Texte établi par Pierre DuviquetHaut Cœur et Gayet jeune (3p. 504-546).
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ACTE III

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Scène première

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LÉLIO, ARLEQUIN

ARLEQUIN
, pleurant.

Hi ! hi ! hi ! hi !

LÉLIO

Dis-moi donc pourquoi tu pleures ; je veux le savoir absolument.

ARLEQUIN
, plus fort.

Hi ! hi ! hi ! hi !

LÉLIO

Mais quel est le sujet de ton affliction ?

ARLEQUIN

Ah ! monsieur, voilà qui est fini ; je ne serai plus gaillard.

LÉLIO

Pourquoi ?

ARLEQUIN

Faute d’avoir envie de rire.

LÉLIO

Et d’où vient que tu n’as plus envie de rire, imbécile ?

ARLEQUIN

À cause de ma tristesse.

LÉLIO

Je te demande ce qui te rend triste.

ARLEQUIN

C’est un grand chagrin, monsieur.

LÉLIO

Il ne rira plus parce qu’il est triste, et il est triste à cause d’un grand chagrin. Te plaira-t-il de t’expliquer mieux ? Sais-tu bien que je me fâcherai à la fin ?

ARLEQUIN

Hélas ! je vous dis la vérité.

LÉLIO

Tu me la dis si sottement, que je n’y comprends rien. T’a-t-on fait du mal ?

ARLEQUIN

Beaucoup de mal.

LÉLIO

Est-ce qu’on t’a battu ?

ARLEQUIN

Bah ! bien pis que tout, cela, ma foi.

LÉLIO

Bien pis que tout cela ?

ARLEQUIN

Oui ; quand un pauvre homme perd de l’or, il faut qu’il meure ; et je mourrai aussi, je n’y manquerai pas.

LÉLIO

Que veut dire de l’or ?

ARLEQUIN

De l’or du Pérou ; voilà comme on dit qu’il s’appelle.

LÉLIO

Est-ce que tu en avais ?

ARLEQUIN

Eh ! vraiment oui ; voilà mon affaire. Je n’en ai plus, je pleure ; quand j’en avais, j’étais bien aise.

LÉLIO

Qui est-ce qui te l’avait donné, cet or ?

ARLEQUIN

C’est monsieur le chevalier qui m’avait fait présent de cet échantillon-là.

LÉLIO

De quel échantillon ?

ARLEQUIN

Eh ! je vous le dis.

LÉLIO

Quelle patience il faut avoir avec ce nigaud-là ! Sachons pourtant ce que c’est. Arlequin, fais trêve à tes larmes. Si tu te plains de quelqu’un, j’y mettrai ordre ; mais éclaircis-moi la chose. Tu me parles d’un or du Pérou, après cela d’un échantillon. Je n’entends point ; réponds-moi précisément ; le chevalier t’a-t-il donné de l’or ?

ARLEQUIN

Pas à moi ; mais il l’avait donné devant moi à Trivelin pour me le rendre en main propre ; cette main propre n’en a point tâté ; le fripon a tout gardé dans la sienne, qui n’était pas plus propre que la mienne.

LÉLIO

Cet or était-il en quantité ? Combien de louis y avait-il ?

ARLEQUIN

Peut-être quarante ou cinquante ; je ne les ai pas comptés.

LÉLIO

Quarante ou cinquante ! Et pourquoi le chevalier te faisait-il ce présent-là ?

ARLEQUIN

Parce que je lui avais demandé un échantillon.

LÉLIO

Encore ton échantillon !

ARLEQUIN

Eh ! vraiment oui ; monsieur le chevalier en avait aussi donné à Trivelin.

LÉLIO

Je ne saurais débrouiller ce qu’il veut dire ; il y a cependant quelque chose là-dedans qui peut me regarder. Réponds-moi ; avais-tu rendu au chevalier quelque service qui l’engageât à te récompenser ?

ARLEQUIN

Non ; mais j’étais jaloux de ce qu’il aimait Trivelin, de ce qu’il avait charmé son cœur et mis de l’or dans sa bourse ; et moi, je voulais aussi avoir le cœur charmé et la bourse pleine.

LÉLIO

Quel étrange galimatias me fais-tu là ?

ARLEQUIN

Il n’y a pourtant rien de plus vrai que tout cela.

LÉLIO

Quel rapport y a-t-il entre le cœur de Trivelin et le chevalier ? Le chevalier a-t-il de si grands charmes ? Tu parles de lui comme d’une femme.

ARLEQUIN

Tant y a qu’il est ravissant, et qu’il fera aussi rafle de votre cœur, quand vous le connaîtrez. Allez, pour voir, lui dire : Je vous connais et je garderai le secret. Vous verrez si ce n’est pas un échantillon qui vous viendra sur-le-champ, et vous me direz si je suis fou.

LÉLIO

Je n’y comprends rien. Mais qui est-il, ce chevalier ?

ARLEQUIN

Voilà justement le secret qui fait avoir un présent, quand on le garde.

LÉLIO

Je prétends que tu me le dises, moi.

ARLEQUIN

Vous me ruineriez, monsieur, il ne me donnerait plus rien, ce charmant petit semblant d’homme, et je l’aime trop pour le fâcher.

LÉLIO

Ce petit semblant d’homme ! Que veut-il dire ? et que signifie son transport ? En quoi le trouves-tu donc plus charmant qu’un autre ?

ARLEQUIN

Ah ! monsieur, on ne voit point d’hommes comme lui ; il n’y en a point dans le monde ; c’est folie que d’en chercher ; mais sa mascarade empêche de voir cela.

LÉLIO

Sa mascarade ! Ce qu’il me dit là me fait naître une pensée que toutes mes réflexions fortifient ; le chevalier a de certains traits, un certain minois… Mais voici Trivelin ; je veux le forcer à me dire la vérité, s’il la sait ; j’en tirerai meilleure raison que de ce butor-là. (À Arlequin.) Va-t’en ; je tâcherai de te faire ravoir ton argent.

Arlequin part en lui baisant la main et se plaignant.


Scène II

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LÉLIO, TRIVELIN


TRIVELIN
, à part.

Voici ma mauvaise paye ; la physionomie de cet homme-là m’est devenue fâcheuse ; promenons-nous d’un autre côté.

