La Fausse Suivante/Acte II
ACTE II
modifierScène première
modifierTRIVELIN, seul.
Me voici comme de moitié dans une intrigue assez douce et d’un assez bon rapport, car il m’en revient déjà de l’argent et une maîtresse ; ce beau commencement-là promet encore une plus belle fin. Or, moi qui suis un habile homme, est-il naturel que je reste ici les bras croisés ? ne ferai-je rien qui hâte le succès du projet de ma chère suivante ? Si je disais au seigneur Lélio que le cœur de la Comtesse commence à capituler pour le Chevalier, il se dépiterait plus vite, et partirait pour Paris où on l’attend. Je lui ai déjà témoigné que je souhaiterais avoir l’honneur de lui parler ; mais le voilà qui s’entretient avec la Comtesse ; attendons qu’il ait fait avec elle.
Scène II
modifierLÉLIO, LA COMTESSE
Ils entrent tous deux comme continuant de se parler.
Non, Monsieur, je ne vous comprends point. Vous liez amitié avec le Chevalier, vous me l’amenez ; et vous voulez ensuite que je lui fasse mauvaise mine ! Qu’estce que c’est que cette idée-là ? Vous m’avez dit vous-même que c’était un homme aimable, amusant et effectivement j’ai jugé que vous aviez raison.
Effectivement ! Cela est donc bien effectif ? eh bien ! je ne sais que vous dire ; mais voilà un effectivement qui ne devrait pas se trouver là, par exemple.
Par malheur, il s’y trouve.
Vous me raillez, Madame.
Voulez- vous que je respecte votre antipathie pour effectivement ? Est-ce qu’il n’est pas bon français ? L’a-t-on proscrit de la langue ?
Non, Madame ; mais il marque que vous êtes un peu trop persuadée du mérite du Chevalier.
Il marque cela ? Oh il a tort, et le procès que vous lui faites est raisonnable, mais vous m’avouerez qu’il n’y a pas de mal à sentir suffisamment le mérite d’un homme, quand le mérite est réel ; et c’est comme j’en use avec le Chevalier.
Tenez, sentir est encore une expression qui ne vaut pas mieux ; sentir est trop ; c’est connaître qu’il faudrait dire.
Je suis d’avis de ne dire plus mot, et d’attendre que vous m’ayez donné la liste des termes sans reproches que je dois employer, je crois que c’est le plus court ; il n’y a que ce moyen-là qui puisse me mettre en état de m’entretenir avec vous.
Eh ! Madame, faites grâce à mon amour.
Supportez donc mon ignorance ; je ne savais pas la différence qu’il y avait entre connaître et sentir.
Sentir, Madame, c’est le style du cœur, et ce n’est pas dans ce style-là que vous devez parler du Chevalier.
Écoutez ; le vôtre ne m’amuse point ; il est froid, il me glace ; et, si vous voulez même, il me rebute.
Bon ! je retirerai mon billet.
Quittons-nous, croyez-moi ; je parle mal, vous ne me répondez pas mieux ; cela ne fait pas une conversation amusante.
Allez-vous, rejoindre le Chevalier ?
Lélio, pour prix des leçons que vous venez de me donner, je vous avertis, moi, qu’il y a des moments où vous feriez bien de ne pas vous montrer ; entendez-vous ?
Vous me trouvez donc bien insupportable ?
Épargnez-vous ma réponse ; vous auriez à vous plaindre de la valeur de mes termes, je le sens bien.
Et moi, je sens que vous vous retenez ; vous me diriez de bon cœur que vous me haïssez.
Non ; mais je vous le dirai bientôt, si cela continue, et cela continuera sans doute.
Il semble que vous le souhaitez.
Hum ! vous ne feriez pas languir mes souhaits.
Vous me désolez, Madame.
Je me retiens, Monsieur ; je me retiens.
Elle veut s’en aller.
Arrêtez, Comtesse ; vous m’avez fait l’honneur d’accorder quelque retour à ma tendresse.
Ah ! le beau détail où vous entrez là !
