La Femme affranchie/Quatrième partie/Chapitre IV


CHAPITRE IX.




RÉSUMÉ ET CONCLUSION.


Sur quelques points du globe, un certain nombre de femmes protestent contre les lois qui placent leur sexe en minorité, en demandent l’abrogation ou la réforme, et revendiquent leur légitime part de droit humain.

Des esprits futiles et sans portée rient de ce mouvement qui commence et ira grandissant sans cesse.

Des esprits sérieux, mais retenus dans les liens des vieux préjugés, s’en effraient et s’en étonnent ; en cherchent naïvement la raison où ils ne peuvent la trouver, et conçoivent la gigantesque espérance d’arrêter court le mouvement émancipateur.

Une fois pour toutes, il faut les détourner de ce labeur ingrat, en leur faisant toucher du doigt les réalités.

La domination de l’homme sur la femme, et la minorité civile de celle-ci avaient leur prétexte quasi légitime lorsque la femme, maintenue dans lignorance, était réellement inférieure à lhomme en intelligence, en caractère, en activité ;

Lorsqu’elle n’avait et ne se croyait pour fonction que la maternité et les soins du ménage ;

Lorsqu’elle trouvait un soutien légitime qui l’aimait, la protégeait ;

Lorsque, inférieure par l’éducation elle se croyait aussi de nature inférieure, et considérait comme son devoir envers Dieu l’obéissance à son mari.

Les choses étaient-elles bien ainsi ? Je n’en discuterai pas : préfère le passé qui veut ; moi j’aime mieux l’avenir où je vois l’amour complet dans l’égalité, la fusion des âmes, la confiance entière et réciproque, l’effort commun pour une œuvre commune, l’union sainte, pure, entière jusqu’au tombeau qui ne sera pour le survivant qu’un berceau d’immortalité.

Il n’est question ni de ce que nous préférons, ni de ce que nous rêvons les uns ou les autres : mais seulement de ce qui peut être, d’après l’état des esprits et des choses : c’est folie que de vouloir ramener le monde en arrière : la sagesse consiste à régler sa marche en avant.

Pourquoi la femme revendique-t-elle son droit à la liberté et à l’égalité ?

C’est d’abord parce que, beaucoup plus instruite que par le passé, elle sent mieux sa dignité et les droits de sa personnalité. C’est parce que les leçons et l’exemple des hommes l’ont éloignée de la foi complète au dogme ancien, qu’elle n’accepte plus que sous bénéfice d’inventaire ; c’est à dire en repoussant ce qui heurte ses sentiments nouveaux. Elle sent trop ce qu’elle vaut aujourd’hui, pour se croire inférieure à lhomme et tenue de lui obéir : elle ne croit pas plus au droit divin de l’autre sexe sur elle, que ce sexe ne croit au droit divin du prince et du prêtre sur les peuples.

Sous l’influence du principe d’Émancipation générale, posé par la Révolution française, la femme, mêlée à toutes les luttes comme actrice ou martyr ; comme mère, épouse, amante, fille, sœur, s’est modifiée profondément dans ses sentiments et ses pensées : il eût été absurde qu’elle voulût la liberté et l’égalité pour les hommes, parce qu’ils sont des créatures humaines, sans élever son cœur, et sans rêver son affranchissement propre, puisqu’elle aussi est une créature humaine : l’esprit révolutionnaire a rendu la femme indépendante : il faut en prendre son parti.

La femme n’étant plus enfermée dans les soins du ménage et des enfants, mais, au contraire, prenant une part toujours croissante à la production de la richesse nationale et individuelle, il est évident qu’elle a besoin de liberté et d’indépendance, et qu’elle doit avoir, dans la famille et les affaires une tout autre place que par le passé : elle le sent et le sait, il faut encore en prendre son parti, et lui faire cette place : le bon sens et la justice l’exigent.

La femme ne pouvant plus se marier sans une dot ou une profession, ne peut plus considérer le mariage comme son état naturel ; elle est de plus en plus mise dans la nécessité triste ou heureuse de se suffire à elle-même, de se considérer, non plus comme le complément de l’homme, mais comme un être parfaitement distinct.

