(pseudonyme, auteur inconnu)
Éditions du Vert-Logis (p. 77-96).


CHAPITRE IV


Le jour suivant, qui était un dimanche, Sarah rencontra Laveline sur les Champs-Élysées. Elle lui avait fixé un rendez-vous, mais avec la fougue d’un jouvenceau, il l’attendit bien longtemps à l’avance.

Habile, il avait su se débarrasser d’Odette et ainsi put emmener la jeune fille chez lui.

Il augurait beaucoup de bien de cette nouvelle réunion, aussi s’était-il offert, à midi, un déjeuner épicé.

Il se sentait gaillard, plein d’une ardeur débordante.

La tranquillité de Sarah facilitait toutes choses ; à peine dans l’appartement, elle demanda :

— Où est ta chambre ?

Cependant, avant qu’elle eut quitté le vestibule, il l’avait étreinte, serrée contre lui, la baisant aux lèvres. Elle frémit contre sa robuste poitrine et se pâma avec des soupirs languides.

Rassuré, il pensa :

— Aujourd’hui, ça y est !

La jeune fille, rieuse, se sauva dans la chambre et aussitôt, plantée fermement au milieu de la pièce, fit glisser sa robe, puis sa minuscule chemise. À peine avait-il eu le temps de la rejoindre que déjà elle s’offrait, audacieuse et tentatrice, en un sourire vainqueur de ses lèvres charnues.

Jugeant que la lenteur en ces sortes de choses était le meilleur procédé, il la prit doucement dans ses bras et, grâce à une science depuis longtemps acquise, la couvrit de caresses.

Elle palpitait et riait tour à tour, tordant son beau corps aux lignes arrondies.

Il ne se hâta pas, résolu cette fois à atteindre le but définitif, et lorsqu’il vit Sarah, tressaillante d’amour, sur le couvre-pied de satin, il tenta l’expérience.

Aussitôt, ce fut comme une huître qui se ferme, il n’y eut plus rien, la jeune fille fit entendre son rire perlé et guigna l’homme d’un œil narquois.

Il essaya de lui faire entendre raison, lui parla, expliqua les choses avec autant de patience que de précision. Elle riait toujours en agitant ses boucles brunes.

Désespéré, il reprit son mouvement enveloppant et Sarah redevint instantanément l’amoureuse ardente, passionnée.

Le jeu dura longtemps, deux heures peut-être, entrecoupé de tentatives vaines de Laveline.

Mais naturellement, elle se lassa la première, une douce fatigue la détendait, alors elle empoigna l’homme d’une main ferme.

Furieux, il prétendit se défendre, réclamer ses droits acquis, souhaitant la ramener à l’humaine nature.

Elle riait, ne lâchant pas prise, attendant la catastrophe qui devait être le résultat final.

Laveline voulut se fâcher. De son bras gauche elle l’attira près d’elle. Ce fut l’ultime incident, Laveline proféra un juron sonore et le rire de la jeune fille retentit, satisfait et moqueur.

Vive, elle sauta sur ses habits, se revêtit avec prestesse et offrit :

— Tu viens m’offrir l’apéritif ?

Boudeur, vautré dans un fauteuil, il secoua la tête :

— Non !

Elle haussa les épaules et, se penchant, lui embrassa la barbe :

— Alors, au revoir !

Et elle partit, froufroutante et heureuse.

Maussade, il regarda la porte se fermer et grommela :

— C’est une petite rouée, elle se f… de moi !

L’huis de l’entrée claqua ; il sut qu’il était seul, que la jolie conquête avait filé.

Sarah, en effet, dégringolait les escaliers, puis remontait l’avenue, le nez en l’air, les lèvres pleines d’un sourire. Elle se sentait très contente de son après-midi, ayant goûté à la saveur de multiples caresses, ayant épuisé la science totale de Laveline. Elle riait au souvenir de ses tentatives. Certainement, elle ne demandait pas mieux que d’essayer le grand jeu, mais elle avait peur, elle s’était à elle-même fixé une mesure qui ne pouvait être dépassée ; tant qu’elle ne rencontrerait point cette mesure, tout resterait en l’état.

Le retour à la maison, cependant, lui parut maussade, et quand elle vit l’appartement où régnait déjà une demi-obscurité elle esquissa une grimace d’ennui.

Son père et sa mère étaient de retour de la promenade dominicale. Elle les trouva au salon, en train de prendre un porto. C’était là une habitude établie depuis plusieurs années ; on n’allait au salon que le jeudi après-midi et le dimanche soir.