LÉLIO

Trivelin, je voudrais bien te parler.

TRIVELIN

À moi, monsieur ? Ne pourriez-vous pas remettre cela ? J’ai actuellement un mal de tête qui ne me permet de conversation avec personne.

LÉLIO

Bon, bon ! c’est bien à toi à prendre garde à un petit mal de tête ; approche.

TRIVELIN

Je n’ai, ma foi, rien de nouveau à vous apprendre, au moins.

LÉLIO
, le prenant par le bras.

Viens donc.

TRIVELIN

Eh bien ! de quoi s’agit-il ? Vous reprocheriez-vous la récompense que vous m’avez donnée tantôt ? Je n’ai jamais vu de bienfait dans ce goût-là. Voulez-vous rayer ce petit trait-là de votre vie ? Tenez, ce n’est qu’une vétille, mais les vétilles gâtent tout.

LÉLIO

Écoute, ton verbiage me déplaît.

TRIVELIN

Je vous disais bien que je n’étais pas en état de paraître en compagnie.

LÉLIO

Et je veux que tu répondes positivement à ce que je te demanderai ; je réglerai mon procédé sur le tien.

TRIVELIN

Le vôtre sera donc court ; car le mien sera bref. Je n’ai vaillant qu’une réplique, qui est que je ne sais rien ; vous voyez bien que je ne vous ruinerai pas en interrogations.

LÉLIO

Si tu me dis la vérité, tu n’en seras pas fâché.

TRIVELIN

Sauriez-vous encore quelques coups de bâton à m’épargner ?

LÉLIO

Finissons.

TRIVELIN
, s’en allant.

J’obéis.

LÉLIO

Où vas-tu ?

TRIVELIN

Pour finir une conversation, il n’y a rien de mieux que de la laisser là ; c’est le plus court, ce me semble.

LÉLIO

Tu m’impatientes, et je commence à me fâcher. Tiens-toi là ; écoute, et me réponds.

TRIVELIN
, à part.

À qui en a ce diable d’homme-là ?

LÉLIO

Je crois que tu jures entre tes dents ?

TRIVELIN

Cela m’arrive quelquefois par distraction.

LÉLIO

Crois-moi, traitons avec douceur ensemble, Trivelin, je t’en prie.

TRIVELIN

Oui-dà, comme il convient à d’honnêtes gens.

LÉLIO

Y a-t-il longtemps que tu connais le chevalier ?

TRIVELIN

Non, c’est une nouvelle connaissance ; la vôtre et la mienne sont de la même date.

LÉLIO

Sais-tu qui il est ?

TRIVELIN

Il se dit cadet d’un aîné gentilhomme ; mais les titres, de cet aîné, je ne les ai point vus ; si je les vois jamais, je vous en promets copie.

LÉLIO

Parle-moi à cœur ouvert.

TRIVELIN

Je vous la promets, vous dis-je ; je vous en donne ma parole ; il n’y a point de sûreté de cette force-là nulle part.

LÉLIO

Tu me caches la vérité ; le nom de chevalier qu’il porte n’est qu’un faux nom.

TRIVELIN

Serait-il l’aîné de sa famille ? Je l’ai cru réduit à une légitime ; voyez ce que c’est !

LÉLIO

Tu bats la campagne ; ce chevalier mal nommé, avoue-moi que tu l’aimes.

TRIVELIN

Eh ! je l’aime par la règle générale qu’il faut aimer tout le monde ; voilà ce qui le tire d’affaire auprès de moi.

LÉLIO

Tu t’y ranges avec plaisir, à cette règle-là.

TRIVELIN

Ma foi, monsieur, vous vous trompez ; rien ne me coûte tant que mes devoirs. Plein de courage pour les vertus inutiles, je suis pour les nécessaires d’une tiédeur qui passe l’imagination. Qu’est-ce que c’est que nous ! N’êtes-vous pas comme moi, monsieur ?

LÉLIO
, avec dépit.

Fourbe ! tu as de l’amour pour ce faux chevalier.

TRIVELIN

Doucement, monsieur ; diantre ! ceci est sérieux.

LÉLIO

Tu sais quel est son sexe.

TRIVELIN

Expliquons-nous. De sexes, je n’en connais que deux : l’un qui se dit raisonnable, l’autre qui nous prouve que cela n’est pas vrai. Duquel des deux le chevalier est-il ?

LÉLIO
, le prenant par le bouton.

Puisque tu m’y forces, ne perds rien de ce que je vais te dire. Je te ferai périr sous le bâton si tu me joues davantage ; m’entends-tu ?

TRIVELIN

Vous êtes clair.

LÉLIO

Ne m’irrite point. J’ai dans cette affaire-ci un intérêt de la dernière conséquence ; il y va de ma fortune ; tu parleras, ou je te tue.

TRIVELIN

Vous me tuerez si je ne parle ? Hélas ! monsieur, si les babillards ne mouraient point, je serais éternel, ou personne ne le serait.

LÉLIO

Parle donc.

TRIVELIN

Donnez-moi un sujet ; quelque petit qu’il soit, je m’en contente, et j’entre en matière.

LÉLIO
, tirant son épée.

Ah ! tu ne veux pas ! Voici qui te rendra plus docile.

TRIVELIN

Fi donc ! Savez-vous bien que vous me feriez peur, sans votre physionomie d’honnête homme ?

LÉLIO

Coquin que tu es !

TRIVELIN

C’est mon habit qui est un coquin ; pour moi, je suis un brave homme ; mais avec cet équipage-là, on a de la probité en pure perte ; cela ne fait ni honneur ni profit.

LÉLIO
, remettant son épée.

Va, je tâcherai de me passer de l’aveu que je te demandais ; mais je te retrouverai, et tu me répondras de ce qui m’arrivera de fâcheux.

TRIVELIN

En quelque endroit que nous nous rencontrions, monsieur, je sais ôter mon chapeau de bonne grâce, je vous le garantis, et vous serez content de moi.

LÉLIO

Retire-toi.

TRIVELIN

Il y a une heure que je vous l’ai proposé. (Il sort.)


Scène III

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LE CHEVALIER, LÉLIO, rêveur.


