amaſſé : réſolue de mon côté d’aller la joindre, dès que j’aurois goûté un peu plus du monde & de la chair, & que je me ſerois acquiſe une fortune plus honnête.

Je perdis donc ma chere abbeſſe avec un regret infini : car, outre qu’elle ne rançonnoit jamais ſes chalands, elle ne pilloit non plus en aucune façon ſes écolieres, & ne débauchoit jamais de jeunes perſonnes, ſe contentant de prendre celles que le ſort avoit réduites au métier, dont, à la vérité, elle ne choiſiſſoit que celles qui pouvoient lui convenir, & qu’elle préſervoit ſoigneuſement de la miſere & des maladies où la vie publique mene pour l’ordinaire.

A la ſéparation de Madame Cole, je louai une petite maiſon à Marybone, que je meublai modeſtement, mais avec propreté, où je vivotois à mon aiſe des huit cents livres que j’avois épargnées.

Là je vécus ſous le nom d’une jeune femme dont le mari étoit en mer. Je m’étois d’ailleurs miſe ſur un ton de décence & de diſcrétion, qui me permettoit de jouir ou d’épargner ſelon que mes idées en diſpoſeroient : maniere de vivre à laquelle tu reconnoîtras aiſément la pupille de Madame Cole.

A peine fus-je cependant établie dans ma nouvelle demeure, que me promenant un matin à la campagne, accompagnée de ma ſervante, & me divertiſſant ſous des arbres, je fus allarmée par le bruit d’une toux violente. Tournant la tête, je vis un gentilhomme d’un certain âge, très-bien mis, qui ſembloit ſuffoquer par une oppreſſion de poitrine, ayant le viſage auſſi noir qu’un négre. Suivant les obſervations que j’avois faites ſur cette maladie, je défis ſa cravatte & le frappai ſur le dos, ce qui le rendit à lui-même. Il me remercia avec emphaſe du ſervice que je venois de lui rendre ; diſant que je lui avois ſauvé la vie. Ceci fit naturellement naître une converſation, dans laquelle il m’apprit ſa demeure, qui ſe trouvoit fort éloignée de la mienne.

Quoiqu’il ſembloit n’avoir que quarante-cinq ans, il en avoit néanmoins plus de ſoixante, ce qui venoit d’une couleur fraîche & d’une excellente complexion. Quant à ſa naiſſance & à ſa condition, ſon pere fut méchanicien, mourut fort pauvre, & le laiſſa au ſoin de la paroiſſe ; d’où il s’étoit mis dans un comptoir à Cadix ; où, par ſon active intelligence, il avoit non-ſeulement fait fortune, mais acquis des biens immenſes, avec leſquels il retourna dans ſa patrie, où il ne put jamais découvrir aucun de ſes parens, tant ſon extraction avoit été obſcure. Il prit donc le parti de la retraite, & vivoit dans une opulence honnête & ſans faſte ; regardant avec dédain un monde dont il connoiſſoit parfaitement les détours.

Comme je veux t’écrire une lettre particuliere touchant la connoiſſance que je fis avec cet ami eſtimable, je ne t’en dirai ici qu’autant qu’il en faut pour ſervir de connexion à mon hiſtoire, & pour obvier à la ſurpriſe que cette aventure te cauſera.

Notre commerce fut fort innocent au commencement, mais il ſe familiariſa peu-à-peu, & changea enfin de nature. Mon ami poſſédoit, non-ſeulement un air de fraîcheur, mais il avoit auſſi tout l’enjouement & toute la complaiſance de la jeuneſſe. Il étoit outre cela excellent connoiſſeur du vrai plaiſir, & m’aimoit avec dignité : ce qui faiſoit oublier toutes ces idées dégoûtantes, que la vuë d’un vieux galant fait naître ordinairement.

Pour couper court, ce bon homme me prit chez lui, & je vécus pendant huit mois fort contente ; lui donnant de mon côté toutes les marques d’amour & d’amitié qu’il pouvoit prétendre : ce qui me l’attacha de telle ſorte, que mourant peu de tems après, d’un froid qu’il gagna, en courant une nuit à un incendie du voiſinage, il me nomma ſon héritiere, & l’exécutrice de ſes dernieres volontés.

Après lui avoir rendu les derniers devoirs de la ſépulture, je regrettai ſincérement mon bienfaiteur, dont le tendre ſouvenir ne ſortira jamais de ma mémoire, & dont je louerai toujours le bon cœur.

