La Femme et le Féminisme avant la Révolution/I/2

Éditions Ernest Leroux (p. 35-68).

CHAPITRE II
l’éducation et l’instruction féminines au xviiie siècle
i. Idéal d’éducation féminine au début du siècle : Fénelon. — ii. Mme de Maintenon et Saint-Cyr. — iii. Instruction secondaire des hautes classes. — iv. Instruction de la bourgeoisie. — v. L’instruction primaire féminine. — vi. Ses insuffisances et ses lacunes.
i. Idéal d’éducation féminine au début du siècle : Fénelon

C’est, lorsque l’on aborde cette étude, la même difficulté que lorsqu’on essaye de se représenter la condition légale de la femme. Comment donner une idée d’ensemble de l’éducation féminine lorsqu’aucunc mesure générale ne s’y applique, aucune institution universelle n’y répond, lorsque les conceptions pédagogiques et les programmes d’enseignement varient suivant les classes sociales et les provinces, voire suivant les familles, lorsque, surtout, pour de longues années et d’assez vastes régions, il est impossible de recueillir, particulièrement en ce qui concerne l’éducation des filles du peuple, et même des filles de la noblesse et de la bourgeoisie, aucun renseignement précis ? Aussi aucun bon ouvrage d’ensemble sur l’enseignement des filles au xviiie siècle n’a-t-il paru jusqu’ici[1] ; des monographies seulement, celles-ci consacrées à un système, à une éducation, ou à un établissement, celles-là à l’instruction populaire dans telle ou telle région[2]. Et la lecture de ces ouvrages à elle seule, à défaut de l’étude objective du sujet, donnerait une idée de sa difficulté et de l’impossibilité presqu’absolue où nous nous trouvons de porter la lumière sur toutes ses parties. Il semble cependant que, d’une part, en utilisant d’une manière plus complète qu’on ne l’a fait jusqu’ici et non pour l’étude d’un seul département ou d’une seule région, mais dans un travail d’ensemble portant sur toute la France, les archives départementales, en recueillant, d’autre part, les indications éparses qui se trouvent dans les si nombreux mémoires du xviiie siècle et dont les uns nous donnent des lueurs sur la grande bourgeoisie ou la noblesse, d’autres sur la petite bourgeoisie des campagnes, on pourrait du moins essayer une synthèse. Ce chapitre en montrera les possibilités et en même temps les difficultés.

Le xviie siècle lègue au xviiie siècle son idéal d’éducation féminine. Et cet idéal, deux pédagogues de premier ordre, l’un théoricien seulement, l’autre qui eut le mérite de faire passer ses théories dans la pratique, l’ont formulé avec une parfaite netteté.

Sans doute, bien que Molière ne soit pas l’ennemi déclaré de l’éducation des filles, ses critiques contre le pédantisme féminin, mal interprétées, avaient créé dans une certaine partie de la bourgeoisie un état d’esprit hostile à l’instruction des jeunes filles. De cet état d’esprit, Mme Geoffrin, dont la famille était en effet de moyenne bourgeoisie, donna le témoignage. Sa grand’mère, pourtant femme d’esprit, n’avait reçu elle-même qu’une instruction très élémentaire et elle était d’avis que non seulement il n’est pas bon pour une femme de faire parade de sa science, mais qu’elle doit apprendre fort peu[3]. Quelques notions élémentaires, la pratique et son génie intuitif feront le reste et la mettront en état, pour peu qu’elle ne soit point sotte, de soutenir une conversation.

C’est justement parce que ces idées sont assez courantes qu’une réaction se produit : l’Éducation des filles, de Fénelon (1688), et toute l’œuvre pratique de Mme de Maintenon, non moins que les instructions théoriques de cette dernières, en sont les deux plus éclatants témoignages.

Fénelon, qui eut tant d’influence sur les âmes féminines et dont une vaste expérience fortifiait les intuitions d’un grand esprit, n’a pu manquer de remarquer et combien l’instruction des filles était négligée et combien cependant, pour le bien public, la morale et l’intérêt même de la religion, il était désirable qu’on se préoccupât sérieusement de l’organiser.

Bien ou mal, constate-t-il, on s’occupe de l’éducation des garçons. Pour les filles, on se laisse guider par un préjugé commun : la science rend les femmes ridicules : et on les abandonne aveuglément à la conduite de mères ignorantes et indiscrètes. Or. si ne devant ni gouverner l’État, ni faire la guerre, ni entrer dans le ministère des choses sacrées…, elles peuvent se passer de certaines connaissances qui appartiennent à l’art militaire, à la jurisprudence…, à la théologie, si même la nature s’oppose dans la plupart des cas à ce qu’elles exercent les arts mécaniques, il ne s’ensuit pas qu’elles n’aient rien à apprendre. Car, pour être différent de celui des hommes, leur rôle n’en est pas moins important. « Ne sont-ce pas les femmes qui règlent tout le détail des bons domestiques et qui, par conséquent, décident de ce qui touche de plus près à tout le genre humain ? » Et avec une singulière pénétration, Fénelon note que le pouvoir des hommes est en définitive illusoire si les femmes n’acquiescent à leurs décisions et que les hommes, qui ont toute l’autorité en public, ne peuvent, par leurs délibérations, établir aucun bien effectif si les femmes ne l’aident à l’exécuter. En un mot, et cette formule rendrait fort bien sa pensée, les hommes font les lois, les femmes font les mœurs.

Elles sont donc, quoi qu’on en dise, appelées à jouer dans l’état un rôle qui, pour être caché à un observateur superficiel, n’en est pas moins capital et aussi utile au bien public que celui des hommes. L’on s’en convaincra davantage encore si l’on considère que le bonheur et la prospérité publics viennent en dernière analyse du bonheur et de la prospérité de toutes les familles et que, d’autre part, nulle nation n’est florissante si ses citoyens ne sont élevés dans le respect des institutions et la crainte de Dieu. Or, n’est-ce pas sur les femmes encore que repose toute la famille ? N’est-ce pas à elles qu’incombe la formation morale des enfants ? Avec des visées autres et en se proposant, il est vrai, un but différent, les hommes d’état révolutionnaires, persuadés que la bonne éducation des femmes est l’une des bases nécessaires du bien public, ne feront que développer et paraphraser les idées que Fénelon se contente d’indiquer d’un trait léger mais fort net.

Donc, il faut préparer la femme à son rôle essentiel, celui d’épouse et de mère. Or, on ne saurait être ni l’une ni l’autre sans une pratique raisonnée de la vertu et sans une connaissance, également raisonnée, des devoirs religieux. Destinée à faire le bonheur de son mari, ce à quoi elle ne pourra parvenir qu’en lui rendant son foyer agréable, elle doit, certes, repousser le pédantisme, mais tout autant l’ignorance. Qu’elle ait l’esprit orné, rien de mieux pour accroître sa grâce et le plaisir que l’époux goûtera en sa compagnie. Et comme elle est, à l’intérieur, la collaboratrice indispensable de son mari, il est bon qu’elle acquière des connaissances solides et tournées vers la pratique.

Mais n’est-elle pas aussi la première et la plus indispensable éducatrice de ses enfants ? Elle ne pourra tenir ce rôle en conscience que si elle-même possède, en bon ordre et bien assimilées, ces notions premières de toutes choses que le garçon dans sa première enfance, la fille jusqu’à l’adolescence, souvent jusqu’au mariage, reçoit de sa mère et d’elle seule. Connaissances théoriques nécessaires à pourvoir les enfants des premiers éléments de la science et notions pédagogiques destinées à permettre l’emploi judicieux et fructueux de ces connaissances ; connaissances pratiques sans lesquelles la femme ne joue pas son rôle de maîtresse de maison et de dispensatrice de la prospérité des familles ; enfin études d’agrément qui ornent l’esprit de la femme et, recherchée par son mari et les personnes de goût, d’autre part, lui permettent d’honnêtement se distraire. Telles sont les grandes lignes du programme que Fénelon trace à la femme. Il est vaste encore, on le voit, et Fénelon, en effet, après avoir restreint les limites de la science féminine, exige que, dans ces frontières, cette science soit approfondie.

Les bases de l’enseignement féminin sont naturellement la lecture, l’écriture et l’arithmétique. Mais Fénelon, combattant un préjugé trop à la mode de son temps chez les femmes — et même chez les hommes — de qualité, estime qu’il est honteux pour une femme bien élevée de ne pas connaître à fond sa langue maternelle et exige une sûre connaissance sinon théorique du moins pratique de l’orthographe, « Il est honteux, dit-il, mais ordinaire de voir des femmes, qui ont de l’esprit et de la politesse, ne pas savoir bien prononcer ce qu’elles lisent ; elles manquent encore plus grossièrement pour l’orthographe…, il faudrait qu’une fille sût la grammaire non par règles, comme les écoliers apprennent le latin en classe ; mais accoutumez-la à ne prendre point un temps pour un autre et à se servir de termes propres. »

L’arithmétique ne doit pas consister seulement dans la connaissance des quatre règles, mais en des exercices pratiques qui iront parfois jusqu’à une très simple comptabilité ; l’épouse devant tenir en mains la caisse familiale, on habituera la jeune fille à faire des comptes.

Voilà les éléments premiers de toute science féminine. Dans le même temps où on les leur inculquera, viendra la formation morale qui consistera surtout à garantir la jeune fille des défauts propres à son sexe : superstition, pusillanimité, mollesse, dissimulation et surtout cette vanité que la constitution actuelle de la société a rendue pour ainsi dire nécessaire aux femmes. « Celles-ci, en effet, les chemins de la gloire leur étant fermés, se dédommagent par les agréments de l’esprit et du corps » et exercent la royauté de la mode, faute d’une autre.

La femme que rêve Fénelon, pieuse sans superstition et sans excès, décemment voire élégamment habillée, sans coquetterie, maîtresse d’elle-même et de ses passions, commandant à ses nerfs, sera éminemment raisonnable ; elle offrira un parfait exemple d’harmonie et de mesure.

Une formation morale aussi parfaite suppose évidemment des connaissances autrement développées que celles de la lecture, de l’écriture et des éléments de l’arithmétique.

Fénelon, en effet, n’en disconvient pas, et, fidèle aux points de vue qu’il a tout d’abord énumérés, trace un programme très vaste d’éducation féminine. La nécessité d’instruire les enfants obligera, ceci est de toute évidence, la mère de famille sinon certes à avoir approfondi toutes les sciences, du moins à en posséder les éléments premiers et avec eux d’importantes notions de pédagogie.