LE CHEVALIER

Eh bien ! mon ami, la comtesse écrit actuellement des lettres pour Paris ; elle descendra bientôt, et veut se promener avec moi, m’a-t-elle dit. Sur cela, je viens t’avertir de ne nous pas interrompre quand nous serons ensemble, et d’aller bouder d’un autre côté, comme il appartient à un jaloux. Dans cette conversation-ci, je vais mettre la dernière main à notre grand œuvre, et achever de résoudre la comtesse. Mais je voudrais que toutes tes espérances fussent remplies, et j’ai songé à une chose. Le dédit que tu as d’elle est-il bon ? Il y a des dédits mal conçus et qui ne servent de rien ; en cas qu’il y manquât quelque chose, on pourrait prendre des mesures.

LÉLIO
, à part.

Tâchons de le démasquer.

LE CHEVALIER

Réponds-moi donc ; à qui en as-tu ?

LÉLIO

Je n’ai point le dédit sur moi ; mais parlons d’autre chose.

LE CHEVALIER

Qu’y a-t-il de nouveau ? Songes-tu encore à me faire épouser quelque autre femme avec la comtesse ?

LÉLIO

Non ; je pense à quelque chose de plus sérieux ; je veux me couper la gorge.

LE CHEVALIER

Diantre ! quand tu te mêles du sérieux, tu le traites à fond ; et que t’a fait ta gorge pour la couper ?

LÉLIO

Point de plaisanterie.

LE CHEVALIER
, à part.

Arlequin aurait-il parlé ! (Haut.) Si ta résolution tient, tu me feras ton légataire, peut-être ?

LÉLIO

Vous serez de la partie dont je parle.

LE CHEVALIER

Moi ! je n’ai rien à reprocher à ma gorge, et sans vanité je suis content d’elle.

LÉLIO
Et moi, je ne suis point content de vous, et c’est avec vous que je veux me battre.
LE CHEVALIER

Avec moi ?

LÉLIO

Avec vous même.

LE CHEVALIER
, riant et le poussant de la main.

Ah ! ah ! ah ! ah ! Va te mettre au lit et te faire saigner ; tu es malade.

LÉLIO

Suivez-moi.

LE CHEVALIER
, lui tâtant le pouls.

Voilà un pouls qui dénote un transport au cerveau ; il faut que tu aies reçu un coup de soleil.

LÉLIO

Point tant de raisons ; suivez-moi, vous dis-je.

LE CHEVALIER

Encore un coup, va te coucher, mon ami.

LÉLIO

Je vous regarde comme un lâche si vous ne marchez.

LE CHEVALIER
, avec pitié.

Pauvre homme ! après ce que tu me dis là, tu es du moins heureux de n’avoir plus le bon sens.

LÉLIO

Oui, vous êtes aussi poltron qu’une femme.

LE CHEVALIER
, à part.

Tenons ferme. (Haut.) Lélio, je vous crois malade ; tant pis pour vous si vous ne l’êtes pas.

LÉLIO
, avec dédain.

Je vous dis que vous manquez de cœur, et qu’une quenouille siérait mieux à votre côté qu’une épée.

LE CHEVALIER

Avec une quenouille, mes pareils vous battraient encore.

LÉLIO

Oui, dans une ruelle.

LE CHEVALIER

Partout. Mais ma tête s’échauffe ; vérifions un peu votre état. Regardez-moi entre deux yeux ; je crains encore que ce ne soit un accès de fièvre. Oui, vous avez quelque chose de fou dans le regard, et je n’ai pu m’y tromper. Allons, allons ; mais que je sache du moins en vertu de quoi je vais vous rendre sage.

LÉLIO

Non. Passons dans ce petit bois ; je vous le dirai là.

LE CHEVALIER

Hâtons-nous donc. (À part.) S’il me voit résolue, il sera peut-être poltron.

LÉLIO
, se retournant.

Vous me suivez donc ?

LE CHEVALIER

Qu’appelez-vous, je vous suis ? qu’est-ce que cette réflexion ? Est-ce qu’il vous plairait à présent de prendre le transport au cerveau pour excuse ? Oh ! il n’est-plus temps ; raisonnable ou fou ; malade ou sain, marchez ; je veux filer ma quenouille. Je vous arracherais, morbleu, d’entre les mains des médecins, voyez-vous ! Poursuivons.

LÉLIO
le regardant avec attention.

C’est donc tout de bon ?

LE CHEVALIER

Ne nous amusons point, vous dis-je, vous devriez être expédié.

LÉLIO
, revenant.

Doucement, mon ami ; expliquons-nous à présent.

LE CHEVALIER
, lui serrant la main.

Je vous regarde comme un lâche si vous hésitez davantage.

LÉLIO
, à part.

Je me suis, ma foi, trompé ; c’est un chevalier, et des plus résolus.

LE CHEVALIER

Vous êtes plus poltron qu’une femme.

LÉLIO

Parbleu ! chevalier, je t’en ai cru une ; voilà la vérité. De quoi t’avises-tu aussi d’avoir un visage à toilette ? Il n’y a point de femme à qui ce visage-là n’allât comme un charme ; tu es masqué en coquette.

LE CHEVALIER

Masque vous-même ; vite au bois !

LÉLIO

Non ; je ne voulais faire qu’une épreuve. Tu as chargé Trivelin de donner de l’argent à Arlequin, je ne sais pourquoi.

LE CHEVALIER

Parce qu’étant seul, il m’avait entendu dire quelque chose de notre projet, qu’il pouvait rapporter à la comtesse ; voilà pourquoi, monsieur…

LÉLIO

Je ne devinais pas. Arlequin m’a tenu aussi des discours qui signifiaient que tu étais fille ; ta beauté me l’a fait d’abord soupçonner ; mais je me rends. Tu es beau, et encore plus brave ; embrassons-nous et reprenons notre intrigue.

LE CHEVALIER

Quand un homme comme moi est en train, il a de la peine à s’arrêter.

LÉLIO

Tu as encore cela de commun avec la femme.

LE CHEVALIER

Quoi qu’il en soit, je ne suis curieux de tuer personne ; je vous passe votre méprise ; mais elle vaut bien une excuse.

LÉLIO

Je suis ton serviteur, chevalier, et je te prie d’oublier mon incartade.