Cette situation faite à la femme exige donc de profondes réformes légales et sociales : elle le sait ou le sent : il faut encore en prendre son parti, et travailler à ces réformes, sous peine de voir la civilisation moderne périr par la minorité de la femme, comme la civilisation ancienne a péri par l’esclavage.

L’homme n’aime plus la femme : il cherche en elle un complément obligé de dot, un associé commode, un moyen de se procurer quelques sensations ou distractions, une servante, une garde malade non rétribuée ; la femme ne l’ignore pas ; et, à son tour, elle n’aime plus l’homme ; cette désolante situation des sexes en face l’un de l’autre, exige que la femme soit délivrée de la tutelle de l’homme qui la heurte, l’irrite, la ruine trop souvent ; qui se sert durement de droits sans fondement dans la nature des choses : droits qu’elle ne veut plus subir parce qu’elle est trop intelligente aujourd’hui ; et parce qu’elle aime beaucoup moins son conjoint dont elle se sait n’être plus suffisamment aimée.

L’on n’ignore pas ce qu’est devenu le mariage, et quel usage une infinité d’hommes font des privilèges qu’ils ont comme chefs de la communauté. Par leurs passions, leurs vices, leur incurie, ils désolent souvent leur femme et compromettent leur avenir et celui de leurs enfants. La femme commence à ne plus vouloir de cette situation humiliante et dangereuse : elle murmure, elle s’insurge dans son cœur, et beaucoup de jeunes femmes déjà préfèrent renoncer à l’union légale que de subir, les conséquences du mariage actuel : que peut faire la société pour parer à ce danger, sinon réformer le mariage ?

Ainsi la femme ne veut plus être mineure parce qu’elle ne l’est plus devant l’intelligence ;

Parce qu’elle ne l’est plus devant la production ;

Parce que la situation qui lui est faite exige son égalité avec l’homme.

Et nous disons, et nous répétons qu’il faut en prendre son parti et opérer progressivement des réformes, si l’on ne veut que la civilisation périsse.

Pour que le mouvement dont on s’étonne ne se produisît pas, il ne fallait pas cultiver l’esprit de la femme ;

Il ne fallait pas lui donner une large et lourde part dans le travail ;

Il ne fallait pas permettre que l’homme pût se vendre à la femme pour une dot, ou que celle-ci fût son égale ou sa supérieure en utilité dans le travail du couple ;

Il ne fallait pas proclamer l’égalité de Droit pour tout être humain ;

Il ne fallait pas ruiner dans le cœur de la femme la doctrine qui divinise l’autorité et la subordination.

Mais puisqu’on a fait, laissé faire et laissé passer, il faut subir les conséquences de la situation présente, et ne pas blâmer la femme lorsqu’elle témoigne avoir profité des leçons qu’on lui donne ; on ne peut plus ressusciter le passé, ni rendre à la femme ses naïves croyances, ses niaises soumissions, son ignorance et son existence cachée : on l’a développée pour la liberté et l’égalité, qu’on lui donne donc l’une et l’autre ; car elle ne formera des hommes libres qu’à la condition d’être libre elle-même.

Dans l’ouvrage que vous terminez, lecteur, je n’ai posé et soutenu qu’une thèse : celle de l’égalité de Droit pour les deux sexes ; je n’avais donc pas à me préoccuper des fonctions de la femme, c’est à dire de l’usage que, par suite de sa nature particulière, si elle en a une, elle sera librement conduite à faire de son droit.

Je me serais même interdit de répondre à cette simple question : Y a-t-il dans la Société des fonctions masculines et des fonctions féminines ? Si, par une inconcevable aberration, certaines gens n’eussent fait des fonctions qu’ils attribuent à la femme, des causes d’infériorité devant le Droit.