Sur ce point d’ailleurs, Fénelon insiste peu, pensant sans doute, et avec raison, que celle qui aura acquis les connaissances lui permettant d’être une maîtresse de maison parfaite et une épouse à l’esprit orné sera en état par là-même de remplir en toute connaissance de cause son rôle d’éducatrice. C’est en effet l’aspect pratique de l’éducation féminine que Fénelon envisage avec une insistance toute particulière. Les connaissances pratiques sont les plus nécessaires à la femme et jusqu’ici les plus négligées. Maîtresse de maison, la femme doit se préparer de bonne heure à son rôle. Toute petite, il lui faut apprendre « à gouverner quelque chose, à voir la manière de faire des marchés de tout ce qu’on achète, et à savoir comment il faut que chaque chose soit faite pour être d’un bon usage ».

Dispensatrice de la propriété des familles, c’est à elle qu’incombe d’administrer la fortune, que cette fortune soit, comme il arrive la plupart du temps à la ville, mobilière ou que, comme c’est le cas le plus fréquent à la campagne, elle soit composée de biens-fonds.

L’administration de la fortune exige une foule de connaissances qu’on n’a pas accoutumé de donner aux femmes et qui sont cependant essentielles : « connaissances agricoles sur le meilleur mode de culture des terres, sur la vente du blé, sur la meilleure manière de faire des fermes, connaissances en droit féodal sur les différentes natures de revenus, la levée des rentes et des autres droits seigneuriaux ». Presque dans les mêmes termes où, trois siècles avant lui, Christine de Pisan énumère à la « haute et puissante dame » la liste de ses devoirs, Fénelon trace à la jeune fille destinée à devenir cette haute et puissante dame le programme des connaissances indispensables à l’accomplissement de ses devoirs. Elle devra connaître : « ce que c’est que fief, seigneur dominant, vassal, hommages, rentes, dîmes inféodées, droit de champart, lods et ventes, indemnités, amortissement et reconnaissances, papiers terriers… » ; ces connaissances sont nécessaires puisque le gouvernement des terres consiste essentiellement dans toutes ces choses. »

Comment, enfin, une femme peut-elle aider son mari à administrer sa fortune, comment peut-elle, veuve, défendre son patrimoine et celui de ses enfants si elle n’est apte à se retrouver dans le labyrinthe des lois ?

Qu’elle sache donc les principales règles de la justice, par exemple la différence qu’il y a entre un testament et une donation, « ce que c’est qu’un contrat, une substitution, un partage de co-héritiers, les principales règles du droit et des coutumes du pays où l’on est pour rendre ces actes valides, ce que c’est que propres, ce que c’est que communauté, ce que c’est que biens meubles et immeubles. » Qu’elles possèdent aussi des notions pratiques « sur la fureur de la chicane, et l’humeur variable de la justice » ; qu’elles sachent combien facilement une bonne cause devient mauvaise. Ainsi elles écouteront leurs gens d’affaires sans se livrer à eux.

Ici, Fénelon est très en avance non seulement sur son époque, mais même sur la nôtre. Nul cours pratique de législation n’est inscrit au programme des études secondaires des jeunes filles — non plus d’ailleurs qu’à celui des garçons pour qui il ne serait pas moins indispensable — et combien de féministes ont songé à réclamer cette réforme sans laquelle la femme est trop souvent désarmée ?

Ainsi nul mieux que Fénelon et avec une plus rigoureuse logique n’a déduit du rôle essentiel de la femme dans la famille et dans la société tout un vaste programme de connaissances pratiques lui permettant d’exercer ce rôle, non d’une manière empirique, mais d’une manière scientifique. Et ces écoles ménagères, ces cours de puériculture, qui se sont d’abord développés à côté de l’enseignement primaire ou secondaire féminin puis peu à peu s’y intègrent, apparaissent bien comme des développements et des réalisations de la pensée du Cygne de Cambrai.

Il ne faudrait pas croire cependant que tout l’idéal de la femme soit, pour Fénelon, l’excellente ménagère telle que dans l’Économique la dépeint Xénophon.

Si elle doit s’abstenir rigoureusement de tout pédantisme, il est légitime qu’elle cherche par des lectures substantielles à fortifier son esprit et, par la pratique des beaux esprits du passé, à le parer de grâces décentes. Lorsque son éducation pratique sera complète, et alors seulement, il ne sera pas mauvais en effet de la mettre à même de trouver des distractions honnêtes. Les histoires grecques et romaines, l’histoire de France, « qui a aussi ses beautés », les lui fourniront.

Ainsi, tout en ayant dès l’abord restreint en des bornes assez étroites le champ des connaissances féminines, Fénelon, par un curieux détour, arrive à tracer un programme d’une ampleur immense, quasi encyclopédique et qui est bien loin même d’être réalisé dans toutes ses parties. Un tel programme, bien entendu, n’est applicable qu’aux filles de qualité. Et Fénelon a beau, dans un paragraphe de son étude, spécifier nettement que bien différente doit être l’éducation de celle qui est destinée à vivre à la Cour et de celle qui sera retenue dans un milieu plus humble, il est bien évident que les préoccupations de l’archevêque de Cambrai ne descendent pas au-dessous de la moyenne bourgeoisie et que la quesstion de l’instruction des filles du peuple se pose à peine pour lui.

ii. Mme de Maintenon et Saint-Cyr

Presqu’à la même époque où Fénelon écrit son Traité de l’éducation des filles, Mme de Maintenon, réalisant un plan longuement mûri, obtient du roi la création de la Maison Royale de Saint-Cyr, destinée aux filles des gentilhommes ayant servi dans les armées royales. Formulant avec une rigueur inconnue de Fénelon — lequel s’est bien gardé d’agiter la question de la valeur des sexes et semble admettre sinon l’égalité du moins l’équivalence des capacités de l’homme et de la femme — la doctrine de l’infériorité du sexe faible, déclarant, avec une modestie un peu affectée, la femme inférieure par le corps et l’esprit et faite pour obéir, elle se propose, elle aussi, un seul but : faire des femmes de bonnes épouses et de bonnes mères. Comme Fénelon, mais avec bien moins d’ampleur, elle déduira logiquement de ce but le programme et les méthodes.

Sans doute était-elle disposée tout d’abord à faire à l’esprit du siècle des concessions assez larges et n’était-elle pas loin de désirer pour ses pupilles une culture littéraire très vaste et l’habitude de divertissements mondains. Mais, comme l’a fort justement signalé M. Gréard[4], on peut noter dans ses conceptions pédagogiques une évolution. Le goût des plaisirs mondains lui paraît, en des jeunes filles pauvres et destinées pour la plupart à mener une vie obscure dans les provinces, comporter plus d’inconvénients que d’avantages : orgueil, frivolité. Et après les représentations d’Esther (1689), elle referme les portes à son gré trop largement ouvertes sur le monde et, par une conséquence naturelle, rapetisse les programmes que l’influence de l’Éducation des filles avait contribué à élargir.

C’est en définitive une conception bien plus étroite que celle de Fénelon qui a triomphé. Cependant, il faut pour l’apprécier se reporter à l’époque et l’on verra que Mme de Maintenon mérite les éloges que de bons juges lui ont décernés.

Pour Mme de Maintenon, si l’éducation et l’instruction concordent également à la formation de l’esprit et du caractère, il semble que la première doive nettement prendre le pas. La formation morale bien plus encore que la formation intellectuelle, voilà ce qui, d’après ses Instructions pédagogiques et les Souvenirs des élèves de Saint-Cyr, apparaît bien comme le point capital[5].

Écoutons-la parler à ses élèves : elle leur recommande, comme exercice essentiel, cet examen de conscience qui doit, lentement et sûrement, amener la perfection morale.

Avant tout, elle les instruit sur leurs devoirs et tâche de leur former un caractère qui réponde à son idéal féminin. Quel est cet idéal ? Une femme raisonnable, modeste, qui « évite de prendre la première place », discrète surtout — la discrétion est l’une des qualités essentielles de la femme, celle sur la nécessité de laquelle, Mme de Maintenon revient le plus — et qui parlant peu de soi, « sachant écouter les autres », évitant de rire immodérément, ne se pressant pas de faire parade de ce qu’elle vient d’apprendre, sachant fidèlement garder un secret, passerait dans la vie silencieuse, douce, fermée et un peu énigmatique.

L’humilité chrétienne doit donner à ces qualités toute leur valeur. À plusieurs reprises Mme de Maintenon dut y plier[6] d’orgueilleuses et indociles élèves.

Se connaître soi-même, être maîtresse de ses passions, tels sont les deux articles essentiels du plan d’éducation morale : ils pourraient à la rigueur convenir aux hommes et sans doute, en effet, Mme de Maintenon, tout en proclamant l’infériorité du sexe, est-elle convaincue de l’identité de l’esprit humain. Nul ascétisme d’ailleurs, la raison et la maîtrise de soi n’excluent pas la joie de vivre qui est encore un hommage rendu au créateur.

Les programmes d’enseignement furent délibérément tournés par Mme de Maintenon vers les connaissances pratiques : toutes les élèves durent, à tour de rôle, s’exercer aux soins du ménage : nous les voyons sous la direction d’une sœur balayer les salles, faire leurs chambres, occupées au service de la lingerie et à une grande variété de travaux manuels, tels la braderie, la couture, la tapisserie.

Dans les classes, que Mme de Maintenon a voulues attrayantes avec leur décoration, rouge, verte, jaune ou bleue, selon les divisions, leurs six tables disposées en croissant et leurs cartes de géographie attachées par des rubans de couleur assortie à la décoration, les programmes sont variés suivant l’âge des pensionnaires. Les plus jeunes, classe rouge, apprennent à lire, à écrire, à compter, étudient la grammaire, le catéchisme et l’histoire sainte. La classe verte, où prennent place des élèves de douze à quatorze ans, est consacrée à la musique, à l’histoire et à la géographie, à la mythologie. Les jaunes (quatorze à seize ans) commencent l’étude du français, approfondissent la culture musicale, complètent leur instruction religieuse et s’initient au menuet et à la pavane.

La classe bleue, enfin, où se trouvent des jeunes filles de seize à vingt ans et dont, à l’avance, les imaginations rêvent comme du couronnement des études[7], est consacrée uniquement à la religion, à la musique et au français. Comme on a déjà commencé de le faire dans les classes inférieures, on discute avec les maîtresses, parfois Mme de Maintenon elle-même, de problèmes moraux.