Le dédit même qui est entre nous…
Eh bien ! ce dédit vous chagrine ? il n’y a qu’à le rompre. Que ne me disiez-vous cela sur-le-champ ? Il y a une heure que vous biaisez pour arriver là.
Le rompre ! J’aimerais mieux mourir ; ne m’assure-t-il pas votre main ?
Et qu’est-ce que c’est que ma main sans mon cœur ?
J’espère avoir l’un et l’autre.
Pourquoi me déplaisez-vous donc ?
En quoi ai-je pu vous déplaire ? Vous auriez de la peine à le dire vous-même.
Vous êtes jaloux, premièrement.
Eh ! morbleu ! Madame, quand on aime…
Ah ! quel emportement !
Peut-on s’empêcher d’être jaloux ? Autrefois vous me reprochiez que je ne l’étais pas assez ; vous me trouviez trop tranquille ; me voici inquiet, et je vous déplais.
Achevez, Monsieur, concluez que je suis une capricieuse ; voilà ce que vous voulez dire, je vous entends bien. Le compliment que vous me faites est digne de l’entretien dont vous me régalez depuis une heure ; et après cela vous me demanderez en quoi vous me déplaisez ! Ah ! l’étrange caractère !
Mais je ne vous appelle pas capricieuse, Madame ; je dis seulement que vous vouliez que je fusse jaloux ; aujourd’hui je le suis ; pourquoi le trouvez-vous mauvais ?
Eh bien ! vous direz encore que vous ne m’appelez pas fantasque !
De grâce, répondez.
Non, Monsieur, on n’a jamais dit à une femme ce que vous me dites là ; et je n’ai vu que vous dans la vie qui m’ayez trouvé si ridicule.
Je chercherais volontiers à qui vous parlez, Madame ; car ce discours-là ne peut pas s’adresser à moi.
Fort bien ! me voilà devenue visionnaire à présent ; continuez, Monsieur, continuez ; vous ne voulez pas rompre le dédit ; cependant c’est moi qui ne veux plus ; n’est-il pas vrai ?
Que d’industrie pour vous, sauver d’une question fort simple, à laquelle vous ne pouvez répondre !
Oh ! je n’y saurais tenir ; capricieuse, ridicule, visionnaire et de mauvaise foi ! le portrait est flatteur ! Je ne vous connaissais pas, Monsieur Lélio, je ne vous connaissais pas ; vous m’avez trompée. Je vous passerais de la jalousie ; je ne parle pas de la vôtre, elle n’est pas supportable ; c’est une jalousie terrible, odieuse, qui vient du fond du tempérament, du vice de votre esprit. Ce n’est pas délicatesse chez vous ; c’est mauvaise humeur naturelle, c’est précisément caractère. Oh ! ce n’est pas là la jalousie que je vous demandais ; je voulais une inquiétude douce, qui a sa source dans un cœur timide et bien touché, et qui n’est qu’une louable méfiance de soi-même ; avec cette jalousie-là, Monsieur, on ne dit point d’invectives aux personnes que l’on aime ; on ne les trouve ni ridicules, ni fourbes, ni fantasques ; on craint seulement de n’être pas toujours aimé, parce qu’on ne croit pas être digne de l’être. Mais cela vous passe ; ces sentiments-là ne sont pas du ressort d’une âme comme la vôtre. Chez vous, c’est des emportements, des fureurs, ou pur artifice ; vous soupçonnez injurieusement ; vous manquez d’estime ; de respect, de soumission ; vous vous appuyez sur un dédit ; vous fondez vos droits sur des raisons de contrainte. Un dédit, Monsieur Lélio ! Des soupçons ! Et vous appelez cela de l’amour ! C’est un amour à faire peur. Adieu.
Encore un mot. Vous êtes en colère, mais vous reviendrez, car vous m’estimez dans le fond.
Soit ; j’en estime tant d’autres ! Je ne regarde pas cela comme un grand mérite d’être estimable ; on n’est que ce qu’on doit être.
