La Fille de joie (1748-1749)
Chez Madame Gourdan (p. Frontisp.-PL-22).

MÉMOIRES
DE
MISS FANNY,

ÉCRITS PAR ELLE-MÊME.



Je vais te donner, ma chere amie, une preuve indubitable de ma complaiſance à ſatisfaire tes deſirs ; & quelque mortifiante que puiſſe être la tâche que tu m’impoſes, je me ferai un devoir de détailler avec fidélité les ſcènes lubriques d’une vie débordée, dont je me ſuis enfin tirée heureuſement, pour jouir de toute la félicité que peuvent procurer l’amour, la ſanté, & une fortune honnête : étant d’ailleurs encore aſſez jeune pour en goûter le prix, & pour cultiver un eſprit, qui naturellement n’étoit pas dépravé, qui, même parmi les diſſipations, où je me vis entraînée, ne laiſſa point de former des obſervations ſur les mœurs & les caracteres des hommes ; obſervations peu communes aux perſonnes de l’état où j’ai vécu, leſquelles, ennemies de toute réflection, les banniſſent pour jamais, afin d’éviter les remords qu’un retour ſur elles-mêmes feroit naître dans leurs cœurs.

Haïſſant auſſi mortellement que je le fais, toute préface inutile, je ne te ferai point languir par un exorde ennuyeux ; je te dois ſeulement avertir que je retracerai toutes mes actions avec la même liberté que je les ai commiſes.

La vérité guidera ma plume. Je ne prendrai même point la peine de couvrir de la plus legère gaze mes crayons : je peindrai les choſes d’après nature, ſans craindre de violer les loix de la décence, qui ne ſont pas faites pour des perſonnes auſſi intimément amies que nous. D’ailleurs tu as une connoiſſance trop conſommée des plaiſirs réels, pour que leur peinture te ſcandaliſe. Tu n’ignores pas que les gens d’eſprit & de goût ne font nul ſcrupule de décorer leurs cabinets de nudités de toute eſpece, quoique, par la crainte qu’ils ont de bleſſer l’œil du vulgaire, ils n’aient garde de les expoſer dans leurs ſallons.

Paſſons à mon hiſtoire. On m’appelloit, étant enfant, Francis Hill. Je ſuis née de parens fort pauvres, dans un petit Village près de Liverpool Lancashire.

Mon pere, qu’une infirmité empêchoit de travailler aux gros ouvrages de la campagne, gagnoit à faire des filets, une très-médiocre ſubſiſtance, que ma mere n’augmentoit guères en tenant une petite école de filles dans le voiſinage. Ils avoient eu pluſieurs enfans, dont j’étois reſtée ſeule.

Mon éducation juſqu’à l’âge de quatorze ans avoit été des plus communes. Lire, ou plutôt épeller, griffoner & coudre aſſez mal, faiſoit tout mon ſavoir. A l’égard de mes principes, ils conſiſtoient dans une parfaite ignorance du vice, & dans une ſorte de retenue & de timidité naturelles à notre ſexe, dont nous ne nous guériſſons que trop tôt aux dépens de notre innocence.

Ma bonne mere avoit toujours été tellement occupée de ſon école & des petits embarras du ménage, qu’elle n’avoit employé que bien peu de tems à m’inſtruire. Au reſte, elle étoit trop ignorante du mal, pour être en état de me donner des leçons qui pûſſent m’en garantir.

J’étois entrée dans ma quinzieme année, lorſque les chers & déplorables auteurs de ma vie moururent de la petite vérole à quelques jours l’un de l’autre. Je me trouvai par leur mort une malheureuſe orpheline ſans reſſource & ſans amis, car mon pere, qui étoit du Comté de Kent, s’étoit établi par hazard en cet endroit-là. Je fus auſſi attaquée de cette contagieuſe maladie, mais fort légérement, & ſans qu’il m’en reſtât aucune marque. Je paſſe ſur la véritable affliction où cette perte me plongea. Le tems & l’humeur volage de la jeuneſſe n’en effacerent que trop tôt de ma mémoire la triſte & précieuſe époque. Une jeune femme, nommée Eſther Davis, alors dans notre Village, devoit retourner inceſſamment à Londres, où elle étoit en ſervice : elle me propoſa de l’y ſuivre, m’aſſurant de m’aider de ſes avis & de ſon crédit pour me faire placer.

Comme il n’y avoit perſonne au monde qui ſe mît en peine de ce que je deviendrois, j’acceptai ſans héſiter l’offre de cette créature, réſolue de tenter fortune ; tentative, ſoit dit en paſſant, ſouvent plus funeſte, qu’avantageuſe à l’un & à l’autre ſexe.

J’étois enchantée des merveilles qu’Eſther Davis me contoit de Londres : il me tardoit d’y être, pour voir les Lions de la Tour, le Roi, la Famille Royale, les Mauſolées de Weſtminſter, la Comédie, l’Opéra, enfin, toutes les jolies choſes dont elle piquoit ma curioſité par ſes agréables récits.

Mais ſes hiſtoires les plus intéreſſantes étoient, „ que nombre de pauvres campagnardes avoient trouvé moyen, par leur bonne conduite, de s’enrichir elles & les leurs ; que bien des filles vertueuſes avoient épouſé leurs maîtres, qui leur faiſoient aujourd’hui rouler caroſſe ; qu’on en connoiſſoit même quelques-unes qui étoient devenues Ducheſſes ; que le bonheur faiſoit tout, & que nous y pouvions prétendre auſſi-bien que les autres ”. Encouragée par
de ſi flatteuſes prophéties, je me hâtai de réaliſer mon petit héritage, dont le reſtant, les dettes & les fraix d’enterrement acquittés, montoit à huit guinées & dix-ſept ſchellings. J’empaquetai ma modeſte garderobe dans une boîte à perruque, & nous partîmes par le chariot de Cheſter. Ma conductrice me ſervit de mere pendant la route, en conſidération de quoi elle jugea à propos de me faire payer ſon écot juſqu’à Londres. Elle fit à la vérité les choſes en conſcience, & ménagea ma bourſe comme ſi c’eût été la ſienne.

Lorſque nous fumes arrivées, Eſther Davis, ſur la protection de qui je comptois plus que jamais, me pétrifia par une froide harangue, dont voici la ſubſtance : „ Loué ſoit Dieu, nous avons fait un bon voyage : ça, je m’en vais vîte à la maiſon ; ſongez à vous mettre en ſervice le plutôt que vous pourrez ; n’appréhendez pas que les places vous manquent ; il y en a ici plus que de paroiſſes. Je vous conſeille d’aller au Bureau[1]. Pour moi, ſi j’entends parler de quelque choſe, je vous en donnerai avis. Vous ferez bien, en attendant, de prendre une chambre… Je vous ſouhaite beaucoup de bonheur… J’eſpere que vous ſerez toujours brave fille, & ne ferez point tort à la mémoire de vos parens ”. Après cette belle exhortation, elle me fit une courte revérence, & prit congé de moi.

Je ſentis avec une amertume inexprimable, la cruauté de ſon procédé. Elle n’eut pas les talons tournés, que je fondis en larmes, ce qui me ſoulagea un peu, mais point aſſez pour me tranquiliſer l’eſprit ſur l’embarras où je me trouvois. Un des garçons de l’Hôtellerie vint mettre le comble à mes inquiétudes, en me demandant ſi je n’avois beſoin de rien. Je lui répondis naïvement que non ; mais que je le priois de me faire avoir un logement pour cette nuit. L’Hôteſſe parut, & me dit ſéchement, ſans être touchée de l’état où elle me voyoit, que j’aurois un lit pour un ſchelling, & que ne doutant pas que je n’euſſe des amis dans la Ville, je pourrois me pourvoir le lendemain. Dès que je me vis aſſurée d’un lit, je repris courage, & réſolus d’aller le jour ſuivant au Bureau, dont Eſther m’avoit donné l’adreſſe ſur le revers d’une Chanſon.

L’impatience où j’étois de mettre mon projet à exécution, me rendit matineuſe. Je mis à la hâte mes plus beaux atours de Village, & laiſſant l’Hôteſſe dépoſitaire de mon petit butin, je m’en fus droit au lieu qui m’étoit indiqué. Une vieille Matrone tenoit cette maiſon. Elle étoit aſſiſe devant une table avec un gros régître, où paroiſſoit griffonné par ordre alphabétique, un nombre infini d’adreſſes.

J’approchai de cette vénérable perſonne les yeux reſpectueuſement baiſſés, paſſant à travers une foule prodigieuſe de peuple, tous raſſemblés pour la même cauſe. Je lui fis une demi douzaine de révérences niaiſes, en lui bégayant ma très-humble requête.

Elle me donna audience avec toute la dignité & le ſérieux d’un petit Miniſtre d’Etat, & m’ayant toiſée de l’œil, elle me répondit, après m’avoir fait au préalable lâcher un ſchelling, que les conditions pour femmes étoient fort rares, & ſur-tout pour moi, qui ne paroiſſois guéres propre aux ouvrages de fatigue ; mais qu’elle verroit pourtant ſur ſon livre s’il y avoit quelque choſe qui me convint, quand elle auroit expédié quelques-unes de ſes pratiques.

Je me retirai triſtement en arriere
preſque déſeſpérée de la réponſe de cette vieille médaille. Néanmoins, pour me diſtraire, je hazardai de promener mes regards ſur l’honorable cohue dont je faiſois partie, & parmi laquelle j’apperçus une groſſe Dame à trogne bourgeonnée, d’environ cinquante ans, qui avoit les yeux fixés avidement ſur moi comme ſi elle eût voulu me dévorer. Je me trouvai d’abord un peu déconcertée ; mais un ſentiment ſecret d’amour-propre me faiſant interprêter la choſe en ma faveur, je me rengorgeai de mon mieux, & tâchai de paroître le plus à mon avantage qu’il me fut poſſible. Enfin, après m’avoir bien examinée tout ſon ſaoul, elle m’approcha d’un air extrêmement compoſé, & me demanda ſi je voulois entrer en ſervice ? à quoi je répondis qu’oui, avec une profonde révérence.

„ Vraiment, (dit-elle,) j’étois venue ici à deſſein de chercher une fille… je crois que vous pourrez faire mon affaire… votre phiſionomie n’a pas beſoin de répondant… au moins, ma chere enfant, il faut bien prendre garde ; Londres eſt un abominable ſéjour… ce que je vous recommande, c’eſt de la ſoumiſſion à mes avis, & d’éviter ſur-tout la mauvaiſe compagnie ”. Elle ajouta à ce diſcours mainte autre phraſe plus que perſuaſive pour engeoler une innocente campagnarde, qui ſe croyoit trop heureuſe de trouver une telle condition ; car je me figurois avoir à faire à une Dame fort reſpectable.

Cependant la vieille teneuſe de livre, à la vue de qui notre accord s’étoit paſſé, me ſourioit, de façon que j’imaginai ſottement qu’elle me congratuloit ſur ma bonne chance : mais j’ai découvert depuis que les deux gaupes s’entendoient comme larrons en foire, & que cette honnête maiſon étoit un magaſin d’où Madame Brown, ma Maîtreſſe, tiroit ſouvent des proviſions pour accommoder ſes chalands. Elle étoit ſi contente, que, de peur que je ne lui échappâſſe, elle me jetta immédiatement dans un caroſſe, & ayant été retirer ma boîte de mon Auberge, nous fumes deſcendre droit à ſon Logis, rue de… L’apparence du lieu, le goût & la propreté des meubles, ne diminuerent rien de la bonne opinion que j’avois conçue de ma place. Je ne doutai pas que je ne fûſſe dans une maiſon des mieux famées.

Auſſi-tôt mon inſtallation faite, ma Maîtreſſe débuta par me dire, que ſon deſſein étoit que nous vécûſſions familiérement enſemble, qu’elle m’avoit priſe moins pour la ſervir que pour lui tenir compagnie, & que ſi je voulois être bonne fille, elle feroit plus pour moi qu’une véritable mere. A quoi je répondis niaiſement, en faiſant deux ou trois ridicules révérences, „ oui, oh ! que ſi, bien obligée, votre ſervante ”.

Un moment après elle ſonna, & une grande dégingandée de fille parut “ Marthe, (lui dit Madame Brown,) je viens d’arrêter cette jeune perſonne pour prendre ſoin de mon linge : allez, montrez-lui ſa chambre. Je vous ordonne ſur-tout de la regarder comme une autre moi-même ; car je vous avoue que ſa figure me plaît à un point, que je ne ſais pas ce que je ſerai capable de faire pour elle ”. Marthe, qui étoit une ruſée coquine des mieux ſtilées au métier, me ſalua reſpectueuſement, & me conduiſit au ſecond étage dans une chambre ſur le derriere, où il y avoit un fort bon lit, que je devois partager, à ce qu’elle m’apprit, avec une parente de Madame Brown. Après quoi elle me fit le panégirique de ſa bonne & chere Maîtreſſe, m’aſſurant que j’étois fort heureuſe d’être ſi bien tombée ; qu’il n’étoit pas poſſible de mieux rencontrer ; qu’il falloit que je fuſſe née coëffée ; que je pouvois me vanter d’avoir fait un excellent haſard. En un mot, elle me dit cent autres platitudes de cette eſpece, capables de me faire ouvrir les yeux ſi j’avois eu la moindre expérience.

On ſonna une ſeconde fois : nous deſcendimes, & je fus introduite dans une ſalle où la table étoit dreſſée pour trois. Ma maîtreſſe avoit alors avec elle ſa prétendue parente, ſur qui les affaires de la maiſon rouloient. Mon éducation devoit être confiée à ſes ſoins, &, ſuivant ce plan, on étoit convenu que nous coucherions enſemble.

Ici je ſubis un nouvel examen de la part de Mademoiſelle Phébé Ayres, ma tutrice, qui eut la bonté de me trouver auſſi de ſon goût. J’eus l’honneur de dîner entre ces deux Dames, dont les attentions & les empreſſemens alternatifs me raviſſoient l’ame.

Il fut arrêté que je garderois la chambre pendant qu’on me feroit des habits convenables à l’état que je devois tenir auprès de ma Maîtreſſe : mais ce n’étoit qu’un prétexte. Madame Brown ne vouloit pas que perſonne me vit juſqu’à-ce qu’elle eût trouvé marchand pour mon pucellage, que ma ſimplicité lui faiſoit juger que j’avois encore.