Les traits caractéristiques de l’éducation de Saint-Cyr, telle que la voulut sa fondatrice, sont donc les suivants : prédominance de l’éducation sur l’instruction[8], formation du caractère et développement du sens de la responsabilité, emploi de l’émulation et, comme le dirait Montesquieu, de l’honneur comme ressort du progrès : les meilleures élèves portent le ruban noir, aident les maîtresses aux charges de la maison et toutes tendent leur ambition vers cette croix d’argent qui, parant les deux plus sages entre les sages, font d’elles le chef et le sous-chef, auxiliaire de la directrice et investies par leurs camarades d’une particulière considération.

Ces traits ont subsisté tels que les avait vigoureusement tracés Mme de Maintenon jusqu’à la Révolution. Et ni l’esprit, ni la méthode, ni non plus les programmes d’enseignement n’ont, au cours du xviiie siècle, subi d’importants changements.

À la fin du règne de Louis xvi, Saint-Cyr donne asile à 250 jeunes filles pour la plupart filles de nobles de province, de hobereaux honnêtes, « capitaines, colonels, brigadiers, chevaliers de Saint-Louis sans fortune[9] ». Les intentions de la fondatrice sont donc respectées. 40 maîtresses, 16 sœurs, 5 novices et 32 filles de service composent la communauté. Les dames de Saint-Cyr dispensent à leurs pupilles un enseignement qui reste le même qu’au temps de Mme de Maintenon mais qui semble devenir un peu plus superficiel. Walpole, qui, en 1769, visite l’établissement, nous montre, dans la première classe, les jeunes filles jouant aux échecs et chantant les chœurs d’Athalie ; dans la deuxième, on danse le menuet, dans la troisième on répète les proverbes et dialogues qu’a écrits spécialement pour ses pupilles Mme de Maintenon.

Sans doute les demoiselles de Saint-Cyr ne recevaient-elles pas tous les jours un enseignement aussi peu substantiel. Mais, parcourons le catalogue de la bibliothèque ; nous y verrons que les livres en usage pour les différentes divisions sont : pour la classe rouge, des histoires édifiantes, des récits de voyage (Vie des dames de la Chine, Voyage aux îles de la Vertu), et la Morale tirée de l’ancien Testament ; pour la classe jaune, la Vie des Pères, l’Introduction à l’étude de la vie dévote de saint François de Sales, les Conversations de Mme de Maintenon ; pour la classe bleue, enfin, des Conversations et Proverbes, les Instructions de Mme de Maintenon, des Chants et motets, les partitions d’Esther et d’Athalie[10]. Ainsi la morale, la religion, la musique tiennent toujours la première place. Toujours aussi on s’occupe de rendre les études attrayantes. Des jeux nombreux et variés sont à la disposition des élèves qui, suivant leur âge, utilisent quilles, boules, raquettes, lotos, jonchets, dames, ou échecs. On continue de donner des représentations théâtrales. Ainsi Saint-Cyr reste, au bout d’un siècle, l’image fidèle de ce qu’il était lors de son établissement. Il semble même que, pour la noble maison, le temps n’ait pas marché et qu’elle soit exactement la même qu’au siècle passé. Sous Louis XVI, les jeunes filles, toujours coiffées suivant la mode de 1689, portant sur leurs cheveux frisés et poudrés le bonnet rond, engoncées dans leurs fraises et leurs collerettes, comme au temps du Grand Roi, continuent à danser la pavane sur des airs de Lulli.

Si l’instruction est en somme assez sérieuse et distribuée selon d’excellentes méthodes, si la Maison Royale de Saint-Cyr reste célèbre dans toute l’Europe comme le modèle accompli de l’établissement d’enseignement secondaire de jeunes filles, et au point que les Souverains réformateurs, telle la grande Catherine, ont pour idéal de l’imiter, il ne semble pas que Mme de Maintenon ait réussi à perpétuer l’esprit qui l’animait. Elle se proposait de former des jeunes filles simples, modestes, aimables, prêtes à remplir leur rôle de mère de famille auprès de petits nobles provinciaux et ne visant pas à sortir de leur état. Or, un orgueil démesuré, une morgue de grandes dames alliée à une raideur monastique apparaissent justement comme les traits essentiels du caractère des pupilles de Sa Majesté et pour ainsi dire comme le ton de la maison.

« Ces filles, dit un jour Louis XV, sont des bégueules… elles sont élevées de manière qu’il faudrait de toutes faire des Dames du Palais, sans quoi elles sont malheureuses et impertinentes[11]. »

Il s’en faut donc de beaucoup que les élèves de Saint-Cyr pratiquent le précepte de la fondatrice : « Prenez toujours la dernière place plutôt que la première… »

Aussi, si Louis XV et Louis XVI tiennent scrupuleusement les engagements du Grand Roi, si au cours du xviiie siècle, la Maison Royale de Saint-Cyr, loin de péricliter, s’enrichit jusqu’à devenir l’un des grands propriétaires du royaume, la faveur royale se détourne d’elle. Les filles de Louis XV sont élevées à l’abbaye de Maubuisson, où d’ailleurs l’enseignement est détestable.

iii. Instruction secondaire des hautes classes

Après l’arrivée au pouvoir de Marie Leczinska, Saint-Cyr voit naître une concurrente : l’institution de l’Enfant Jésus[12], où l’on élève 35 filles nobles qui, leurs études achevées, sont gratifiées d’une bourse de quinze cents livres. Mais l’enseignement est loin d’être comparable à celui de Saint-Cyr. La partie principale du programme est le travail manuel et l’enseignement ménager. Malgré tout, Saint-Cyr reste l’établissement modèle d’enseignement secondaire.

D’ailleurs, comme le remarque fort bien M. Gréard, l’enseignement collectif fut, au cours du xviiie siècle, en défaveur. Sans doute deux grands établissements religieux, le couvent du Panthémont et celui de la Présentation, reçoivent-ils à Paris les jeunes filles de la noblesse, et il existe un grand nombre de communautés où vont se faire instruire les jeunes filles de la haute magistrature et de la grande finance. « Dans ces écoles, discipline, forme d’éducation, régime intérieur, toute la règle n’est qu’une imitation de la règle de Saint-Cyr. Partout on retrouve l’inspiration de cette maison modèle, la trace de ses divisions en quatre classes, distinguées, selon les âges, par des rubans bleus, jaunes, verts et rouges. Partout, c’est une éducation flottant entre la mondanité et le renoncement, entre la retraite et les talents du siècle, une éducation qui va de Dieu au maître d’agrément, de la méditation à une leçon de révérence[13]. »

Il semble que l’on n’ait pris, dans le programme de Saint-Cyr, que les parties brillantes en négligeant absolument ou presque ce qui en faisait la solidité, qu’on ait sacrifié à l’éducation — et non à l’éducation largement entendue dans le sens d’une formation morale, mais à l’éducation mondaine — l’essentiel de l’instruction. D’ailleurs, s’il faut en croire les contemporains, il était bien difficile de faire autrement car, en dehors des religieuses qui étaient loin d’avoir toutes, il s’en fallait de beaucoup, les connaissances, somme toute étendues, des membres de la communauté de Saint-Cyr, il était fort difficile de trouver un personnel enseignant féminin. Presque tous ceux qui ont traité au xviiie siècle de l’éducation des femmes ont montré eux-mêmes la pierre d’achoppement où se briseraient leurs tentatives de réformes : la pénurie de femmes aptes à enseigner[14].

Aussi l’enseignement dispensé par les religieuses dans les plus importants établissements de Paris est-il bien superficiel.

La grammaire, l’étude de la littérature française, la géographie, l’histoire, l’arithmétique en forment la base.

Un effort est d’ailleurs tenté pour adapter les matières d’enseignement à l’esprit des jeunes filles : on essaye de rendre les livres scolaires pratiques et attrayants.

Panckouke lance, en 1749, toute une série d’ouvrages où les sujets sont traités par questions et réponses. La rhétorique se transforme en morceaux choisis. On commence, comme le voulait Fénelon, à étudier l’histoire moderne et à distribuer des connaissances assez étendues sur les différentes parties du monde[15]. Cependant, la mythologie tient toujours une grande place ainsi que de longues digressions sur le bas-Empire ; la géographie est surtout une énumération.

L’enseignement individuel, à cause sans doute des mauvais résultats que donnait l’enseignement collectif, fut en faveur. Il est naturellement très difficile de connaître avec précision cet enseignement. Bien rares sans doute, du moins dans la noblesse, étaient les mères qui, comme le voulait Mme d’Epinay, se préoccupaient par une méthode quasi socratique de développer le bon sens de leurs filles tout en leur inculquant les notions premières[16].

La plupart du temps, les filles sont laissées aux gouvernantes, dont le rôle est plus celui de surveillantes que d’éducatrices !… L’esprit qui prévaut dans leur éducation est un esprit mondain. Et Goncourt, faisant la psychologie de la petite fille, peut s’exprimer ainsi : « L’âme des femmes est imprégnée de légèreté et de vanité dès la plus tendre enfance. Le maître de danse, dans l’éducation d’une jeune demoiselle, a le pas sur le maître à lire et sur celui même qui doit lui inspirer la crainte de Dieu. La marchande de modes, la couturière sont des êtres dont elle évalue l’importance avant d’apprendre l’existence du laboureur qui la nourrit. L’art de plaire et la coquetterie lui sont inspirés avant l’idée de prudence et de décence[17] ».

iv. Instruction de la bourgeoisie

L’éducation des filles de la bourgeoisie parisienne et provinciale ne semble, somme toute, guère inférieure à celle des filles de la haute société.

La plupart du temps, cette éducation se fait à la maison familiale : les maîtres y viennent instruire dans les différentes matières, la jeune fille dont le père ou la mère peuvent trouver le temps de diriger eux-mêmes les études. Les mémoires de Mme Roland nous donnent, sur la façon dont cette éducation était comprise, des indications précieuses. C’est la mère qui enseigne les premiers éléments du catéchisme ; des amis de la famille l’aident dans sa tâche et savent rendre la leçon attrayante. Plusieurs maîtres viennent à la maison et, même dans une famille de petite bourgeoisie, ces maîtres sont très nombreux : un pour l’écriture, un autre pour la géographie, un pour la danse, un pour la musique, un autre pour la guitare. De ces professeurs libres, spécialisés dans l’enseignement des jeunes filles, Mme Roland trace des croquis fort spirituels. À la lire, il semble qu’ils dussent être tous laids et âgés, sans doute pour éviter de tourner la tête de leurs disciples. Et une remarque s’impose. Ni dans les mémoires de Mme Roland, ni ailleurs, il n’est fait mention d’institutrice libre. Cela confirme les vues de Riballier : très peu de femmes sont capables d’enseigner.