J’ai dû dire alors : ne confondons pas le droit et la fonction : le Droit est la condition, la faculté générale et absolue ; la Fonction est la manifestation des aptitudes individuelles qui sont limitées : personne n’a la puissance d’user de tous ses droits, et chacun en use selon sa nature propre, et les circonstances dans lesquelles il se trouve : il se peut que les femmes n’aient pas aptitude pour une foule de fonctions ; que la maternité et les soins de l’intérieur pour lesquels la majorité d’entre elles sont formées aujourd’hui, les empêchent d’entrer dans une foule de carrières : cela ne signifie rien quant à la question de Droit : elles ne sont pas plus obligées d’être autres qu’elles ne sont, que l’immense majorité des hommes ne se trouve obligée d’user de tous ses droits. Si, comme on le croit, la femme n’est pas apte à remplir certaines fonctions privées ou publiques, ou qu’elle n’en ait pas le temps, on n’a nul besoin de les lui interdire ; si, au contraire, on lui croit l’aptitude et le temps, en l’empêchant de se manifester, on commet une iniquité, un acte d’odieuse tyrannie : le droit est absolu, il ne se scinde pas, il est un : quand il se différencie, ce n’est plus le Droit, c’est le privilège, c’est à dire l’injustice.

Toutefois, pour qu’on ne m’accuse pas d’éluder ou de tourner les questions, parce que je ne puis ou ne veux pas les résoudre, j’ai déclaré nettement ma pensée et j’ai dit : en principe, je n’admets pas que, devant le Droit, on puisse légitimement classer les fonctions en masculines et féminines, quoique j’admette qu’elles se classent dans la pratique selon le degré de développement des sexes et leurs aptitudes actuelles.

Je ne puis admettre en principe une classification devant le Droit, parce que cela supposerait qu’on a trouvé la loi permanente des caractères qui distinguent radicalement les sexes ;

Parce que cela supposerait que les sexes sont immobiles, improgressifs.

Or les théories qui établissent une classification, sont loin de révéler la loi, puisqu’elles sont contredites par une multitude innombrable de faits. Et si leur caractère empirique suffit pour les rejeter, que sera-ce, si l’on considère les tristes conséquences qu’elles entraînent !

Elles faussent l’éducation, détruisent la spontanéité du sexe jugé inférieur ;

Elles conduisent à l’oppression de la minorité vigoureuse qui ne s’est pas soumise à l’étiolement calculé ;

Elles font établir le privilège dans le Droit ;

Elles empêchent l’humanité de se développer librement, et la privent de la moitié de ses forces.

Elles conduisent à calomnier la nature et à nier la valeur de ceux qu’on a comprimés, refoulés, auxquels on a donné une nature factice.

Ces motifs sont assez graves pour que nous repoussions toutes les théories, toutes les classifications en vogue, et pour que nous ne nous permettions pas la fantaisie d’en essayer une, qui ne serait pas meilleure que celles des autres, puisque les éléments nous manquent, et ne peuvent être donnés que par le libre développement des deux sexes dans l’égalité.

Non pas, je l’ai dit, que je nie la différence fonctionnelle des sexes : non : une induction légitime m’autorise à croire que la différence sexuelle modifie tout l’être, conséquemment le jeu des facultés : c’est pour cela que la femme doit être partout et, à côté de l’homme : car je ne cesserai de le répéter : tout ce qui est de l’humanité n’aura réellement ce caractère, que lorsqu’il sera frappé de l’empreinte des deux sexes : si, pour procréer un être humain, les deux sont nécessaires, pour mettre au monde une loi viable, un jugement vraiment équitable, il faut l’homme et la femme. Tout existe dans l’humanité par les deux sexes ; si tout est imparfait, c’est parce que l’influence de la femme est indirecte ; il faut qu’elle devienne directe pour hâter le Progrès.

Repoussant en principe toute classification devant le Droit, et laissant à la Liberté et à l’Égalité la tâche de manifester les véritables caractères différentiels des deux moitiés de l’humanité, je n’ai pas dû m’arrêter sur la prétendue mission, sur la prétendue vocation propre à chaque sexe, ni discuter la valeur des affirmations suivantes et autres semblables :

La femme est gardienne des sentiments, de la morale ;

La vocation de la femme est de plaire à l’homme et de s’en faire aimer ;

La femme est une religion ; c’est une pureté ; etc., etc.

