Amyot (p. 13-26).
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II

EL MESON DE SAN JUAN.

On a beaucoup écrit sur la façon leste et inhospitalière dont les hôteliers espagnols et siciliens reçoivent les voyageurs que Dieu leur envoie.

Il est prouvé pour nous que ceux qui ont parlé ainsi de ces hôteliers ne connaissent pas même par ouï-dire les mezoneros ou hôteliers mexicains ; sans cela, il est hors de doute qu’ils auraient, à leurs risques et périls, réhabilité ces braves gens pour décharger tout le poids de leur indignation sur les huespedes (aubergistes) de la Nouvelle-Espagne.

Une justice à rendre aux hôteliers espagnols et siciliens, c’est que s’ils sont dans la complète impossibilité de satisfaire, de quelque manière que ce soit, aux exigences des voyageurs, en leur donnant les provisions que ceux-ci réclament, en revanche ils leur font un visage si affable, voilent leur refus sous les apparences d’une si exquise politesse, que la plupart du temps le voyageur est forcé de reconnaître qu’il a eu tort de ne pas se munir des provisions et des objets nécessaires, et il est contraint de se confondre en excuses.

Au Mexique, les choses se passent tout différemment.

Sur les quelques grandes routes jadis construites par les Espagnols, et que l’incurie des différens gouvernemens qui leur ont succédé laisse dans un état d’abandon tel que bientôt elles disparaîtront complétement, s’élèvent à de longues distances de vastes bâtimens qui de loin ressemblent assez bien à des maisons fortes, étant la plupart entourés de hautes murailles crénelées et garnies de meurtrières.

Ces bâtiments sont des mesons ou hôtelleries.

L’intérieur se compose d’abord d’une énorme cour avec une noria, ou puits destiné à donner à boire aux chevaux. Des corales pour les bêtes de somme prennent les quatre faces de cette cour. Dans un bâtiment réservé se trouvent les cuartos des voyageurs, c’est-à-dire de misérables bouges meublés seulement d’un cadre en chêne garni d’une peau de vache, et qui sert de lit.

Ces cuartos sont numérotés et s’ouvrent tous sur de longs corridors.

Tout voyageur doit apporter avec lui ses vivres et les objets de literie indispensables, car l’hôtelier ne fournit absolument que l’alfalfa pour la provende des chevaux et l’eau de la noria.

Il était environ dix heures du soir, lorsque don Sébastian Guerrero arriva devant la porte du meson de San-Juan.

Cette porte était hermétiquement fermée.

Aux coups répétés frappés par un des domestiques, une lucarne percée dans le mur, à deux pieds environ de la porte, s’ouvrit enfin ; une tête de mauvaise humeur se montra, et une voix bourrue cria d’un ton hargneux :

— Qui ose faire un tel vacarme à la porte d’un meson aussi honnête et aussi respectable que celui-ci ?

— Ce sont des voyageurs qui vous arrivent, don Cristoval Saccaplata, répondit le colonel ; allons, ouvrez-nous vivement ; nous avons fait une longue route et nous sommes fatigués.

— Hum ! ils disent tous la même chose, reprit le huesped. Qu’est-ce que cela me fait à moi ! je n’ouvrirai pas, il est trop tard ; ainsi allez, et que Dieu vous garde !

Et il fit un geste pour refermer la lucarne.

— Un moment, que diable ! s’écria le colonel ; vous ne nous laisserez pas camper à la belle étoile, à votre porte, cela ne serait nullement honorable pour vous.

— Bah ! une nuit est bientôt passée ! répondit l’hôte en ricanant ; d’ailleurs vous pouvez aller au meson del Satto ? là on vous ouvrira.

— Ne savez-vous pas qu’il y a huit milles d’ici au meson del Salto ?

— Certes, je le sais.

— Voyons, ouvrez-nous, señor Saccaplata ; vous n’aurez pas la barbarie de nous laisser ainsi dehors !

— Pourquoi donc ?

— Parce que si vous ouvrez vous serez récompensé de façon à ne pas vous en repentir.