Jeanne Philipon apprit en outre le dessin avec son père et, avec son oncle, ecclésiastique et curé de sa paroisse, le latin. On peut supposer que de telles circonstances se reproduisirent assez fréquemment et qu’un certain nombre de jeunes filles durent être, par de proches parents, initiées au latin ou du moins à ses premiers éléments.

Parfois, après les premières années d’éducation familiale, on envoyait l’enfant dans un couvent pour y préparer, en dehors des influences du siècle, sa première communion. Puis, l’année suivante, l’éducation familiale reprenait son cours.

Comme on a pu le voir par l’énumération de ses maîtres que nous fait Mme Roland, cette éducation est surtout artistique. Les sciences, même l’arithmétique, n’y tiennent qu’une très petite place et il en est de même de la littérature française. Mais sur ce dernier point du moins, les jeunes filles trouvent, elles, le moyen de compléter seules leur instruction. Mme Roland dévore au hasard « des récits de voyage, la Bible, la vie des Saints, les guerres civiles, et le roman comique, les mémoires de Mme de Motteville et les Vies de Plutarque », qui eurent sur elle une si grande influence. Favorisée par l’indifférence maternelle (que toutes les mères ne durent pas imiter), elle ne néglige pas de lire des romans et les contes de Voltaire. Ainsi, lorsque la jeune fille est intelligente, réussit-elle à acquérir une instruction variée. Mais, ce sont là des traits qui persisteront jusqu’à la fin du xixe siècle, toujours se fait sentir dans l’éducation des jeunes filles l’absence de connaissances scientifiques et le dédain des choses pratiques. Nulle place n’est faite en effet à l’instruction ménagère comme l’aurait voulu Fénelon.

Un grand nombre d’établissements religieux assurent également l’éducation des jeunes filles de la bourgeoisie. En 1607, la Dame de Montferrand fonde l’ordre des religieuses de Notre-Dame qui organise pour les jeunes filles des établissements analogues à ceux des Jésuites pour les garçons. Ces établissements existent en Guyenne, Languedoc, Poitou, Maine, Normandie, Rouergue, Auvergne, Bretagne, Franche-Comté[18]. Les Ursulines, les Visitandines, les Bernardines ont également ouvert de très nombreuses maisons où l’on reçoit, avec les filles du peuple, celles de la bourgeoisie. L’éducation qu’on y dispense aux jeunes filles reste toujours assez rudimentaire. La plus savante parmi les maîtresses « se pique d’instruction, fait des broderies superbes, donne de bonnes leçons d’orthographe, n’est pas étrangère à l’histoire et est jalousée par les chères sœurs qui en savent moins qu’elle[19] ». C’est dire que le programme n’est ni varié, ni approfondi. À côté des couvents, fonctionnent pour la bourgeoisie, comme pour le peuple, les petites écoles où enseignent des maîtresses laïques. C’est ainsi que, dans la paroisse Saint-Jean-en-Grève, à Paris, il existait une école où plusieurs maîtresses enseignaient, en diverses classes, « quatre ou cinq cents demoiselles bourgeoises et autres, de toutes conditions, bien mises et bien vêtues, qui payent et font des cadeaux » [20].

Des établissements semblables devaient fonctionner en province car, dans un certain nombre de villes, nous trouvons à côté des religieuses, des maîtresses laïques. Nous savons par exemple, qu’à la fin du xviie siècle, il existait à Dijon des maîtresses de dessin[21].

Quels étaient les programmes de ces établissements ? Sans doute analogues à ceux du couvent que nous avons vu fréquenté par Mme Roland, ou moins développés encore ; chez les Ursulines par exemple, on enseignait en général l’instruction religieuse, la lecture, l’écriture ou le travail ménager. Dans telle petite cité, en tout cas, l’enseignement était assez bien compris. Il en était ainsi, par exemple, au témoignage de Marmontel, dans la petite ville de Mauriac. « Il existait dans cette ville de nombreux collèges de garçons ; leur exemple était pour les jeunes filles un objet d’émulation. L’instruction des uns influait sur l’esprit des autres et donnait à leur air, à leur langage, à leurs manières une teinte de politesse, de bienséance et d’agrément[22] ».

En somme, on ne peut dire qu’on ne se soit préoccupé sérieusement, dans la bourgeoisie comme aussi dans la noblesse, de l’instruction des filles. Mais nul plan d’ensemble, nulle initiative officielle, nulle tentative pour organiser réellement leur éducation et leur instruction. Celles-ci valent, en somme, ce que valent, non les maîtres ou maîtresses qui, en général, sont médiocres, mais l’entourage familial et l’individualité de l’élève.

Aussi la plupart des femmes de la bourgeoisie et de la noblesse sont-elles des autodidactes. C’est passé l’âge des études, qu’elles se mettent à apprendre et, lorsqu’elles sont intelligentes, elles retiennent d’autant plus. Pour Mme du Deffand, Mme de Lespinasse, Mme du Châtelet, Mme Campan, Mme Roland et en outre la plupart des femmes de lettres du xviie siècle, pour toutes ou presque, l’instruction première a été médiocre. Mais très intelligentes, leur volonté d’apprendre et la pratique du monde les ont formées. Un tel système, qui peut produire des individualités brillantes et en produit en effet, est grandement défavorable à la masse de toutes celles qui ne trouvent pas au cours de leur vie l’occasion de s’instruire.

On peut dire d’ailleurs que, malgré les belles tentatives, toutes infructueuses faites sous la Révolution, l’enseignement des filles de la bourgeoisie ne subira guère de modification jusqu’à la deuxième moitié du xixe siècle.

v. Les filles du peuple

Lorsque nous essayons de nous représenter quelle était la situation de l’enseignement des filles du peuple, notre embarras est plus grand encore. Sans doute les autorités civiles et religieuses ne sont-elles pas restées absolument indifférentes et, sans concevoir, comme l’État a été amené à le faire à l’époque contemporaine, la nécessité d’organiser à l’usage du peuple un enseignement obligatoire et gratuit, sans surtout avoir la volonté de l’établir partout et de l’imposer, du moins ont-elles aperçu l’intérêt qu’il y avait, pour des fins religieuses et civiles, à ce que la classe la plus nombreuse du royaume ne restât pas plongée dans les ténèbres de l’ignorance.

Dès le moyen-âge, le clergé s’était occupé d’organiser des écoles pour les garçons et pour les filles ; mais, la plupart du temps, celles-ci étaient bien moins nombreuses que celles-là. La Réforme donna une impulsion assez vigoureuse à l’enseignement populaire, protestants et catholiques cherchant par le moyen de l’enseignement à attirer ou à retenir les fidèles. Mais les guerres de religion firent péricliter ou disparaître un grand nombre de petites écoles établies dans les villes et les campagnes.

Au début du xviie siècle, les évêques furent frappés des progrès de l’ignorance et se préoccupèrent d’organiser dans leurs diocèses un enseignement. De nombreux mandements et ordonnances épiseopaux qui furent lancés aux xviie et xviiie siècles, dans les régions les plus diverses, en témoignent. Les évêques de la région normande, archevêque de Rouen, évêques de Séez et de Coutances, ceux du Languedoc et du Poitou, régions où il fallait se défendre contre les progrès de l’hérésie, se montrèrent particulièrement zélés. Pourtant, leur préoccupation essentielle reste l’enseignement des garçons et, lorsqu’ils s’occupent de l’enseignement des filles, c’est le plus souvent accessoirement et pour éviter que, suivant un usage fréquent comme nous le verrons et contraire à la morale, les filles ne se trouvent, dans les classes, mélangées avec les garçons. Mais le xviie siècle est l’époque où se créent un très grand nombre de congrégations qui, bien qu’elles distribuent, comme nous l’avons vu, l’enseignement aux jeunes filles de la bourgeoisie, sont vouées tout spécialement à l’enseignement des filles du peuple ; Ursulines, Augustines, Visitandines, Bernardines fondent des couvents dans toutes les provinces françaises[23], où elles distribuent l’enseignement primaire. Ces couvents ne sont d’ailleurs le plus généralement établis que dans les villes ou les localités un peu importantes et non dans les villages.

Aux xviie et xviiie siècles, le gouvernement royal se préoccupa de la situation de ces villages et, par plusieurs ordonnances, tenta d’y organiser à la fois l’enseignement féminin et l’enseignement masculin. « Voulons, dit la déclaration royale du 14 mai 1724, reprenant les dispositions d’une ordonnance promulguée par Louis XIV le 13 décembre 1698, voulons qu’on établisse maîtres et maîtresses dans toutes les paroisses où il n’y en a point. »

La même ordonnance fixe à 120 livres le traitement des maîtres et à 100 livres celui des maîtresses. Elle établit que, dans les paroisses où il n’y aurait point de maître ou de maîtresse, les officiers municipaux doivent, après en avoir délibéré avec l’évêque, se faire autoriser par l’intendant à leur institution. Elle spécifie enfin que tous pères, mères et tuteurs doivent envoyer leurs enfants à l’école[24]. Voilà donc introduit, dès 1724, le principe de l’obligation scolaire. Le principe resta, il est vrai, platonique. Mais l’établissement de deux écoles dans chaque paroisse apparut comme l’un des devoirs essentiels de l’administration ; un certain nombre d’intendants le comprirent et ouvrirent des écoles dans leur généralité.

Les conseils de ville songèrent eux aussi à établir des écoles, surtout pour les garçons, mais également parfois pour les filles. Et au xviiie siècle, particulièrement dans le quart de siècle qui précède la Révolution, nous les voyons dans telle région, comme le Dauphiné, prendre en ce sens de fréquentes initiatives. Enfin, et ceci témoigne qu’en fait, tous ces efforts étaient loin d’être partout et toujours couronnés de succès, un assez grand nombre de particuliers affectent soit de leur vivant, soit après leur mort par dispositions testamentaires, les revenus de sommes minimes ou importantes à la création ou l’entretien d’écoles : ecclésiastiques, nobles dames, universitaires, simples bourgeoises tiennent à cœur de doter d’un établissement d’enseignement primaire leur cité natale.

En somme, à la fin du xviie siècle, il y a, tant de la part du gouvernement que du clergé, des Conseils de ville ou des particuliers, un effort sérieux et assez sincère pour établir l’enseignement primaire. Mais cet effort fut fait sans plan et sans beaucoup de suite et la plupart du temps, les filles en bénéficièrent moins que les garçons.

Comme il est naturellement impossible de donner une vue générale sur l’état de l’enseignement primaire féminin à la veille de la Révolution, force nous est de parcourir les différentes provinces : nous y verrons, tant dans la diffusion de l’enseignement primaire féminin que dans l’organisation des écoles, la discipline, les programmes, l’esprit de cet enseignement, une infinie variété.