Clarizet, enfoncé dans un fauteuil, fumait sa pipe en lisant le journal. Visiblement, il s’embêtait, mais le sentiment du devoir l’obligeait à consacrer au moins une soirée par semaine à son épouse.

Celle-ci ne s’ennuyait ni ne s’amusait ; elle tricotait, ne remuant que les doigts, et en cette douce inactivité se résumait tout son bonheur.

Sarah fronça les sourcils et l’atmosphère familiale lui parut plus triste encore que de coutume.

— Il me faudrait une auto, je vadrouillerais toute seule, émit-elle à haute voix.

Madame Clarizet sursauta :

— Une auto !

Clarizet, égoïste et débonnaire, trancha :

— Quand tu seras mariée, ton mari t’en paiera une, mais ne compte pas sur moi pour cela.

Il se remit à son journal et le silence retomba.

Célestine, en annonçant le dîner, apporta un peu de mouvement. On passa dans la salle à manger et Clarizet s’autorisa à quelques plaisanteries.

Pour la première fois, Sarah constata que le home lui déplaisait et que, vraiment, elle se trouvait mieux au dehors. Elle avait hâte d’être au lendemain pour retrouver Laveline.

Mais Laveline ne se montra pas, dégoûté d’une liaison aussi compliquée, il lâchait pied avec cynisme.

Blessée en sa jeune vanité, elle lui tint rigueur et le jour suivant n’alla pas elle-même au rendez-vous. En revanche, elle se sentait peu de goût pour rentrer au morne logis.

Quoique le jour commençât à baisser et que la température fût fraîche, elle s’installa sur une chaise dans un coin retiré des Champs-Élysées. Les réverbères s’allumaient, un éblouissement de clarté coulait sur la chaussée, mais le coin de la jeune fille demeurait dans la pénombre. Elle n’aurait pu mieux choisir pour courir l’aventure. À peine était-elle là depuis cinq minutes qu’un gentleman élégant passa devant elle et la regarda.

Elle le regarda aussi, franchement, comme une personne que rien n’effrayait. Il n’avait point de barbe, mais une petite moustache grisonnante, une brosse à dents.

Il vint s’asseoir à côté d’elle et jura aussitôt que la soirée était charmante. Elle lui montra sa dentition saine, ce qui lui évita de chercher une réponse intelligente. Il s’en contenta d’ailleurs et poursuivit par des propos égrillards.

Cette fois, elle daigna rire et reconnut qu’il était un rigolo.

Tant de bonne de bonne volonté l’enhardit et ayant passé l’âge où l’on cause l’espérance, il voulut entrer immédiatement dans le présent.

Il n’eut pas de stupeur en constatant que Sarah ne portait point de culotte, et cette simplicité, encouragea la jeune fille à faciliter ses investigations.

Parfois, afin de corser la situation, elle se défendait légèrement avec un rire perlé, mais têtu, il revenait à la charge.

Il possédait aussi de l’habileté, mais une habileté un peu différente de celle de Laveline, pour cela, il intéressa immédiatement Sarah.

Persuadé d’avoir gagné la partie, il proposa de se réfugier en un hôtel, derrière des murs chastes et protecteurs.

Cette proposition ramena la jeune fille au bon sens, elle consulta sa montre et se dressa d’un bond :

— J’ai pas le temps, il me faut rentrer à la maison !

Pour la première fois, il remarqua la serviette bourrée de livres. Son cœur tressaillit ; il aimait cueillir les fleurs au bord du chemin de la vie. Le verbe gras, il demanda :

— Quand alors ?

Ses yeux brillaient dans la demi-obscurité, sa bouche se tordait en un rictus sauvage. Sarah n’eût point peur.

— Demain… ici, à quatre heures et demie.

Ayant dit, elle virevolta et partit d’un pas vif, il la suivit et au rond-point il la vit sauter dans un taxi.

Elle regagna le logis, l’âme gonflée d’espérance ; cet inconnu sans doute qui possédait des attaches fines, un corps svelte, devait remplir les conditions qu’elle s’était prescrites. Enfin, elle connaîtrait les délices du grand jeu.

Le soir, avant de s’endormir, elle caressa un rêve d’un doigt léger, elle se figurait voir l’inconnu, amoureux et passionné, mais fluet, fluet…

Le jour suivant, elle fut exacte au rendez-vous, elle arriva même haletante, tant elle avait couru. Mais l’homme n’était pas là encore et elle eut ainsi le temps de s’asseoir pour souffler.