Depuis le dîner juſqu’au ſoir, il ne ſe paſſa rien qui mérite d’être rapporté. L’heure de la retraite étant arrivée, nous montâmes chacune à notre appartement. Phébé, qui s’apperçut que j’avois de la honte à me deshabiller en ſa préſence, m’enleva dans la minute mouchoir de cou, robe, & cotillons. Alors rougiſſant de me voir ainſi nue, je me fourrai comme un éclair entre les draps, où la commere ne tarda pas à me ſuivre. Phébé avoit environ vingt-cinq ans, & en paroiſſoit dix de plus par ſes longs & fatigans ſervices ; ce qui l’avoit réduite au métier d’appareilleuſe avant le tems.

L’égrillarde ne fut pas plutôt à mon côté, qu’elle m’embraſſa d’une ardeur incroyable. Je trouvai ce manege auſſi nouveau que bizarre ; mais l’imputant à la ſeule amitié, je lui rendis, de la meilleure foi du monde, baiſers pour baiſers. Encouragée par ce petit ſuccès, elle promena ſes mains ſur les parties les plus ſecrettes de mon corps, & ſes attouchemens libres & laſcifs m’émurent & me ſurprirent davantage qu’ils ne me ſcandaliſerent.

Les éloges flatteurs dont elle aſſaiſonnoit ſes careſſes, contribuérent à me gagner : ne connoiſſant point le mal, je n’en craignis aucun ; d’autant plus qu’elle m’avoit démontré qu’elle étoit femme, en me faiſant patiner deux flaſques tétons qui lui pendoient ſur le bas-ventre, & dont le volume énorme étoit plus que ſuffiſant pour faire la diſtinction des deux ſexes, ſur-tout pour moi, qui n’en connoiſſois point d’autre.

Je demeurai donc auſſi docile qu’elle pût le deſirer, ſes privautés ne faiſant naître dans mon cœur que l’émotion d’un plaiſir d’autant plus vif & plus pénétrant, que je l’avois ignoré juſqu’alors. Un feu ſubtil ſe gliſſa dans mes veines, & m’embraſa pour ainſi dire juſqu’à l’ame. Ma gorge, ou plutôt mes deux petits tétons naiſſans, fermes & polis, irritant de plus en plus ſes deſirs, Phébé porta la main ſur cette imperceptible trace qu’un jeune duvet de ſoie garniſſoit depuis quelques mois, & qui promettoit d’ombrager un jour l’agréable réduit des plus délicieuſes ſenſations, mais qui juſqu’alors avoit été le ſéjour de la plus inſenſible innocence. Ses doigts jouoient & tâchoient d’allonger les tendres ſcions de cette charmante mouſſe, que la nature a fait croître autant pour l’ornement, que pour l’utilité.

Mais, non contente de ces préludes, Phébé tenta le point principal, en
introduiſant par gradations ſon index juſqu’au vif ; ce qui m’auroit, ſans doute, fait ſauter hors du lit, & crier au ſecours, ſi elle ne s’y étoit pas priſe auſſi doucement qu’elle le fit.

Ses attouchemens laſcifs avoient allumé, dans tout mon corps, un feu nouveau, qui s’étoit principalement concentré dans ce réduit, que la nature ſemble lui avoir deſtiné, & où des mains étrangeres s’égaroient pour la premiere fois, tantôt pinçant, tantôt écartant ces tendres levres, un doigt entre deux, juſqu’à ce qu’un hélas ! profond fit connoître à Phébé qu’elle touchoit à ce paſſage étroit & inviolé, qui lui refuſoit une entrée plus libre.

Enfin, la Meſſaline triompha. Je reſtai entre ſes bras dans une eſpece d’anéantiſſement ſi délectable, que j’aurois ſouhaité qu’il ne ceſſât jamais. “ Ah ! (s’écrioit-elle, en me tenant toujours ſerrée), que tu es une aimable enfant !… quel ſera le mortel aſſez heureux pour te rendre femme !… Dieux ! que ne ſuis-je homme ! „ Elle interrompoit ces expreſſions entrecoupées par les baiſers les plus chauds & les plus lubriques que j’aie reçus de ma vie. J’étois ſi tranſportée, mes ſens étoient tellement confondus, que je ſerois peut-être expirée, ſi des larmes délicieuſes, qui m’échapperent dans la vivacité du plaiſir, n’euſſent en quelque maniere calmé le feu dont je me ſentois dévorée.

Phébé, l’impudique Phébé, à qui tous les genres de paillardiſe étoient connus, avoit pris, ſelon toute apparence, ce goût bizarre en éducant de jeunes filles. Ce n’étoit pas néanmoins qu’elle eût de l’averſion pour les hommes, ou qu’elle ne les préférât à notre ſexe ; mais un penchant inſurmontable pour les plaiſirs les lui faiſoit prendre indiſtinctement, de quelque façon qu’ils ſe préſentaſſent. Rien, en un mot, n’étant capable de la raſſaſier, elle jeta tout-à-coup le drap au pied du lit, & je me trouvai la chemiſe au deſſus des épaules, ſans que j’euſſe la force de me dérober à ſes regards luxurieux ; car la chandelle brûlant encore, elle pouvoit me voir à ſon aiſe. Je ne ſaurois m’empêcher de l’avouer, ſi je rougis alors, c’étoit moins de modeſtie que de deſirs.

“ Non, (me diſoit-elle), ma chere poule, non, tu ne me cacheras pas tant de beautés : il faut que je ſatisfaſſe ma vue auſſi bien que mes mains… je veux dévorer des yeux cette gorge naiſſante… Laiſſe-la moi baiſer… Je ne l’ai point aſſez conſidérée… Que je la baiſe encore une fois !… Ciel ! quelle peau délicate & ferme !… quelle blancheur !… L’admirable corſage !… Oh ! le charmant duvet !… de grace, ſouffre que je voie cette jolie petite fente… C’en eſt trop… je n’en puis plus… Il faut, il faut „. Ici elle ſe ſaiſit de ma main, & la porta à l’endroit que l’on ſait. Mais que les mêmes choſes ſont quelquefois différentes ! Une épaiſſe & forte toiſon couvroit le large orifice de cette énorme cavité. Je crus que je m’y perdrois toute entiere. Cependant, après s’être bien démenée, ſon ardeur ſe rallentit : elle ſoupira profondément, & je me ſentis auſſi-tôt certaine moiteur glutineuſe entre les doigts, dont l’expérience m’a depuis développé la cauſe. Phébé, qui tout en ſe trémouſſant contre ma main, me tenoit toujours étroitement ſerrée entre ſes bras, & ſembloit, par ſes baiſers, redoublés, attirer nos ames ſur nos levres brûlantes & collées enſemble, lâcha enfin mollement priſe, ſe remit à mon côté, éteignit la chandelle & retira ſur nous la couverture.

J’ignore le plaiſir dont elle jouït ; mais je ſais bien, que je goûtai cette nuit, pour la premiere fois, les tranſports de la nature ; que les premieres idées de la corruption s’emparerent de mon cœur ; & que j’éprouvai, en outre, que la mauvaiſe compagnie d’une femme n’eſt pas moins fatale à l’innocence que la ſéduction des hommes : mais, continuons… Lorſque la paſſion de Phébé fut aſſouvie, & qu’elle goûtoit un calme dont je me trouvois bien éloignée, elle me fonda artificieuſement ſur tous les points qu’elle crut de l’intérêt de ſa vertueuſe Maîtreſſe ; & conçut, par mes réponſes, par mon ignorance, & par la chaleur de mon tempérament, les eſpérances les plus flatteuſes.

Après un dialogue aſſez long, ma compagne de lit me laiſſa à moi-même ; ſi bien que, provoquée par les violentes émotions que j’avois ſouffertes, je m’endormis ſur le champ, &, dans un de ces ſonges délicieux, que les feux du plaiſir font naître, je réaliſai mes tranſports de la veille.

Je m’éveillai le matin à dix heures, très-gaie & parfaitement rétablie de mes fatigues. Madame Brown entra comme nous ſortions du lit : je tremblois qu’elle ne me grondât de m’être levée ſi tard ; mais tout au contraire, elle me mangea de careſſes, & me dit les choſes du monde les plus flatteuſes. Après quoi on ſe mit à m’équiper promptement pour me faire paroître avec décence devant un des chalands de la maiſon, qui attendoit déja que je fuſſe viſible. Je puis dire, ſans vanité, que, malgré tous les ſoins que l’on prit à me parer, la nature faiſoit mon plus grand ornement. J’étois d’une taille avantageuſe & faite au tour ; j’avois les cheveux noirs, la peau d’un blanc à éblouïr, les traits du viſage réguliers ; j’avois de grands yeux bleus pleins de feu ; ma gorge étoit parfaite ; en un mot, je faiſois un morceau de roi. Auſſi-tôt ma toilette achevée, nous deſcendîmes, & Madame Brown me préſenta à un vieux couſin de nouvelle création, qui après m’avoir ſaluée, m’appuia ſur la bouche un baiſer, dont je l’aurois volontiers diſpenſé. En effet, on ne pouvoit gueres voir une plus déſagréable figure. Que l’on ſe repréſente un homme de ſoixante ans paſſés, petit & contrefait, de couleur de cadavre, avec de gros yeux de bœuf, une bouche fendue juſqu’aux oreilles, garnie de deux ou trois défenſes au lieu de dents, une haleine peſtilentielle, enfin un monſtre dont le ſeul aſpect faiſoit horreur.

C’étoit là le gentilhomme à qui ma bienfaitrice, ſon ancienne pourvoyeuſe, me deſtinoit. Suivant ce beau projet, elle me fit tenir droite devant lui, me tourna tantôt d’une façon, tantôt de l’autre, & détachant mon mouchoir, lui fit remarquer les mouvemens, la forme & la blancheur de ma gorge. Quand on crut le bouc ſuffiſamment prévenu par cet échantillon de mes charmes, Phébé me reconduiſit à ma chambre, & ayant fermé la porte, elle me demanda myſtérieuſement, ſi je ne ſerois pas bien aiſe d’avoir un auſſi beau cavalier pour mari ? (je ſuppoſe qu’on lui donnoit le titre de beau, parce qu’il étoit galonné.) Je répondis naïvement que je ne ſongeois point au mariage, mais que ſi jamais j’avois un choix à faire, ce ſeroit parmi les gens de ma ſorte, me figurant que tous les beaux cavaliers étoient faits ſur le modele de ce hideux animal.

Tandis que Phébé employoit ſa rhétorique à me perſuader en ſa faveur, Maman Brown, ainſi que j’ai ouï dire depuis, l’avoit taxé à cinquante guinées pour la ſeule permiſſion d’avoir un entretien préliminaire avec moi, & à cent de plus au cas qu’il obtint l’accompliſſement de ſes deſirs, le laiſſant maître de me récompenſer comme il le jugeroit à propos. Le marché fut à peine conclu, qu’il prétendit qu’on lui livrât la marchandiſe ſur le champ. On eut beau lui repréſenter que je n’étois pas encore préparée à une pareille attaque ; qu’il falloit tâcher de m’apprivoiſer avant de bruſquer les choſes ; que timide & jeune comme je l’étois, on riſqueroit de m’effaroucher & de me rebuter par trop de précipitation. Diſcours inutiles : tout ce qu’on put obtenir de lui, fut qu’il patienteroit juſqu’au ſoir.

Pendant le dîner mes deux embaucheuſes ne ceſſerent d’exalter le merveilleux couſin, & me dirent “ que j’avois eu le bonheur de le rendre ſenſible dès la premiere vue… qu’il me feroit ma fortune ſi je voulois être bonne fille, & ne point écouter mon caprice… que je pouvois compter ſur ſon honneur… que je ſerois au niveau des plus grandes dames du Royaume „. Elles ajouteront à ces faſtidieux propos maintes autres bêtiſes capables de tourner la tête d’une pauvre innocente telle que moi, ſi l’averſion inſurmontable, que j’avois pour lui, n’eût rendu leur babil ſans effet.

La ſéance fut ſi longue, qu’il étoit environ ſept heures quand nous ſortîmes de table. Je montai à ma chambre : notre vénérable abbeſſe m’y ſuivit incontinent après, eſcortée de mon effroyable ſatyre. L’introduction faite, elle me dit qu’une affaire de la derniere importance la forçoit de nous quitter, que je l’obligerois ſenſiblement de vouloir bien tenir compagnie à ſon cher couſin juſqu’à ſon retour. “ Pour vous, Monſieur, (ajouta-t-elle,) ſongez, par vos attentions & vos bonnes manieres, à vous rendre digne de l’affection de cette aimable enfant. Adieu ; ne vous ennuiez point „. En proférant ces derniers mots, la perfide étoit déja preſqu’au bas de l’eſcalier. Je m’attendois ſi peu à ce départ précipité, que je tombai ſur le ſopha comme pétrifiée. Le vieux pénart ſe mit auſſi-tôt près de moi, & voulant m’embraſſer, ſon haleine infecte me fit évanouir. Alors, profitant de l’état où j’étois, il me découvrit bruſquement la gorge, qu’il profana de ſes regards & de ſes attouchemens impurs. Encouragé par cet heureux début, l’infame m’étendit de mon long, & eut l’audace de gliſſer une de ſes mains ſous mes jupes : cette outrageante tentative me rappella à la vie. Je me relevai avec promptitude, & le ſuppliai, fondant en larmes, de ne me faire aucune inſulte. “ Qui, moi, ma chere, (dit-il,) vous faire inſulte ! ce n’eſt pas mon intention ; eſt-ce que la vieille Matrone ne vous a pas appris que je vous aime ? que je ſuis dans le deſſein de… Je ſais cela, Monſieur, (interrompis-je ;) mais je ne ſaurois vous aimer ; ſincérement je ne le puis… de grace, laiſſez-moi… oui, je vous aimerai de tout mon cœur, ſi vous voulez me laiſſer & vous en aller „. C’étoit parler en l’air. Mes pleurs ne ſervirent qu’à l’enflammer davantage : il m’étendit de nouveau ſur le ſopha, & après m’avoir jetté la chemiſe par deſſus la tête, le vilain fit, en ſoufflant & mugiſſant comme un taureau, des efforts qui ſe terminerent par une libation involontaire, dont je ſentis les effets ſur mes cuiſſes. Ce bel exploit achevé, il me vomit, dans ſa rage, toutes les horreurs imaginables. Je les écoutois avec d’autant moins d’impatience, que je me flattois de n’avoir plus rien à redouter de ſes brutales entrepriſes.