Dans certaines provinces, telles la Normandie, la Picardie, la Lorraine, le Dauphiné, l’on paraît s’être préoccupé assez sérieusement de l’enseignement féminin, et nous possédons des renseignements assez abondants.

En Normandie, les prélats montrèrent, depuis le xviie siècle, un zèle véritable pour le développement de l’enseignement primaire dans leurs diocèses. Les mandements fréquemment renouvelés des évêques de Séez, de Coutances, d’Avranches s’élevèrent contre la pratique de l’enseignement mixte, alors courant et imposé d’ailleurs par la nécessité, la pénurie des maîtresses aptes à l’enseignement se faisant, surtout dans les campagnes, très vivement sentir. Les statuts synodaux d’Avranches recommandent aux curés d’interdire aux filles l’entrée des écoles de garçons et de chercher, pour enseigner les filles, « des femmes vertueuses et craignant Dieu ». Le succès ne dut pas couronner leurs efforts car, à la veille de la Révolution, les évêques d’Avranches et de Séez constatent que la pratique de l’enseignement mixte est encore courante et que « l’expérience a montré combien ce mélange pouvait amener des désordres[25] » et « qu’un très petit nombre de maîtresses sont capables d’enseigner l’arithmétique ou même à écrire[26] ». Aussi est-il d’usage, dans des villes comme Alençon, de voir les jeunes filles recevoir chez elles l’enseignement de maîtres particuliers.

Cependant, en 1790, on trouve dans le diocèse d’Avranches, 76 paroisses pourvues d’une école de filles pour 115 pourvues d’une école de garçons. Dans le diocèse de Rouen, sur 1 152 paroisses, 855 possèdent une école de garçons et 300 une école de filles.

Les maîtresses y enseignent à écrire, lire, coudre, filer et les toutes premières notions d’arithmétique.

Dans tel bourg comme Grandcamp, une école de filles distribue un enseignement surtout religieux. À Alençon, les filles de la communauté de Notre-Dame d’Alençon apprennent gratuitement aux filles à prier, à lire, à écrire, à travailler un ouvrage de tapisserie et de dentelle. Les sœurs de l’hôpital de Bayeux ont également ouvert une classe où les filles pauvres apprennent à faire des bas, des camisoles et de la dentelle[27].

Un autre établissement, fondé en 1676 par Elisabeth de Farcy, sœur du Trésorier de France à Alençon, sous le nom d’Union Chrétienne des Nouveaux et Nouvelles converties, distribue aux uns et aux autres un enseignement analogue et, naturellement, surtout religieux[28].

Au témoignage des échevins de Rouen qui, en 1785, firent une tournée d’inspection dans le diocèse, les Ursulines de Rouen, d’Eu et du Havre s’acquittaient assez bien de leur mission. « Elles enseignaient, dit leur rapport, les maximes du véritable chrétien, à lire, à écrire et toutes sortes d’ouvrages de dames, en sorte que la ville a sujet de satisfaction[29]. »

En Picardie, une tentative a été faite, à la fin du xviie siècle, par neuf jeunes filles d’Amiens qui, en 1688, se vouèrent à l’enseignement des jeunes filles, s’organisèrent en congrégation séculière et s’affilièrent à la congrégation de Sainte-Geneviève[30]. Nous ne connaissons pas le résultat de leurs tentatives ; du moins témoignent-elles d’un état d’esprit favorable à l’instruction des filles et nous verrons qu’une très curieuse tentative fut faite, dans la subdélégation de Roye, pour organiser un enseignement professionnel féminin.

En Lorraine, également, le nombre des écoles de filles paraît assez considérable. Au cours du xviiie siècle, les fondations scolaires sont nombreuses. Curés, conseils de ville, particuliers y prennent part. À la veille de la Révolution, il existe des écoles de filles dans la plupart des localités importantes : Nancy, Toul, Remiremont, Saint-Nicolas-du-Port, Badonvillers, et dans nombre de bourgs ou de villages : Donchéry, Haroué, Malzéville, Vandœiivre, Avrize, Lerneuville-aux-Bois, Bouxères, Chaligny, Jezonville, possèdent leurs écoles.

Ici, à Toul par exemple, elles ont été fondées par le conseil de ville et les sœurs qui y enseignent sont placées sous la surveillance des officiers municipaux[31]. À Chaligny et dans d’autres paroisses, c’est le curé qui prend cette initiative[32]. Dans les terres dépendant des Abbayes, les chanoinesses établissent des écoles[33]. Nous voyons, en 1742, Anne-Marie d’Eltz, abbesse de Bouxières, Catherine de Tristandam, doyenne du chapitre, Reine d’Eltz d’Ottange, chanoinesse, « prises de zèle pour la gloire de Dieu, l’instruction de la jeunesse et le soulagement des pauvres », donner 4 000 livres pour l’institution à Bouxières de deux sœurs qui seront chargées d’enseigner et de visiter les pauvres[34].

Bien souvent, l’enseignement des filles est confié, faute de maîtresses ; à des professeurs. À Haroué et Malzéville, en 1787, Vandœuvre, en 1790, on signale des régents des écoles de filles[35]. À Longwy, le maître d’école remplace auprès des filles sa femme qui manque de capacité. Mais on fait effort pour recruter des maîtresses ; à toutes les femmes qui se destinent à l’enseignement on assure l’exemption de la corvée et des impôts[36]. Les efforts même faits pour les attirer montrent que les maîtresses laïques sont rares.

Le plus fréquemment, en effet, l’enseignement est distribué par des sœurs (Ursulines, Annonciades). Parfois un document nous permet de nous rendre compte de la vie intérieure de ces écoles de charité, des programmes de l’enseignement et de la méthode suivant laquelle ils étaient étudiés. À Donchéry, où existaient plusieurs écoles gratuites soumises à l’autorité d’une directrice, presque toujours une religieuse, des sœurs enseignent, parfois envoyées par un établissement de Sedan. Elles reçoivent gratuitement les filles pauvres tous les jours, de 8 heures à 10 heures et de 1 heure à 4 heures, et leur enseignent à lire, à écrire et l’arithmétique. Un cours de catéchisme est fait le dimanche.

Les sœurs des écoles de Donchéry reçoivent le traitement — assez élevé pour l’époque — de 216 livres[37].

Dans l’ensemble, on peut dire que, si la qualité de l’enseignement reste assez inférieure, il y a, en Lorraine, un très grand nombre d’écoles de filles. Celles-ci, au témoignage des contemporains, seraient plutôt trop nombreuses[38].

Dans le Dauphiné, comme en Lorraine, des efforts assez sérieux sont faits pour développer l’instruction des filles du peuple. Les Ursulines y avaient établi de nombreuses écoles au cours du siècle précédent : ces écoles fonctionnaient dans un très grand nombre de villages[39] et des particuliers, hommes ou femmes, les avaient aidées de leurs biens.

Cependant, elles ne semblent pas toujours s’être acquittées de leur tâche avec un zèle suffisant. À Neyrolles, où depuis 1634 existe, par suite d’une fondation charitable, une école de filles gratuite, les magistrats municipaux exigent, en 1710, des Ursulines, le remplacement de la maîtresse d’école à cause des plaintes qu’elle soulève, soit pour l’insuffisance de son enseignement, soit pour les mauvais traitements qu’elle fait subir à ses élèves. Un peu plus tard (1754), une action est engagée contre les Ursulines parce qu’elles ne tiennent pas l’école de filles. En 1773, enfin, on leur réclame une institutrice capable, suivant les termes de la fondation de 1634[40]. Ces démêlés témoignent de l’intérêt que les autorités locales portaient à cette question. Et d’ailleurs nous trouvons, dans la même localité, une école laïque dirigée par les époux Roux qui instruisent l’un les garçons, l’autre les filles, dans des classes séparées.

Telle bourgade, comme Châtillon, possède successivement, à la fin du xviiie siècle, trois maîtresses d’école payées par le Conseil de ville, 72 livres[41]. Dans l’actuel département de l’Isère, on constate la fondation d’une école de filles, en 1734, à Pont-en-Royans, en 1756, à Saint-André-de-Royans, celle-ci confirmée par des lettres royales, en 1785, à Saint-Sauveur, en 1789, à Roybon[42]. Ces diverses fondations sont faites non par des religieuses mais par des laïques et ce sont des laïques qui distribuent l’enseignement. Dans la Drôme, il existe une école à Bourg-de-Péage[43] (la maîtresse y jouit d’un traitement de 50 livres), à Rochegude[44], où elle est gratifiée de 150 livres, à Saint-Paul-des-Trois-Châteaux, où la maîtresse d’école est subordonnée à l’instituteur et payée par lui[45].

Il semble donc y avoir eu, à la veille de la Révolution et dans certaines régions au moins du Dauphiné, un mouvement assez fort pour l’organisation de l’enseignement populaire féminin. Mais nous en ignorons absolument les programmes et les méthodes.

Le résultat fut cependant loin d’être très brillant, bien qu’appréciable. À la fin du xviiie siècle on compte, dans le Dauphiné, 16 femmes sur 100 qui savent lire et écrire. On en comptait 9 sur 100 seulement à la fin du siècle précédent[46].

Dans certaines provinces du centre, Touraine, Berri, Poitou, l’instruction féminine apparaît relativement développée.

Quelques localités de la Touraine furent, aux xviie et xviiie siècles, constamment pourvues de maîtresses d’école. Il en est ainsi à Bourgueil où, pendant quelque temps, l’enseignement est donné aux filles par la fille de l’instituteur, à laquelle succèdent deux autres maîtresses ; à Chouzé, où Antoine Arnaud (1687) a fondé une école de filles pour éviter qu’on ne tienne celles-ci dans l’ignorance et demande instamment aux curés de forcer les paysans à se départir de la « cruelle négligence, dont ils font preuve à ce sujet » et où nous connaissons les noms de trois maîtresses d’école ; à Bastigné, où exercent au moins deux maîtresses[47].

Dans le Berry où, dès 1584, le concile provincial de Bourges avait prescrit la fondation d’écoles spéciales pour les filles, il existait des maîtresses d’écoles Ursulines, Visitandines ou religieuses, de Notre-Dame à Azay-le-Ferron, Chabris, Châteauroux, Châteaumeillant, Cluis, Eygurande, Graçay, Le Blanc, Levroux, Meis, Prissac. On y apprenait à lire, à écrire et les principes de la vie chrétienne.