LE CHEVALIER

Je l’oublie, et suis ravi que notre réconciliation m’épargne une affaire épineuse, et sans doute un homicide. Notre duel était positif ; et si j’en fais jamais un, il n’aura jamais rien à démêler avec les ordonnances.

LÉLIO

Ce ne sera pas avec moi, je t’en assure.

LE CHEVALIER

Non, je te le promets.

LÉLIO
, lui donnant la main.

Touche là ; je t’en garantis autant.



Scène IV

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LE CHEVALIER, LÉLIO, ARLEQUIN


ARLEQUIN

Je vous demande pardon si je vous suis importun, monsieur le chevalier ; mais ce larron de Trivelin ne veut pas me rendre l’argent que vous lui avez donné pour moi. J’ai pourtant été bien discret. Vous m’avez prescrit de ne pas dire que vous étiez fille ; demandez à monsieur Lélio si je lui en ai dit un mot. Il n’en sait rien, et je ne lui apprendrai jamais.

LE CHEVALIER

Peste soit du faquin ! je n’y saurais plus tenir.

ARLEQUIN
, tristement.

Comment, faquin ! C’est donc comme cela que vous m’aimez ? (À Lélio.) Tenez, monsieur, écoutez mes raisons ; je suis venu tantôt, au moment où Trivelin lui disait : Que tu es charmante, ma poule ! Baise-moi. — Non. — Donne-moi donc de l’argent… Ensuite il a avancé la main pour prendre cet argent ; mais la mienne était là, et l’argent est tombé dedans. Quand le chevalier a vu que j’étais là : Mon fils, m’a-t-il dit, n’apprends pas au monde que je suis une fillette. — Non, mamour ; mais donnez-moi votre cœur. — Prends, a-t-elle répondu… Ensuite elle a dit à Trivelin de me donner de l’or. Nous avons été boire ensemble ; le cabaret en est témoin ; je reviens exprès pour avoir l’or et le cœur ; et voilà qu’on m’appelle un faquin ! (Le chevalier rêve.)

LÉLIO

Va-t’en, laisse-nous, et ne dis mot à personne.

ARLEQUIN

Ayez donc soin de mon bien. Eh ! eh ! eh !


Scène V

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LE CHEVALIER, LÉLIO


LÉLIO

Eh bien ! monsieur le duelliste, qui se battra sans blesser les ordonnances, je vous crois ; qu’avez-vous à me répondre ?

LE CHEVALIER

Rien. Il ne ment pas d’un mot.

LÉLIO

Vous voilà bien déconcertée, m’amie.

LE CHEVALIER

Moi, déconcertée ! pas un petit brin, grâces au ciel ; je suis une femme, et je soutiendrai mon caractère.

LÉLIO

Ah ! ha ! il s’agit de savoir à qui vous en voulez ici.

LE CHEVALIER

Avouez que j’ai du guignon. J’avais bien conduit tout cela ; rendez-moi justice ; je vous ai fait peur avec mon minois de coquette ; c’est le plus plaisant.

LÉLIO

Venons au fait ; j’ai eu l’imprudence de vous ouvrir mon cœur.

LE CHEVALIER

Qu’importe ? je n’ai rien vu dedans qui me fasse envie.

LÉLIO

Vous savez mes projets.

LE CHEVALIER

Qui n’avaient pas besoin d’un confident comme moi ; n’est-il pas vrai ?

LÉLIO

Je l’avoue.

LE CHEVALIER

Ils sont pourtant beaux ! J’aime surtout cet ermitage et cette laideur immanquable dont vous gratifierez votre épouse quinze jours après votre mariage ; il n’y a rien de tel.

LÉLIO

Votre mémoire est fidèle ; mais passons. Qui êtes-vous ?

LE CHEVALIER

Je suis fille, assez jolie, comme vous voyez, et dont les agréments seront de quelque durée, si je trouve un mari qui me sauve le désert et le terme des quinze jours ; voilà ce que je suis, et, par-dessus le marché, presque aussi méchante que vous.

LÉLIO

Oh ! pour celui-là, je vous le cède.

LE CHEVALIER

Vous avez tort ; vous méconnaissez vos forces.

LÉLIO

Qu’êtes-vous venue faire ici ?

LE CHEVALIER

Tirer votre portrait, afin de le porter à certaine dame qui l’attend pour savoir ce qu’elle fera de l’original.

LÉLIO

Belle mission !

LE CHEVALIER

Pas trop laide. Par cette mission-là, c’est une tendre brebis qui échappe au loup, et douze mille livres de rente de sauvées, qui prendront parti ailleurs ; petites, bagatelles qui valaient bien la peine d’un déguisement.

LÉLIO

Qu’est-ce que c’est que tout cela signifie ?

LE CHEVALIER

Je m’explique : la brebis, c’est ma maîtresse ; les douze mille livres de rente, c’est son bien, qui produit ce calcul si raisonnable de tantôt ; et le loup qui eût dévoré tout cela, c’est vous, monsieur.

LÉLIO

Ah ! je suis perdu.

LE CHEVALIER

Non ; vous manquez votre proie, voilà tout ; il est vrai qu’elle était assez bonne ; mais aussi pourquoi êtes-vous loup ? Ce n’est pas ma faute. On a su que vous étiez à Paris incognito ; on s’est défié de votre conduite. Là-dessus on vous suit, on sait que vous êtes au bal ; j’ai de l’esprit et de la malice, on m’y envoie ; on m’équipe comme vous me voyez, pour me mettre à portée de vous connaître ; j’arrive, je fais ma charge, je deviens votre ami, je vous connais, je trouve que vous ne valez rien ; j’en rendrai compte ; il n’y a pas un mot à redire.

LÉLIO

Vous êtes donc la femme de chambre de la demoiselle en question ?

LE CHEVALIER

Et votre très humble servante.

LÉLIO

Il faut avouer que je suis bien malheureux !

LE CHEVALIER

Et moi bien adroite ! Mais, dites-moi, vous repentez-vous du mal que vous vouliez faire, ou de celui que vous n’avez pas fait ?

LÉLIO

Laissons cela. Pourquoi votre malice m’a-t-elle encore ôté le cœur de la comtesse ? Pourquoi consentir à jouer auprès d’elle le personnage que vous y faites ?