Cependant les pleurs qui couloient de mes yeux, mes cheveux épars, ma gorge nue, en un mot, le déſordre attendriſſant où j’étois, ranimerent ſa luxure. Il radoucit le ton, & me dit, que ſi je voulois me prêter de bonne grace avant que la vieille revint, il me rendroit ſon affection ; en même tems il ſe mit en
devoir de m’embraſſer & de porter la main à mon ſein ; mais la crainte & la haine me tenant lieu de force, je le repouſſai avec une violence extrême, & m’étant ſaiſie de la ſonnette, je la ſécouai tant, que la ſervante monta.

Quoique Marthe fût accoutumée dès long-tems aux ſcenes de cette eſpece, elle ne put me voir enſanglantée & chiffonnée, comme je l’étois, ſans émotion. De ſorte qu’elle le pria immédiatement de deſcendre, & de me laiſſer reprendre mes ſens, lui promettant que Madame Brown & Phébé rajuſteroient les choſes à leur retour… qu’il n’y auroit rien de perdu, pour laiſſer reſpirer un peu la pauvre petite… qu’en ſon particulier elle ne ſavoit que penſer de tout ceci, mais qu’elle ne me quitteroit pas que ſa Maîtreſſe ne fût rentrée. Le vieux ſinge voyant qu’il ſeroit inutile de perſiſter, ſortit de la chambre plein de rage, & me délivra de ſon abominable figure.

Marthe jugea, au pitoyable état où j’étois, que j’avois beſoin de repos, & m’offrit en conſéquence de me mettre au lit ; ce que je refuſai par la crainte que me donnoit le retour du monſtre qui venoit de me quitter. Marthe me perſuada cependant ſi bien que je me couchai en proie au plus vif chagrin, & agitée par la cruelle inquiétude d’avoir déplu à Madame Brown, dont je redoutois la vue : tant étoit grande ma ſimplicité, car ni la vertu ni la modeſtie n’avoient eu aucune part dans la défenſe que j’avois faite ; elle provenoit uniquement de l’averſion que m’avoit inſpirée la brutalité de l’horrible ſéducteur de mon innocence.

Mes deux appareilleuſes rentrerent à onze heures, & ſur le récit que ma libératrice leur fit des procédés brutaux du faux couſin à mon égard, les perfides employerent tous les ſoins imaginables pour me raſſurer & me tranquilliſer l’eſprit. Cependant elles ſe flattoient que ce n’étoit que partie remiſe, & que je leur ferois gagner tôt ou tard le reſtant du marché ; mais heureuſement je n’en eus que la peur. Le lendemain au ſoir j’appris, avec une joie extrême, que l’homme en queſtion venoit d’être arrêté pour dettes. Notre mere Abbeſſe perſuadée par le mauvais ſuccès de cette premiere épreuve, qu’il falloit, avant de faire de nouvelles tentatives, eſſayer d’adoucir mon humeur ſauvage, Crut que le plus ſûr moyen étoit de me livrer aux inſtructions d’une troupe de femmes qu’elle entretenoit à la maiſon. Conformément à ce beau projet, elles eurent toutes la liberté de me voir.

En effet, l’air délibéré de ces créatures, leur gaieté, leur étourderie me gagnerent tellement le cœur, qu’il me tardoit d’être aggrégée parmi elles. La timide retenue, la modeſtie, la pureté des mœurs que j’avois apportées de mon village, ſe diſſiperent en leur compagnie comme la roſée du matin diſparoît aux rayons du ſoleil.

Madame Brown me gardoit pourtant toujours ſous ſes yeux juſqu’à l’arrivée d’un Seigneur avec qui elle devoit trafiquer de ce joyau frivole qu’on priſe tant, & que j’aurois donné pour rien au premier crocheteur qui auroit voulu m’en débarraſſer ; car dans le court eſpace que j’avois été livrée à mes compagnes, j’étois devenue ſi bonne théoricienne, qu’il ne me manquoit plus que l’occaſion pour mettre leurs leçons en pratique. Juſques là je n’avois encore entendu que des diſcours : je brûlois de voir des choſes ; le haſard me ſatisfit ſur cet article, lorſque je m’y attendois le moins.

Un jour vers le midi, que j’étois dans une petite garde-robe obſcure, ſéparée de la chambre de Madame Brown par une porte vitrée, j’entendis je ne ſais
quel bruit, qui excita ma curioſité. Je me gliſſai doucement, & je me poſtai de telle façon que je pouvois tout voir ſans être vue. C’étoit notre Révérende Mere Prieure elle-même, ſuivie d’un jeune Grenadier à cheval, grand, bien découplé, &, ſelon les apparences, un héros dans les joyeux ébats.

Je n’oſois faire le moindre mouvement, ni reſpirer, de peur de manquer, par mon imprudence, l’occaſion d’un ſpectacle que je ſoupçonnois devoir être fort intéreſſant ; mais la paillarde avoit l’imagination trop pleine de ſon objet préſent, pour que tout autre choſe fut capable. de la diſtraire. Elle s’étoit aſſiſe ſur le pied du lit, vis-à-vis la porte de la garde-robe, d’où je ne perdis pas un coup-d’œil de ſes monſtrueux & flaſques appas. Son champion avoit l’air d’un vivant de bon appétit & expéditif. En effet, il poſa, ſans cérémonie, ſes larges mains ſur les effroiables mammelles, ou plutôt ſur les longues & peſantes callebaſſes de la mere Brown. Après les avoir patinées quelques inſtans avec autant d’ardeur que ſi elles en avoient valu la peine, il la jetta bruſquement à la renverſe, & couvrit de ſes cotillons ſa face bourgeonnée. Tandis que le drôle ſe débrailloit & mettoit culottes bas, mes yeux eurent le loiſir de faire la revue des plus énormes choſes qu’il ſoit poſſible de voir & qu’il n’eſt pas aiſé de définir. Qu’on ſe repréſente une paire de cuiſſes courtes & groſſes, d’un volume inconcevable, terminées en haut par une horrible échancrure, hériſſée d’un buiſſon épais de crin noir & blanc, on n’en aura encore qu’une idée imparfaite.

Mais voici ce qui occupa toute mon attention. Le héros produiſit au grand jour cette merveilleuſe & ſuperbe piece qui m’avoit été inconnue juſqu’alors, & dont le coup-d’œil ſimpatique me fit ſentir des chatouillemens preſqu’auſſi
délectables que ſi j’euſſe dû réellement en joüir. Madame Brown l’empoigna, & l’ayant placée à l’entrée de ſon effroyable embraſure, le Gars ſe laiſſa tomber ſur elle. Auſſi-tôt les ſecouſſes du lit, le bruit des rideaux, leurs ſoupirs mutuels m’annoncerent qu’il avoit donné dans le but. La vue d’une ſcene ſi touchante porta le coup mortel à mon innocence.

Pendant la chaleur de l’action, je gliſſai ma main ſous ma chemiſe, & pénétrant du bout du doigt le réduit des voluptés auſſi avant que je le pus, je tombai tout-à-coup dans cette délicieuſe extaſe où la nature, accablée de plaiſir, ſemble ſe confondre & s’anéantir.

Quand j’eus aſſez repris mes ſens pour être attentive au reſte de la fête, j’apperçus la vieille futaille embraſſant comme une forcénée ſon Grenadier, qui paroiſſoit en cet inſtant plus rebuté que touché de ſes careſſes. Mais une raſade d’eſprit de genievre qu’elle lui fit avaler, & certain mouvement officieux d’un poignet adroit & ſouple, lui rendirent bientôt ſon premier état. Alors j’eus tout le loiſir de remarquer le mécaniſme admirable de cette partie eſſentielle de l’homme. La tête rouge & enflammée de l’inſtrument décoëffé, ſa longueur & ſon énorme groſſeur, un buiſſon épais d’un poil dur & friſé qui en ombrageoit la racine, joint au vaſte gouſſet qui branloit au-deſſous, tout fixa mon attention & augmenta mes tranſports, qui ne firent que s’accroître, par l’aſpect des plaiſirs d’un ſecond combat, que ma poſition me fit voir diſtinctement.

Avant de congédier ſon Gars, Madame Brown lui mit trois ou quatre guinées dans la main ; le drôle étoit non-ſeulement ſon favori, mais celui de toute la maiſon. Elle avoit eu grand ſoin de me tenir cachée, de crainte qu’il n’eût pas la patience d’attendre l’arrivée du Seigneur, à qui mes premices étoient deſtinées ; car on ne ſe ſeroit point aviſé de lui diſputer ſon droit d’aubaine.

Auſſi-tôt qu’ils furent deſcendus, je volai à ma chambre, où m’étant renfermée, je me livrai intérieurement aux douces émotions qu’avoit fait naître en mon cœur le ſpectacle dont je venois d’être témoin. Je me jetai ſur mon lit dans une agitation inſupportable, & ne pouvant réſiſter au feu qui me dévoroit, j’eus recours à la triſte reſſource du manuel des ſolitaires ; mais malgré mon impatience, la douleur que l’intromiſſion de mon doigt me fit, m’empêcha de pourſuivre juſqu’à ce que Phébé m’eût donné là-deſſus de plus amples inſtructions.

Quand nous fumes enſemble, je la mis ſur cette voie, en lui faiſant un narré fidele de ce que j’avois vu. Elle me demanda quel effet cela avoit produit en moi. Je lui avouai naïvement que j’avois reſſenti les deſirs les plus violens ; mais qu’une choſe m’embarraſſoit beaucoup. “ Et qu’eſt-ce que c’eſt, (dit-elle,) que cette choſe ? Eh ! mais, (répondis-je,) cette terrible machine qui m’a paru pour le moins auſſi groſſe que mon poignet & longue de plus d’un pied, comment eſt-il poſſible qu’elle puiſſe entrer ſans me faire mourir de douleur, puiſque vous ſavez bien que je ne ſaurois y ſouffrir même le petit doigt ?… A l’égard du bijou de ma maîtreſſe & du vôtre, je conçois aiſément, par leurs dimenſions, que vous ne riſquez rien. Enfin, quelque délectable qu’en ſoit le plaiſir, je crains d’en faire l’eſſai „.

Phébé me dit en riant qu’elle n’avoit pas encore ouï perſonne ſe plaindre qu’un ſemblable inſtrument eût jamais fait de bleſſures mortelles en ces endroits-là, & qu’elle en connoiſſoit d’auſſi jeunes & d’auſſi délicates que moi, qui n’en étoient pas mortes… Qu’à la vérité nos bijoux n’étoient pas tous de la même meſure ; mais qu’à un certain âge, après quelque tems d’exercice, cela prêtoit comme un gant ; qu’au reſte ſi celui-là me faiſoit peur, elle m’en procureroit un d’une taille moins monſtrueuſe. “ Vous connoiſſez, (pourſuivit-elle,) Polly Philips. Un jeune Italien l’entretient ici, & vient la voir deux ou trois fois la ſemaine. Elle le reçoit dans le petit cabinet du premier étage : on l’attend demain. Je veux vous faire voir ce qui ſe paſſe entr’eux, d’une place qui n’eſt connue que de Madame Brown & moi „.

Le jour ſuivant, Phébé ponctuelle à remplir ſa promeſſe, me conduiſit par l’eſcalier dérobé dans un petit réduit obſcur, d’où nous pouvions voir ſans être vues. Les Acteurs parurent bientôt, & après de mutuelles embraſſades de part & d’autre, le jeune homme ſe déshabilla juſqu’à la chemiſe ; Polly à ſon exemple en fit autant avec toute la diligence poſſible. Alors, comme s’il eût été jaloux du linge qui la couvroit encore, il la mit en un clin-d’œil toute nue, & expoſa à nos regards les membres les mieux proportionnés & les plus beaux qu’il fut poſſible de voir.

Polly n’avoit pas plus de dix-ſept ans. Les traits de ſon viſage étoient réguliers, délicats & doux ; ſa gorge étoit blanche comme la neige, parfaitement ronde, & aſſez ferme pour ſe ſoutenir d’elle-même ſans aucun ſecours artificiel : deux charmans boutons de corail, diſtans l’un de l’autre, en faiſoient remarquer la ſéparation.

On voyoit enſuite un ventre plus poli que l’ivoire, au bas duquel paroiſſoit à peine une petite ouverture, qui ſembloit fuïr par modeſtie, & ſe cachoit entre les plus belles cuiſſes du monde ; un jeune
duvet épais & noir en ombrageoit le délicieux orifice ; en un mot, Polly étoit un vrai modele de peinture & le triomphe des nudités.

L’Italien ne pouvoit ſe laſſer de la contempler : ſes mains, auſſi avides que ſes yeux, la parcouroient de tous ſens. Pendant cet agréable badinage, ſa chemiſe qui hauſſoit par devant, faiſoit juger de la condition des choſes qu’on ne voyoit pas ; mais il les montra bientôt dans tout leur brillant, en ſe dépouillant à ſon tour du linge qui les cachoit. Ce jeune étranger pouvoit avoir alors environ vingt-deux ans : il étoit grand, bien fait, taillé en Hercule, & ſans être beau, d’une figure fort revenante. Son joyeux inſtrument ſortoit avec pompe d’un taillis épais & friſé ; ſa roideur & ſa groſſeur extrême me firent friſſonner de crainte pour la tendre petite partie qui alloit ſouffrir ſes bruſques aſſauts ; car il avoit déja jeté la victime ſur le lit, & l’avoit placée de façon que je voyois tout à mon aiſe. Ses cuiſſes bien écartées découvroient à mes yeux le centre délectable des plaiſirs, dont les levres vermeilles formoient une eſpece de lozange en miniature, que le coloris de Rubens n’auroit pu imiter.

Alors Phébé me pouſſa doucement, & me demanda ſi je croyois l’avoir plus petit ? Mais j’étois trop attentive à ce que je voyois pour être capable de lui répondre. Le Gars en ce moment approchant du but, ſon fier brandon ne menaçoit pas moins que de fendre la charmante enfant, qui lui ſourioit & ſembloit défier ſa vigueur. Il le guida lui-même, en ſéparant du bout des doigts les levres délicates de cette jolie fente, & après quelques coups auxquels la combattante ripoſtoit, l’ayant introduit à moitié, il le retira pour le mouiller. Enfin, il l’introduiſit de nouveau, & le plongea juſqu’à la garde. L’aimable Polly laiſſa échapper, en cet inſtant, un profond ſoupir, qui n’étoit rien moins qu’occaſionné par la douleur. Le héros pouſſe, elle répond en cadence à ſes mouvemens ; mais bientôt leurs tranſports réciproques augmentent à un tel degré de violence, qu’ils n’obſervent plus aucune meſure. Leurs ſecouſſes étoient trop rapides & trop vives, leurs baiſers trop ardens pour que la nature y pût ſuffire : ils étoient confondus, anéantis l’un dans l’autre. “ Ah ! ah !… je n’y ſaurois tenir… c’en eſt trop… j’évanouis… j’expire… je meurs „. C’étoient les expreſſions entrecoupées qu’ils lâchoient mutuellement dans cette douce agonie. Le champion, en un mot, faiſant ſes derniers efforts, annonça par une langueur ſubite répandue dans tous ſes membres, qu’il touchoit au plus délicieux moment. La tendre Polly annonça qu’elle y touchoit auſſi, en jetant ſes bras avec fureur, & perdant l’uſage de ſes ſens dans l’excès du plaiſir.