Cela nous aurait menée trop loin de définir d’abord les termes, puis de faire comprendre l’inanité et le danger de semblables idées.

Disons seulement en passant que la première affirmation est dangereuse en ce qu’elle conduit à juger plus sévèrement la femme que l’homme au point de vue de la morale, conséquemment porte à maintenir les fausses appréciations que nous avons combattues dans le chapitre de l’Amour et du Mariage : quand un seul sexe est réputé gardien des mœurs, les mœurs se corrompent : car l’un ne pèche pas sans l’autre.

D’autre part c’est une triste idée que de prétendre que la vocation de la femme est de plaire à l’homme et de s’en faire aimer : c’est avec cette morale là que l’on fait de la femme un être futile, rusé ; qu’on la prépare à l’adultère quand elle est malheureuse en ménage ; au libertinage quand elle est pauvre : la vocation de la femme est d’être un être social, digne, utile et moral, une épouse sage et bonne, une mère tendre, attentive, éclairée capable de faire des citoyens et des citoyennes honorables : sa vocation ne diffère pas en général de celle de l’homme qui, lui aussi, doit être un époux sage et bon, un père tendre ne donnant à ses enfants que de sages exemples et de bonnes leçons, tout en remplissant lui-même sa tâche de citoyen et de producteur. Si la femme doit plaire à l’homme et s’en faire aimer, l’homme doit également plaire à la femme et s’en faire aimer : à cette condition seule, remplie des deux parts, est le bonheur et l’harmonie du ménage.

Mais laissons toutes ces questions incidentelles : mon livre est écrit, non pour suivre les classificateurs sur le terrain de l’imagination, pour discuter à perte de vue sur le rôle des sexes ; non pas même pour poser le Droit de la femme en conséquence de sa différence et de son utilité autre que celle de l’homme ; mais écrit uniquement pour poser le Droit de la femme à la Liberté dans l’Égalité parce qu’elle est, comme l’homme, une créature humaine ; parce qu’ainsi que le dit P. Leroux, il n’y a plus ni esclaves ni serfs devant le Droit français.

Je n’apporte pas une idée nouvelle : je ne fais que continuer la tradition de la majorité des hommes de Progrès, et je me contente de la développer, de l’expliquer, de la soutenir et de l’amender.

J’aurais négligé peut-être de relever l’opinion surannée de la minorité, si ceux qui la représentent, n’avaient le privilège de se faire écouter d’un nombreux public. Mais comme ce privilège rend leurs erreurs dangereuses et que, de leur fait, beaucoup de femmes prennent en aversion les principes de 89, je ne me suis pas crue libre de laisser compromettre ces principes sacrés auprès du sexe qui, par l’éducation et l’influence, disposé en grande partie de l’avenir de la Démocratie. J’ai donc dû prouver à la maladroite minorité progressiste qu’elle abuse de l’à priori, construit des théories d’asservissement sur des lois imaginaires, manque de méthode, se met constamment en contradiction flagrante avec les faits, avec la science, avec la logique, avec ses propres principes sur le Droit.

Cette preuve, je l’ai faite durement, sans ménagement aucun : c’était mon droit et mon devoir. Loin de m’en repentir, je suis prête à la parachever, si ces Messieurs ne la trouvent pas suffisante ; car jamais, tant que je pourrai tenir une plume, je ne permettrai à personne de présenter les doctrines du Moyen Age sous l’étiquette de notre glorieuse Révolution, sans faire entendre une protestation énergique.

Le résumé du livre qu’on vient de lire est dans les deux syllogismes suivants :

La femme doit être libre et l’égale de l’homme devant le Droit, parce qu’elle est un être humain ;

Or elle est mineure, opprimée, souvent sacrifiée ;

Donc il y a lieu d’opérer de nombreuses réformes afin que, partout, elle prenne à côté de l’homme sa place légitime.