LE CHEVALIER

Pour d’excellentes raisons. Vous cherchiez à gagner dix mille écus avec elle, n’est-ce pas ? Pour cet effet, vous réclamiez mon industrie ; et quand j’aurais conduit l’affaire près de sa fin, avant de terminer je comptais de vous rançonner un peu, et d’avoir ma part au pillage ; ou bien retirer finement le dédit d’entre vos mains, sous prétexte de le voir, pour vous le revendre une centaine de pistoles payées comptant, ou en billets payables au porteur ; sans quoi j’aurais menacé de vous perdre auprès de douze mille livres de rente, et de réduire votre calcul à zéro. Oh ! mon projet était bien entendu. Moi payée, crac, je décampais avec mon gain, et le portrait qui m’aurait encore valu quelque petit revenant-bon auprès de ma maîtresse. Tout cela joint à mes petites économies, tant sur mon voyage que sur mes gages, je devenais, avec mes agréments, un parti d’assez bonne défaite, sauf le loup. J’ai manqué mon coup, j’en suis bien fâchée ; cependant vous me faites pitié, vous.

LÉLIO

Ah ! si tu voulais…

LE CHEVALIER

Vous vient-il quelque idée ? Cherchez.

LÉLIO

Tu gagnerais encore plus que tu n’espérais.

LE CHEVALIER

Tenez, je ne fais point l’hypocrite ici ; je ne suis pas, non plus que vous, à un tour de fourberie près. Je vous ouvre aussi mon cœur ; je ne crains pas de scandaliser le vôtre, et nous ne nous soucierons pas de nous estimer ; ce n’est pas la peine entre gens de notre caractère. Pour conclusion, faites ma fortune, et je dirai que vous êtes un honnête homme. Mais convenons de prix pour l’honneur que je vous fournirai ; il vous en faut beaucoup.

LÉLIO

Eh ! demande-moi ce qu’il te plaira, je te l’accorde.

LE CHEVALIER

Motus au moins ! gardez-moi un secret éternel. Je veux deux mille écus, je n’en rabattrai pas un sou ; moyennant quoi, je vous laisse ma maîtresse, et j’achève avec la comtesse. Si nous nous accommodons, dès ce soir j’écris une lettre à Paris, que vous dicterez vous-même ; vous vous y ferez tout aussi beau qu’il vous plaira, je vous le permettrai. Quand le mariage sera fait, devenez ce que vous pourrez, je serai nantie, et vous aussi ; les autres prendront patience.

LÉLIO

Je te donne les deux mille écus, avec mon amitié.

LE CHEVALIER

Oh ! pour cette nippe-là, je vous la troquerai contre cinquante pistoles, si vous voulez.

LÉLIO

Contre cent, ma chère fille.

LE CHEVALIER

C’est encore mieux ; j’avoue même qu’elle ne les vaut pas.

LÉLIO

Allons, ce soir nous écrirons.

LE CHEVALIER

Oui. Mais mon argent, quand me le donnerez-vous ?

LÉLIO
, tirant une bague.

Voici une bague pour les cent pistoles du troc, d’abord.

LE CHEVALIER

Bon ! Venons aux deux mille écus.

LÉLIO

Je te ferai mon billet tantôt.

LE CHEVALIER

Oui, tantôt ! Madame la comtesse va venir, et je ne veux point finir avec elle que je n’aie toutes mes sûretés. Mettez-moi le dédit en main ; je vous le rendrai tantôt pour votre billet.

LÉLIO

Tiens, le voilà.

LE CHEVALIER

Ne me trahissez jamais.

LÉLIO

Tu es folle.

LE CHEVALIER

Voici la Comtesse. Quand j’aurai été quelque temps avec elle, revenez en colère la presser de décider hautement entre vous et moi ; et allez-vous-en, de peur qu’elle ne nous voie ensemble.

Lélio sort.


Scène VI

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LA COMTESSE, LE CHEVALIER


LE CHEVALIER

J’allais vous trouver, comtesse.

LA COMTESSE

Vous m’avez inquiétée, chevalier. J’ai vu de loin, Lélio vous parler ; c’est un homme emporté ; n’ayez point d’affaire avec lui, je vous prie.

LE CHEVALIER

Ma foi, c’est un original. Savez-vous qu’il se vante de vous obliger à me donner mon congé ?

LA COMTESSE

Lui ? S’il se vantait d’avoir le sien, cela serait plus raisonnable.

LE CHEVALIER

Je lui ai promis qu’il l’aurait, et vous dégagerez ma parole. Il est encore de bonne heure ; il peut gagner Paris, et y arriver au soleil couchant ; expédions-le, ma chère âme.

LA COMTESSE

Vous n’êtes qu’un étourdi, chevalier ; vous n’avez pas de raison.

LE CHEVALIER

De la raison ! que voulez-vous que j’en fasse avec de l’amour ? Il va trop son train pour elle. Est-ce qu’il vous en reste encore de la raison, comtesse ? Me feriez-vous ce chagrin-là ? Vous ne m’aimeriez guère.

LA COMTESSE

Vous voilà dans vos petites folies ; vous savez qu’elles sont aimables, et c’est ce qui vous rassure ; il est vrai que vous m’amusez. Quelle différence de vous à Lélio, dans le fond !

LE CHEVALIER

Oh ! vous ne voyez rien. Mais revenons à Lélio ; je vous disais de le renvoyer aujourd’hui ; l’amour vous y condamne ; il parle, il faut obéir.

LA COMTESSE

Eh bien ! je me révolte ; qu’en arrivera-t-il ?

LE CHEVALIER

Non ; vous n’oseriez,

LA COMTESSE

Je n’oserais ! Mais voyez avec quelle hardiesse il me dit cela !

LE CHEVALIER

Non, vous dis-je ; je suis sûr de mon fait ; car vous m’aimez ; votre cœur est à moi. J’en ferai ce que je voudrai, comme vous ferez du mien ce qu’il vous plaira ; c’est la règle, et vous l’observerez ; c’est moi qui vous le dis.

LA COMTESSE

Il faut avouer que voilà un fripon bien sûr de ce qu’il vaut. Je l’aime ! mon cœur est à lui ! Il vous dit cela avec une aisance admirable ; on ne peut pas être plus persuadé qu’il est.

LE CHEVALIER

Je n’ai pas le moindre petit doute ; c’est une confiance que vous m’avez donnée. J’en use sans façon, comme vous voyez, et je conclus toujours que Lélio partira.