Quand il ſe fut retiré, elle reſta quelques inſtans encore ſans mouvement, les cuiſſes toujours écartées, au moyen de quoi il étoit aiſé de diſcerner une eſpece d’écume blanche ſur le bord des levres de cette récente bleſſure, dont le dedans le diſputoit, pour la couleur, au plus beau carmin. Elle ſortit, à la fin, de ſon évanouiſſement, & ſautant au cou de ſon ami, il parut, par les nouvelles careſſes que la friponne lui prodigua, que l’eſſai qu’elle venoit de faire de ſa vigueur, ne lui avoit point déplu.

Je n’entreprendrai pas de décrire ce que je ſentis pendant cette ſcene ; mais il ſuffit que tu ſaches que je fus guérie de toutes mes frayeurs, & que j’étois ſi preſſée de mes beſoins, que j’aurois tiré par la manche le premier homme qui ſe ſeroit préſenté, pour le ſupplier de me débarraſſer de ce poids, qui m’étoit déſormais inſupportable.

Phébé, quoique plus accoutumée que
moi à de ſemblables fêtes, ne put être témoin de celle-ci ſans être émue. Elle me tira doucement de ma place d’obſervation, & me conduiſit du côté de la porte. Là, faute de chaiſe & de lit, elle m’adoſſa contre le mur, & m’ayant levé les jupes, la luxurieuſe me mania cette partie où je ſentois de ſi vives irritations. Le bout de ſon doigt fit un effet auſſi prompt que le feu ſur la poudre. Je lui laiſſai dans la main une preuve de la force dont ce touchant ſpectacle m’avoit affectée. Alors ſatisfaite par le ſoulagement que je venois de recevoir, nous revinmes à notre poſte.

L’Italien étoit aſſis ſur le lit vis-à-vis de nous ; Polly aſſiſe ſur un de ſes genoux, le tenoit embraſſé : leurs langues enflammées, collées l’une contre l’autre, ſembloient vouloir pomper le plaiſir dans ſa ſource la plus pure.

Pendant ce tendre badinage, Meſſire Jeanchouart avoit repris une nouvelle vie. Tantôt la folâtre Polly le pelotoit, le ſecouoit comme font les petits enfans leurs hochets ; tantôt elle le preſſoit & le ſerroit entre ſes cuiſſes ; quelquefois elle le plaçoit entre ſes charmans tetons comme un gros bouton de roſe. Le jeune homme, de ſon côté, après avoir épuiſé, en la careſſant, toutes les reſſources de la luxure, ſe jeta tout-à-coup à la renverſe, & la tira ſur lui. La friponne empoigne le dard avec un courage héroïque, & ſe l’enfonce juſqu’à l’extrêmité. Elle demeura ainſi quelques inſtans, jouiſſant de ſon attitude, tandis que le paillard s’amuſoit à lui claquer légérement les feſſes. Mais bientôt l’éguillon du plaiſir les embraſant de nouveau, ce ne fut plus qu’une confuſion de ſoupirs & de mots mal articulés. Il la ſerre étroitement dans ſes bras, elle le preſſe dans les ſiens, la reſpiration leur manque, & ils reſtent tous deux, ſans donner aucun ſigne de vie, plongés & abſorbés dans la plus délicieuſe extaſe.



J’avoue qu’il ne me fut pas poſſible d’en voir davantage : cette derniere ſcene m’avoit tellement miſe hors de moi-même, que j’en étois devenue furieuſe. Je ſaiſis Phébé, comme ſi elle avoit eu de quoi me ſatisfaire. Elle eut pitié de moi, & me faiſant ſigne de la ſuivre, nous nous retirâmes dans notre chambre. La premiere choſe que je fis, fut de me jetter ſur le lit : ma compagne s’y étant miſe auſſi, me demanda ſi je me ſentois maintenant l’humeur guerriere, ayant eu le tems de reconnoître l’ennemi ? Je ne lui répondis qu’en ſoupirant. Elle me prit alors la main, & la conduiſit ſous ſa chemiſe à l’endroit où j’aurois voulu rencontrer le véritable objet de mes deſirs ; mais ne trouvant qu’un terrein plat & creux, je me ſerois retirée bruſquement, ſi je n’avois pas craint de la déſobliger. Je me prêtai donc à ſon caprice, & lui laiſſai faire de mes doigts ce qu’il lui plut. Quant à moi, je languiſſois déſormais pour quelque choſe de plus ſolide, & n’étois pas d’humeur à me contenter de ces amuſemens inſipides, ſi Madame Brown n’y pourvoyoit bientôt. Je ſentois même qu’il me ſeroit bien difficile de différer juſqu’à l’arrivée de Mylord B… quoiqu’on l’attendît inceſſamment. Par bonheur je n’eus pas beſoin ni de lui ni de ſes préſens ; l’amour, lorſque je l’eſpérois le moins, diſpoſa de mon ſort.

Deux jours après l’aventure du cabinet, m’étant levée, par hazard, plus matin qu’à l’ordinaire, & tout le monde dormant encore, je deſcendis pour prendre le frais dans un petit jardin, dont l’entrée m’étoit interdite quand il y avoit des chalands au logis. Je fus extrêmement ſurpriſe, en voulant traverſer une ſalle, de voir un jeune homme qui dormoit profondement dans un fauteuil. Je m’approchai par un mouvement naturel aux femmes, pour voir ſa phyſionomie. Mais, ô ciel ! quel ſpectacle ! il n’eſt
pas poſſible d’exprimer l’impreſſion ſubite que fit ſur moi cette charmante vue. Non, cher & doux objet de mes tendres inclinations, je n’oublierai jamais cet inſtant fortuné où mes yeux émerveillés t’adorerent pour la premiere fois… il me ſemble que je te revois encore dans la même attitude.

Figure-toi, ma bonne amie, un garçon de dix-huit à dix-neuf ans, fait au moule, & beau comme les Anges, ou plutôt rappelle-toi toutes les graces du fils de Vénus, & l’état raviſſant ou la tendre Pſiché le ſurprit lorſqu’elle le trouva endormi. Le cœur me battoit ; je tremblois de tous mes membres ; dans la perplexité où j’étois, je ne ſavois quel parti prendre ; je n’aurois pas voulu, pour tous les biens du monde, laiſſer échapper l’occaſion de lui parler, & cependant je n’oſois tenter l’aventure, tant j’étois retenue par la crainte. Enfin, mon amour m’enhardit ; je lui pris doucement la main & l’éveillai. Il parut d’abord étonné & comme fâché que j’euſſe interrompu ſon ſommeil : mais après m’avoir conſidérée, il me demanda quelle heure il étoit ? Je le lui dis, & j’ajoutai que je craignois qu’il ne s’enrhumât en reſtant ainſi expoſé à l’air. Il me remercia, avec une douceur qui répondoit admirablement à celle de ſes yeux. Il ne doutoit pas que je ne fûſſe une des penſionnaires du Bercail, & que je ne vinſſe pour lui offrir mes ſervices. Néanmoins, ſoit qu’il craignît de m’offenſer, ſoit que ſa politeſſe naturelle le retint dans les bornes de l’honnêteté, il me parla le plus civilement du monde, & me donnant un baiſer, il me dit que ſi je voulois paſſer une heure avec lui, je n’aurois pas lieu de m’en repentir. Quoique mon amour naiſſant m’y invitât, la crainte d’être ſurpriſe par les gens de la maiſon me retenoit.

Je lui dis que, pour des motifs que je n’avois pas le loiſir de lui expliquer, je ne pouvois reſter plus long-tems en ſa compagnie, & que, peut-être, je ne le reverrois de mes jours ; ce que je ne pus proférer ſans laiſſer échapper un ſoupir du fond du cœur. Cet aimable garçon, qui, à ce qu’il m’a avoué depuis, n’avoit pas moins été frappé de ma figure que moi de la ſienne, me demanda précipitamment ſi je voulois qu’il m’entretînt, ajoutant qu’il me mettroit en chambre ſur le champ, & payeroit ce que je devois dans la maiſon. Quelque folie qu’il y eût à accepter une pareille offre de la part d’un inconnu, qui étoit trop jeune pour qu’on pût, avec prudence, ſe fier à ſes promeſſes, le violent amour, dont je me ſentois épriſe pour lui, ne me laiſſa point le tems de délibérer. Je lui répondis toute tremblante, que je me jettois entre ſes bras, & m’abandonnois aveuglément à lui, ſoit qu’il fût ſincere ou non. Il y avoit déja quelque tems, que, pour ne pas courir les mauvais hazards de la ville, il cherchoit une fille qui lui convînt : ma bonne fortune voulut qu’il me trouva à ſon gré, & que nous fiſſions immédiatement le marché.

Notre petit plan fut que je m’échapperois le jour ſuivant vers les ſept heures du matin, & qu’il m’attendroit dans un carroſſe au bout de la rue. Je lui recommandai de ne pas donner à connoître qu’il m’eût vue, pour des raiſons que je lui dirois à loiſir. Enſuite, de peur de faire échouer notre projet par indiſcrétion, je m’arrachai de ſa préſence, & remontai, ſans bruit, à ma chambre. Phébé dormoit encore : je me déshabillai promptement, & me remis au lit, le cœur mêlé de joie & d’inquiétude.

Cependant le ſeul eſpoir de ſatisfaire ma flamme diſſipa petit à petit toutes mes craintes. Mon ame étoit tellement occupée de cet adorable objet, que j’aurois verſé tout mon ſang pour le voir, & jouir de lui un inſtant. Il pouvoit faire de moi ce qu’il vouloit ; ma vie étoit à lui ; je me ſerois crue trop heureuſe de mourir d’une main ſi chere.

Je paſſai dans de ſemblables réflexions ce jour-là, qui me parut une éternité. Combien de fois ne me prit-il pas envie d’avancer la pendule, comme ſi ma main eût pu hâter le tems ? Je ſuis ſurpriſe que les gens de la maiſon ne remarquerent pas alors quelque choſe d’extraordinaire en moi, ſur-tout lorſqu’à dîner on vint à parler de cet adorable mortel qui avoit déjeûné au logis. Ah ! s’écrioient mes compagnes, qu’il eſt beau ! qu’il eſt complaiſant, doux & poli ! elles ſe ſeroient arraché le bonnet & les yeux pour lui. Je laiſſe à penſer ſi de pareils diſcours diminuoient le feu qui me conſumoit. Néanmoins l’agitation où je fus toute la journée, produiſit un bon effet. Je dormis aſſez bien juſqu’à cinq heures du matin ; je me gliſſai incontinent hors du lit, & m’étant habillée en un clin d’œil, j’attendis avec autant d’impatience que de crainte, le moment heureux de ma délivrance. Il arriva enfin, ce délicieux moment. Alors, encouragée par l’amour, je deſcendis ſur la pointe du pied, & gagnai la porte, dont j’avois eſcamoté la clef à Phébé. Dès que je ſus dans la rue, je découvris mon Ange tutelaire qui m’attendoit. Voler comme un trait à lui, ſauter dans le carroſſe, me jetter à ſon cou, & fouette cocher ; tout cela ne fut qu’un.

Un torrent de larmes les plus douces que j’aie verſées de ma vie, coula immédiatement de mes yeux. Mon cœur étoit à peine capable de contenir la joie que je reſſentois de me voir entre les bras d’un ſi beau garçon. Il me juroit, chemin faiſant, dans les termes les plus paſſionnés, qu’il ne me donneroit jamais ſujet de regretter la démarche où il m’avoit embarquée. Mais, hélas ! quel mérite y avoit-il dans cette démarche ?
n’étoit-ce pas mon penchant qui me l’avoit fait faire ?

En quelques minutes (car alors les heures n’étoient plus rien pour moi) nous deſcendîmes à Chelſea, dans une fameuſe taverne réputée pour les parties fines. Nous y déjeunâmes avec le maître de la maiſon, qui étoit un réjoui du vieux tems, & parfaitement au fait du négoce. Il nous dit d’un ton gai, & en me regardant malicieuſement, qu’il nous ſouhaitoit une ſatisfaction entiere ; que ſur ſa foi, nous étions bien appariés ; que grand nombre de Meſſieurs & Dames fréquentoient ſa maiſon ; mais qu’il n’avoit jamais vu un plus beau couple ; qu’il jureroit bien que j’étois du fruit nouveau ; que je paroiſſois ſi fraîche, ſi innocente, & qu’en un mot mon compagnon étoit un heureux mortel. Ces éloges, quoique groſſiers, me plurent infiniment, & contribuerent à diſſiper la crainte que j’avois de me trouver ſeule à la diſcrétion de mon nouveau Souverain ; crainte où l’amour avoit plus de part que la pudeur. Je ſouhaitois, je brûlois d’impatience de me trouver ſeule avec lui, je ſerois morte pour lui plaire, & pourtant je ne ſais comment, ni pourquoi, je craignois le point capital de mes plus ardens deſirs. Ce conflit de paſſions différentes, ce combat entre l’amour & la modeſtie, me firent pleurer de nouveau. Dieux, que de pareilles ſituations ſont intéreſſantes pour de vrais amans !

Après le déjeuné, Charles, (c’étoit le nom du précieux objet de mes adorations,) avec un ſouris myſtérieux, me prit par la main, & me dit qu’il me vouloit montrer une chambre, d’où l’on découvroit la plus belle vue du monde. Je me laiſſai conduire dans un appartement, dont le premier meuble qui me frappa, fut un lit qu’il ſembloit qu’on eût garni pour une Reine.

Charles ayant fermé la porte au verrouil, me prit entre ſes bras, &, la bouche collée ſur la mienne, m’étendit, toute tremblante de deſirs & d’effroi, ſur cette pompeuſe couche. Son ardeur impatiente ne lui permit pas de me déshabiller : il ſe contenta de me délacer & de m’ôter mon mouchoir.