Toute réforme dans les lois doit être préparée par une réforme dans l’éducation et dans les mœurs ;

Or les mœurs se dépravent, le mariage se corrompt, l’éducation des filles n’a ni base ni portée ;

Donc il faut travailler à l’éducation de l’amour et de la femme, et réformer le mariage, tout en posant et soutenant la revendication des droits de la femme.

Et, développant ma pensée, j’ai dit :

L’égalité de Droit entre les hommes, décrétée par le législateur, et admise par la conscience moderne, n’est évidemment pas basée sur l’égalité ou l’équivalence des hommes entre eux, puisque l’expérience nous les montre tous inégaux en facultés intellectuelles, en sentiment, en activité, en force, etc.

Sur quoi donc est appuyée cette égalité devant le Droit ? Ce ne peut être que sur les caractères qui leur sont communs ; sur les caractères spécifiques qui les rangent dans une même espèce.

Or la femme est-elle d’espèce identique à l’homme ? possède-t-elle les caractères spécifiques de l’humanité ? Très évidemment, oui.

Donc l’égalité de Droit, étant fondée sur l’identité des caractères spécifiques, non sur des variétés individuelles, il s’ensuit logiquement que la femme à laquelle, sans folie, on ne peut contester ces caractères, est, en principe et très légitimement, l’égale de l’homme devant le droit social.

Puisqu’il en est ainsi, la femme est donc, de droit, libre et autonome ; maîtresse, en conséquence, de manifester comme l’homme son activité dans toutes les carrières privées.

Tout ce qui est socialisé pour le développement intellectuel et moral des membres du corps social, doit être aussi bien à son profit qu’à celui de l’homme.

Sous aucun prétexte, on ne peut l’éloigner des fonctions publiques, plus qu’on ne les interdit à l’homme.

Sa dignité civile est la même que celle de l’homme, et tous les droits qui en ressortent sont les mêmes.

Dans le Mariage, elle doit être l’égale, c’est à dire l’associée de l’homme.

Dans le domaine politique, elle a les mêmes droits que lui.

C’est donc une iniquité que de l’évincer de l’éducation nationale, de nier et refouler ses aptitudes, de lui fermer les écoles spéciales, de lui refuser certains diplômes et de lui interdire certaines carrières.

C’est donc une iniquité que de l’inférioriser civilement, de la repousser des emplois, de la déclarer incapable.

C’est donc une iniquité de l’absorber dans le mariage, d’en faire une serve, ou tout au moins une mineure.

C’est donc une iniquité que de lui ôter sa dignité et son autorité maternelles, lorsque le mari est vivant.

C’est donc un surcroît d’iniquité, après l’avoir déclarée faible, incapable, mineure sous tant de rapports, de la réputer très forte et très capable, très majeure, lorsqu’il s’agit d’être jugée, condamnée, punie et de payer les impôts ; plus forte et plus capable que l’homme, lorsqu’il s’agit de pureté, et de lui laisser la charge des enfants naturels, le fardeau de sa faute et de celle de l’homme.

Voilà ce que nous pensons, ce que nous disons ; et nous le redirons bien haut et sans cesse ; et nous le redirons si haut et si souvent, que celles qui dorment dans un bonheur relatif tout égoïste, ou dans l’immoralité où toute dignité s’oublie, seront bien forcées de se réveiller, et de songer à la situation et à l’avenir de leurs filles.

Jusqu’à ce que notre sang soit glacé par la mort, nous demanderons Justice pour la moitié du genre humain ;

Nous demanderons que l’on donne une éducation nationale aux filles ;

Que toutes les carrières leur soient accessibles, tous les diplômes accordés ;

Que la dignité civile leur soit pleinement reconnue ;

Que le Mariage soit une société fondée sur l’égalité, sous la protection du conseil de famille ;

Que le père et la mère aient un droit égal sur les enfants ;

Que la pureté de la femme soit suffisamment protégée contre lhomme et contre elle-même ;

Que la femme prenne progressivement, à mesure qu’elle se développera, sa place légitime partout à côté de l’homme, dans la législation, l’administration, la Justice, la Science, la Philosophie, comme elle l’a déjà dans l’Industrie et l’Art.