Pour nous accommoder, accordez-moi une grâce. Vous m’êtes chère ; le Chevalier vous aime ; ayez pour lui un peu plus de froideur ; insinuez-lui qu’il nous laisse, qu’il s’en retourne à Paris.
Lui insinuer qu’il nous laisse, c’est-à-dire lui glisser tout doucement une impertinence qui me fera tout doucement passer dans son esprit pour une femme qui ne sait pas vivre ! Non, Monsieur ; vous m’en dispenserez, s’il vous plaît. Toute la subtilité possible n’empêchera pas un compliment d’être ridicule, quand il l’est, vous me le prouvez par le vôtre ; c’est un avis que je vous insinue tout doucement, pour vous donner un petit essai de ce que vous appelez manière insinuante.
Elle se retire.
Scène III
modifierLÉLIO, TRIVELIN
Allons, allons, cela va très rondement ; j’épouserai les douze mille livres de rente. Mais voilà le valet du Chevalier. (À Trivelin.) Il m’a paru tantôt que tu avais quelque chose à me dire ?
Oui, Monsieur ; pardonnez à la liberté que je prends. L’équipage où je suis ne prévient pas en ma faveur ; cependant, tel que vous me voyez, il y a là dedans le cœur d’un honnête homme, avec une extrême inclination pour les honnêtes gens.
Je le crois.
Moi-même, et je le dis avec un souvenir modeste, moi-même autrefois, j’ai été du nombre de ces honnêtes gens ; mais vous savez, Monsieur, à combien d’accidents nous sommes sujets dans la vie. Le sort m’a joué ; il en a joué bien d’autres ; l’histoire est remplie du récit de ses mauvais tours : princes, héros, il a tout malmené, et je me console de mes malheurs avec de tels confrères.
Tu m’obligerais de retrancher tes réflexions et de venir au fait.
Les infortunés sont un peu babillards, Monsieur ; ils s’attendrissent aisément sur leurs aventures. Mais je. coupe court ; ce petit préambule me servira, s’il vous plaît, à m’attirer un peu d’estime, et donnera du poids à ce que je vais vous dire.
Soit.
Vous savez que je fais la fonction de domestique auprès de Monsieur le Chevalier.
Oui.
Je ne demeurerai pas longtemps avec lui, Monsieur ; son caractère donne trop de scandale au mien.
Eh, que lui trouves-tu de mauvais ?
Que vous êtes différent de lui ! À peine vous ai-je vu, vous ai-je entendu parler, que j’ai dit en moi-même : ah quelle âme franche ! que de netteté dans ce cœur-là !
Tu vas encore t’amuser à mon éloge, et tu ne finiras point.
Monsieur, la vertu vaut bien une petite parenthèse en sa faveur.
Venons donc au reste à présent.
De grâce, souffrez qu’auparavant nous convenions d’un petit article.
Parle.
Je suis fier, mais je suis pauvre, qualités, comme vous jugez bien, très difficiles à accorder. l’une avec l’autre, et qui pourtant ont la rage de se trouver presque toujours ensemble ; voilà ce qui me passe.
Poursuis ; à quoi nous mènent ta fierté et ta pauvreté ?
Elles nous mènent à un combat qui se passe entre elles ; la fierté se défend d’abord à merveille, mais son ennemie est bien pressante ; bientôt la fierté plie, recule, fuit, et laisse le champ de bataille à la pauvreté, qui ne rougit de rien, et qui sollicite en ce moment votre libéralité
Je t’entends ; tu me demandes quelque argent pour récompense de l’avis que tu vas me donner.
Vous y êtes ; les âmes généreuses ont cela de bon, qu’elles devinent ce qu’il vous faut et vous épargnent la honte d’expliquer vos besoins ; que cela est beau !
Je consens à ce que tu demandes, à une condition à mon tour : c’est que le secret que tu m’apprendras vaudra la peine d’être payé ; et je serai de bonne foi là-dessus. Dis à présent.