Il parut enfin, élégant et souriant, soigné comme s’il fut sorti d’une boîte. Cette fois, il se promit de n’être point dupe et refusant de s’asseoir, offrit que l’on partit immédiatement pour un hôtel hospitalier.

Elle souleva sa serviette avec un han de découragement et le suivit, docile en apparence.

Déjà, il triomphait, portant haut la tête, le regard orgueilleux. Connaissant les alentours, il n’eut pas à chercher et quelques minutes plus tard, ils se trouvaient en une chambre somptueuse et bien close.

— Enfin seuls ! murmura-t-il.

De ses deux bras, il attira la jeune fille et la pressa sur son cœur, la baisant aux lèvres. Elle se cambrait, les yeux révulsés, tout l’être secoué de désirs.

D’une torsion du buste, elle se dégagea, et d’un geste bref fit tomber le manteau à terre. Ensuite, la robe glissa et, mutine, Sarah courut vers le lit où elle se pelotonna.

Aimant ses aises, le gentleman se dévêtait placidement, se disant avec juste raison qu’il aurait le temps de tout terminer en moins d’une heure.

Enfin, il s’avança, et Sarah s’étant retournée sentit son cœur se serrer de désappointement. Toutefois, un sourire engageant fleurit ses lèvres.

D’une voix douce, harmonieuse, elle lui adressa une petite prière. Il condescendit, n’étant point ennemi des lenteurs savantes.

Il fut immédiatement flatté par ses contorsions voluptueuses, ses soupirs à fendre du granit, ses appels ingénus, ses extases soudaines qui la raidissaient tout entière.

Cependant, il s’arrêta, certain maintenant d’avoir partie gagnée.

Comme un fauve il se jeta sur le lit, étreignant de ses deux bras la jeune fille encore palpitante.

Hélas ! les pétales de la rose se refermèrent, il n’eût plus devant lui que des jambes étroitement enlacées et tenant fermement l’une à l’autre.

Il implora, impatient et inquiet :

— Voyons, ma chérie !

Ses yeux se plissèrent en un sourire mutin, sa bouche s’ouvrit pour laisser passer une respiration saccadée. Elle haleta :

— Encore !

Il la considéra avec stupéfaction, à son avis, les préliminaires n’étaient qu’un début et ne pouvaient se prolonger indéfiniment.

Mais elle résistait, les traits crispés en une moue têtue :

— Encore !… comme tout à l’heure !

Il dut s’exécuter, et les passes magnétiques reprirent, ce n’étaient que folles caresses par le corps entier, baisers frôleurs, morsures sans danger et sans effusion de sang.

La courte chemise en bataille, Sarah roulait de ci, de là, au gré du flux et du reflux, offrant aux caresses tantôt un coin de sa chair, tantôt un autre.

Elle goûtait amoureusement à des sensations exquises, profondes, qui la ravissaient et, au vrai, pour l’instant, elle ne réclamait pas davantage.

La chevelure hérissée, les joues rougeoyantes, les yeux brillants, il se redressa sur le lit et fit mine de pousser l’assaut à fond.

La même manœuvre que précédemment se produisit, il n’eut plus devant lui qu’un mince échalas de chair, tout contracté, aux genoux se chevauchant.

La colère envahit son cerveau, il éructa :

— Tu te f… de moi !

Tendrement, elle lui sourit et d’une main vigoureuse le saisit. Elle sentait que sa bonne volonté était à bout, elle tenait donc à abattre cette colère au plus vite, afin de ne point en subir les effets.

Furieux, il se débattit, mais elle tomba sur lui, caressante, ensorceleuse,


Assise sur le bord du lit, une glace à la main… (page 91)

enveloppante. Elle riait avec des éclats légers, brefs.

La résistance ne fut pas longue en dépit d’une belle défense. Il s’écroula anéanti, en jurant comme un païen.

Sarah s’étira languissamment comme un jeune chat au soleil.

Le gentleman se remit debout et un instant arpenta la pièce d’un air méditatif. Rapidement, il se rendit compte qu’un second assaut ce soir là serait impossible. Il lui fallait accepter sa défaite.

Alors la fureur le souleva et montrant un poing vengeur à la jeune fille, il gronda des injures.

Elle n’en avait cure ; assise au bord du lit, une glace dans la main gauche, elle feignait d’arranger ses frisettes récalcitrantes. En réalité, elle s’amusait de cette tempête inoffensive. Elle outrait le charme de sa pose abandonnée.