Et nous disons aux femmes de Progrès : constituez un Apostolat ;

Modifiez l’opinion par une feuille périodique ;

Travaillez par vos écrits, à éclairer, à moraliser le peuple et les femmes ;

Fondez et dirigez un vaste établissement d’éducation pour les filles, afin d’avoir une pépinière de réformatrices ;

Associez et moralisez les ouvrières ;

Relevez les femmes égarées ;

Travaillez à faire l’éducation de l’Amour, à placer le Mariage sur sa véritable base : car lorsque l’Amour n’est plus que la recherche d’une sensation, et que le Mariage tombe en désuétude, la société marche à sa dissolution.

Vous toutes qui avez à cœur l’œuvre sainte de l’émancipation générale de l’humanité, reliez-vous sur tous les points du globe ; enfermez le monde civilisé dans un réseau, afin de centraliser vos efforts, de donner de l’unité aux doctrines, et de préparer le règne de la fraternité humaine par l’extinction des haines et des préjugés de nations et de races.

Éloignez toutes les questions oiseuses sur la nature et les fonctions de chaque sexe : devant le Droit, elles ne signifient rien : chacun fait et ne doit faire que les choses auxquelles il est apte ; et lon ne brigue pas des fonctions pour lesquelles on manque de capacité ou de temps.

Faites-bien comprendre aux femmes mineures par lintelligence que, réclamer l’égalité de Droit, ce n’est pas prétendre à la similitude de fonctions ; qu’elles ne seront pas plus contraintes d’être autre chose qu’elles ne sont sous un régime d’égalité, que sous celui que nous avons à l’heure qu’il est ; que toute la différence, sous ce rapport, consistera en ce que celles qui, aujourd’hui, ne peuvent faire certaines choses parce qu’elles sont femmes, seront admises à les faire, parce qu’elles seront des êtres humains.

Faites-leur bien comprendre qu’elles sont absurdes de se poser en types et modèles de leur sexe, et de prétendre que toutes les autres femmes ne doivent avoir que leurs aptitudes, leurs goûts : faites-leur remarquer que nous différons tous ; que nous devons respecter l’individualité d’autrui comme nous trouvons juste qu’on respecte la nôtre ; que si l’on regarde comme légitime et naturel qu’elles n’aient d’autre vocation que les soins du ménage, fonction très nécessaire, très utile et très respectable, elles doivent trouver tout aussi légitime et naturel que d’autres femmes préfèrent des fonctions différentes.

Enfin, faites-leur honte de l’indigne habitude où elles sont de déprécier les qualités supérieures qu’elles n’ont pas, quand elles les rencontrent chez une personne de leur sexe : dites-leur, ce qui est vrai, qu’elles s’attirent ainsi le dédain des hommes qui ont, en général, trop de bon sens pour ne pas reconnaître et avouer la supériorité d’une femme, et éprouvent naturellement de la pitié pour celles qui, au lieu de s’en honorer par un sentiment naturel de solidarité, refusent de la reconnaître.

Femmes françaises, plus particulièrement mes sœurs, à vous mes dernières paroles.

Le génie de la Gaule, mis dans les fers par l’épée de Rome et la foi de l’Asie, s’est réveillé en 1789. Pourquoi, filles de la Gaule, laissez-vous pâlir le divin flambeau de la Résurrection ?