Alors ma gorge nue, qu’une reſpiration embarraſſée & mes ſoupirs brûlans faiſoient lever, offrit à ſes yeux deux tetons tels qu’on ſe les peut figurer chez une fille de ſeize ans, nouvellement arrivée de la campagne, & qui n’avoit jamais connu d’homme. Leur rondeur parfaite, leur blancheur, leur fermeté n’étant pas capables de fixer ſes mains, il les porta tout-à-coup ſous mes jupes, & découvrit le centre d’attraction. Cependant je ſerrai machinalement les cuiſſes ; mais le fripon ayant inſinué doucement ſes doigts entre deux, je les ouvris ſans réſiſtance, & le laiſſai maître du champ de bataille. Comme je n’avois pas fait, en cette conjoncture, toutes les façons qu’exige la bienſéance, il s’imagina que je n’étois rien moins que novice, & que je ne poſſédois plus ce frivole joyau, que les hommes ont la folie de rechercher avec tant d’ardeur. Néanmoins cette idée déſavantageuſe ne rallentit point ſon empreſſement ; il tira ſon priape, & le pouſſa de toutes ſes forces, croyant le lancer dans une voie déja frayée. Alors je ſentis pour la premiere fois, le frottement de cette noble machine. Mais quelle fut ſa ſurpriſe, quand, après maintes vigoureuſes attaques, qui me cauſerent une douleur des plus aiguës, il vit qu’il ne faiſoit pas le moindre progrès ! “ Ah ! (lui diſois-je tendrement,) je ne le puis ſouffrir… Non, en vérité, je ne le puis… Il me bleſſe… Il me tue. ” Charles ne crut autre choſe, ſinon qu’il l’avoit trop gros, & moi trop petit ; car il ne pouvoit pas ſe perſuader que je fuſſe encore pucelle.


Il fit inutilement une ſeconde tentative, qui me cauſa plus d’angoiſſes qu’auparavant : mais, de peur de lui déplaire, j’étouffois mes plaintes de mon mieux. Enfin, ayant eſſayé pluſieurs ſemblables aſſauts ſans ſuccès, il s’étendit à côté de moi hors d’haleine, & ſéchant mes larmes par mille baiſers humides & brûlans, il me demanda avec tendreſſe, ſi je ne l’avois pas mieux ſouffert des autres que de lui ? Je lui répondis d’un ton de ſimplicité perſuaſif, qu’il étoit le premier homme que j’euſſe jamais connu. Charles, déja diſpoſé à me croire par ce qu’il venoit d’éprouver, me mange de careſſes, me ſupplie, au nom de l’amour, d’avoir un peu de patience, & m’aſſure qu’il fera tout ſon poſſible pour ne me point faire de mal.

Hélas ! c’étoit aſſez que je ſûſſe lui faire plaiſir pour conſentir à tout avec joie, quelque douleur que je préviſſe qu’il me fit ſouffrir.

Il revint donc à la charge ; mais avant, il mit une couple d’oreillers ſous mes reins, pour donner plus d’élévation au but où il vouloit frapper. Enſuite me hauſſant les cuiſſes ſur ſes hanches, il marque du doigt ſa viſée ; & s’élançant tout-à-coup avec furie, la prodigieuſe roideur de ſon membre briſe l’union de cette tendre partie, & pénétre juſtement à l’entrée des levres. Alors, s’appercevant du petit progrès qu’il vient de faire, il reprend courage, & précipitant ſes coups en direction, il force le détroit : ce qui me cauſa une douleur ſi cuiſante, que j’aurois crié au meurtre, ſi je n’avois appréhendé de le fâcher. Je retins mon haleine, & ſerrant mes jupes entre mes dents, je les mordois pour faire diverſion au mal que je ſouffrois. A la fin les barrieres délicates de ce charmant ſentier ayant cédé à de ſi violens efforts, il pénétra plus avant. Le cruel, en cet inſtant, ne ſe poſſédant plus, ſe précipite avec rage, il déchire, il briſe tout ce qui ſe rencontre, & couvert & fumant du ſang de ſa victime, il parvient au bout de ſa carriere. J’avoue qu’aux dernieres ſecouſſes la force me manqua je criai comme ſi l’on m’eût égorgée, & perdis entierement connoiſſance.

Quelques momens après, quand j’eus repris mes ſens, je me trouvai au lit toute nue entre les bras de mon adorable meurtrier. Je le regardai languiſſamment, & lui demandai, par maniere de reproche, ſi c’étoit-là la récompenſe de mon amour ? Charles, à qui j’étois devenue plus chere par le triomphe qu’il venoit de remporter, me dit des choſes ſi touchantes, que le plaiſir de voir, & de penſer que je lui appartenois, effaça, dans la minute, juſqu’au moindre ſouvenir de mes ſouffrances.

L’accablement où je me trouvois, ne me permettant pas de me lever, nous dînâmes au lit. Néanmoins une aîle de poulet, que je mangeai d’aſſez bon appétit, & deux ou trois verres de vin me remirent en état de ſupporter une nouvelle épreuve. Mon amant ne tarda pas à s’en appercevoir, par les tranſports & la tendre fureur avec leſquels je me livrai à ſes embraſſemens. Il inſinua ſes cuiſſes entre les miennes, & s’élançant de nouveau, il élargit, perça la voie, non ſans me faire encore beaucoup ſouffrir ; mais j’étouffai mes cris, & ſupportai l’opération en véritable héroïne. Cependant, quelques ſoupirs languiſſans qui lui échapperent, un doux friſſon qui lui prit, m’annoncerent qu’il touchoit au ſouverain plaiſir, que la douleur, toujours trop cuiſante, m’empêchoit de partager.

Ce ne fut qu’après quelques aſſauts de plus, que je ſentis pleinement l’éjaculation délicieuſe & balſamique, qui me fit paſſer par l’excès des douleurs au comble de la félicité. Je commençai alors à
partager ces plaiſirs ſuprêmes, à goûter ces tranſports délicieux, ces ſenſations trop vives, & trop ardentes, pour qu’on puiſſe y réſiſter long-tems. Heureuſement la nature a pourvu, par ces diſſolutions momentanées, à ce délire & à ce tremblement univerſel qui précédent & accompagnent le plaiſir, & l’épanchement de la liqueur divine, moment, où, comme le dit très-bien certain Philoſophe, l’on exiſte trop pour craindre de ceſſer d’être.

C’eſt dans de pareils paſſe-tems que nous gagnâmes l’heure du ſouper. Nous mangeâmes à proportion du fatiguant exercice que nous avions. Pour moi, j’étois ſi tranſportée de joie, en comparant mon bonheur actuel avec l’inſipide genre de vie que j’avois mené ci-devant, que je n’aurois pas cru l’avoir acheté trop cher, quand ſa durée n’eût été que d’un moment. La jouiſſance préſente étoit tout ce qui rempliſſoit ma petite cervelle. Enfin, la nature, qui avoit beſoin de réparation, nous ayant invités au repos, nous nous endormîmes. Mon ſommeil fut d’autant plus délectable, que je le paſſai dans les bras de mon amant.

Quoique je ne m’éveillâſſe le lendemain que fort tard, Charles dormoit encore profondément. Je me levai le plus doucement que je pus, & me rajuſtai de mon mieux. Ma toilette achevée, je m’aſſis au bord du lit pour me repaître du plaiſir de contempler mon Adonis. Il avoit ſa chemiſe roulée juſqu’au cou ; mes deux yeux & ceux d’Argus n’auroient pas été trop pour jouir pleinement d’une vue ſi raviſſante. Je ne ſaurois croire que l’Apollon du Vatican vanté par les connoiſſeurs, fut mieux proportionné, ni plus beau. Quand, après l’avoir regardé en gros, je voulus le détailler, mes regards ſe fixerent principalement ſur ce terrible membre, qui, peu de tems auparavant, m’avoit cauſé tant de douleur. Mais qu’il étoit
méconnoiſſable alors ! il repoſoit languiſſamment ſur une de ſes cuiſſes, la tête retirée dans ſon beguin, & paroiſſant incapable des cruautés qu’il avoit commiſes. Néanmoins, tout différent que je le trouvois de l’état pompeux où je l’avois vu, il m’enflamma l’imagination à tel degré, que je ne pus m’abſtenir de porter la main ſous ma chemiſe, & de conſidérer la différence qu’il y a entre la pucelle & la femme.

Tandis que j’étois occupée à cet intéreſſant examen, Charles s’éveilla, & ſe tournant vers moi, me demanda, avec douceur, comment j’avois repoſé ; &, ſans attendre ma réponſe, m’imprima ſur la bouche un baiſer tout de feu. Incontinent après il me trouſſa juſqu’à la ceinture, pour ſe récréer, à ſon tour, du ſpectacle de mes charmes nuds, & ſe donner la ſatisfaction d’examiner le dégât qu’il avoit fait. Ses yeux & ſes mains ſe délectoient à l’envi. De tendres exclamations, ſans celle interrompues par ſes ſoupirs, faiſoient mieux l’éloge de ce qu’il voyoit, que tout ce qu’il eût pu dire de plus éloquent. Cependant, ſa machine, levant fierement la tête, reparut dans tout ſon éclat. Il la conſidere un inſtant avec complaiſance, enſuite il veut me la mettre en main ; d’abord un reſte de honte me fit faire quelque difficulté de la prendre ; mais mon inclination étant plus forte, je l’empoignai en rougiſſant, & ma hardieſſe augmentant à proportion du plaiſir que je reſſentois, je la maniai, & toutes ſes dépendances avec une avidité extrême. Imaginez-vous une colonne de l’ivoire la plus blanche, parſemée de veines bleuâtres, qui ſoutenoient une tête nue du plus beau vermillon, & dont le marbre n’égaloit point la dureté & la rondeur, quoique la douceur de la peau fut égale à celle du velours. Au bas de cette piece charmante pendoit cette bourſe admirable, dans laquelle la nature ſemble avoir renfermé le bonheur des mortels. Je portai auſſi la main à ce tréſor, en écartant doucement le poil qui l’ombrageoit ; & je ſentis, au travers d’une peau ſouple & diaphane, ces deux globes précieux, qui ſembloient s’entrebaiſer, & dont j’avois éprouvé, un moment auparavant, les délicieuſes ſecouſſes. La douce chaleur de ma main rendit bientôt mon amant intraitable ; il me retira d’entre les doigts ce précieux joyau, & le plongea de nouveau dans ma bleſſure, alors ouverte pour la vie. Je n’y ſentis preſque plus de douleur. Toutes les membranes, que la violence de ſes aſſauts avoient dilatées, obéiſſantes & ſouples maintenant, ne ſembloient ſe reſſerrer que pour donner du plaiſir & en recevoir.

S’il eſt vrai que l’on meurt quelquefois de joie, c’eſt un miracle que je ne ſois point expirée dans de ſi délicieuſes agonies.

L’excès de la jouiſſance ayant à la fin calmé nos tranſports, nous nous mîmes à parler d’affaires. Charles m’avoua naïvement qu’il étoit né d’un pere indigent, de qui il n’avoit eu qu’une bien médiocre éducation. Le pauvre enfant étoit parvenu juſqu’à l’âge de raiſon dans une ſi parfaite indolence, qu’il n’avoit jamais eu la penſée de prendre aucun parti. Sa grand’mere, du côté maternel, l’entretenoit dans cette vie oiſive, par une complaiſance aveugle pour ſes fantaiſies. La bonne femme jouiſſant d’un revenu aſſez conſidérable en viager, fourniſſoit amplement à ſes beſoins ; moyennant quoi il ſe trouvoit en état de ſupporter les dépenſes d’une maîtreſſe. Le pere, qui avoit des paſſions que la médiocrité de ſa fortune l’empêchoit de ſatisfaire, étoit ſi jaloux du bien que cette tendre parente faiſoit à ſon fils, qu’il réſolut de s’en venger, & n’y réuſſit que trop, comme tu le verras bientôt.

Cependant Charles, qui vouloit
ſérieuſement vivre avec moi ſans trouble, me quitta l’après-dîner pour aller concerter, avec un Avocat de ſa connoiſſance, des moyens d’empêcher Madame Brown, de nous inquiéter. Sur le récit qu’il lui fit de la maniere dont elle m’avoit ſéduite, le Juriſconſulte trouva que loin de chercher à s’accommoder, il falloit en exiger ſatisfaction. La choſe ainſi arrêtée, ils ſe tranſporterent chez cette mere Abbeſſe. Les filles de la maiſon, qui connoiſſoient Charles, & croyoient qu’il leur amenoit quelqu’un à plumer, le reçurent avec toutes les démonſtrations de civilité requiſes en pareil cas ; mais elles changerent bientôt de ton, lorſque l’Avocat, prenant un air auſtere, déclara qu’il vouloit parler à la vieille, avec laquelle il diſoit avoir une affaire à régler.

Suivant ſa requête, Madame parut, & les Demoiſelles ſe retirerent. Auſſitôt l’homme de loi lui demanda ſi elle n’avoit pas connu, ou, pour mieux dire, trompé une jeune fille, nommée Fanni Hill, ſous prétexte de la louer en qualité de ſervante ? La Brown, dont la conſcience n’étoit pas des plus nettes, fut effrayée à cette queſtion inattendue, & ſur-tout quand les termes de priſon, de pilori & de fouet frapperent ſon oreille. Enfin, pour abréger l’hiſtoire, elle crut en être quitte à bon marché, de leur remettre en main ma boîte & mes petits effets.

Charles, enchanté d’avoir terminé ſi heureuſement ce procès, revint entre mes bras, recevoir la récompenſe des peines qu’il s’étoit données. Nous paſſâmes encore la nuit à Chelſea, & le lendemain il me mena dans un appartement garni, rue St. James. La maîtreſſe du logis, Madame Jones, nous y reçut, & avec une volubilité de langue étonnante, nous en expliqua toutes les commodités. Elle nous dit que la ſervante nous ſerviroit avec zele… Que les gens de la premiere qualité avoient logé chez elle… Qu’un Sécretaire d’Ambaſſade & ſa femme occupoient le premier… Que je paroiſſois une Dame bien aimable… Charles avoit eu la précaution de dire, à cette babillarde, que nous étions mariés ſecrétement ; ce qui, je crois, ne l’inquiétoit guere, pourvu qu’elle louât ſes chambres.