Pourquoi faut-il que la rareté de l’argent ait ruiné la générosité de vos pareils ? Quelle misère ! mais n’importe ; votre équité me rendra ce que votre économie me retranche, et je commence : vous croyez le Chevalier votre intime et fidèle ami, n’est-ce pas ?
Oui, sans doute.
Erreur.
En quoi donc ?
Vous croyez que la Comtesse vous aime toujours ?
J’en suis persuadé.
Erreur, trois fois erreur !
Comment ?
Oui, Monsieur ; vous n’avez ni ami ni maîtresse. Quel brigandage dans ce monde ! la Comtesse ne vous aime plus, le Chevalier vous a escamoté son cœur : il l’aime, il en est aimé, c’est un fait ; je le sais, je l’ai vu, je vous en avertis ; faites-en votre profit et le mien.
Eh ! dis-moi, as-tu remarqué quelque chose qui te rende sûr de cela ?
Monsieur, on peut se fier à mes observations. Tenez, je n’ai qu’à regarder une femme entre deux yeux, je vous dirai ce qu’elle sent et ce qu’elle sentira, le tout à une virgule près. Tout ce qui se passe dans son cœur s’écrit sur son visage, et j’ai tant étudié cette écriture-là, que je la lis tout aussi couramment que la mienne. Par exemple, tantôt, pendant que vous vous amusiez dans le jardin à cueillir des fleurs pour la Comtesse, je raccommodais près d’elle une palissade, et je voyais le Chevalier, sautillant, rire et folâtrer avec elle. Que vous êtes badin ! lui disait-elle, en souriant négligemment à ses enjouements. Tout autre que moi n’aurait rien remarqué dans ce sourire-là ; c’était un chiffre. Savez-vous ce qu’il signifiait ? Que vous m’amusez agréablement, Chevalier ! Que vous êtes aimable dans vos façons ! Ne sentez-vous pas que vous me plaisez ?
Cela est bon ; mais rapporte-moi quelque chose que je puisse expliquer, moi, qui ne suis pas si savant que toi
En voici qui ne demande nulle condition. Le Chevalier continuait, lui volait quelques baisers, dont on se fâchait, et qu’on n’esquivait pas. Laissez-moi donc, disait-elle avec un visage indolent, qui ne faisait rien pour se tirer d’affaires, qui avait la paresse de rester exposé à l’injure ; mais, en vérité, vous n’y songez pas, ajoutait-elle ensuite. Et moi, tout en raccommodant ma palissade, j’expliquais ce vous n’y songez pas, et ce laissez-moi donc ; et je voyais que cela voulait dire : courage, Chevalier, encore un baiser sur le même ton ; surprenez-moi toujours, afin de sauver les bienséances ; je ne dois consentir à rien ; mais si vous êtes adroit, je n’y saurais que faire ; ce ne sera pas ma faute.
Oui-da ; c’est quelque chose que des baisers.
Voici le plus touchant. Ah ! la belle main ! s’écria-t-il ensuite ; souffrez que je l’admire. Il n’est pas nécessaire. De grâce. Je ne veux point… Ce nonobstant, la main est prise, admirée, caressée ; cela va tout de suite… Arrêtez-vous… Point de nouvelles. Un coup d’éventail par là-dessus, coup galant qui signifie : ne lâchez point ; l’éventail est saisi ; nouvelles pirateries sur la main qu’on tient ; l’autre vient à son secours ; autant de pris encore par l’ennemi : mais je ne vous comprends point ; finissez donc. Vous en parlez bien à votre aise, Madame. Alors la Comtesse de s’embarrasser, le Chevalier de la regarder tendrement ; elle de rougir ; lui de s’animer ; elle de se fâcher sans colère ; lui de se jeter à ses genoux sans repentance ; elle de pousser honteusement un demi-soupir ; lui de riposter effrontément par un tout entier ; et puis vient du silence ; et puis des regards qui sont bien tendres ; et puis d’autres qui n’osent pas l’être ; et puis… Qu’est-ce que cela signifie, Monsieur ? Vous le voyez bien, Madame. Levez-vous donc. Me pardonnez-vous ? Ah je ne sais. Le procès en était là quand vous êtes venu, mais je crois maintenant les parties d’accord : qu’en dites-vous ?