LA COMTESSE

Eh ! vous n’y songez pas. Dire à un homme qu’il s’en aille !

LE CHEVALIER

Me refuser son congé à moi qui le demande, comme s’il ne m’était pas dû !

LA COMTESSE

Badin !

LE CHEVALIER

Tiède amante !

LA COMTESSE

Petit tyran !

LE CHEVALIER

Cœur révolté, vous rendrez-vous ?

LA COMTESSE

Je ne saurais, mon cher chevalier ; j’ai quelques raisons pour en agir plus honnêtement avec lui.

LE CHEVALIER

Des raisons, madame, des raisons ! et qu’est-ce que c’est que cela ?

LA COMTESSE

Ne vous alarmez point ; c’est que je lui ai prêté de l’argent.

LE CHEVALIER

Eh bien ! vous en aurait-il fait une reconnaissance qu’on n’ose produire en justice ?

LA COMTESSE

Point du tout ; j’en ai son billet.

LE CHEVALIER

Joignez-y un sergent ; vous voilà payée.

LA COMTESSE

Il est vrai ; mais…

LE CHEVALIER

Hai ! Hai ! voilà un mais qui a l’air honteux.

LA COMTESSE

Que voulez-vous donc que je vous dise ? Pour m’assurer cet argent-là, j’ai consenti que nous fissions lui et moi un dédit de la somme.

LE CHEVALIER

Un dédit, madame ! Ah ! c’est un vrai transport d’amour que ce dédit-là ; c’est une faveur. Il me pénètre, il me trouble ; je n’en suis pas le maître.

LA COMTESSE

Ce misérable dédit ! pourquoi faut-il que je l’aie fait ? Voilà ce que c’est que ma facilité pour un homme haïssable, que j’ai toujours deviné que je haïrais. J’ai toujours eu certaine antipathie pour lui, et je n’ai jamais eu l’esprit d’y prendre garde.

LE CHEVALIER

Ah ! madame, il s’est bien accommodé de cette antipathie-là ; il en a fait un amour bien tendre ! Tenez, madame, il me semble que je le vois à vos genoux, que vous l’écoutez avec un plaisir, qu’il vous jure de vous adorer toujours, que vous le payez du même serment, que sa bouche cherche la vôtre, et que la vôtre se laisse trouver ; car voilà ce qui arrive. Enfin je vous vois soupirer ; je vois vos yeux s’arrêter sur lui, tantôt vifs, tantôt languissants, toujours pénétrés d’amour, et d’un amour qui croît toujours. Et moi je me meurs ; ces objets-là me tuent ; comment ferai-je pour les perdre de vue ? Cruel dédit, te verrai-je toujours ? Qu’il va me coûter de chagrins ! (À part.) Et qu’il me fait dire de folies !

LA COMTESSE

Courage, monsieur ; rendez-nous tous deux les victimes de vos chimères. Que je suis malheureuse d’avoir parlé de ce dédit ! Pourquoi faut-il que je vous aie cru raisonnable ? Pourquoi vous ai-je vu ? Est-ce que je mérite tout ce que vous me dites ? Pouvez-vous vous plaindre de moi ? Ne vous aimé-je pas assez ? Lélio doit-il vous chagriner ? L’ai-je aimé autant que je vous aime ? Où est l’homme plus chéri que vous l’êtes ? plus sûr, plus digne de l’être toujours ? Et rien ne vous persuade ; et vous vous chagrinez ; vous n’entendez rien ; vous me désolez. Que voulez-vous que nous devenions ? Comment vivre avec cela, dites-moi donc ?

LE CHEVALIER
, à part.

Le succès de mes impertinences me surprend. (Haut.) C’en est fait, comtesse ; votre douleur me rend mon repos et ma joie. Combien de choses tendres ne venez-vous pas de me dire ! Cela est inconcevable ; je suis charmé. Reprenons notre humeur gaie ; allons, oublions tout ce qui s’est passé.

LA COMTESSE

Mais comment se fait-il que je vous aime tant ? Qu’avez-vous fait pour cela ?

LE CHEVALIER

Hélas ! moins que rien ; tout vient de votre bonté.

LA COMTESSE

C’est que vous êtes plus aimable qu’un autre, apparemment.

LE CHEVALIER

Pour tout ce qui n’est pas comme vous, je le serais peut-être assez ; mais je ne suis rien pour ce qui vous ressemble. Non, je ne pourrai jamais payer votre amour ; en vérité, je n’en suis pas digne.

LA COMTESSE

Comment donc faut-il être fait pour le mériter ?

LE CHEVALIER

Oh ! voilà ce que je ne vous dirai pas.

LA COMTESSE

Aimez-moi toujours, et je suis contente.

LE CHEVALIER

Pourrez-vous soutenir un goût si sobre ?

LA COMTESSE

Ne m’affligez plus et tout ira bien.

LE CHEVALIER

Je vous le promets ; mais que Lélio s’en aille.

LA COMTESSE

J’aurais souhaité qu’il prît son parti de lui-même, à cause du dédit ; ce serait dix mille écus que je vous sauverais, chevalier ; car enfin, c’est votre bien que je ménage.

LE CHEVALIER

Périssent tous les biens du monde, et qu’il parte ; rompez avec lui la première ; voilà mon bien.

LA COMTESSE

Faites-y réflexion.

LE CHEVALIER

Vous hésitez encore ; vous avez peine à me le sacrifier ! Est-ce là comme on aime ? Oh ! qu’il vous manque encore de choses pour ne laisser rien à souhaiter à un homme comme moi !

LA COMTESSE

Eh bien ! il ne me manquera plus rien, consolez-vous.

LE CHEVALIER

Il vous manquera toujours pour moi.

LA COMTESSE

Non ; je me rends ; je renverrai Lélio, et vous dicterez son congé.

LE CHEVALIER

Lui direz-vous qu’il se retire sans cérémonie ?

LA COMTESSE

Oui.

LE CHEVALIER

Non, ma chère comtesse, vous ne le renverrez pas. Il me suffit que vous y consentiez ; votre amour est à toute épreuve, et je dispense votre politesse d’aller plus loin ; c’en serait trop ; c’est à moi à avoir soin de vous, quand vous vous oubliez pour moi.