— Oui, oui, tous les voyageurs sont les mêmes ; ils font beaucoup de promesses tant qu’ils sont dehors ; mais une fois dedans, du diable s’ils lâchent les cordons de leur bourse.

— Cela ne vous arrivera pas avec nous.

— Qu’en sais-je ? fit le huesped en hochant la tête ; ma maison est pleine, je n’ai plus de place.

— Nous nous en ferons, cher Saccaplata,

— Oui-dà ! et qui donc êtes-vous, vous qui me connaissez si bien ? Ne seriez-vous pas par hasard un de ces caballeros de la noche (seigneurs de la nuit) qui depuis quelque temps courent la tuna aux environs ?

— Vous vous trompez grossièrement, et je vais vous le prouver, répondit le colonel, désirant couper court à cette conversation en plein air. Prenez d’abord ceci, ajouta-t-il en jetant deux onces d’or par la lucarne ; maintenant, pour éviter tout malentendu, sachez que je me nomme le colonel don Sébastian Guerrero.

Le digne hôtelier, ainsi que son nom le laissait suffisamment deviner[1], n’était sensible qu’à un seul argument, celui que le colonel avait si judicieusement employé pour vaincre sa résistance ; il se baissa, ramassa les deux onces, qu’il fit immédiatement disparaître, et s’adressant de nouveau aux voyageurs, mais cette fois avec un ton qu’il semblait chercher à rendre plus aimable :

— Allons, dit-il, il faut faire ce que vous voulez… je suis trop bon. Avez-vous au moins des provisions ?

— Nous avons tout ce qu’il nous faut.

— Tant mieux, car je n’aurais rien pu vous fournir ; ne vous impatientez pas, je descends.

En effet, il disparut de sa lucarne, et au bout de cinq minutes on l’entendit commander en grommelant de tirer les barres et de débarricader la porte.

Les voyageurs entrèrent enfin dans la cour du meson.

Le huesped avait menti comme un véritable hôtelier qu’il était ; il n’y avait dans sa maison que deux ou trois muletiers avec leurs mules et trois voyageurs qui, à leur costume, paraissaient être des hacienderos (gros fermiers) des environs.

— Holà ! cria don Sébastian, quelqu’un pour prendre mon cheval.

— Si vous commencez ainsi, cela n’ira pas longtemps bien, répondit le huesped du ton aigre qu’il avait précédemment employé ; ici chacun se sert, grand ou petit, et panse soi-même son cheval.

Le colonel Guerrero était loin d’avoir un caractère patient ; s’il avait précédemment supporté les insolences de l’hôtelier, c’était uniquement par la raison qu’il lui était impossible de le châtier, mais cette raison n’existait plus maintenant. Mettant vivement pied à terre, il prit ses pistolets dans ses fontes, les passa à sa ceinture, et s’avançant résolûment vers le señor Saccaplata, il le saisit au collet et le secoua rudement.

— Écoutez, maître larron, lui dit-il, trêve à vos insolences et servez-moi, si vous ne voulez vous en repentir.

L’hôtelier fut tellement étonné de cette brusque façon de lui répondre et de cette atteinte à son inviolabilité, que pendant un instant il demeura muet de confusion et de colère ; son visage devint cramoisi, ses yeux roulèrent effarés dans leur orbite, et il s’écria enfin d’une voix étranglée :

— À moi ! à moi don Cristoval Saccaplata ! une telle insulte ! par le corps du Christ, cela ne se passera pas ainsi. Sortez de chez moi à l’instant.

— Je ne sortirai pas, répondit paisiblement mais fermement le colonel, et vous allez me servir immédiatement.

— Oh ! mais c’est ce que nous allons voir. Holà ! à moi ! Pedro, Juan, Jacinto, venez tous ! sus à ces larrons !

Sept ou huit domestiques se précipitèrent hors des corales à la voix de leur maître, et vinrent se ranger derrière lui.

— Fort bien, reprit le colonel en levant ses pistolets ; le premier drôle qui fait un pas vers moi dans une mauvaise intention, je le brûle.

Il va sans dire que les peones demeurèrent immobiles comme s’ils eussent été subitement changés en blocs de granit.