En Poitou, les Ursulines et l’Union chrétienne ont installé d’assez nombreux établissements : cinq écoles de filles fonctionnent à Poitiers, quelques autres à Luçon, où une école d’Ursulines recueille la moitié des enfants de la ville[48], et dans le diocèse. À l’hospice d’Oiron, est établie une école gratuite pour les filles. La maîtresse est chargée de faire l’instruction au dedans et au dehors.

Dans la Marche et le Limousin, il semble également qu’on ait fait ça et là quelques tentatives pour créer un enseignement populaire féminin : des Ursulines sont établies à Limoges, Eymoutiers et Brives, des Bénédictines à Limoges, des filles de Notre-Dame à Saint-Léonard, Saint-Junien[49], Tulle et Argentat et, dans d’assez nombreuses localités, des écoles sont instituées par des particuliers. À Evaux, on trouve, en 1788, deux sœurs institutrices pourvues de 100 livres d’appointements[50].

Un professeur d’éloquence à l’Université de Paris, maître Chrétien Leroy, laisse une somme de 10 000 livres à sa ville natale, Mainsat, pour établir à l’hôtel de la Miséricorde une école gratuite de filles.

Dans cette même localité de Mainsat, pourtant peu importante, Françoise de la Roche Aymon, dame d’honneur de la princesse de Lamballe, d’accord avec la Supérieure des Filles de la Charité, établit à l’hospice quatre sœurs, dont trois soigneront les malades et la quatrième fera gratuitement l’école à douze filles désignées, deux du village, dix des villages environnants, et pourra, moyennant une légère rétribution, en enseigner d’autres[51]. Nous savons d’ailleurs que les sœurs de l’hospice de Mainsat éprouvaient avec leurs élèves, fort indisciplinées, volontiers mutinées, d’assez grandes difficultés. En 1783, on dut établir un règlement pour les écoles de filles ; des punitions corporelles : fouet, mise à genoux étaient naturellement prévues. Celles qui refusaient de s’y soumettre étaient exclues.

De même on se préoccupe d’assurer leur assiduité en renvoyant celles qui auraient fait sans motif trois jours d’absence[52].

Dans d’autres régions du centre (Lyonnais), les efforts tentés pour développer l’instruction féminine semblent également assez heureux. À Lyon, on trouve, dès 1688, 33 écoles de filles et écoles mixtes. Les maîtresses sont assez nombreuses pour faire une communauté. Celle-ci compte, en 1737, 50 membres. Quelques-unes sont qualifiées de Dames rectrices des écoles[53]. Au cours du xviiie siècle, les écoles gratuites se développent : les unes distribuant un enseignement primaire conçu à peu près suivant nos programmes actuels (on y enseigne des éléments d’instruction religieuse, la lecture, l’écriture, l’orthographe, un peu d’histoire) ; les autres, dites écoles de travail et correspondant à des écoles professionnelles, mais tout à fait élémentaires. En 1791, l’enseignement est distribué, à Lyon seulement, à 5 à 6 000 filles[54].

Cependant, malgré tous ces efforts, malgré les très nombreuses donations faites par des hommes et des femmes — et dont le montant varie de 6 à 20 000 livres pour l’établissement d’écoles de filles, dans le Lyonnais — où l’enseignement se fait parfois dans les conditions les plus mauvaises. Souvent encore, les sexes sont mélangés : une maîtresse fait la classe à des garçons et à des filles. Parfois, la maison d’école est réduite à une seule chambre[55].

Cependant, le Lyonnais est une des régions où l’instruction féminine a fait, au cours du xviiie siècle, le plus de progrès et où elle se trouve, à la veille de la Révolution, la plus avancée ; de 8 pour 100 à la fin du xviie siècle, le nombre des femmes qui savent lire et écrire est passé, à la fin du xviiie siècle, à 16 pour 100.

Dans le Forez, où sont établies à Montbrison, Saint-Chamond, Saint-Galmier, Roanne et Feurs, des Ursulines, à Chambon, Saint-Galmier, Villefranche, des filles de Saint-Joseph, à Villefranche, des filles du Saint-Sacrement, à Feurs, des Trinitaires[56], à Yssingeaux et au Puy, des filles de Notre-Dame[57], où l’on voit tel petit village comme Chambadeuil doté par la munificence d’une fille dévote d’une maison d’école[58], l’instruction féminine se développe malgré l’insuffisance professionnelle des maîtresses ; le nombre des femmes lettrées passe, au cours du siècle, de 10 à 15 pour 100.

Dans le Languedoc, comme dans le Poitou ou la Basse-Normandie, la nécessité de lutter contre l’hérésie a tourné l’attention vers les petites écoles. À la veille de la révocation de l’Édit de Nantes, les petites écoles protestantes étaient assez nombreuses. Quant aux écoles catholiques, la réponse à un questionnaire public vers cette date (1684) par l’évêque de Montpellier nous montre qu’elles étaient en nombre insuffisant : 60 paroisses sur 97 n’en étaient pas pourvues. L’enseignement mixte était généralement pratiqué. Pour soutenir la lutte contre les protestants, le gouvernement et les autorités ecclésiastiques s’efforcèrent de développer les petites écoles et d’y installer des maîtresses chargées de l’enseignement de la morale familiale et des devoirs religieux, de former des filles modestes et dévouées à leurs parents[59]. Ces écoles furent assez nombreuses pour que l’évêque de Castres permit, dans son diocèse, la participation des garçons de moins de 7 ans à l’enseignement féminin[60]. Les Ursulines enseignaient à Nîmes, Montpellier, Montauban ; des filles de Notre-Dame, à Montauban[61]. En Guyenne, on essaye aussi d’arrêter le progrès des écoles protestantes. Des écoles pour nouvelles converties sont établies sous les auspices des filles de la Foi ou des filles de l’Enfant-Jésus. Mais elles doivent lutter contre le préjugé populaire, défavorable aux femmes vouées à l’enseignement féminin. De nombreuses dénonciations sont envoyées à l’Intendant contre les maîtresses coupables de faire des enfants « des fénéants et des chicaneurs, sangsues du peuple[62] ».

En Champagne, et bien que les préoccupations de la lutte religieuse ne semblent pas y avoir part, le développement de l’instruction apparaît comme fort important au xviiie siècle.

Des écoles, dirigées par les filles de Notre-Dame, sont établies à Soissons et à Château-Thierry[63], des Bénédictines enseignent à Châlons. Dans de petites localités, comme Germinon, Juvigny, Rogny, des sœurs sont chargées de tenir les écoles de filles[64]. À la Ferté-Gaucher, les maîtresses sont assez nombreuses pour former une communauté[65]. En 1770, on compte dans l’Aube seulement 420 écoles et, de 1690 à 1790, la moyenne des femmes lettrées passe de 22 à 39[66]. Les Conseils de ville (Rosnay, Vandœuvre, Troncels) se préoccupent d’établir des écoles[67].

Nombre d’assez importantes provinces n’ont pu, au contraire, n’organiser que d’une manière intermittente, sur certains points disséminés, l’enseignement féminin. En Bretagne, les Ursulines, les Calvairiennes, les Augustines ont établi des écoles à Nantes, Rennes, Saint-Malo, Quimper, Quimperlé, Morlaix, Carhaix, Sainte-Croix, Saint-Pol-de-Léon.

Parfois, ici comme ailleurs, un particulier fait dans telle localité les frais d’une école. Ces écoles, comme d’ailleurs celles des hommes, sont proportionnellement beaucoup moins nombreuses que dans les autres provinces et le progrès de l’instruction primaire est peu marqué. Si l’on trouve dans les régions qui correspondent aux départements de l’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure une proportion de 14 femmes et de 11 femmes lettrées (au lieu de 13 et 9 au siècle précédent), cette proportion descend à 9 pour les Côtes-du-Nord et à 6 pour le Finistère et le Morbihan, ne marquant qu’une insignifiante augmentation.

En Artois, on trouve bien, à Calais, les sœurs de la Providence et les sœurs de l’Institut du Père Baré pour l’instruction gratuite des jeunes filles[68], ainsi que deux écoles de charité à Lestrem[69]. Mais, d’une enquête faite en 1790 par l’abbé Grégoire, il résulte qu’il y a à cette date, dans le Pas-de-Calais, peu de maîtresses[70].

En Provence, les écoles de Bernardines, assez nombreuses au xviiie siècle, sont surtout consacrées à l’enseignement de la bourgeoisie. Les Ursulines, les Clarisses, les Franciscaines, les filles de Saint-Sauveur et du Saint-Sacrement ont des établissements à Marseille, Arles, Aix, La Ciotat[71], et enseignent concurremment la bourgeoisie et le peuple.

Quelques budgets municipaux ou ecclésiastiques prévoient dans telle localité un traitement pour le maître et pour la maîtresse. Il en est ainsi à Digne où, dès le xviie siècle, on trouve une femme chargée d’enseigner la lecture et la couture, à Max, à Annot (Basses-Alpes), à Claviers et Flayox, et à Seillans (Var). Mais en somme ces écoles sont peu nombreuses. Il en est de même dans le Roussillon. On trouve bien, établies à Perpignan, des religieuses de Sainte-Catherine de Sienne dont la tâche essentielle est d’enseigner le français aux filles du peuple qui, pour la plupart, ne parlent que catalan. Mais les statistiques que l’on a dressées en se basant, comme dans d’autres provinces, sur le nombre de conjoints capables d’instruction des deux sexes, montrent que l’instruction des filles était fort arriérée. Neuf femmes seulement sont instruites pour 71 hommes.

Lorsqu’on étudie l’instruction populaire, il faut faire naturellement une place à part à Paris. Dans la capitale, suivant un usage très ancien, les chantres des différentes paroisses pourvoyaient à l’établissement de petites écoles, destinées à instruire les enfants pauvres de l’un et de l’autre sexe. À ces petites écoles vinrent s’ajouter, sur l’initiative des curés, aidées par les libérations de personnes charitables, les écoles dites de charité.

Les premières admettaient non seulement des enfants pauvres, gratuitement, mais, moyennant une légère rétribution, des enfants de la petite bourgeoisie.

Les petites écoles organisées par les chantres comprenaient quelques établissements mixtes et un certain nombre d’écoles de filles, celles-ci dirigées par des maîtresses laïques pourvues d’un privilège. Les écoles de charité destinées aux filles avaient comme maîtresses, des sœurs des différents ordres religieux qui s’établirent toujours plus nombreux à Paris à partir du xviie siècle. À la veille de la Révolution, chacun des couvents se double d’une école de filles ; les uns se destinent uniquement à l’instruction des filles pauvres, les autres, établis spécialement pour l’éducation des jeunes filles de la bourgeoisie qui payent une pension assez élevée, consacrent, soit d’eux-mêmes, soit en vertu de fondations, une partie de leurs bâtiments et de leur personnel à une école de charité. La capitale comptant une centaine environ de couvents de femmes, les écoles de charité furent donc très nombreuses.