Parmi nos peuplades héroïques qui ne croyaient pas à la mort et adoraient la gloire et la liberté, vous étiez prêtresses ;

Vous occupiez le sommet de la hiérarchie religieuse ;

Vous étiez profondément respectées ;

Votre pureté était protégée par la loi ;

Fières, courageuses, chastes, bonnes éducatrices, vous-mêmes éleviez les hommes qui faisaient trembler Rome et la Grèce ;

Réunies en conseil, vous terminiez les différends qui s’élevaient entre les peuples ;

Et notre vieille Gaule ne s’est pas réveillée tout entière ; elle vous a laissées dans l’ombre parce que, pendant son long sommeil, vous les saintes, les prêtresses, avez été dépouillées de votre auréole ; vos fils corrompus et dégénérés vous ont déclarées impures ; vous ont fait descendre au rôle d’intermédiaires entre l’homme et l’animal ; vous ont traitées de nids d’esprits immondes ; vous ont ôté tout respect, toute personnalité dans le mariage ; dépouillées de toute influence sur les affaires du pays ; la Gaule s’est relevée de sa tombe en gardant des lambeaux du suaire dans lequel l’avaient enveloppée ses oppresseurs ; est-ce pour cela que vous la méconnaissez ?

Femmes françaises, mes sœurs, vous avez à choisir entre le génie de notre race qui dit : respect à la dignité de la femme, place pour elle dans la Cité, dans l’État, dans le Sacerdoce, et le vieux génie étranger qui nous exclut et nous dégrade.

Vous avez à choisir, et il faut vous décider, pour que le monde moderne n’avorte pas en bouton.

N’employez donc plus votre redoutable influence contre le Progrès et vos intérêts les plus chers.

N’élevez-donc plus vos fils et vos filles dans la haine ou l’indifférence des institutions que nous ont conquises nos pères au prix de tant de sang, de larmes et de douleurs.

Ah ! vous seriez bien coupables, si vous saviez ce que vous faites ! Mais, hélas ! Des servantes, des meubles de luxe, des esclaves : Voilà ce qu’on s’efforce incessamment de faire de vous ; et vous abaissez à votre tour le cœur et la moralité de l’autre sexe qui ne comprend pas que, sans vous, on ne peut rien fonder, rien maintenir.

Quand donc ouvrira-t-on les yeux !

Messieurs les prétendus progressistes, un dernier mot. L’Église attire la femme, la rapproche de l’autel, la divinise en Marie ; un des siens va même jusqu’à réclamer pour elle le droit politique.

Vous, que faites-vous ? Vous reprenez contre nous le langage que tenait autrefois l’Église, et dont elle voudrait peut-être bien ne s’être jamais servie. Prétendez-vous donc construire l’avenir avec les ruines du passé ? Vous faites tant de maladroits efforts pour nous livrer aux inspirations de ce qui en reste, qu’en vérité nous serions tentées de le croire.

Mais nous ne vous laisserons pas faire, Messieurs ; nous ne laisserons pas les femmes prendre en haine les principes sacrés du Droit humain, parce qu’il vous plaît de les subordonner à vos petites passions, à vos mesquins égoïsmes, à vos vieux préjugés d’éducation.

Nous séparons de vous la Révolution.

Nous protestons contre vos doctrines Moyen Age.

Nous, femmes du Progrès, nous voulons réagir contre le monde social et moral que votre incurie a laissé s’organiser : car nous avons honte de cette génération d’avortons égoïstes qui a perdu le sens des grandes et nobles choses.

Nous avons honte de ces fils qui font orgie sur la tombe de leurs pères et outragent leurs grandes ombres éplorées de leur rire incrédule et cynique.

Nous avons honte de cette masculinité décrépite qui conduit la France, notre France, au cercueil entre l’armée du coffre-fort et une procession de courtisanes.

Nous ne voulons pas que nos fils la continuent.

Nous ne voulons pas que nos filles soient des éléments de dissolution.

Nos pères ont promis la liberté au monde : vous, Messieurs, qui niez le droit de la moitié de l’humanité, n’êtes pas propres à dégager leur promesse. Place donc à la femme, afin que, délivrée de ses honteux liens, elle mette la paix où vous mettez la guerre, l’équité où vous mettez le privilège.

Vous n’avez plus de Morale, plus d’idéal : place, place à la femme. Messieurs, afin qu’elle vous redonne l’un et l’autre.

FIN.