Un des domestiques du colonel avait aidé doña Angela à mettre pied à terre ; il l’avait accompagnée jusque dans un cuarto, où il l’avait installée ; puis il était revenu en toute hâte rejoindre son maître, prévoyant que de la manière dont la scène se dessinait, son intervention ne tarderait pas à être nécessaire.

Le patio (cour) du meson offrait en ce moment un aspect des plus singuliers, à la lueur des torches de bois d’ocote attachées le long des murs dans les anneaux de fer :

D’un côté se tenait l’hôtelier et ses domestiques.

De l’autre les quatre valets de don Sébastian, la main sur leurs armes, et le joueur de guitare, sa jarana sur le dos et les mains croisées sur la poitrine.

Un peu à l’écart, les voyageurs et les arrieros arrivés précédemment, et au milieu, seul, les pistolets à la main, le colonel, les sourcils froncés et l’œil étincelant :

— Finissons-en, misérables ! reprit-il. Depuis assez longtemps vous rançonnez et insultez les voyageurs que la Providence vous envoie. Vive Dieu ! si vous ne me demandez pas à l’instant pardon de votre insolence, et si vous ne me servez pas avec toute la politesse que j’ai le droit d’exiger de vous, je vous inflige, séance tenante, une correction dont toute votre vie vous vous souviendrez !

— Prenez garde à ce que vous allez faire, mon maître ! répondit avec ironie le huesped. Vous voyez que j’ai du monde avec moi ; Si vous ne décampez pas au plus vite, tant pis pour vous ; j’ai des témoins, et le juez de letras (juge criminel) jugera.

— Tête de Dieu ! s’écria le colonel, voilà qui est trop fort et lève tous mes scrupules ! Ce misérable ose me menacer de la justice ! En joue, vous autres, et feu sur le premier qui bouge !

Les domestiques obéirent.

Don Sébastian saisit alors l’hôtelier malgré ses cris et sa résistance désespérée, et en un tour de main il l’eut renversé à terre.

— Je crois rendre service à tous les voyageurs que leur mauvaise étoile amènera désormais dans ce bouge, continuait-il, en châtiant ce drôle comme il le mérite.

Les témoins de cette scène, peones, arrieros ou voyageurs n’avaient pas fait un mouvement pour venir au secours de l’hôtelier. Il était évident que tous, pour certaines raisons, étaient intérieurement satisfaits de ce qui lui arrivait.

Nul d’entre eux n’aurait osé prendre sur lui la responsabilité d’un tel acte ; mais puisqu’il se trouvait une personne qui consentait à l’assumer, ils se gardaient bien d’apporter le moindre obstacle à ce qu’il voulait faire.

Sur l’ordre péremptoire du colonel, le pauvre diable d’hôtelier fut attaché par deux de ses propres domestiques à la longue perche de la noria, et mis dans l’impossibilité de faire un mouvement.

— Maintenant, continua le colonel, prenez chacun une reata (corde) et frappez à tour de bras sur ses reins jusqu’à ce qu’il s’avoue vaincu et consente à ce que j’exige de lui.

Malgré leur feinte répugnance, force fut aux deux peones de l’hôtelier d’obéir à l’injonction du colonel, injonction soutenue par quatre carabines et deux pistolets, dont les gueules menaçantes étaient dirigées sur eux à bout portant.

Pour rendre hommage à la vérité, nous devons avouer que, soit frayeur, soit toute autre cause, les deux peones s’acquittèrent en conscience de leur office de bourreaux.

L’hôtelier beuglait comme un bœuf ; il était fou de rage et se tordait comme une vipère, dans les liens qu’il cherchait vainement à rompre.

Le colonel se tenait impassible auprès de lui.

Seulement, de temps en temps, il lui demandait d’une voix ironique comment il trouvait ses arguments et s’il se déciderait bientôt à s’y rendre.

Les forces humaines ont des limites qu’elles ne peuvent dépasser ; malgré toute sa rage et tout son entêtement, l’hôtelier fut enfin contraint de convenir, à part soi, qu’il avait affaire à plus entêté que lui, et que s’il ne voulait mourir sous les coups, il lui fallait se résoudre à subir l’humiliation qui lui était imposée.