LA COMTESSE

Je vous aime ; cela veut tout dire.

LE CHEVALIER

M’aimer, cela n’est pas assez, comtesse ; distinguez-moi un peu de Lélio ; à qui vous l’avez dit peut-être aussi.

LA COMTESSE

Que voulez-vous donc que je vous dise ?

LE CHEVALIER

Un je vous adore ; aussi bien il vous échappera demain ; avancez-le-moi d’un jour ; contentez ma petite fantaisie, dites.

LA COMTESSE

Je veux mourir, s’il ne me donne envie de le dire. Vous devriez être honteux d’exiger cela, au moins.

LE CHEVALIER

Quand vous me l’aurez dit, je vous en demanderai pardon.

LA COMTESSE

Je crois qu’il me persuadera.

LE CHEVALIER

Allons, mon cher amour, régalez ma tendresse de ce petit trait-là ; vous ne risquez rien avec moi ; laissez sortir ce mot-là de votre belle bouche ; voulez-vous que je lui donne un baiser pour l’encourager ?

LA COMTESSE

Ah çà ! laissez-moi ; ne serez-vous jamais content ? Je ne vous plaindrai rien, quand il en sera temps.

LE CHEVALIER

Vous êtes attendrie, profitez de l’instant ; je ne veux qu’un mot. Voulez-vous que je vous aide ? dites comme moi : Chevalier, je vous adore.

LA COMTESSE

Chevalier, je vous adore. Il me fait faire tout ce qu’il veut.

LE CHEVALIER
à part.

Mon sexe n’est pas mal faible. (Haut.) Ah ! que j’ai de plaisir, mon cher, amour ! Encore une fois.

LA COMTESSE

Soit ; mais ne me demandez plus rien après.

LE CHEVALIER

Eh ! que craignez-vous que je vous demande ?

LA COMTESSE

Que sais-je, moi ? Vous ne finissez point. Taisez-vous.

LE CHEVALIER

J’obéis ; je suis de bonne composition, et j’ai pour vous un respect que je ne saurais violer.

LA COMTESSE

Je vous épouse ; en est-ce assez ?

LE CHEVALIER

Bien plus qu’il me faut, si vous me rendez justice.

LA COMTESSE

Je suis prête à vous jurer une fidélité éternelle, et je perds les dix mille écus de bon cœur.

LE CHEVALIER

Non, vous ne les perdrez point, si vous faites ce que je vais vous dire. Lélio viendra certainement vous presser d’opter entre lui et moi ; ne manquez pas de lui dire que vous consentez à l’épouser. Je veux que vous le connaissiez à fond ; laissez-moi vous conduire, et sauvons le dédit ; vous verrez ce que c’est que cet homme-là. Le voici ; je n’ai pas le temps de m’expliquer davantage.

LA COMTESSE

J’agirai comme vous le souhaitez.


Scène VII

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LÉLIO, LA COMTESSE, LE CHEVALIER


LÉLIO

Permettez, madame, que j’interrompe pour un moment votre entretien avec monsieur. Je ne viens point me plaindre, et je n’ai qu’un mot à vous dire. J’aurais cependant un assez beau sujet de parler, et l’indifférence avec laquelle vous vivez avec moi, depuis que monsieur, qui ne me vaut pas…

LE CHEVALIER

Il a raison.

LÉLIO

Finissons. Mes reproches sont raisonnables, mais je vous déplais ; je me suis promis de me taire, et je me tais, quoi qu’il m’en coûte. Que ne pourrais-je pas vous dire ? Pourquoi me trouvez-vous haïssable ? Pourquoi me fuyez-vous ? Que vous ai-je fait ? Je suis au désespoir.

LE CHEVALIER
, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

LÉLIO

Vous riez, monsieur le chevalier ; mais vous prenez mal votre temps, et je prendrai le mien pour vous répondre.

LE CHEVALIER

Ne te fâche point, Lélio. Tu n’avais qu’un mot à dire, qu’un petit mot ; en voilà plus de cent de bon compte, et rien n’avance ; cela me réjouit.

LA COMTESSE

Remettez-vous, Lélio, et dites-moi tranquillement ce que vous voulez.

LÉLIO

Vous prier de m’apprendre qui de nous deux il vous plaît de conserver, de monsieur ou de moi. Prononcez, madame ; mon cœur ne peut plus souffrir d’incertitude.

LA COMTESSE

Vous êtes vif, Lélio ; mais la cause de votre vivacité est pardonnable, et je vous veux plus de bien que vous ne pensez. Chevalier, nous avons jusqu’ici plaisanté ensemble ; il est temps que cela finisse. Vous m’avez parlé de votre amour ; je serais fâchée qu’il fût sérieux ; je dois ma main à Lélio, et je suis prête, à recevoir la sienne. (À Lélio.) Vous plaindrez-vous encore ?

LÉLIO

Non, madame, vos réflexions sont à mon avantage ; et si j’osais…

LA COMTESSE

Je vous dispense de me remercier, Lélio ; je suis sûre de la joie que je vous donne. (À part.). Sa contenance est plaisante.

UN VALET

Voilà une lettre qu’on vient d’apporter de la poste, madame.

LA COMTESSE

Donnez. Voulez-vous bien que je me retire un moment pour la lire ? C’est de mon frère.


Scène VIII

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LÉLIO, LE CHEVALIER


LÉLIO

Que diantre signifie cela ? elle me prend au mot ; que dites-vous de ce qui se passe là ?

LE CHEVALIER

Ce que j’en dis ? rien ; je crois que je rêve, et je tâche de me réveiller.

LÉLIO

Me voilà en belle posture, avec sa main qu’elle m’offre, que je lui demande avec fracas, et dont je ne me soucie point ! Mais ne me trompez-vous point ?

LE CHEVALIER

Ah ! que dites-vous là ? Je vous sers loyalement, ou je ne suis pas soubrette. Ce que nous voyons là peut venir d’une chose. Pendant que nous nous parlions, elle me soupçonnait d’avoir quelque inclination à Paris ; je me suis contenté de lui répondre galamment là-dessus. Elle a tout d’un coup pris son sérieux ; vous êtes entré sur-le-champ, et ce qu’elle en fait n’est sans doute qu’un reste de dépit, qui va se passer ; car elle m’aime.