J’avois alors atteint ma vingtieme année ; j’étois belle, j’étois riche. De tels avantages devroient être plus que ſuffiſans pour ſatisfaire quiconque les poſſede ; néanmoins, ſemblable au malheureux Tantale, je voyois mon bonheur ſans le pouvoir goûter. Tandis que je vivois chez Madame Cole, le délire de la débauche avoit en quelque maniere ſuſpendu mes regrets & banni de mon cœur le ſouvenir de ſa premiere paſſion. Mais dès que je me vis rendue à moi-même, & affranchie de la néceſſité de me proſtituer pour vivre, Charles reprit ſon empire ſur mon ame : ſon image adorable me ſuivit par-tout, & je ſentis que s’il n’étoit témoin de ma félicité, s’il ne la partageoit pas, je ne pourrois jamais être heureuſe. J’avois appris, pendant mon ſéjour à Marybone, que ſon pere étoit mort, & que ce précieux objet de ma tendre affection devoit revenir inceſſamment en Angleterre. Je te laiſſe à penſer, ma chere amie, toi qui connois ce que c’eſt que le véritable amour, avec quel excès de joie je reçus cette nouvelle, & avec quelle impatience j’attendis le fortuné moment où nous devions nous revoir. Agitée comme je l’étois, il n’étoit pas poſſible que je demeuraſſe tranquille : auſſi, pour me diſtraire & charmer mes inquiétudes, je réſolus de faire un voyage dans mon pays natal, où je me propoſais de démentir Eſter Davis, qui avoit fait courir le bruit qu’on m’avoit envoyée aux Colonies. Je partis, accompagnée d’une femme-de-chambre, avec tout l’attirail d’une dame de diſtinction. Un orage affreux m’ayant ſurpriſe à douze milles de Londres, je jugeai à propos de m’arrêter dans l’hôtellerie la plus voiſine que je trouvai ſur la route. J’étois à peine deſcendue de carroſſe, qu’un cavalier, contraint comme moi de chercher un abri, arriva au galop. Il étoit mouillé juſqu’à la peau. En mettant pied à terre, il pria le maître de la maiſon de lui prêter de quoi changer, pendant qu’on feroit ſécher ſes habits. Mais, ô deſtin trop heureux ! quel ſon enchanteur frappa tout-à-coup mon oreille ! & de quel raviſſement ne fus-je point ſaiſie, lorſque je l’enviſageai ! une large redingote, dont le capuchon lui enveloppoit la tête, un grand chapeau par deſſus, dont les audaces étoient baiſſées ; en un mot, pluſieurs années d’abſence ne m’empêcherent pas de le reconnoître. Eh ! comment aurois-je pu m’y méprendre ? Eſt-il rien qui puiſſe échapper aux regards pénétrans de l’amour ? L’émotion où j’étois me faiſant oublier toute retenue, je m’élançai comme un trait entre ſes bras, lui paſſant les miens au cou ; & l’excès de la joie m’ôtant la liberté de la parole, je m’évanouis en prononçant confuſément deux ou trois mots, tels que “ mon ame… ma vie… mon Charles ”. Quand je fus revenue à moi-même, je me trouvai dans une chambre, entourée de tout le monde du logis, que cet événement avoit raſſemblé, & mon adorable à mes pieds qui, me tenant les mains ſerrées dans les ſiennes, me regardoit avec des yeux, où regnoient à la fois, la ſurpriſe, la tendreſſe & la crainte. Il reſta quelques momens ſans pouvoir proférer une ſyllabe. Enfin, ces douces expreſſions ſortirent de ſa divine bouche. “ Eſt-ce bien vous, mon aimable, ma chere Fanny ? après un ſi long eſpace de tems !… après une ſi longue abſence !… m’eſt-il permis de vous revoir encore ?… n’eſt-ce point une illuſion ?… ” & dans la vivacité de ſes tranſports il me dévoroit de careſſes, & m’empêchoit de lui répondre par les baiſers qu’il imprimoit ſur mes levres, Je me trouvois de mon côté dans un état ſi raviſſant, que j’étois effrayée de mon bonheur, & tremblois que ce ne fût un ſonge. Cependant je l’embraſſois avec une fureur extrême, je le ſerrois de toutes mes forces, comme pour l’empêcher de m’échapper de nouveau. “ Où avez-vous été (m’écriois-je ?)… comment… comment pûtes-vous m’abandonner ?… êtes-vous toujours mon amant ?… m’aimez-vous toujours ?… oui, cruel je vous pardonne toutes les peines que j’ai ſouffertes pour vous, en faveur de votre retour ”. Le déſordre de nos queſtions & de nos réponſes, le trouble, la confuſion de nos diſcours étoient d’autant plus éloquens, qu’ils partoient du cœur, & que le ſeul ſentiment nous les dictoit.

Tandis que nous étions plongés dans cette délicieuſe ivreſſe, que nos ames étoient abſorbées dans la joie, l’hôteſſe apporta des hardes à Charles ; je voulus avoir la ſatisfaction de le ſervir & de l’aider de mes mains, ainſi qu’on nous repréſente les Nymphes & les Heures ſervant le Dieu du jour. Aucune partie de ſon corps n’échappoit à mes regards, ni à mes attouchemens. J’eſſayois de les ſécher & d’en pomper l’humidité par la chaleur de mon haleine & de mes baiſers.

Après avoir calmé nos tranſports, mon amant m’apprit qu’il avoit fait naufrage ſur les côtes d’Irlande, & que ce qui cauſoit ſon déſeſpoir, c’étoit l’impoſſibilité où ce déſaſtre le mettoit de pouvoir déſormais me faire aucun bien. L’aveu naïf de ſon infortune m’attendrit & m’arracha des larmes. Néanmoins je ne pus m’empêcher de m’applaudir ſecrettement de me trouver dans une ſituation de réparer ſes malheurs.

Il ſeroit inutile, ma bonne, de te retracer ce qui ſe paſſa entre nous cette nuit-là ; tu le devines aiſément. Le lendemain nous revînmes à Londres, & dans la route je fis à Charles ma confeſſion générale : comme la néceſſité avoit eu plus de part à mon libertinage que le penchant, il me pardonna tout. Je le ſollicitai vainement d’accepter ce que je poſſédois ; il ne voulut jamais y conſentir, qu’aux conditions que notre amour fût ratifié par des nœuds légitimes & indiſſolubles. Enfin, tu ſais le reſte, tu connois mon mari, tu es le plus ſouvent avec nous ; juge ſi j’ai lieu de me plaindre de mon ſort, ou plutôt ſi je ne ſuis pas la plus heureuſe femme du monde. Adieu, ma chere ; ce que j’exige de ton amitié, c’eſt de ne point divulguer mes égaremens, & de me croire, &c.


Fin de la ſeconde & derniere Partie.


  1. Quartier de la comédie, où il y a beaucoup de catins.
  2. A peu-près quatorze lieues.
  3. Ancienne monnoye d’or.