Je dis que ta découverte commence à prendre forme.
Commence à prendre forme ! Et jusqu’où prétendezvous donc que je la conduise pour vous persuader ? Je désespère de la pousser jamais plus loin ; j’ai vu l’amour naissant ; quand il sera grand garçon, j’aurai beau l’attendre auprès de la palissade, au diable s’il y vient badiner ; or, il grandira, au moins, s’il n’est déjà grandi ; car il m’a paru aller bon train, le gaillard.
Fort bon train, ma foi.
Que dites-vous de la Comtesse ? Ne l’auriez-vous pas épousé sans moi ? Si vous aviez vu de quel air elle abandonnait sa main blanche au Chevalier !…
En vérité, te paraissait-il qu’elle y prit goût ?
Oui, Monsieur. (À part.) On dirait qu’il y en prend aussi, lui. (À Lélio.) Eh bien, trouvez-vous que mon avis mérite salaire ?
Sans difficulté. Tu es un coquin.
Sans difficulté, tu es un coquin : voilà un prélude de reconnaissance bien bizarre.
Le Chevalier te donnerait cent coups de bâton, si je lui disais que tu le trahis. Oh ces coups de bâton que tu mérites, ma bonté te les épargne ; je ne dirai mot. Adieu ; tu dois être content ; te voilà payé.
Il s’en va.
Scène IV
modifierTRIVELIN
Je n’avais jamais vu de monnaie frappée à ce coin-là. Adieu, Monsieur, je suis votre serviteur ; que le ciel veuille vous combler des faveurs que je mérite ! De toutes les grimaces que m’a fait la fortune, voilà certes la plus comique ; me payer en exemption de coups de bâton ! c’est ce qu’on appelle faire argent de tout. Je n’y comprends rien : je lui dis que sa maîtresse le plante là ; il me demande si elle y prend goût. Est-ce que notre faux Chevalier m’en ferait accroire ? Et seraient-ils tous deux meilleurs amis que je ne pense ?
Scène V
modifierARLEQUIN, TRIVELIN
Interrogeons un peu Arlequin là-dessus. (Haut.) Ah ! te voilà ! où vas-tu ?
Voir s’il y a des lettres pour mon maître.
Tu me parais occupé ; à quoi est-ce que tu rêves ?
À des louis d’or.
Diantre ! tes réflexions sont de riche étoffe.
Et je te cherchais aussi pour te parler.
Et que veux-tu de moi ?
T’entretenir de louis d’or.
Encore des louis d’or ! Mais tu as une mine d’or dans ta tête.
Dis-moi, mon ami, où as-tu pris toutes ces pistoles que je t’ai vu tantôt tirer de ta poche pour la bouteille de vin que nous avons bu au cabaret du bourg ? Je voudrais bien savoir le secret que tu as pour en faire.
Mon ami, je ne pourrais guère te donner le secret d’en faire ; je n’ai jamais possédé que le secret de le dépenser.
Oh ! j’ai aussi un secret qui est bon pour cela, moi ; je l’ai appris au cabaret en perfection.
Oui-da, on fait son affaire avec du vin, quoique lentement ; mais en y joignant une pincée d’inclination pour le beau sexe, on réussit bien autrement.
Ah le beau sexe, on ne trouve point de cet ingrédient-là ici.
Tu n’y demeureras pas toujours. Mais de grâce, instruis-moi d’une chose à ton tour : ton maître et Monsieur le Chevalier s’aiment-ils beaucoup ?
Oui.
Fi ! Se témoignent-ils de grands empressements ? Se font-ils beaucoup d’amitiés ?
Ils se disent : comment te portes-tu ? À ton service. Et moi aussi. J’en suis bien aise… Après cela ils dînent et soupent ensemble ; et puis : bonsoir ; je te souhaite une bonne nuit, et puis ils se couchent, et puis ils dorment, et puis le jour vient. Est-ce que tu veux qu’ils se disent des injures ?