LÉLIO

Me voilà fort embarrassé.

LE CHEVALIER

Si elle continue à vous offrir sa main, tout le remède que j’y trouve, c’est de lui dire que vous l’épouserez, quoique vous ne l’aimiez plus. Tournez-lui cette impertinence-là d’une manière polie ; ajoutez que, si elle ne veut pas, le dédit sera son affaire.

LÉLIO

Il y a bien du bizarre dans ce que tu me proposes là.

LE CHEVALIER

Du bizarre ! Depuis quand êtes-vous si délicat ? Est-ce que vous reculez pour un mauvais procédé de plus qui vous sauve dix mille écus ? Je ne vous aime plus, madame, cependant je veux vous épouser. Ne le voulez-vous pas ? payer le dédit ; donnez-moi votre main ou de l’argent. Voilà tout.


Scène IX

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LÉLIO, LA COMTESSE, LE CHEVALIER, TRIVELIN, ARLEQUIN


LA COMTESSE

Lélio, mon frère ne viendra pas si tôt. Ainsi, il n’est plus question de l’attendre, et nous finirons quand vous voudrez.

LE CHEVALIER
, bas à Lélio.

Courage ; encore une impertinence, et puis c’est tout.

LÉLIO

Ma foi, madame, oserais-je vous parler franchement ? Je ne trouve plus mon cœur dans sa situation ordinaire.

LA COMTESSE

Comment donc ! expliquez-vous ; ne m’aimez-vous plus ?

LÉLIO

Je ne dis pas cela tout à fait ; mais mes inquiétudes ont un peu rebuté mon cœur.

LA COMTESSE

Et que signifie donc ce grand étalage de transports que vous venez de me faire ? Qu’est devenu votre désespoir ? N’était-ce qu’une passion de théâtre ? Il semblait que vous alliez mourir, si je n’y avais mis ordre. Expliquez-vous, madame ; je n’en puis plus, je souffre…

LÉLIO

Ma foi, madame, c’est que je croyais que je ne risquerais rien, et que vous me refuseriez.

LA COMTESSE

Vous êtes un excellent comédien. Et le dédit, qu’en ferons-nous, monsieur ?

LÉLIO

Nous le tiendrons, madame ; j’aurai l’honneur de vous épouser.

LA COMTESSE

Quoi donc ! vous m’épouserez, et vous ne m’aimez plus !

LÉLIO

Cela n’y fait de rien, madame ; cela ne doit pas vous arrêter.

LA COMTESSE

Allez, je vous méprise, et ne veux point de vous.

LÉLIO

Et le dédit, madame, vous voulez donc bien l’acquitter ?

LA COMTESSE

Qu’entends-je, Lélio ? Où est la probité ?

LE CHEVALIER

Monsieur ne pourra guère vous en dire des nouvelles ; je ne crois pas qu’elle soit de sa connaissance. Mais il n’est pas juste qu’un misérable dédit vous brouille ensemble. Tenez, ne vous gênez plus ni l’un ni l’autre ; le voilà rompu. (Il le déchire.) Ah ! ah ! ah !

LÉLIO

Ah, fourbe !

LE CHEVALIER
, riant.

Ah ! ah ! ah ! consolez-vous, Lélio ; il vous reste une demoiselle de douze mille livres de rente ; ah ! ah ! On vous a écrit qu’elle était belle ; on vous a trompé ; car la voilà ; mon visage est l’original du sien.

LA COMTESSE

Ah ! juste ciel !

LE CHEVALIER

Ma métamorphose n’est pas du goût de vos tendres sentiments, ma chère comtesse. Je vous aurais mené assez loin, si j’avais pu vous tenir compagnie. Voilà bien de l’amour de perdu ; mais, en revanche, voilà une bonne somme de sauvée. Je vous conterai le joli petit tour qu’on voulait vous jouer.

LA COMTESSE

Je n’en connais point de plus triste que celui que vous me jouez vous-même.

LE CHEVALIER

Consolez-vous. Vous perdez d’aimables espérances. Je ne vous les avais données que pour votre bien. Regardez le chagrin qui vous arrive comme une petite punition de votre inconstance ; vous avez quitté Lélio moins par raison que par légèreté, et cela mérite un peu de correction. À votre égard, seigneur Lélio, voici votre bague. Vous me l’avez donnée de bon cœur, et j’en dispose en faveur de Trivelin et d’Arlequin. Tenez, mes enfants ; vendez cela, et partagez-en l’argent.

TRIVELIN
et
ARLEQUIN

Grand merci !

TRIVELIN

Voici les musiciens qui viennent vous donner la fête qu’ils ont promise.

LE CHEVALIER
, à Lélio.

Voyez-la, puisque vous êtes ici. Vous partirez après ; ce sera toujours autant de pris.


DIVERTISSEMENT

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Cet amour dont nos cœurs se laissent enflammer,
Ce charme si touchant, ce doux plaisir d’aimer,
Est le plus grand des biens que le ciel nous dispense.
Livrons-nous donc sans résistance
À l’objet qui vient nous charmer.
Au milieu des transports dont il remplit notre âme,
Jurons-lui mille fois une éternelle flamme.
Mais n’inspire-t-il plus ces aimables transports ?
Trahissons aussitôt nos serments sans remords.
Ce n’est plus à l’objet qui cesse de nous plaire
Que doivent s’adresser les serments qu’on a faits ;
C’est à l’Amour qu’on les vit faire,
C’est lui qu’on a juré de ne quitter jamais.


Jurer d’aimer toute sa vie,
N’est pas un rigoureux tourment.
Savez-vous ce qu’il signifie ?
Ce n’est ni Philis, ni Silvie,
Que l’on doit aimer constamment ;
C’est l’objet qui nous fait envie.


Amants, si votre caractère,
Tel qu’il est, se montrait à nous,
Quel parti prendre, et comment faire ?
Le célibat est bien austère ;
Faudrait-il se passer d’époux ?
Mais il nous est trop nécessaire.


Mesdames, vous allez conclure
Que tous les hommes sont maudits ;
Mais doucement et point d’injure ;
Quand nous ferons votre peinture,
Elle est, je vous en avertis,
Cent fois plus drôle, je vous jure.


FIN DU TROISIÈME VOLUME.