Entre les écoles de charité et les petites écoles la rivalité fut assez aiguë ; les chantres défendent fort jalousement leur droit de surveillance sur les écoles et les maîtresses laïques leurs privilèges ; mais, d’autre part, les écoles de charité étant sérieusement soutenues par les curés et développées par l’initiative des religieuses et des particuliers, les unes et les autres se développent parallèlement pour le plus grand bénéfice de l’instruction des filles du peuple.

Une vingtaine de couvents au moins, disséminés dans presque tous les quartiers de Paris, ont ouvert des écoles de charité : filles de la Croix, de la Trinité, de Saint-Gervais, de Sainte-Geneviève, de l’Enfant-Jésus ; de Sainte-Geneviève, à Saint-Etienne-du-Mont et à Miramions ; de Sainte-Agnès, de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, de Notre-Dame de la Miséricorde, du Saint-Nom de Jésus, de Saint-Joseph, sœurs de l’Hôpital de la Salpétrière, sœurs grises, sont vouées à l’enseignement féminin[72]. Les unes, filles de Saint-Gervais, de la Trinité, de Saint-Joseph, de Sainte-Agnès, distribuent un enseignement payant aux jeunes filles de la bourgeoisie et, de surcroît, ouvrent des cours d’externes aux filles du peuple. D’autres (filles Saint-Joseph), donnent l’enseignement et la pension à des conditions de bon marché telles que la toute petite bourgeoisie et les artisans aisés puissent y placer leurs filles[73]. Les autres, enfin (filles de la Croix, filles de la Miséricorde, sœurs grises, sœurs de la Salpétrière), sont tout spécialement vouées à l’enseignement des filles pauvres. Les sœurs grises, en particulier, congrégation laïque dont tous les contemporains, même hostiles aux couvents, vantent l’intelligente activité et l’inlassable dévouement et qui, également religieuses hospitalières, fournissent les meilleures gardes-malades, ont ouvert à Paris plus de trente maisons d’école pour les filles pauvres.

Naturellement, l’instruction distribuée par les sœurs reste rudimentaire : la lecture, l’écriture, les premières notions d’arithmétique, le cathéchisme en forment la base. Cependant les préoccupations pratiques se font jour. Et quelques-uns des établissements religieux (sœurs grises, filles du Saint-Nom de Jésus) visent à permettre aux jeunes fille d’accomplir leurs devoirs ménagers : on apprend aux enfants à travailler, c’est-à-dire la couture et la broderie. L’école tenue par les sœurs de Sainte-Agnès est une véritable école professionnelle où cinq cents jeunes filles apprennent à coudre le linge et toutes les sortes de broderie[74].

Les écoles de charité établies par les sœurs représentent donc un effort assez sérieux pour développer l’instruction du peuple et lui donner une tournure pratique.

Quant aux petites écoles, elles sont très nombreuses. On trouve, en 1736, 170 écoles de filles pour 190 écoles de garçons, pourvues presque toutes d’une maîtresse d’école et distribuant l’enseignement à des milliers d’enfants. Nous ne connaissons pas dans le détail les programmes. Mais les petites écoles sont qualifiées écoles de grammaire et l’on y étudie la lecture, l’écriture, le catéchisme et les premiers éléments du français. Nous ne savons pas si, comme dans les établissement tenus par les sœurs, un enseignement professionnel était prévu.

En somme, Paris apparaît bien comme la région du royaume où le nombre des écoles était le plus considérable, où les efforts les plus sérieux et sans doute relativement les plus heureux ont été faits pour développer l’enseignement féminin. Et lorsque Rétif de la Bretonne parle de l’ignorance absolue des filles du peuple et les met pour la culture intellectuelle et le développement moral au même niveau que les sauvagesses les plus grossières, c’est une imagination de littérateur, non l’expression de la vérité.

vi. Ses insuffisances et ses lacunes

Est-il possible, après avoir parcouru les différentes régions de la France, de se faire une idée d’ensemble de l’enseignement et de relever, malgré l’insuffisance de notre documentation et la diversité que nous constatons suivant les régions, quelques traits généraux ? Oui, à condition de procéder avec prudence et sans faire de généralisations trop absolues. Et voici, semble-t-il, les caractères les plus marquants. Ni le gouvernement central, ni les intendants ne se préoccupent sérieusement d’assurer l’enseignement primaire féminin. Les dispositions des ordonnances de 1698 et 1942 restent très souvent lettre morte sans qu’à part de biens rares exceptions, les intendants se préoccupent d’en rappeler les prescriptions à leurs administrés[75]. Les autorités locales semblent s’intéresser davantage à l’enseignement féminin, les curés et de généreux particuliers les secondent de leur mieux. Mais le développement de l’enseignement primaire féminin se heurte à maints obstacles. D’abord la pénurie de personnel enseignant ; en dehors des religieuses, très peu de femmes sont capables d’être de bonnes maîtresses d’écoles ; les maîtresses laïques, parfois infirmes ou totalement incapables, voire illettrées, transforment trop souvent leurs classes en simple garderies. Les sœurs elles-mêmes peuvent tout au plus distribuer un enseignement primaire très élémentaire,

Il en est ainsi pour celles qui enseignent à la bourgeoisie, à plus forte raison pour celles qui enseignent aux filles du peuple.

D’ailleurs, on manque de locaux pour établir l’école de filles ; à la campagne, les bâtiments sont souvent réduits à une pièce et parfois à une partie de la pièce où se tiennent les garçons. On manque d’argent ; l’État ne subventionne pas les écoles primaires, les Conseils de ville pourvoient, quelquefois mais maigrement, à l’entretien des écoles ; il arrive que l’école des filles disparaisse, faute d’argent, après s’être soutenue tant bien que mal par les secours du curé ou le dévouement des maîtresses qui ont continué tant qu’elles ont pu de donner bénévolement leur enseignement. Manque de maîtresses, insuffisance des locaux, maigreur ou absence des budgets de l’enseignement féminin, tout cela explique suffisamment la pratique de l’enseignement mixte qui, malgré tous les efforts du clergé pour le combattre, se perpétue jusqu’à la Révolution. Cette pratique entraîne, au point de vue de la morale, de très graves inconvénients et elle est bien considérée comme un fléau des campagnes. Certains évêques en tournée dans leur diocèse se félicitent de voir une localité ne pas avoir d’écoles, jugeant qu’ainsi il n’y a nul danger d’enseignement mixte.

Enfin, le préjugé populaire est nettement hostile à l’enseignement primaire en général et à l’enseignement primaire des filles en particulier. Les maîtres et maîtresses sont en butte à toutes les suspicions, parfois aux dénonciations calomnieuses. Dans les campagnes surtout, sinon dans les grandes villes, l’opinion est donc très défavorable. L’enseignement féminin est inférieur, sinon par sa généralité, du moins par son extension et sa diffusion, à l’enseignement masculin. Les progrès sont, au cours du xviiie siècle, beaucoup moins rapides.

Il y a un progrès cependant, plus ou moins accentué suivant les régions et, en moyenne, l’instruction primaire féminine est plus développée à la fin du siècle qu’au début.

D’une manière générale, on pourrait avancer que l’instruction féminine, si on l’envisage dans son ensemble, n’est guère inférieure au xviiie siècle à ce qu’elle sera au xixe avant que les réformes de Guizot, de Duruy et de Jules Ferry ne fassent sentir leurs heureux effets et que les nécessités économiques ne forcent les femmes à mieux s’armer pour la lutte : dans la haute société et la bourgeoisie, un enseignement tout mondain, dont seule l’intelligence individuelle fait, parfois, la base d’une culture vraiment supérieure ; dans la bourgeoisie, un vernis de littérature et d’arts d’agréments ; dans le peuple, enfin, une instruction primaire squelettique, dispensée surtout par des religieuses, laissant, malgré certains efforts heureux, de vastes régions peuplées d’une majorité d’illettrés. Et l’impossibilité d’opérer avec réforme, faute d’avoir formé tout d’abord un personnel capable. Ces traits s’appliquent avec une non moins grande exactitude à la première moitié du xixe siècle qu’au siècle précédent.

Privée par la loi de l’autorité dans la famille et dépourvue des droits civils essentiels, ne disposant pas des mêmes moyens que l’homme pour acquérir l’instruction indispensable à qui, même au xviiie siècle, était destiné à tenir un rôle dans la société, et ce, parce que le sentiment le plus général, celui que sanctionne la loi, est l’inutilité pour elle d’exercer, en dehors du foyer, son activité, la femme est donc placée dans des conditions bien moins favorables que l’homme pour entreprendre avec succès la lutte pour la vie. Logiquement, son rôle social devrait être effacé, presque nul.

Et cependant ce rôle est grand et le xviiie siècle est une époque où, non seulement au Petit Trianon, à Louveciennes, à Bellevue, mais dans la capitale et les provinces, non seulement dans les intrigues de la Cour, mais dans presque toutes les branches de l’activité nationale, belles-lettres, agriculture, commerce, industrie, la femme tient une place considérable.

C’est qu’un grand nombre de causes agissent, celles-ci universelles et humaines, celles-là particulières à une époque et à un milieu déterminés qui tendent à faire reprendre à la femme la place que la nature lui assigne et dont, vainement, les lois humaines semblent l’écarter.

Dans toute société policée, la femme sait reprendre en son ménage l’influence dont la privent théoriquement la coutume et les lois. Et, sachant, par le seul ascendant qu’elle prend sur son mari, rendre très supportable le joug que la loi place sur elle, ou même intervertir les rôles et elle-même gouverner son ménage, elle reconquiert par là même son influence sociale. Toutes les civilisations fondées à l’origine sur le patriarcat ont, à une certaine heure, connu une évolution semblable ; comme Rome à la fin de la République, Athènes sous Périclès ou les sociétés contemporaines, la société française l’a, au xviiie siècle, presqu’accomplie.