Non, mon ami ; c’est que j’avais quelque petite raison de te demander cela, par rapport à quelque aventure qui m’est arrivée ici.
Toi ?
Oui, j’ai touché le cœur d’une aimable personne, et l’amitié de nos maîtres prolongera notre séjour ici.
Et où est-ce que cette rare personne-là habite avec son cœur ?
Ici, te dis-je. Malpeste, c’est une affaire qui m’est de conséquence.
Quel plaisir ! Elle est jeune ?
Je lui crois dix-neuf à vingt ans.
Ah ! le tendron ! Elle est jolie ?
Jolie ! quelle maigre épithète ! Vous lui manquez de respect ; sachez qu’elle est charmante, adorable, digne de moi.
Ah ! m’amour ! friandise de mon âme !
Et c’est de sa main mignonne que je tiens ces louis d’or dont tu parles, et que le don qu’elle m’en a fait me rend si précieux.
Je n’en puis plus.
Il me divertit ; je veux le pousser jusqu’à l’évanouissement. Ce n’est pas le tout, mon ami : ses discours ont charmé mon cœur ; de la manière dont elle m’a peint, j’avais honte de me trouver si aimable. M’aimerez-vous ? me disait-elle ; puis-je compter sur votre cœur ?
Oui, ma reine.
À qui parles-tu ?
À elle ; j’ai cru qu’elle m’interrogeait.
Ah ! ah ! ah ! Pendant qu’elle me parlait, ingénieuse à me prouver sa tendresse, elle fouillait dans sa poche pour en tirer cet or qui fait mes délices. Prenez, m’a-t-elle dit en me le glissant dans la. main ; et comme poliment j’ouvrais ma main avec lenteur : prenez donc, s’est-elle écriée, ce n’est là qu’un échantillon du coffre-fort que je vous destine ; alors je me suis rendu ; car un échantillon ne se refuse point.
Ah ! mon ami, je tombe à tes pieds pour te supplier, en toute humilité, de me montrer seulement la face royale de cette incomparable fille, qui donne un cœur et des louis d’or du Pérou avec ; peut-être me fera-t-elle aussi présent de quelque échantillon ; je ne veux que la voir, l’admirer, et puis mourir content.
Cela ne se peut pas, mon enfant ; il ne faut pas régler tes espérances sur mes aventures ; vois-tu bien, entre le baudet et le cheval d’Espagne, il y a quelque différence.
Hélas ! je te regarde comme le premier cheval du monde.
Tu abuses de mes comparaisons ; je te permets de m’estimer, Arlequin, mais ne me loue jamais.
Montre-moi donc cette fille…
Cela ne se peut pas ; mais je t’aime, et tu te sentiras de ma bonne fortune : dès aujourd’hui je te fonde une bouteille de Bourgogne pour autant de jours que nous serons ici.
Une bouteille par jour, cela fait trente bouteilles par mois ; pour me consoler dans ma douleur, donne-moi en argent la fondation du premier mois.
Mon fils, je suis bien aise d’assister à chaque paiement.
Je ne verrai donc point ma reine ? Où êtes-vous donc, petit louis d’or de mon âme ? Hélas ! je m’en vais vous chercher partout : Hi ! hi ! hi ! hi !… (Et puis d’un ton net.) Veux-tu aller boire le premier mois de fondation ?
Voilà mon maître, je ne saurais ; mais va m’attendre.
Hi ! hi ! hi ! hi !
Scène VI
modifierLE CHEVALIER, TRIVELIN
Je lui ai renversé l’esprit ; ah ! ah ! ah ! ah ! le pauvre garçon ! Il n’est pas digne d’être associé à notre intrigue. (Le Chevalier vient, et Trivelin dit :) Ah ! vous voilà, Chevalier sans pareil. Eh bien ! notre affaire va-t-elle bien ?
Fort bien, Mons Trivelin ; mais je vous cherchais pour vous dire que vous ne valez rien.
C’est bien peu de chose que rien : et vous me cherchiez tout exprès pour me dire cela ?
