(pseudonyme, auteur inconnu)
Éditions du Vert-Logis (p. 189-201).


X


Cette mauvaise humeur qui tourmentait la jeune fille depuis le matin, ne s’apaisa pas au cours du jour et ce fut Chalard qui supporta le contre-coup.

Elle arriva au rendez-vous, les sourcils froncés, la bouche mauvaise, mais les yeux brillants de fièvre.

Il l’embrassa avec une tendresse quasiment paternelle, la serrant contre sa poitrine, lui chatouillant les joues de sa barbe.

Mais, tandis que la tenant par le bras, il l’entraînait vers l’hôtel, tout en lui murmurant des propos frivoles, elle laissait égarer son imagination en des régions extravagantes.

Elle se souvint brusquement de la fourrure maternelle qui, après usage, avait échu à Madame Petimangin. Machinalement, elle compara cette fourrure à la barbe de Fernand, et cela lui arracha un éclat de rire juvénile.

Cependant, elle résolut incontinent de tenter l’expérience.

Quand elle se trouva dans la chambre avec le quadragénaire, sa mauvaise humeur s’accrut, elle se déshabilla avec des mouvements brusques.

Chalard feignait de ne rien remarquer et s’occupait de ses propres affaires.

Mais la situation se transforma lorsqu’il prétendit réclamer ses droits.

Sarah ne l’autorisa tout d’abord qu’à de multiples mignardises qui, progressivement activaient la circulation de son sang.

La volupté pénétrait en elle, lentement, par tous les pores, l’imagination, en outre, jouant un rôle prépondérant.

Elle eut, cette fois, des exigences qu’elle n’avait jamais osées, afin de tâter profondément le terrain.

Fernand s’y plia avec docilité, ayant passé l’âge des répugnances.

Elle ne riait plus, mais ses yeux flambaient d’érotisme, des frissons la secouaient tout entière et entre ses genoux, elle serrait convulsivement la tête de l’amant.

Par sa patience et sa bonne volonté, il la conduisit au paroxysme du désir et ce fut elle-même, à bout de forces, qui réclama son étreinte.

Dans ses bras, elle eut des râles sourds, des tressaillements profonds qui lui secouaient les entrailles. Brusquement, elle se détendit tout entière avec un véritable cri.

Elle le griffait de ses ongles acérés, le mordait à l’épaule de ses dent aiguës, le retenant près d’elle, bien qu’il voulût s’éloigner.

Mais quand il se fut libéré, elle redevint indifférente et, lui tournant le dos, alluma une cigarette. Il lui fallait lutter contre elle-même pour agir ainsi ; elle n’aurait écouté que sa passion, qu’elle aurait couvert l’amant de baisers reconnaissants. Cependant, elle n’oubliait point qu’elle se livrait à un véritable dressage.

Timide, il se rapprocha et l’embrassa à l’épaule, puis de sa main saisit le sein rond et ferme.

Elle se mit à rire, lui caressant la barbe du bout des doigts.

Cependant, quand elle eut achevé sa cigarette, elle retourna à l’amant. À son tour, elle ne manifesta ni embarras, ni répugnance. Dans ses mains agiles et déjà expertes, il devenait un simple jouet que le désir gonflait lentement.

Il la prisait fort pour cette habileté à ranimer la flamme un moment éteinte, il la considérait comme le véritable philtre de jouvence.

Et, comme la veille, quand elle le vit bien exaspéré, prêt à une nouvelle étreinte, elle se dirigea vers ses vêtements.

Anxieuse, il la retint par le bras :

— Tu ne vas pas t’en aller, il est encore de bonne heure !

Elle leva un index rose :

— À une condition…

Cette condition, elle la précisa tout bas, avec un rire au coin des lèvres.

Il fut estomaqué et disposé à refuser. Mais déjà, elle le reprenait, l’enjôlait, le poussant aux limites extrêmes de la passion.

Il consentit, à bout de résistance, et elle s’éclipsa un instant, pour revenir, toute rose d’une malice contenue.

Dès lors, elle sut qu’il était dompté et le considéra comme son esclave.

L’étreinte qui suivit, cette fois, fut tumultueuse et farouche ; à son tour, il lui zébrait le dos de ses ongles aigus, tandis qu’elle le mordait à la gorge avec une sorte de frénésie.

Ce fut, les jambes flageolantes, le cerveau vidé, qu’une demi-heure plus tard, ils quittaient l’hôtel.

Il la regardait de biais, intrigué maintenant par cette perversité précoce. En réalité, il se trompait, la jeune fille cherchait un stimulant à la mollesse instinctive qu’elle avait hérité de sa mère ; sans ce stimulant continuellement renouvelé, elle n’aurait jamais désiré l’œuvre de chair ; au contraire, elle s’en serait éloignée par passion.

Il l’accompagna jusqu’à la Concorde et tout en marchant, ils bavardaient doucement. Sarah se plaignit d’être contrainte de se rendre ainsi en des hôtels, et il proposa de louer un petit pied-à-terre, ils étaient nombreux en ces parages.