En théorie, la femme n’a d’autre fonction, d’autre rôle que le mariage ; mais ce couple, qui est l’idéal des théologiens et des jurisconsultes, ne reste pas toujours indissolublement uni… Le mari parti à la guerre ou absent pour le service du roi, la femme reste seule de longs mois dans le château ou dans la boutique et tout naturellement, ainsi qu’on le vit en tous pays au cours de la Grande Guerre, prend en mains les intérêts de la communauté. Veuve, elle devient chef de famille, est contrainte de gagner la vie de ses enfants et la sienne propre ; si elle appartient à la petite bourgeoisie ou au peuple, elle doit reprendre le métier de son mari ou chercher une occupation nouvelle ; si elle appartient à la petite noblesse qui réside sur ses terres, elle peut avoir la charge d’importants domaines, y exercer encore de véritables droits de souveraineté, et de son action dépendra le sort de nombreux paysans car, ainsi que nous le verrons, d’assez larges vestiges de droits féodaux subsistent et la femme, veuve ou fille, les exerce aussi bien que l’homme.

D’ailleurs, les nécessités économiques, sans agir avec autant de force qu’à la fin du xixe siècle pour lancer la femme dans l’arène, commencent cependant de se faire sentir. Si la grande industrie n’existe encore qu’à l’état embryonnaire au début du xviiie siècle, les années qui précèdent la Révolution voient commencer la grande transformation. Peu à peu les usines commencent d’aspirer à elles le peuple des campagnes, hommes et femmes, et depuis longtemps les industries et les commerces de luxe nécessitent l’emploi d’un grand nombre de femmes qui va chaque jour grandissant. En outre, les anciennes corporations subsistent et, dans celles-ci, les femmes trouvent leur place. L’évolution économique concourt donc dès maintenant avec les éternelles nécessités familiales pour faire sortir la femme du foyer.

En tous temps, dans toutes civilisations, de pareilles causes, qui sont humaines, ont contribué à l’émancipation de la femme. Mais d’autres agissent qui sont particulières au xviiie siècle : la vie de Cour est favorable à la formation d’une élite et, dans cette aristocratie d’où relèvent la politique comme la littérature, la femme est du consentement universel, jugée au moins l’égale de l’homme. Ainsi que nous le verrons, elle contribuera aussi largement que lui à faire l’opinion publique, plus largement à créer le goût littéraire et voilà la femme qui, tout incapable qu’elle soit d’exercer une fonction d’état ou de professer en chaire, est l’âme de la politique, l’arbitre souveraine du goût.

D’ailleurs, les mœurs se sont assez adoucies, au siècle des lumières, pour que ni dans leur ménage, ni dans la société, les hommes ne revendiquent avec rigueur leur droit de commander. La plupart du temps l’esclavage féminin n’est plus qu’une fiction légale et sous l’effort des philosophes qui, sceptiques, ne sont pas loin de penser qu’en somme l’esprit humain reste sous un vêtement masculin ou féminin identique à lui-même, les antiques chaînes peu à peu se dénouent.

L’étude des divers modes de l’activité nous fera donc saisir ce contraste entre la condition légale de la femme et son rôle social, contraste qui est l’un des traits les plus généraux de l’histoire féminine, mais qui, pour une infinité de raisons dont nous avons essayé par avance de discerner quelques-unes, et qui, chemin faisant, nous apparaîtront dans toute leur complexité, s’est manifesté au xviiie siècle avec une particulière vivacité.

  1. À l’exception du bon ouvrage de Rousselot : Histoire de l’éducation des filles (Paris, 1884), qui est surtout une histoire des théories.
  2. Il existe de nombreux ouvrages sur la Maison Royale de Saint-Cyr. Par 3xemple celui de Théophile Lavallée (Paris, 1859). De même, le personnage et les idées de Mme de Maintenon, comme celui de Mme de Genlis, ont été fréquemment étudiés (Cf. Chabaud : Les précurseurs du féminisme : Mme de Maintenon, Mme de Genlis, Mme Campan). M. Gréard a étudié l’Enseignement secondaire des jeunes filles où il se préoccupe de passer en revue les théories sur le genre d’instruction qui convient aux femmes et de noter l’enchaînement des divers systèmes successivement en vigueur, plutôt que de donner des faits et de montrer l’état exact de l’enseignement secondaire aux diverses époques. L’abbé Allain a fait une très courte, mais substantielle étude sur l’Enseignement primaire avant 1789 où l’on trouve quelques bonnes indications sur l’enseignement des filles. M. de Beaurepaire a consacré une intéressante monographie à l’instruction primaire dans le diocèse de Rouen avant 1789. Enfin, M. Fagniez a étudié, dans un article de la Revue des Deux Mondes (janvier 1909), La femme dans la société française au xviie siècle. Dans le Dictionnaire de pédagogie, de Ferdinand Buisson, dans les articles relatifs aux provinces et aux départements, on trouve de fort intéressantes indications. Malheureusement, ces articles étudient l’enseignement en général plutôt que l’enseignement des filles.
  3. Sainte-Beuve. Madame Geoffrin.
  4. L’Enseignement secondaire des jeunes filles.
  5. Geoffroy. Mme de Maintenon d’après sa correspondance. Paris, 1882. Instructions aux demoiselles de Saint-Cyr, par Mme de Maintenon, recueillies d’après le manuscrit. Paris, 1908. Souvenirs d’une bleue, lettre de Victoire de la Maisonfort à Geneviève Colonabe.
  6. L’une de celles-ci, jeune fille noble, refusant d’obéir à une sœur roturière qui lui commandait le balayage d’une salle, Mme de Maintenon la gourmanda avec sévérité et l’obligea au travail dédaigné.
  7. Souvenirs d’une bleu.
  8. « Tout est subordonné à l’éducation », dit Victoire de la Maisonfort. Loc. cit.
  9. Ch. Lavallée. Histoire de la Maison Royale de Saint-Cyr.
  10. Inventaire de la bibliothèque de Saint-Cyr. Arch. dép., Seine-et-Oise, D. 119 et D. 135.
  11. Mme Duhausset. Mémoires.
  12. Fondée par Marie Leczinska et subventionnée par elle.
  13. Goncourt. La femme au xviiie siècle.
  14. Cf. Riballier. De l’éducation physique et morale des femmes.
  15. Panckouke. Études convenables aux demoiselles. Grammaire rhétorique, histoire, géographie (Paris, 1749).
  16. Mme d’Epinay. Conversation d’Émilie.
  17. Goncourt. La femme au xviiie siècle.
  18. Cf. Arch. Nat., D. XIX, 1-17.
  19. Mme Roland. Mémoires.
  20. Jézé. Tableau de Paris.
  21. (1) Un jugement de l’Intendant (1694) condamne Mme Regnault, maîtresse de dessin dans les couvents de religieuses de Dijon, à contribuer aux charges de la communauté des peintres. (Arch. dép. Côte-d’Or, C. 2314).
  22. Marmontel. Mémoires.
  23. Cf. Arch. Nat., D. XIX, 1 à 17. Presque toutes les localités importantes de chaque diocèse possèdent un établissement de religieuses assurant l’enseignement aux jeunes filles pauvres. Le chef-lieu des diocèses en a souvent plusieurs. Mais parfois, dans des bourgs comme Saint-Léonard (diocèse de Limoges), Orbec (diocèse de Lisieux), Le Fahouet, Carhaix (diocèse de Quimper), on trouve une ou plusieurs écoles religieuses de filles (Arch. Nat., D. XIX, 3, 4 et 5).
  24. La Poix de Fréminville. Traité du gouvernement spirituel et temporel des paroisses.
  25. Mandement de Mgr Contat de Condorcet, évêque d’Avranches, cité par F. Buisson. Dictionnaire de pédagogie.
  26. Ordonnance de Mgr Daquin, évêque de Séez.
  27. Arch. dép., Calvados, H. 1096.
  28. Arch. dép., Orne, H. 4.
  29. Arch. dép., Seine-Inférieure, D. 403.
  30. Arch. dép., Somme, C. 435.
  31. Arch. dép., Meurthe-et-Moselle, C. 44.
  32. Ibid.
  33. Arch. dép., Meurthe-et-Moselle, E. suppl. 3331.
  34. Arch. dép., Meurthe-et-Moselle, B. 238 et 1143.
  35. Arch. dép., Meurthe-et-Moselle, E. suppl. 944.
  36. Arch. dép., Meurthe-et-Moselle. Douze, Laneuville-aux-Bois.
  37. Arch. dép., Ardennes, H. suppl. 155.
  38. Abbé Allain. L’instruction primaire avant la Révolution.
  39. On peut s’en rendre compte en parcourant les archives départementales : Isère, série B., Drôme, série E. Pour la plupart des villages, il est fait mention d’écoles de filles.
  40. Arch. dép., Isère, E. 8782, 8804-8807.
  41. Arch. dép., Drôme, E. 12799.
  42. Arch. dép., Isère, B. 2568.
  43. Arch. dép., Drôme, B. 8231.
  44. Arch. dép., Drôme, E. 7440.
  45. Arch. dép. Drôme, E. 7601.
  46. Buisson. Dictionnaire de pédagogie.
  47. Arch. dép., Indre-et-Loire, E. Introd.
  48. Arch. nat., D. XIX, 5.
  49. Arch. nat., D. XIX, 5.
  50. Arch. dép., Creuse, H. suppl. 194.
  51. Arch. dép., Creuse, H. suppl. 162.
  52. Ibid., H. suppl., 74.
  53. Arch. dép., Rhône, D. 396.
  54. Dictionnaire de pédagogie. Art. : Rhône.
  55. Arch. dép., Rhône, D. 340 et 374.
  56. Arch. nat., D. XIX 5.
  57. Dictionnaire de pédagogie : art. Loire.
  58. Arch. dép., Haute-Loire, B. 29.
  59. Règlement des petites écoles de Béziers, cité par le Dictionnaire de pédagogie, art. Languedoc.
  60. Arch. dép., Haute-Garonne, B. 1807
  61. Arch. nat., D. XIX, 4 et 5.
  62. Arch. dép., Gironde, C, 3293.
  63. Dictionnaire de pédagogie : art. Aisne.
  64. Arch. dép., Marne, C. 604 et 655.
  65. Abbé Allain. L’instruction primaire avant la Révolution.
  66. Dictionnaire de pédagogie : Marne.
  67. Arch. dép., Aube, E. 821, C. 899, 1953.
  68. Arch. dép., Pas-de-Calais, B. 99 et C. 195.
  69. Ibid., B. 358.
  70. Dictionnaire de pédagogie : art. Pas-de-Calais.
  71. Arch. nat., D. XIX, 1.
  72. Jézé. Loc. cit.
  73. 150 livres par an. Ibid.
  74. Ibid.
  75. Nous relevons seulement un intendant qui prononce des amendes contre les mères qui ont négligé d’envoyer leurs enfants à l’instruction religieuse.