— Je me rends ! cria-t-il d’une voix éteinte et brisée autant par la colère que par la douleur.

— Déjà ! répondit froidement le colonel ; peuh ! je vous croyais plus brave ! À peine avez-vous reçu une trentaine de coups. Arrêtez, vous autres, et déliez votre maître.

Les peones obéirent avec empressement. Lorsqu’il fut libre, l’hôtelier voulut se relever, mais les forces lui manquèrent et il tomba sur le sol, où, pendant quelques instants, il demeura étendu.

Enfin il fit un effort désespéré et se redressa.

Son visage était pâle, ses traits contractés, une sueur abondante perlait à ses tempes, qui battaient à se rompre ; il avait des bourdonnements dans les oreilles et des larmes de honte coulaient de ses yeux.

Il fit en chancelant quelques pas pour se rapprocher du colonel.

— Je suis à vos ordres, caballero, dit-il en baissant humblement la tête, parlez, que faut-il faire ?

— Bien ! reprit celui-ci, vous voici enfin raisonnable ; vous êtes beaucoup mieux ainsi. Faites donner la provende à mes chevaux et aidez mes domestiques à me servir.

— Pardon, caballero, reprit le huesped, me permettrez-vous de vous dire deux mots ?

Le colonel sourit avec dédain.

— À quoi bon ? je les sais, et je vais vous les dire moi-même : vous me voulez avertir que, contraint de plier sous une force supérieure, vous vous rendez, mais que vous vous vengerez à la prochaine occasion, n’est-ce pas ?

— Oui, murmura-t-il d’une voix creuse.

— Eh bien ! à votre aise, mon hôte, faites ; seulement, prenez bien vos précautions, car si vous me manquez, je vous avertis que moi, je ne vous manquerai pas. Maintenant servez-moi, et surtout hâtez-vous.

Et haussant les épaules avec dédain, le colonel lui tourna le dos en ricanant.

L’hôtelier le regarda s’éloigner avec une expression haineuse qui donna à sa physionomie quelque chose de hideux ; puis lorsqu’il vit le colonel hors de la cour, il secoua la tête deux ou trois fois en murmurant à demi-voix :

— Oui, je me vengerai, démon, et plus tôt que tu ne le supposes.

Après cet aparté, il composa son visage et s’occupa du soin de sa maison avec une activité et une apparente indifférence qui donna beaucoup à penser à ses domestiques, qui connaissaient son caractère rancunier. Cependant il ne se plaignait pas, il ne faisait aucune allusion au cruel supplice qu’il avait subi ; mais au contraire, il soignait ses voyageurs avec une attention et une politesse auxquelles jamais jusqu’à ce jour néfaste il ne les avait accoutumés, ce dont ceux-ci profitaient tout en se tenant sur leurs gardes, tant cette mansuétude subite leur inspirait peu de confiance.

Cependant rien ne vint, en apparence, justifier leurs soupçons, tout se passa tranquillement ; les voyageurs s’allèrent coucher les uns après les autres, puis l’hôtelier fit sa ronde pour s’assurer que tout était en ordre, et se retira à son tour dans le corps de bâtiment affecté à son logement particulier.

Le colonel était couché depuis plusieurs heures déjà ; il dormait profondément lorsqu’il fut réveillé en sursaut par un bruit qu’il entendit à sa porte.

— Qui est là ? demanda-t-il.

— Silence ! répondit-on du dehors ; ouvrez, c’est un ami.

— Ami ou ennemi, dites-moi qui vous êtes, afin que je sache à qui j’ai affaire.

— Je suis, répondit la voix, l’homme que vous avez rencontré sur la route.

— Hum ! que me voulez-vous ? pourquoi ne dormez-vous pas à cette heure au lieu de me venir ainsi réveiller ?

— Ouvrez, au nom du ciel ! j’ai d’importantes nouvelles à vous apprendre.