Pour te donner une légere eſquiſſe de ſon portrait, c’étoit une femme d’environ quarante-ſix ans, grande, maigre, rouſſe, & de ces figures triviales que l’on rencontre par-tout. Elle avoit été entretenue dans ſa jeuneſſe par un Gentilhomme, qui, à ſa mort, lui avoit laiſſé cinquante livres ſterling de rente en faveur d’une fille qu’il en avoit eue, & qu’elle avoit vendue à l’âge de dix-ſept ans. Indifférente naturellement à tout autre plaiſir qu’à celui de groſſir ſon fonds à quelque prix que ce fût, elle s’étoit jettée dans les affaires privées ; en quoi, grace à ſon extérieur modeſte & décent, elle avoit ſouvent fait d’excellens hazards. En un mot, pour de l’argent elle étoit ce qu’on vouloit, prêteuſe ſur gage receleuſe, entremetteuſe. Quoique la vieille gaupe eût dans les fonds une groſſe ſomme, elle ſe refuſoit le néceſſaire ; & ne ſubſiſtoit que de ce qu’elle écornifloit à ſes logeurs.

Pendant que nous fûmes ſous les griffes de cette harpie, elle ne laiſſa pas échapper une ſeule petite occaſion de nous tondre ; ce que Charles, par ſon indolence naturelle, aima mieux ſouffrir, que de prendre la peine de déloger.

Quoi qu’il en ſoit, je paſſai dans cette maiſon les plus délicieux momens de ma vie : j’étois avec mon bien-aimé : je trouvois en ſa compagnie tout ce que mon cœur pouvoit ſouhaiter. Il me menoit à la Comédie, au Bal, à l’Opéra ; mais dans ces brillantes & tumultueuſes aſſemblées, je ne voyois que lui. Il étoit mon univers, & tout ce qui n’étoit pas lui, n’étoit rien pour moi.

Lorſque nous donnions quelque relâche à la vivacité de nos plaiſirs, Charles s’en faiſoit un de m’inſtruire ſelon l’étendue de ſes connoiſſances. Je recevois comme des oracles toutes les paroles qui ſortoient de ſon adorable bouche, & j’en gravois dans mon cœur juſqu’aux moindres ſyllabes.

Je peux dire ſans vanité que ſes ſoins ne furent pas infructueux. Je perdis en moins de rien mon air campagnard & mon mauvais accent ; tant il eſt vrai qu’il n’eſt pas de meilleur maître que l’amour & le deſir de plaire.

Comme je ne ſortois jamais ſans mon amant, & que je reſtois le plus ſouvent au logis, la Jones me faiſoit de fréquentes viſites. La pénétrante commere ne fut pas long-tems à découvrir que nous avions fruſtré l’Egliſe de ſes droits, ce qui ne lui déplut pas, eu égard aux deſſeins qu’elle avoit ſur moi : infâmes deſſeins, hélas ! qu’elle ne trouva que trop tôt occaſion d’exécuter.

Je vivois depuis onze mois avec cette chere idole de mon ame, & j’étois groſſe de trois, lorſque le coup funeſte & inattendu de notre ſéparation arriva. Je paſſerai rapidement ſur ces particularités, dont le ſeul ſouvenir me fait friſſonner & me glace le ſang.

J’avois déja langui deux jours, ou plûtôt une éternité, ſans entendre de ſes nouvelles, moi, qui ne reſpirois, qui n’exiſtois qu’en lui, & qui n’avois jamais paſſé vingt-quatre heures ſans le voir. Le troiſieme jour mon impatience & mes allarmes augmenterent à un tel degré, que je n’y pus tenir plus long-tems. Je me jettai aux genoux de Madame Jones, la ſuppliant d’avoir pitié de moi, & de me ſauver la vie, en tâchant au plutôt de découvrir ce qu’étoit devenu celui qui pouvoit ſeul me la conſerver. Elle alla pour cet effet dans une taverne du voiſinage, où il demeuroit, & envoya chercher la ſervante du logis, dont je lui avois donné le nom. Cette fille vint immédiatement, & Madame Jones lui ayant demandé ſi Charles étoit en ville, elle répondit que ſon pere l’avoit envoyé à la mer du Sud, & que le barbare, d’intelligence avec un Capitaine de vaiſſeau, avoit ſi bien concerté ſes meſures, que le pauvre malheureux, étant allé à bord du navire, y avoit été arrêté & gardé comme un criminel, ſans pouvoir écrire à perſonne.

L’artificieuſe Jones revint incontinent après me plonger le poignard dans le ſein, en me diſant qu’il étoit parti pour un voyage de quatre ans, & que je ne devois pas m’attendre à le revoir jamais. Avant qu’elle eût proféré ces dernieres paroles, je tombai dans une foibleſſe, ſuivie de convulſions ſi terribles, que je perdis, en me débattant, l’innocent & déplorable gage de notre amour. Je ne conçois pas, quand je me le rappelle, que j’aie pu réſiſter à tant de calamités & de douleurs. Quoiqu’il en ſoit, à force de ſoins on me conſerva une odieuſe vie, qui, à la place de cette félicité inexprimable dont j’avois joui juſqu’alors, ne m’offrit tout-à-coup que des horreurs & de la miſere.

Je reſtai pendant ſix ſemaines appellant en vain la mort à mon ſecours. Ma grande jeuneſſe & mon tempérament robuſte prirent inſenſiblement le deſſus ; mais je tombai dans un état de ſtupidité & de déſeſpoir qui faiſoit craindre que je ne devînſſe folle. Néanmoins le tems adoucit, petit à petit, la violence de mes peines & en émouſſa le ſentiment.

Mon obligeante hôteſſe avoit eu ſoin, pendant tout cet intervalle, que je ne manquaſſe de rien ; & quand elle me crut
dans une condition à pouvoir répondre à ſes vues, elle me félicita ſur mon heureux rétabliſſement en ces termes. “ Graces à Dieu, Mademoiſelle Fanny, votre ſanté n’eſt pas mauvaiſe à préſent : vous êtes la maîtreſſe de reſter chez moi tant qu’il vous plaira : vous ſavez que je ne vous ai rien demandé depuis long-tems ; mais franchement, j’ai une dette à laquelle il faut que je ſatisfaſſe ſans différer ”. Et après ce bref exorde, elle me préſenta un arrêté de compte pour logement, nourriture, apothicaire, &c. ſomme totale, vingt-trois liv. ſterling & ſix ſous ; ce que la perfide, qui connoiſſoit le fond de ma bourſe, ſavoit bien que je ne pouvois pas payer : en même-tems elle me demanda quels arrangemens je voulois prendre ? Je lui répondis fondant en larmes, que j’allois vendre le peu de hardes que j’avois, & que ſi je ne pouvois pas faire toute la ſomme, j’eſpérois qu’elle auroit la bonté de me donner du tems. Mais mon malheur favoriſant ſes lâches intentions, elle me répondit froidement, que quoiqu’elle fût touchée juſqu’au fond de l’ame de mon infortune, l’état actuel de ſes affaires la mettroit dans la cruelle néceſſité de m’envoyer en priſon. A ce mot de priſon tout mon ſang ſe glaça, & je fus tellement épouvantée, que je devins auſſi pâle qu’un criminel à la vue du lieu de ſon exécution.

Cette méchante femme, qui craignoit que ma frayeur ne ruinât ſes deſſeins, en me faiſant retomber malade, commença à ſe radoucir, & me dit que ce ſeroit ma propre faute, ſi elle en venoit à de ſemblables extrêmités ; mais que l’on pouvoit trouver un honnête homme dans le monde, aſſez généreux pour terminer cette affaire à notre ſatisfaction mutuelle, & qu’il en viendroit un cet après-dîné prendre le thé avec nous, qui ſûrement ſeroit fort aiſe de me rendre ſervice.

A ces mots, je reſtai muette, confondue. Cependant Madame Jones ayant ainſi arrangé ſon plan, jugea à propos de me laiſſer quelques momens à mes réflexions. Je demeurai près d’une heure abîmée dans les idées les plus horribles, que la crainte, la triſteſſe & le déſeſpoir puiſſent cauſer. La ſcélerate revint à la charge, & feignant d’être touchée de mes malheurs, elle me dit qu’elle vouloit me préſenter un honorable Gentilhomme, qui, par ſes ſages avis, me fourniroit les moyens de me tirer d’embarras. Après quoi, ſans ſe mettre en peine que je l’approuvaſſe ou non, elle ſort, & rentre immédiatement, ſuivie de cet honorable Monſieur, dont elle avoit été en mainte occurence, comme en celle-ci, l’honorable pourvoyeuſe. Il me fit une profonde révérence, à laquelle je répondis auſſi froidement qu’il eſt naturel de répondre aux civilités de quelqu’un qu’on ne connoît point. Madame Jones, prenant ſur elle de faire les honneurs de cette premiere entrevue, lui préſenta une chaiſe, & en prit une pour elle-même ; cependant pas un mot ni de part, ni d’autre. Un regard ſtupide & effaré étoit l’interprête de la ſurpriſe où m’avoit jetté cette étrange viſite. Ma digne hôteſſe enfin, ne voulant pas perdre ſon tems, rompit le ſilence. “ Allons, Mademoiſelle Fanny, (dit-elle, dans un ſtile auſſi rude que familier & d’un ton d’autorité,) levez la tête, mon enfant, ne laiſſez point détruire un ſi joli minois par le chagrin. Au bout du compte le chagrin ne doit pas être éternel ; allons, un peu de gaieté. Voici un honnête Monſieur qui a entendu parler de vos malheurs, & veut vous faire plaiſir. Croyez-moi, ne refuſez pas ſa connoiſſance, & ſans vous piquer d’une délicateſſe hors de ſaiſon, faites un bon marché tandis que vous le pouvez ”.

Mon inconnu, qui vit aiſément qu’une auſſi impertinente harangue étoit moins propre à me perſuader qu’à m’irriter, lui fit ſigne de ſe taire. Alors prenant la parole, il me dit qu’il partageoit bien ſincérement mon affliction ; que ma jeuneſſe & ma beauté méritoient un meilleur ſort ; qu’il reſſentoit depuis longtems une violente paſſion pour moi ; mais que, connoiſſant mes engagemens ſecrets avec un autre, il les avoit reſpectés aux dépens de ſon repos, juſqu’à ce que la nouvelle de mon déſaſtre, en réveillant ſon reſpectueux amour, l’avoit enhardi à venir m’offrir ſes ſervices, & que la ſeule faveur qu’il exigeât de moi, étoit que je daignaſſe les agréer. Tandis qu’il me parloit ainſi, j’eus le tems de l’examiner. Il me parut un homme d’environ quarante ans, aſſez bien bâti & d’une figure qui n’annonçoit pas une perſonne d’un rang médiocre. Je ne lui répondis qu’en verſant un torrent de larmes, & ce fut un bonheur pour moi que mes ſanglots étoufaſſent ma voix, car je ne ſavois que lui dire.

Quoiqu’il en ſoit, la ſituation attendriſſante où il me vit, le frappa juſques au fond du cœur. Il tira précipitamment ſa bourſe, & paya, ſans différer, tout ce que je devois à Madame Jones. Il en prit une quittance en bonne forme, qu’il me força de garder. Cette infâme racoleuſe n’eut pas plutôt touché ſon argent, qu’elle nous laiſſa ſeuls.

Cependant le Cavalier, qui n’étoit rien moins que neuf dans de pareilles affaires, s’approcha d’un air officieux, & du coin de mon mouchoir m’eſſuya les pleurs qui me baignoient le viſage ; après quoi il s’aventura de me donner un baiſer. Je n’eus pas le courage de faire la moindre réſiſtance, me regardant dès lors comme une marchandiſe qui lui étoit dévolue par le débourſé qu’il venoit de faire. Inſenſiblement il me mania la gorge. Enfin, me trouvant docile au-delà de ſes eſpérances, il fit de moi tout ce qu’il voulut. Quand il eut aſſouvi ſa
brutalité, ſans nul reſpect pour ma déplorable condition, mes yeux ſe deſſillerent, & je gémis (trop tard, à la vérité) de la honteuſe foibleſſe à laquelle je venois de ſuccomber. Qui m’eût dit quelques inſtans auparavant, que je ſerois infidele à Charles, j’aurois été capable de le déviſager. Mais, hélas ! notre vertu & notre fragilité ne dépendent que trop ſouvent des circonſtances où nous nous trouvons. Séduite comme je le fus à l’improviſte, trahie par un eſprit accablé ſous le poids de ſes afflictions, ſaiſie des plus grandes frayeurs à l’idée ſeule de priſon, ce ſont des conjonctures bien délicates ; & ſans chercher à m’excuſer, il n’en eſt guere qui pût répondre de ne pas commettre la même faute dans un cas pareil. Au reſte, comme il n’y a que le premier pas qui coûte, je crus que je n’étois plus en droit de refuſer ſes careſſes après ce qui s’étoit paſſé. Suivant cette réflexion, je me regardai comme lui appartenant. Néanmoins il eut la complaiſance de ne pas tenter ſitôt la répétition d’une ſcène à laquelle je ne m’étois prêtée que machinalement & par un ſentiment de gratitude. Content de s’être aſſuré ma jouiſſance, il voulut déſormais s’en rendre digne par ſes bons procédés, & ne devoir rien à la violence.

La ſoirée étant déja avancée, on vint mettre le couvert, & j’appris avec joie, que la Jones, dont l’aſpect m’étoit devenu inſupportable, ne ſeroit pas des nôtres.

Pendant le ſouper, mon nouveau maître, après avoir employé les diſcours les plus perſuaſifs que la tendreſſe puiſſe ſuggérer pour adoucir mes ennuis, me dit qu’il s’appelloit H.... frere du Comte de L.... que mon hôteſſe l’avoit engagé à me voir, & que m’ayant trouvée extrêmement aimable, il l’avoit priée de lui procurer ma connoiſſance ; qu’en un mot, il s’eſtimoit trop heureux que la choſe eût réuſſi ſelon ſes deſirs, & qu’il me proteſtoit que je n’aurois jamais ſujet de me repentir des complaiſances que j’aurois pour lui.

Pendant qu’il me parloit ainſi, j’avois mangé deux aîles de perdrix & bu trois ou quatre verres de vin. Mais, ſoit qu’on y eût mêlé quelque drogue, ou que ſa vertu reſtaurative eût naturellement opéré ſur mes ſens, je me trouvai plus à mon aiſe, & je commençai à ne plus regarder Monſieur H.... avec tant de froideur, quoique tout autre en ſa place, dans de ſemblables circonſtances, eût été le même pour moi.

