La Femme pauvre/Partie 2/20

G. Crès (p. 349-350).
Deuxième partie


XX



On se remit au travail. On reprit le livre interrompu pendant trois mois et qui était l’unique ressource pour l’avenir, si Dieu voulait que de tels pauvres eussent un avenir sur terre. Comme auparavant, ce labeur fut interrompu fréquemment par la misère ou par l’angoisse. Mais l’admirable Joly continuant son rôle de Providence, on put se traîner le long de cette œuvre et commencer d’en apercevoir la fin.

Depuis les dix-huit jours de la prière terrible, l’hostilité des voisins semblait frappée de paralysie, et Léopold attendait en paix, avec une effrayante confiance, la catastrophe.

À la suite d’on ne sut quel incendie de torchon, les deux cochonnes se brouillèrent et la vieille Grand déménagea. Quelque temps après, on la trouva morte dans sa chambre, au bout du village, les entrailles rongées par son chien, un horrible molosse vairon qui ressemblait à sa maîtresse et qui avait un museau de brochet.

— C’est le tour de l’autre, maintenant, dit tranquillement Léopold au facteur de la poste qui lui racontait la nouvelle.

Ce mot entendu par la Poulot qui n’était jamais bien loin, fut pour elle comme le signal de toutes les disgrâces de la fortune. L’huissier, compromis dans quelque fiasco, se vit forcé de vendre le mobilier de son salon. Même les reliques les plus chères, l’armoire à glace et le canapé de Madame, qu’elle montrait avec tant d’orgueil, ainsi qu’un vétéran sa panoplie, disparurent, et le gracieux couple alla cacher dans Paris son humiliation.

Pendant une semaine, on désinfecta leur clapier.

La persécution était finie, plus que finie, car il se fit autour de Léopold une sorte de crainte vile et superstitieuse.

L’accusateur, cependant, attendait encore. Il savait qu’il y aurait autre chose, qu’il devait y avoir autre chose, et que ce n’était pas pour cela seulement qu’il avait mis en gage le Corps du Christ.