Le colonel hésita un instant ; mais bientôt, réfléchissant que cet homme, auquel il n’avait fait aucun mal n’avait pas de raison d’être son ennemi, il se décida à se lever ; toutefois, par prudence, il s’arma de l’un de ses pistolets, qu’en se couchant il avait déposés près de lui, en cas d’alerte, et il alla ouvrir.

L’inconnu entra vivement et referma la porte derrière lui.

— Parlons bas, dit rapidement l’inconnu. Écoutez-moi ; l’hôtelier machine quelque chose contre vous.

— Je m’en doute, répondit le colonel, qui, tout en parlant, avait allumé le candil ; mais, quoi qu’il fasse, je suis hors de son atteinte, et le drôle se brisera contre moi.

— Qui sait ? fit l’étranger.

— Enfin, vous savez quelque chose de positif. Est-ce dans l’intérieur de cette maison que j’ai quelque complot à redouter ?

— Je ne le crois pas.

— Dites-moi ce que vous avez découvert, alors.

— C’est ce que je vais faire. Mais d’abord, comme je vous suis parfaitement inconnu, laissez-moi vous dire mon nom.

— À quoi bon ?

— On ne sait pas ce qui peut arriver dans ce monde ; il est utile d’être à même de distinguer ses amis de ses ennemis.

— Parlez, je vous écoute.

— Sauf mon nom, vous m’avez presque deviné ! Sous mon apparence famélique, je cache une certaine valeur monétaire : Je me nomme don Cornelio Mendoza ; je suis étudiant. J’avais à Guadalajara une tante qui, en mourant, m’a fait son héritier ; j’emporte avec moi en ceinture cent cinquante onces d’or[2], et dans mon portefeuille des traites pour égale somme payables à San-Blas. Vous voyez que je ne suis pas aussi pauvre que j’en ai l’air ! Mais, la route est longue et périlleuse de Guadalajara à San-Blas, et j’ai pris ce déguisement afin d’échapper aux voleurs, si cela est possible.

— Fort bien, don Cornelio ; vous pouvez maintenant, si cela vous plaît, changer de costume, car j’espère que nous ferons route ensemble.

— De grand cœur ; mais, si cela vous est égal, je conserverai provisoirement mon costume de lepero.

— Comme vous voudrez ; maintenant allons au fait : qu’avez-vous à m’apprendre ?

— Pas grand’chose, mais cependant assez pour nous mettre sur nos gardes. Notre hôte, après avoir fait sa ronde et s’être assuré que chacun était retiré, a réveillé un de ses domestiques, tenez, justement celui qui frappait de si bon cœur.

— Oui, je me rappelle la figure de ce coquin.

— Fort bien ! Après l’avoir fait entrer dans sa chambre, il est resté enfermé dix minutes avec lui, puis il a ouvert une fenêtre, le peon a sauté sur la route et est parti de toute la vitesse de ses jambes.

— Oh ! oh ! fit le colonel.

— L’hôtelier l’a suivi des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, puis il a marmoté quelques mots que je ne pus comprendre, excepté un nom qui est arrivé, grâce à Dieu, jusqu’à moi.

— Quel nom ?

— El Buitre (le Vautour).

— Hum, c’est tout.

— Oui.

— Cela ne m’apprend pas grand chose ; mais comment avez-vous appris ces nouvelles ? L’hôtelier ne vous a pas pris pour confident, je suppose ?

— Non, pas le moins du monde ; je suis devenu son confident malgré lui, de la manière la plus naturelle : mon cuarto est au dessus de son logement, je l’ai entendu ouvrir une fenêtre, et j’ai écouté.

— Oui, mais malheureusement vous n’avez rien entendu.

— Si, un nom.

— Mais un nom qui n’a aucune signification pour nous.

— Au contraire, elle en a une énorme.

— Comment cela ?

— Le fameux chef de salteadores, dont la cuadrilla (bande) désole toute la province depuis un an, se nomme El Buitre ; comprenez-vous maintenant ?

— Corps du Christ ! s’écria le colonel en se levant précipitamment, je le crois bien, que je comprends !



  1. Sacca plata signifie littéralement tire-argent.
  2. À peu près 12 750 fr. de notre monnaie.