Les afflictions ici bas ont leurs bornes, & ne ſauroient être éternelles. Mon cœur accablé juſqu’alors ſous le poids des chagrins, ſe dilata par degré, & s’ouvrit à un foible rayon de contentement. Je répandis quelques larmes, elles me ſoulagerent ; je ſoupirai, mes ſoupirs me rendirent la reſpiration plus libre ; je pris, ſans être gaie, un air ſerein, une contenance plus aiſée & moins ſérieuſe. Monſieur H.... étoit trop expert pour ne pas profiter de cet heureux changement. Il recula adroitement la table, & approchant ſa chaiſe de la mienne, il m’imprima vingt baiſers ſur la bouche & ſur la gorge. Je fis ſi peu de réſiſtance, qu’il crut pouvoir tenter davantage. Le téméraire en effet, gliſſant avec dextérité une de ſes mains ſous mes jupes juſqu’au deſſus de la jarretiere, eſſaya de regagner le poſte qu’il avoit ſurpris peu de tems auparavant. Alors je ſerrai les cuiſſes, & lui dis d’un ton languiſſant, que je ne me trouvois pas bien, que je le ſuppliois de me laiſſer. Comme il vit à merveilles qu’il y avoit dans ma priere plus de grimace & de cérémonie que de ſincérité, il conſentit à en reſter là, mais à condition que je me mettrois au lit ſur le champ, ajoutant qu’il ſortoit pour une demi-heure, & qu’il oſoit eſpérer qu’à ſon retour je ſerois plus traitable. Quoique je ne répondiſſe rien,
l’air dont je reçus ſa propoſition lui fit connoître, que je ne me croyois plus aſſez ma maîtreſſe pour refuſer de lui obéir.

Un inſtant après qu’il m’eût quittée, la ſervante m’apporta un conſommé des plus ſucculens. Je l’eus à peine avalé, qu’un feu ſubtil ſe gliſſa dans mes veines ; je brûlois & me ſentois conſumée dans mes draps comme le grand Alcide dans la chemiſe de Neſſus.

La fille n’étoit pas encore au bas de l’eſcalier, que Monſieur H.... rentra en robe de chambre & en bonnet de nuit, armé de deux bougies. Il ferma la porte au verrouil. Quoique je m’attendiſſe bien à le revoir, ſa rentrée me cauſa quelque frayeur. Il s’avance ſur la pointe du pied, tâche de me raſſurer par de douces paroles, & quittant à la hâte ſa robe, il approche du lit, m’enléve en un clin d’œil, & me renverſe nue ſur un tapis placé près du feu. Là, ſur ſes genoux entre mes cuiſſes, il s’occupe quelque tems à parcourir, avec un regard avide, une gorge ferme, élaſtique & que la jouiſſance n’avoit pas encore altérée ; de-là paſſant à une taille élégante, à une chute de reins merveilleuſe, à un ventre poli & dur, enfin, à cette fente vermeille, & qui ſemble fuir entre deux cuiſſes arrondies par l’amour, chaque contour étoit baiſé tour à tour, & ouvrant de deux doigts les levres qui fermoient le centre des voluptés, il y fait jouer ſon index officieux, juſqu’à ce que, tranſporté par une fureur amoureuſe, qui ne lui permit plus de s’amuſer à la ſimple ſpéculation, il me reporte ſur le lit, où ſe plaçant de nouveau entre mes cuiſſes, & levant ſa chemiſe, il me fit voir un corps auſſi velu que celui de Nabuchodonoſor, avec une monſtrueuſe cheville, dont il me fit ſentir tout-à-coup le pouvoir, & dont la chaleur reſſuſcitant mes eſprits animaux, me contraignit à goûter des plaiſirs que mon cœur déſavouoit. Quelle différence ! hélas ! de ces plaiſirs purement mécaniques à ceux que produit la jouiſſance d’un amour mutuel, où l’ame confondue avec les ſens, ſe noie, pour ainſi dire, dans une mer de voluptés ! Cependant Monſieur H.... ne ceſſa de me donner des preuves de ſon étrange vigueur, qu’à la pointe du jour, où nous nous endormîmes d’un profond ſommeil. Vers les onzes heures, Madame Jones nous apporta deux excellens potages, que ſon expérience, en ces ſortes d’affaires, lui avoit appris à préparer en perfection. Monſieur H.... qui s’étoit apperçu que j’avois changé de couleur à ſon arrivée, me dit, lorſqu’elle nous eut quittés, que pour me donner une premiere preuve de ſon tendre attachement, il vouloit me faire changer de maiſon, & que je ne m’impatientaſſe pas juſqu’à ſon retour. Il s’habilla & ſortit, après m’avoir remis une bourſe de vingt-cinq guinées, en attendant mieux.

Dès qu’il fut dehors, je réfléchis ſur ma condition actuelle, & ſentis la conſéquence du premier pas que l’on fait dans le chemin du vice ; car mon amour pour Charles ne m’avoit jamais paru criminel. Je me regardai comme quelqu’un qui eſt entraîné par un torrent ſans pouvoir regagner le rivage. Le ſentiment effroyable de la miſere, la gratitude, le profit réel que je trouvois dans cette nouvelle connoiſſance, avoient, en quelque maniere, interrompu mes chagrins, & ſi mon cœur n’eût point été engagé, Monſieur H.... l’auroit vraiſemblablement poſſédé tout entier ; mais la place étant occupée, il ne devoit la jouiſſance de mes charmes qu’aux triſtes conjonctures où le ſort m’avoit réduite. Il revint à ſix heures me prendre pour me conduire dans un nouveau logis, chez un homme qui lui étoit affidé. Je fus inſtallée dans un appartement à deux guinées par ſemaine, avec une fille pour me ſervir.

Mr. H.... reſta encore tout le ſoir avec moi ; on nous apporta, d’une taverne voiſine, un ſouper ſucculent, & quand nous eûmes mangé, la fille me mit au lit, où je fus bientôt ſuivie par mon champion, qui, malgré les fatigues de la veille, ſe piqua, comme il me dit, de faire les honneurs de mon nouvel appartement. Inſenſiblement je m’habituai aux bonnes façons de Monſieur H.... & j’avoue que ſi ſes attentions & ſes libéralités ne m’inſpirerent point d’amour, au moins me forcerent-elles à lui vouer une véritable eſtime & l’amitié la plus reconnoiſſante.

Je me vis alors dans la catégorie des filles entretenues, bien logée, de bons appointemens, & nipée comme une Princeſſe. Néanmoins le ſouvenir de Charles me cauſant quelquefois des accès de mélancolie, mon bienfaiteur, pour m’amuſer, donnoit fréquemment de petits ſoupers chez moi à ſes amis & à leurs maîtreſſes, de façon que je connus bientôt les plus célebres Courtiſannes & Matrones de la Ville.

Il y avoit déja ſix mois que nous vivions tous deux du meilleur accord du monde, lorſqu’un jour revenant de faire une viſite, j’entendis quelque rumeur dans ma chambre : j’eus la curioſité de regarder à travers le trou de la ſerrure. Le premier objet qui me frappa fut Monſieur H.... chiffonnant ma groſſe ſalope de ſervante, qui ſe défendoit d’une maniere auſſi gauche que foible, & crioit ſi bas, qu’à peine pouvois-je l’entendre. “ Fi donc, Monſieur, cela convient-il ? de grace, ne me tourmentez point. Une pauvre fille comme moi n’eſt pas faite pour vous. Sainte Vierge ! ſi ma maîtreſſe alloit venir… non, en vérité, je ne le ſouffrirai pas : au moins je vous en avertis, je m’en vais crier ”. Ce qui pourtant n’empêcha point qu’elle ne ſe laiſſât tomber ſur
le lit de repos ; & mon homme ayant levé ſes cotillons, la guenipe crut inutile de faire une plus longue réſiſtance. Il monta deſſus, & je jugeai à ſes mouvemens nonchalans, qu’il ſe trouvoit logé plus à l’aiſe qu’il ne s’en étoit flatté. Cette belle opération finie, Monſieur H.... lui donna quelque monnoie, & la congédia.

Si j’avois été amoureuſe, j’aurois certainement interrompu la ſcene & fait tapage ; mais mon cœur n’y prenant aucun intérêt, quoique ma vanité en ſouffrit, j’eus aſſez de ſang froid pour me contenir & tout voir juſqu’à la concluſion. Je deſcendis cinq ou ſix degrés ſur la pointe du pied, & remontai à grand bruit, comme ſi j’arrivois à l’inſtant même. J’entrai dans la ſalle, où je trouvai mon fidele berger ſe promenant en ſiflant d’un air auſſi flegmatique que s’il ne s’étoit rien paſſé. Ah ! trompeur, trompeur & demi, dit le proverbe : j’affectai d’abord un air ſi ſerein & ſi gai, que l’hypocrite fut ma dupe en croyant que j’étois la ſienne. La groſſe récréation qu’il venoit de prendre, l’avoit ſans doute fatigué ; car il prétexta quelques affaires pour n’être pas obligé de coucher avec moi cette nuit-là, & ſortit incontinent après.

A l’égard de ma ſervante, mon intention n’étant pas de l’aſſocier à mes travaux, au premier ſujet de mécontentement qu’elle me donna, je la mis à la porte.

Cependant mon amour-propre ne pouvant digérer l’affront que Monſieur H.... m’avoit fait, je réſolus de m’en venger de la même façon. Je ne tardai pas long-tems. Il avoit pris, depuis environ quinze jours, à ſon ſervice, le fils d’un de ſes fermiers. C’étoit un jeune garçon de dix-huit à dix-neuf ans, d’une phyſionomie fraîche & appétiſſante, vigoureux & bien fait. Son maître l’avoit créé le meſſager de nos correſpondances. Je m’étois apperçue qu’à travers ſon reſpect & ſa timide innocence, le tempérament perçoit. Ses yeux, naturellement laſcifs, enflammés par une paſſion dont il ignoroit le principe, parloient en ſa faveur le plus élégamment du monde, ſans qu’il s’en doutât. Pour exécuter mon deſſein, je le faiſois entrer lorſque j’étois encore au lit, ou lorſque j’en ſortois, lui laiſſant voir, comme par mégarde, tantôt ma gorge nue, tantôt la tournure de la jambe, quelquefois un peu de ma cuiſſe en mettant mes jarretieres. En un mot, je l’apprivoiſois petit à petit par mes familiarités. “ Eh bien, mon garçon, (lui demandois-je,) as-tu une maîtreſſe ?… Eſt-elle plus jolie que moi ?… Sentirois-tu de l’amour pour une perſonne qui me reſſembleroit ?”. Et ainſi du reſte. Le pauvre enfant répondoit d’un ton niais & honnête ſelon mes deſirs.

Quand je crus l’avoir aſſez bien préparé, un jour qu’il vint, à ſon ordinaire, je lui dis de fermer la porte en-dedans. J’étois alors couchée ſur le théâtre des plaiſirs de Monſieur H.... & de ma ſervante, dans un déshabillé fait pour inſpirer des tentations à un Anachorète. Je l’appellai, & le tirant près de moi par ſa manche, je lui donnai pour le raſſurer deux ou trois petits coups ſous le menton, & lui demandai s’il avoit peur des Dames ? en même tems je me ſaiſis d’une de ſes mains, que je ſerrai contre ma gorge, qui treſſailloit & s’élevoit comme ſi elle eût recherché ſes attouchemens. Bientôt tous les feux de la nature étincellerent dans ſes yeux ; ſes joues s’enluminerent du plus beau vermillon. La joie, le raviſſement & la pudeur le rendirent muet ; mais la vivacité de ſes regards, ſon émotion, parlerent aſſez pour m’apprendre que je n’avois pas perdu mon étalage.

Je gliſſai les doigts, en le baiſant, ſur une de ſes cuiſſes, le long de laquelle je ſentis un corps ſolide & ferme, que ſa culotte trop juſte paroiſſoit étrangler. Alors faiſant ſemblant de jouer avec les boutons qui étoient prêts à ſauter par leur grand tiraillement, tout-à-coup la ceinture & la braguette s’ouvrirent, & préſenterent à ma vue émerveillée, non pas une babiole d’enfant, ni le membre commun d’un homme, mais une piece d’une ſi énorme taille, qu’on l’auroit priſe pour celle du Géant Polypheme. Ce prodigieux meuble me fit friſſonner à la fois de frayeur & de plaiſir. Ce qu’il y avoit de ſurprenant, c’eſt que le propriétaire d’un ſi noble joyau ne ſavoit pas la maniere de s’en ſervir ; tellement que c’étoit mon affaire de le guider au cas que j’euſſe aſſez de courage pour en riſquer l’épreuve ; mais il n’y avoit plus moyen de reculer.

Le jeune Gars, tranſporté hors de lui-même, s’aventura, par un inſtinct naturel, à fourrer ſes mains ſous mes jupes, & liſant dans mes yeux le pardon de ſon audace, il gagna, au hazard, le centre inconnu de ſes deſirs. Je n’eus pas plutôt ſenti la chaleur de ſes doigts, que ma crainte s’évanouit : mes cuiſſes s’ouvrirent d’elles-mêmes & lui laiſſerent le champ libre. Alors la chaſſe fut découverte. Il ſe mit ſur moi : je me plaçai le plus avantageuſement qu’il me fut poſſible pour le recevoir ; mais ſa machine ne pouvant enfiler la voie, & frappant toujours à faux, je la conduiſis dextrement de la main, & lui donnai la premiere leçon de plaiſir. Cependant quoiqu’une ſi monſtrueuſe alumelle ne fût pas faite pour une gaîne auſſi étroite, je parvins à en loger la pointe, & mon écolier donnant un coup de charniere à propos, en fit entrer quelques pouces de plus : je ſentis auſſi-tôt un mêlange de plaiſir & de douleur indéfiniſſable. Je tremblois à la fois qu’il ne me fendit en allant plus avant ou en ſe retirant,
ne le pouvant ſouffrir ni dedans ni dehors. Quoi qu’il en ſoit, il pourſuivit avec tant de roideur & de rapidité, que je lâchai un cri. C’en fut aſſez pour arrêter ce timide & reſpectueux enfant. Il retira le délicieux inſtrument de ma peine, également pénétré du regret de m’avoir fait du mal, & d’être contraint de déloger d’une place dont la douce chaleur lui avoit donné l’avant-goût d’un plaiſir qu’il mouroit d’envie de ſatisfaire.