Pour cette excellente idée, elle l’embrassa publiquement et il en fut flatté.

À la Concorde, elle refusa qu’il vînt plus loin et ils se séparèrent, en échangeant un regard chargé de malice.

Sarah rentra au logis plus guillerette que de coutume. À Célestine, elle raconta bien certains détails, mais passa pudiquement sur d’autres.

Il y avait en elle un tel apaisement que le lendemain, elle n’alla même pas au rendez-vous, préférant une lente flânerie au long des boulevards. Ce fut ce qui l’amena en présence de Laveline en quête de bonne fortune. Ils rirent en se voyant et le désir de se reprendre, les secoua tous les deux.

Prometteuse, Sarah lui chuchota :

— Tu sais… ça se peut maintenant !

Il n’en écouta pas davantage et l’entraîna vers le plus proche hôtel.

Avec sa naïveté de quinquagénaire, il se figurait que les choses allaient se passer tout uniment, que Sarah se donnerait en la spontanéité d’une professionnelle.

Il dut bientôt déchanter, un sourire malicieux au coin des lèvres, la jeune fille se promena devant lui, jouant des hanches et de la croupe :

— N’oublie pas tes bonnes habitudes, chéri, autrement tu n’auras rien !

Dupé à plusieurs reprises, il se montra méfiant :

— Tu m’as déjà raconté cela tant de fois !

Elle lui prit la main, afin de le convaincre :

— Les temps sont changés sitôt que de ce jour, une trompette sacrée…

Elle éclata d’un rire puéril.

Vexé, il s’inquiéta :

— Qui c’est qui t’a fait ça ?

Elle pirouetta galamment :

— Un monsieur ! En tout cas, tu te rends compte ? Paye d’avance, tu seras remboursé, seulement sois généreux, sinon rien !

Il dut s’incliner. Sarah, forte de sa puissance, se manifesta d’une exigence tyrannique. Plusieurs fois, il tenta d’obtenir la réalisation de la promesse de l’enfant mais, toujours, elle avait quelque chose d’autre à réclamer.

Astucieusement, de ses lèvres habiles, de ses doigts légers, elle le poussait à l’exaspération, puis battait en retraite pour lui donner un nouvel ordre.

Elle le soumit, tout comme Chalard, lui apprenant même des tours de passe-passe qu’il ignorait.

Peu à peu, sa chair se convulsait, sa sensualité vibrait profondément, son être entier s’éveillait au désir véritable. À bout de forces, elle s’abattit sur le lit, l’appelant cette fois à grands cris.

Il fut dignement récompensé, il connut les affres de la volupté exacerbée. Sarah, lorsqu’elle avait atteint le degré nécessaire d’exaltation devenait une amoureuse habile autant qu’ardente. Elle retournait instinctivement à la voie naturelle et sa passion ne connaissait plus de bornes.

Ils se quittèrent fort bons amis, se promettant de se revoir. Laveline voulut réclamer un rendez-vous précis, mais, la tête haute, elle rétorqua, cynique :

— Je ne peux pas te dire… tu comprends, j’ai un autre amant.

Devant une explication aussi convaincante, il dut s’incliner. Bonne fille, cependant, elle lui conseilla de l’attendre le surlendemain devant l’Opéra. Il promit, le cœur plein de joie et d’espérance.

En courant presque, Sarah retourna au logis afin de mettre Célestine au courant de ce nouvel exploit.

La boniche approuva hautement :

— T’as raison, plus on a d’hommes, plus on les domine. Un seul vous tyrannise, plusieurs sont des esclaves.

Ces sages paroles éveillèrent en l’esprit de la jeune fille un monde de réflexions.

Mais elle s’assombrit vite quand elle pénétra dans l’atmosphère mélancolique de la salle à manger. En résumé, elle considérait que dans le cours du jour, elle avait tout au plus trois heures agréables. Sa haine du toit familial s’accrut et se doubla du dégoût de l’école.

— Il faut que ça change ! grinça-t-elle entre ses dents, tandis que Madame Clarizet lui souriait béatement.

Elle se rappelait qu’à plusieurs reprises, elle avait demandé à ses parents de lui procurer quelques distractions, quelques soirées au cinéma, des promenades agréables.

Les braves gens n’y avaient rien compris. Des distractions ? Mais en prenaient-ils, eux ? La vie n’est point faite pour s’amuser.

— Une idée de gamine ! avait conclu Clarizet. Quand elle sera mariée, elle fera ce qu’elle voudra !

La timidité l’avait empêché de récidiver, elle s’enfermait en sa rancœur et rêvait de vengeance, de libertés diaboliques.

Ce soir-là, elle était arrivée au terme de la patience, son ennui débordait, en son imagination ardente elle chercha le moyen d’amener la catastrophe brutale qui la libérerait définitivement. Malheureusement, elle ne trouvait rien pour l’instant.