Il la voyait là souriante, la fine chemise masquant à peine les seins fermes, découvrant un coin de ventre blanc, une cuisse charnue au galbe délicat.

Elle se mirait dans la glace et ses yeux avaient des lueurs malicieuses, sa dentition étincelait entre le carmin des lèvres.

Comprenant que toute colère serait un effort perdu, il s’apaisa et lui tourna le dos, se mettant à la recherche de ses bretelles.

Elle rejeta la glace sur le drap et contempla l’amoureux qui, avec des grognements, enfilait une culotte récalcitrante. Elle attendit qu’il eut terminé, puis une reconnaissance sincère gonfla son cœur. Elle courut à lui et l’enferma de ses deux bras tièdes.

— Comme t’es bête, mon chéri, je t’assure que je me suis bien amusée !

Il se retourna, lui lançant un regard de flamme :

— Et moi, je ne joue pas ?

Elle se mit à rire, montrant ses dents :

— Toi aussi, chéri, tout comme moi après tout, qu’est-ce que tu veux de plus ?

Il la considéra, stupide, se demandant si elle ne se moquait pas de lui. Son air candide le convainquit, il bafouilla :

— Tu es une petite bête !

Il ne poussa pas plus loin l’explication, ses espoirs étaient déçus et tout courage l’abandonnait.

Maugréant à mi-voix, il acheva sa toilette ; Sarah l’imita et fut prête la première.

Gamine, elle lui posa un bécot sur le cou et se sauva :

— À demain, au même endroit… à la même heure !

Il la regarda filer le long de l’escalier, froufroutante et joyeuse. La main indécise, il saisit son feutre et se coiffa.

La petite garce ! jura-t-il. Je parie que maintenant elle va se moquer de moi avec son gigolo.

Mélancolique, il descendit, et des yeux chercha la jeune fille. Mais déjà, elle avait disparu, emportée par un taxi rapide.

Il remonta vers les Champs-Élysées et, découragé, se laissa tomber sur une chaise de terrasse de café. Il avait besoin d’un mandarin-curaçao pour se remonter le moral.

Pendant ce temps, Sarah, l’âme en paix, regagnait le toit paternel. Enfoncée dans l’encoignure de la voiture, elle souriait aux anges, caressant en pensées d’agréables souvenirs.

Les lèvres pincées, elle murmura :

— Encore un chimpanzé ! Seraient-ils tous comme cela, par hasard ?

Paisiblement, elle gravit l’escalier et sourit à Célestine qui vint lui ouvrir.

Ayant abandonné chapeau et manteau aux mains de la soubrette, elle posa ses livres sur une banquette et entra, triomphante, dans la salle à manger.

Madame Clarizet leva, de dessus son tricot, un visage placide :

— Encore ce cours du soir, mon petit, tu vas te fatiguer !

— C’est pour le bac ! répliqua Sarah, pince-sans-rire.

Madame Clarizet se lamenta :

— Tu t’en seras fait du souci pour ce baccalauréat. J’espère qu’on pourra te donner une assez jolie dot qui te permettra de te dispenser de cette vaine gloriole !

Sarah pivota sur un talon.

— Je ne suis pas pressée de me marier !

Sa mère la contempla avec amour :

— Cette enfant sera comme moi, peu portée pour la chose. Ah ! mon Dieu ! ce n’est pas ça qui m’a jamais tracassée.

Clarizet parut à ce moment, les joues flamboyantes, répandant autour de lui un arôme d’alcools mêlés, véritable cocktail humain.

— T’as soif, p’pa ? fit Sarah, narquoise.

Il la menaça du doigt :

— Toi, mauvais sujet, respecte les vieillards !

Célestine apporta la soupière fumante, et Madame Clarizet soupira d’aise. Si elle était peu portée sur la chose, elle possédait une gourmandise jamais en défaut.

La sensualité de Sarah était toute différente ; si elle partageait avec sa mère cette tendance à l’inactivité physique, en revanche, la question de la table la laissait indifférente.

Après le dîner, elle resta un moment à feuilleter une revue auprès de ses parents. Madame Clarizet digérait et somnolait. Clarizet fumait une pipe en parcourant le journal du soir.

La jeune fille se lassa de cette tranquillité, elle lança un bonsoir à la cantonade et gagna sa chambre où, nue, elle se livra à des poses plastiques devant sa glace.