En un mot, tu es un coquin.
Vous voilà dans l’erreur de tout le monde.
Un fourbe, de qui je me vengerai.
Mes vertus ont cela de malheureux, qu’elles n’ont jamais été connues de personne.
Je voudrais bien savoir de quoi vous vous mêlez, d’aller dire à Monsieur Lélio que j’aime la Comtesse ?
Comment ! il vous a rapporté ce que je lui ai dit ?
Sans doute.
Vous me faites plaisir de m’en avertir ; pour payer mon avis, il avait promis de se taire ; il a parlé, la dette subsiste.
Fort bien ! c’était donc pour tirer de l’argent de lui, Monsieur le faquin ?
Monsieur le faquin ! retranchez ces petits agréments-là de votre discours ; ce sont des fleurs de rhétorique qui m’entêtent ; je voulais avoir de l’argent, cela est vrai.
Eh ! ne t’en avais-je pas donné ?
Ne l’avais-je pas pris de bonne grâce ? De quoi vous plaignez-vous ? Votre argent est-il insociable ? Ne pouvait-il pas s’accommoder avec celui de Monsieur Lélio ?
Prends-y garde ; si tu retombes encore dans la moindre impertinence, j’ai une maîtresse qui aura soin de toi, je t’en assure.
Arrêtez ; ma discrétion s’affaiblit, je l’avoue ; je la sens infirme ; il sera bon de la rétablir par un baiser ou deux.
Non.
Convertissons donc cela en autre chose.
Je ne saurais.
Vous ne m’entendez point ; je ne puis me résoudre à vous dire le mot de l’énigme. (Le Chevalier tire sa montre.) Ah ! ah ! tu la devineras ; tu n’y es plus ; le mot n’est pas une montre ; la montre en approche pourtant, à cause du métal.
Eh ! je vous entends à merveille ; qu’à cela ne tienne.
J’aime pourtant mieux un baiser.
Tiens ; mais observe ta conduite.
Ah ! friponne, tu triches ma flamme ; tu t’esquives, mais avec tant de grâce, qu’il faut me rendre.
Scène VII
modifierLE CHEVALIER, TRIVELIN, ARLEQUIN
Arlequin, qui vient, a écouté la fin de la scène par derrière. Dans le temps que le Chevalier donne de l’argent à Trivelin, d’une main il prend l’argent, et de l’autre il embrasse le Chevalier.
Ah ! je la tiens ! ah ! m’amour, je me meurs ! cher petit lingot d’or, je n’en puis plus. Ah ! Trivelin ! je suis heureux !
Et moi volé.
Je suis au désespoir ; mon secret est découvert.
Laissez-moi vous contempler, cassette de mon âme : qu’elle est jolie ! Mignarde, mon cœur s’en va, je me trouve mal. Vite un échantillon pour me remettre ; ah ! ah ! ah ! ah !
Débarrasse-moi de lui ; que veut-il dire avec son échantillon ?
Bon ! bon ! c’est de l’argent qu’il demande.
S’il ne tient qu’à cela pour venir à bout du dessein que je poursuis, emmène-le, et engage-le au secret, voilà de quoi le faire taire. (À Arlequin.) Mon cher Arlequin, ne me découvre point ; je te promets des échantillons tant que tu voudras. Trivelin va t’en donner ; suis-le, et ne dis mot ; tu n’aurais rien si tu parlais.
Malepeste ! je serai sage. M’aimerez-vous, petit homme ?
Ssans doute.
Allons, mon fils, tu te souviens bien de la bouteille de fondation ; allons la boire.
Allons.
Viens donc. (Au Chevalier.) Allez votre chemin, et ne vous embarrassez de rien.
Ah ! La belle trouvaille ! la belle trouvaille !
Scène VIII
modifierLA COMTESSE, LE CHEVALIER
À tout hasard, continuons ce que j’ai commencé. Je prends trop de plaisir à mon projet pour l’abandonner ; dût-il m’en coûter encore vingt pistoles, je veux tâcher d’en venir à bout. Voici La Comtesse ; je la crois dans de bonnes dispositions pour moi ; achevons de la déterminer. Vous me paraissez bien triste, Madame ; qu’avez-vous ?
