La Figure de proue/Révélation

Eugène Fasquelle (p. 125-127).

Révélation

Croyais-tu que, vivre, c’était
Se mourir de coussins et d’ombre
Dans la demeure où tout se tait,
Violente, amoureuse ou sombre ?

Croyais-tu que c’était plutôt
La longue sirène des robes ?
La musique où parle enfin haut
Ton cœur qui toujours se dérobe ?

Croyais-tu que, la joue au poing,
C’étaient tendre l’oreille aux villes
Pour surprendre les plus subtiles
Des plaintes qu’on n’écoute point ?


Ou bien, hors l’art et la musique,
Le rêve et la réflexion,
Ouvrir des bras de passion
Vers l’horreur des métaphysiques ?

Vivre, ah vivre ! c’est, au galop,
Mâter une bête rétive,
C’est sentir au soleil trop chaud
Suer et brûler sa chair vive.

Dans l’encombrement des chameaux,
C’est s’ouvrir une place dure,
C’est une gutturale injure
Qui guérit du poison des mots.

C’est le tour et détour des lieues,
C’est, au coin d’un village clair,
L’apparition de la mer,
C’est du sable et des forêts bleues,

C’est, au repli des manteaux blancs,
Cueillir des yeux de flamme noire,
C’est secouer de sa mémoire
Tout le musc du passé troublant.


Et puis c’est, au vent de la course,
Rire à ton compagnon de jeux,
Et, dans un regard de ses yeux,
Boire son cœur comme une source…