CHAPITRE XVI.


Toutes les actions des hommes sont blâmées ou approuvées selon le point de vue d’où elles sont examinées, et tel dont on exalte la conduite, encourrait le blâme si l’on scrutait dans son cœur, et si l’on découvrait le motif qui le fait agir ; il en est bien peu, il n’en est point, peut-être, qu’un intérêt personnel n’excite.

Je faisais cette réflexion en écoutant les louanges que le commandant nous prodiguait de notre dévouement à la chose publique. Nous le priâmes de nous enrôler dans la compagnie de Durand. Il me fit observer que je n’étais pas d’une taille à être grenadier, que je serais mieux dans les chasseurs. Je le priai avec tant d’instances de ne pas me séparer de mes camarades, qu’il y consentit. Je me trouvai donc grenadier ; j’avais presque un air martial avec mon bonnet. Il fallut prendre son parti pour le coucher ; Lavalé me protesta qu’il aurait pour moi le respect et les égards qu’il me devait : j’en étais si convaincue, qu’il ne m’était pas venu à l’idée la moindre inquiétude.

Nous allions presque tous les jours à la découverte des chouans ; Durand et Lavalé me couvraient de leurs corps. Je me battais, je vous jure, aussi bien que mes camarades ; je n’étais pas très-hardie au sabre, mais j’ajustais un coup de fusil avec autant d’assurance que le plus vieux soldat.

Mon intention n’est pas de vous rendre compte des opérations militaires, et des combats qui furent livrés de part et d’autre : mon but est de satisfaire votre curiosité sur mes aventures.

Nous fûmes renforcés par l’armée de Mayence, et nous regagnâmes du terrain. Les communications, qui avaient été interceptées, furent rétablies ; et je pus avoir des nouvelles de mon frère, qui était toujours à Rennes. Il fut question d’y envoyer un détachement ; Durand demanda à en être ; mais le commandant, ayant fait d’autres dispositions, ne voulut point y consentir ; il nous destina, au contraire, à faire l’attaque du château de Roucheterre. Lavalé dit au capitaine, qu’ayant été fait prisonnier dans ce château, il y aurait peut-être du danger à nous exposer d’y retourner ; qu’à-coup-sûr, si nous étions pris et reconnus, on nous ferait un mauvais parti. Il ne faut pas vous laisser prendre, dit le commandant. Mais, répliqua Lavalé ; point de mais ; obéissez. Et il lui tourna le dos.

Un détachement qui nous avait précédé, nous avait applani les plus grandes difficultés ; et nous entrâmes dans le château de Roucheterre sans coup férir : les maîtres en étaient délogés ; nous y établîmes le quartier-général. Le commandant qui avait pris le château, était fort embarrassé ; il fallait qu’il dressât un procès-verbal des choses dont il s’était emparé. La nature l’avait doué d’un grand courage ; mais la fortune lui avait refusé les moyens de le seconder par une éducation soignée. Enfin, il ne savait point écrire.

Un penchant irrésistible, qui entraîne un sexe vers l’autre, l’avait fait me distinguer. Je lui avais inspiré une sorte de confiance ; il s’adressa à moi ; et me demanda si j’étais en état de lui rendre le service de dresser son procès-verbal. Je lui dis que je ferais mon possible pour m’en acquitter selon ses désirs. Il me dicta fort bien ; et à nous deux nous remplîmes parfaitement son objet.

Il présenta son compte au général, qui en fût très-satisfait.

La loyauté est ordinairement compagne de la bravoure ; mon commandant ne voulut pas s’approprier les louanges qui m’appartenaient ; il eut la générosité de dire au général qu’il ne savait pas écrire ; que ce travail était fait par un jeune grenadier, qui annonçait autant d’intrépidité que de savoir. Le général me fit venir, me donna beaucoup d’éloges, et me promut au grade de caporal !

Dès le même jour, je me trouvai à la tête d’un petit détachement, qui fut à la découverte dans le hameau où nous avions été si bien accueillis, Lavalé et moi, par cette pauvre femme qui croyait à la résurrection de son mari. Cette malheureuse guerre ne ressemblait en rien aux autres ; on se battait pour s’assassiner, piller, et commettre tous les crimes qu’enfante le fanatisme de toutes les opinions. La maison de notre hôtesse allait être livrée au pillage ; je volai à son secours ; je défendis, sous peine d’être fusillé à l’instant, de faire le moindre domage aux habitans. Tâchez, dis-je à mes soldats, de les ramener à des sentimens plus doux ; tirez-les de l’erreur dans laquelle on les a plongés, et ne les aigrissez pas davantage par de mauvais traitemens ; votre but est de remporter avec vous des vivres : laissez-moi faire ; et je vous réponds que vous serez satisfaits. J’entendais murmurer à mes oreilles ; et le mécontentement se manifestait d’une manière fort dangereuse pour moi ; la fermeté que je montrai, me tira de cet embarras. Si vous croyez mieux faire que moi, dis-je à un des plus mutins, prenez le commandement ; je vous promets de vous obéir sans réflexion. Le premier devoir d’un soldat est la soumission à ses chefs ; commencez par le remplir, ce devoir ; et si j’ai manqué aux miens, et à ceux que commande impérativement l’humanité, il vous sera très-facile de m’en faire punir.

Le langage de la raison a un empire absolu, même sur ceux qui la connaissent le moins ; je calmai mes camarades ; nous parcourûmes le hameau plus en amis qu’en ennemis. Ces malheureux venaient en foule nous offrir tout ce qu’ils possédaient. Nous allâmes chez le curé qui, trop criminel pour espérer de l’indulgence, avait fui ; nous trouvâmes chez lui des croix d’or, des claviers, qu’il s’était fait donner par les femmes de ceux qu’il promettait de ressusciter. Je rendis à chacun leurs objets, et je distribuai à mes soldats l’argent que le curé possédait en assez grande quantité. Je fis un long discours aux habitans, pour leur démontrer combien ils étaient criminels dans leur révolte, et combien ils devaient abhorrer ceux qui les y avaient entraînés ; je leur promis un pardon absolu, s’ils voulaient rentrer dans le devoir ; un assentiment général fut la récompense de mes soins : un seul s’y opposa, et les blâma de se rendre aux sophismes d’un blanc bec. J’arrêtai à tems le discoureur ; je lui dis que, puisqu’il était le seul qui résistait aux mesures sages que je proposais, qu’il en serait la victime ; qu’il était de toute justice de punir celui qui alimentait la discorde, et j’ordonnai qu’on l’arrêtât à l’instant.

La conduite équitable que j’avais tenue vis-à-vis de ces malheureux, leur avait inspiré pour moi une sorte de respect ; aucun n’empêcha l’arrestation de cet homme : je laissai un piquet dans le hameau, et je retournai au quartier-général, chargé de provisions et des bénédictions des habitans.

Mes soldats fort contens du butin qu’ils avaient fait, étaient bien éloignés de porter des plaintes contre moi. Je rendis compte de mes démarches au commandant, qui m’embrassa, et me promit de me faire avancer. Il me présenta sur-le-champ au général, à qui je dis que je croyais qu’il était nécessaire d’envoyer plus de troupes dans le hameau, parce qu’il était un passage continuel des chouans, qui n’auraient pas beaucoup de difficultés à s’emparer de dix hommes de garde que j’y avais laissés. Il commanda sur-le-champ cent hommes : je lui conseillai de choisir un officier, qui eût des sentimens humains, ayant la preuve que la douceur que j’y avais mise, avait beaucoup contribué à faire rentrer les habitans dans leurs devoirs. Cette action me valut d’être sergent.