Je n’étois pourtant pas trop contente qu’il m’eût tant ménagée, & que mon indiſcrétion l’eût fait quitter priſe. Je le careſſai pour l’encourager à revenir à la charge, & me mis en poſture de le recevoir encore à tout événement. Il l’introduiſit de nouveau, ayant l’attention de modérer ſes coups. Petit à petit, l’entrée s’élargit, prêta, & reçut la moitié de ſon membre. Mais tandis qu’il tâchoit de paſſer outre, la criſe du plaiſir le ſurprit, &, malheureuſement pour moi, il jouit tout ſeul, la douleur aiguë que je ſouffrois m’empêchant de l’atteindre.

Je craignois, avec raiſon, qu’il ne ſe retirât. Grace à ma bonne fortune, le cas n’arriva point. L’aimable jeune homme, plein de ſanté & regorgeant de ſucs, fit une courte pauſe, après quoi il ſe mit à piquer derechef, & força aiſément les tendres parois de mon étui abreuvé & rendu plus ſouple par l’injection balſamique qu’il venoit d’y faire. Alors, favoriſé par mes mouvemens adroits, il gagna peu à peu le terrain, & pouce à pouce, il me plongea ſon engin juſques aux gardes, nos deux corps ne firent plus qu’un, ſi bien que les poils de nos ventres s’entremêloient & ſembloient ſe confondre les uns dans les autres. Les délicieuſes, les raviſſantes agitations, qu’il me cauſa intérieurement, me devinrent inſupportables. Je m’apperçus à ſa reſpiration embarraſſée, à ſes yeux à demi clos, ſur-tout à la roideur extraordinaire de ſon inſtrument, qu’il approchoit du ſuprême plaiſir. Je me dépêchai d’y arriver avec lui. Nous nous rencontrâmes enfin, &, plongés tous deux dans un abîme de joie, nous demeurâmes quelques inſtans anéantis, ſans aucun ſentiment, excepté dans ces parties favorites de la nature, où nos ames, notre vie & toutes nos ſenſations étoient alors entierement concentrées.

Quand mon jeune Athléte ſe fut retiré, je me trouvai les cuiſſes inondées d’un déluge de perles liquides, mêlées de ſang, que j’eſſuyai & recueillis précieuſement dans mon mouchoir.

C’étoit une ſcene bien douce pour moi de voir avec quels tranſports il me remercioit de l’avoir initié dans de ſi agréables myſteres. Il n’avoit jamais eu la moindre idée de la marque diſtinctive de notre ſexe. Je devinai bientôt, par l’inquiétude de ſes mains qui fourageoient au hazard, qu’il brûloit de connoître comme j’étois faite. Je lui permis tout ce qu’il voulut, ne pouvant rien refuſer à ſes deſirs. Le fripon me leva les jupes & la chemiſe au-deſſus des hanches. Je me plaçai moi-même dans l’attitude la plus favorable pour expoſer à ſes regards le petit antre des voluptés & le coup-d’œil luxurieux du voiſinage. Extaſié à la vue d’un ſpectacle ſi nouveau pour lui, il écarta légérement les bords de ce ſombre & délicieux réduit, & fourant un doigt dedans il parvint à cette douce excroiſſance, qui, de ſouple qu’elle étoit, enfla & ſe roidit de telle ſorte à ſon toucher, que le chatouillement m’arracha un ſoupir. Cependant il n’abuſa pas plus long-tems de ma complaiſance. Son formidable ſauciſſon ayant repris tout-à-coup ſa belle forme, il le pointa directement à l’entrée du détroit, & le pouſſant avec une fureur extrême, il pénétra juſqu’aux derniers retranchemens de la région des béatitudes. Je ſentis derechef une émotion ſi vive, qu’il n’y avoit que la pluie ſalutaire, dont la nature bienfaiſante arroſe ces parties là, qui pût me ſauver de l’embraſement.

J’étois tellement abattue, fatiguée, énervée, après une ſemblable ſéance, que je n’avois pas la force de remuer. Néanmoins, mon jeune champion ne faiſant, pour ainſi dire, qu’entrer en goût, n’auroit pas ſitôt quitté le champ de bataille, ſi je ne l’euſſe averti qu’il falloit battre la retraite. Je l’embraſſai tendrement, & lui ayant gliſſé une guinée dans la main, je le renvoyai avec promeſſe de le revoir dès que je pourrois, pourvu qu’il fût diſcret.

A peine étoit-il ſorti, que Monſieur H.... arriva. La maniere agréable dont je venois d’employer le tems depuis mon lever, avoit répandu tant d’éclat & de feu ſur ma phyſionomie, qu’il me trouva plus belle que jamais : auſſi me fit-il des careſſes ſi preſſantes, que je tremblai qu’il ne découvrit le mauvais état actuel des choſes. Heureuſement, j’en fus quitte pour prétexter une groſſe migraine. La bonne dupe donna dans le panneau, & réfrénant, malgré lui, ſes deſirs, il ſortit en me recommandant de me tranquilliſer.

Vers le ſoir, j’eus ſoin de me procurer un bain chaud, compoſé de fines herbes aromatiques, dans lequel je me lavai, & m’égayai ſi bien, que j’en ſortis voluptueuſement rafraîchie de corps & d’eſprit. Je me couchai d’abord & m’endormis juſqu’au lendemain, quoique très-en peine du dégât que la furieuſe alumelle de mon cher Will pouvoit avoir cauſé à ma gaîne délicate. Je m’éveillai avec cette inquiétude, & mon premier ſoin fut un examen ſérieux de la partie offenſée. Mais quelle fut ma joie ! lorſque j’eus reconnu que ni le duvet, ni les lèvres, ni l’intérieur même de cette tendre fente, n’offroient aucun veſtige des aſſauts qui s’y étoient donnés la veille, quoique la chaleur naturelle du bain eût dû en élargir les parois. Pleinement convaincue de l’inutilité de mes craintes, je n’en fis que rire : charmée de ſavoir que je pouvois déſormais jouir de l’homme le mieux fourni, je triomphai doublement par la revenge que j’avois priſe, & par les délices que j’avois éprouvés.

L’eſprit agréablement occupé par de nouveaux projets de jouiſſance, je m’étendois mollement ſur mon lit ; Will, mon cher Will, entre avec un meſſage de la part de ſon maître, ferme la porte à mon invitation, s’approche de mon lit, où j’étois dans la ſituation la plus voluptueuſe, &, les yeux remplis de l’ardeur la plus tendre, il baiſa mille fois une main que je lui avois abandonnée.

Will à genoux à côté de mon lit, m’accabloit de careſſes ; ce n’étoit pas aſſez ; après quelques queſtions & réponſes ſouvent interrompues par de tendres baiſers, je lui demandai s’il vouloit paſſer avec moi & entre mes draps le peu de tems qu’il avoit à reſter ? C’étoit demander à un hidropique s’il vouloit boire. Ainſi, ſans plus de façons, il quitta ſes habits, & ſauta ſur le lit, que je tenois ouvert pour le recevoir.

Will commença par les préliminaires accoutumés, préludes intéreſſans, qui ſont autant de gradations délicieuſes, dont peu de perſonnes ſavent jouir, par leur précipitation à courir à cet inſtant précieux, qui équivaut une éternité.

Lorſqu’il eut ſuffiſamment préparé les voies à la jouiſſance en me baiſant, en me provoquant, & en me frottant officieuſement ce tendon ſenſible, qui garde la porte du plaiſir, il s’enhardit à me mettre dans la main ſon vigoureux brandon ; ſa tenſion, ſa roideur étoient étonnantes ; je l’empoignai des deux mains, & le maniai quelque tems, juſqu’à ce que ſa rubicondité & ſa couleur pourprée me firent craindre une decharge trop prématurée.

Je me hâtai donc, pour être de moitié du bonheur de mon jeune Gars, de placer ſous moi un couſſin, qui ſervit à élever mes reins, &, dans la poſition la plus avantageuſe, ouvrant voluptueuſement les cuiſſes, j’offris à Will le ſéjour des béatitudes : de ſes deux doigts il en ouvrit les levres brûlantes, & la chaleur qui s’en exhaloit irritant ſes deſirs, après une extaſe d’un moment, il me plongea ſon mouflard juſqu’au vif en moins de trois ſecouſſes. Notre ardeur s’accroiſſant à meſure que le bout de ſon engin touchoit le ſiege de mes ſenſations, je lui paſſai alors mes deux jambes autour des reins, & le ſerrai de mes bras, de façon que nos deux corps confondus ne ſembloient reſpirer que l’un par l’autre, & qu’il ne pût ſe bouger ſans m’entraîner après lui. Dans cette luxurieuſe poſition, Will eut bientôt atteint le moment ſuprême ; je m’en apperçus par un déluge de cette crême délectable dont je me ſentis inonder ; je me ranimai donc pour parvenir au même but, & me ſervis de tous les expédiens que la nature put me fournir, pour qu’il m’aidât à combler mes deſirs. Je m’aviſai enfin de le prendre par le bourſon qui pendoit au bas du tuyau, dont il venoit de me lancer le baume de vie ; & je frottai ſi bien, l’un contre l’autre, les deux réſervoirs globuleux, que je ſentis ſon priape s’enfler & reprendre peu à peu ſa belle forme. Tranſportée alors par les nouveaux chatouillemens que j’éprouvai au fond du vagin, & par une ſeconde décharge que Will venoit de me donner, je me noyai dans des flots de délices, & me ſentis bientôt couverte de la liqueur que nous venions de répandre de concert. Nous paſſâmes quelques momens dans une langueur voluptueuſe, & comme anéantis par le plaiſir. A la fin je me débarraſſai de ce
cher enfant, & lui dis que l’heure de ſa retraite étoit venue ; il reprit en conſéquence ſes habits, non ſans me donner de tems en tems les baiſers les plus tendres, & ſans me parcourir encore des yeux & des mains avec une ardeur auſſi vive que s’il ne m’avoit vue que pour la premiere fois. Il partit enfin, quoiqu’à regret, & me laiſſa en proie à cette tranquillité, qui ſuit les plaiſirs ſacrés de la nature.

Je jouis dans la ſuite journellement de mon aimable jeune homme, & de ſes délicieux embraſſemens : mais mon imprudence rompit bientôt un ſi tendre commerce, & nous ſépara pour toujours lorſque nous y penſions le moins. Un matin étant à folâtrer avec lui dans mon cabinet, il me vint en tête d’éprouver une nouvelle poſture. Je m’aſſis, & me mis jambe deçà, jambe delà ſur les bras du fauteuil, lui préſentant à découvert la marque où il devoit viſer, J’avois oublié de fermer la porte de ma chambre, & celle du cabinet ne l’étoit qu’à demi. Monſieur H.... que nous n’attendions pas, nous ſurprit préciſément au plus intéreſſant de la ſcene. Je jettai un cri terrible en abattant mes jupes. Le pauvre Will, comme frappé d’un coup de foudre, demeura interdit & auſſi pâle qu’un mort. Monſieur H.... nous regarda quelque tems l’un & l’autre, avec un viſage où la colere, le mépris & l’indignation paroiſſoient dans leur plus haut degré, & reculant en arriere, ſe retira ſans dire un mot. Toute troublée que j’étois, je l’entendis fermer la porte à double tour.

Pendant ce tems-là, le malheureux complice de mon infidélité agoniſoit de frayeur, & j’étois obligée d’employer le peu de courage qui me reſtoit pour le raſſurer. La diſgrace que je venois de lui cauſer, me le rendoit plus cher. Je lui baignois le viſage de mes pleurs, je le baiſois, je le ſerrois dans mes bras ; mais le pauvre garçon, devenu inſenſible à mes carreſſes, ne remuoit pas plus qu’une ſtatue.

Monſieur H.... rentra un moment après, & nous ayant fait venir devant lui, il me demanda d’un ton flegmatique à me déſeſpérer, ce que je pouvois dire pour juſtifier l’affront humiliant que je venois de lui faire ? Je lui répondis en pleurant, ſans aggraver mon crime par le ſtyle audacieux d’une courtiſanne effrontée, que je n’aurois jamais eu la penſée de lui manquer à ce point, s’il ne m’en avoit, en quelque maniere, donné l’exemple, en s’abaiſſant juſqu’aux dernieres privautés avec ma ſervante ; que toutefois je ne prétendois pas excuſer ma faute par la ſienne ; qu’au contraire, j’avouois que mon offenſe étoit de nature à ne point mériter de pardon ; mais que je le ſuppliois d’obſerver que c’étoit moi qui avois ſéduit ſon valet dans un eſprit de vengeance. Enfin, j’ajoutai que je me ſoumettois volontiers à tout ce qu’il voudroit ordonner de moi, à condition qu’il ne confondit point l’innocent & le coupable.

Il ſembla un peu déconcerté quand je lui rappellai l’aventure de ma ſervante ; mais s’étant remis d’abord, il me répondit à-peu-près en ces termes :

„ Mademoiſelle, j’avoue à ma honte, que vous me l’avez bien rendu, & que je n’ai que ce que je mérite. Nous nous ſommes cependant trop offenſés tous deux pour continuer à vivre déſormais enſemble. Je vous accorde huit jours pour chercher un autre logement. Ce que je vous ai donné eſt à vous. Votre hôte vous payera, de ma part, cinquante guinées, & vous délivrera une quittance générale de tout ce que vous lui devez. Je me flatte que vous conviendrez que je ne vous laiſſe pas dans
un état pire que celui où je vous ai priſe, ni au-deſſous de ce que vous méritez. Ne vous prenez point à moi ſi je ne fais pas mieux les choſes ”.

Alors, ſans attendre ma réponſe, il s’adreſſa à Will.

„ Quant à vous, beau mignon, je prendrai ſoin de votre perſonne pour l’amour de votre pere. La ville n’eſt pas un ſéjour qui convienne à un pauvre idiot tel que vous : demain vous retournerez à la campagne ”. A ces mots il ſortit. Je me proſternai à ſes pieds pour tâcher de le retenir. Ma ſituation parut l’émouvoir ; néanmoins il ſuivit ſon chemin, emmenant avec lui ſon jeune valet, qui ſûrement s’eſtimoit fort heureux d’en être quitte à ſi bon marché.

Je me trouvai encore une fois abandonnée à mon ſort par un homme dont je n’étois pas digne ; & toutes les ſollicitations que j’employai pendant la ſemaine qu’il m’avoit accordée pour chercher un logis, ne purent l’engager à me revoir une ſeule fois.

Will fut renvoyé immédiatement à ſon village, où, quelques mois après, une groſſe gaguie de veuve, qui tenoit une bonne hôtellerie, l’épouſa.


Fin de la première Partie.


  1. Lieu où s’adreſſent les Domeſtiques pour trouver condition.