Éprouvons ce qu’il pense. (Au Chevalier.) Je viens vous faire un compliment qui me déplaît ; mais je ne saurais m’en dispenser.
Ahi, notre conversation débute mal, Madame.
Vous avez pu remarquer que je vous voyais ici avec plaisir ; et s’il ne tenait qu’à moi, j’en aurais encore beaucoup à vous y voir.
J’entends ; je vous épargne le reste, et je vais coucher à Paris.
Ne vous en prenez pas à moi, je vous le demande en grâce.
Je n’examine rien ; vous ordonnez, j’obéis.
Ne dites point que j’ordonne.
Eh ! Madame, je ne vaux pas la peine que vous vous excusiez, et vous êtes trop bonne.
Non, vous dis-je ; et si vous voulez rester, en vérité vous êtes le maître.
Vous ne risquez rien à me donner carte blanche ; je sais le respect que je dois à vos véritables intentions.
Mais, Chevalier, il ne faut pas respecter des chimères.
Il n’y a rien de plus poli que ce discours-là.
il n’y a rien de plus désagréable que votre obstination à me croire polie ; car il faudra, malgré moi, que je la sois. Je suis d’un sexe un peu fier. Je vous dis de rester, je ne saurais aller plus loin ; aidez-vous.
Sa fierté se meurt, je veux l’achever. (Haut.) Adieu, Madame ; je craindrais de prendre le change, je suis tenté de demeurer, et je fuis le danger de mal interpréter vos honnêtetés. Adieu ; vous renvoyez mon cœur dans un terrible état.
Vit-on jamais un pareil esprit, avec son cœur qui n’a pas le sens commun ?
Du moins, Madame, attendez que je sois parti, pour marquer un dégoût à mon égard.
Allez, Monsieur ; je ne saurais attendre ; allez à Paris chercher des femmes qui s’expliquent plus précisément que moi, qui vous prient de rester en termes formels, qui ne rougissent de rien. Pour moi, je me ménage, je sais ce que je me dois ; et vous partirez, puisque vous avez la fureur de prendre tout de travers.
Vous ferai-je plaisir de rester ?
Peut-on mettre une femme entre le oui et le non ? Quelle brusque alternative ! Y a-t-il rien de plus haïssable qu’un homme qui ne saurait deviner ? Mais allez-vous-en, je suis lasse de tout faire.
Je devine donc ; je me sauve.
Il devine, dit-il ; il devine, et s’en va ; la belle pénétration ! Je ne sais pourquoi cet homme m’a plu. Lélio n’a qu’à le suivre, je le congédie ; je ne veux plus de ces importuns-là chez moi. Ah ! que je hais les hommes à présent ! Qu’ils sont insupportables ! J’y renonce de bon cœur.
Je ne songeais pas, Madame, que je vais dans un pays où je puis vous rendre quelque service ; n’avez-vous rien à m’y commander ?
Oui-da ; oubliez que je souhaitais que vous restassiez ici ; voilà tout.
Voilà une commission qui m’en donne une autre, c’est celle de rester, et je m’en tiens à la dernière.
Comment ! vous comprenez cela ? Quel prodige ! En vérité, il n’y a pas moyen de s’étourdir sur les bontés qu’on a pour vous ; il faut se résoudre à les sentir, ou vous laisser là.
Je vous aime, et ne présume rien en ma faveur.
Je n’entends pas que vous présumiez rien non plus.
Il est donc inutile de me retenir, Madame.
Inutile ! Comme il prend tout ! mais il faut bien observer ce qu’on vous dit.
Mais aussi, que ne vous expliquez-vous franchement ? Je pars, vous me retenez ; je crois que c’est pour quelque chose qui en vaudra la peine, point du tout ; c’est pour me dire : Je n’entends pas que vous présumiez rien non plus. N’est-ce pas là quelque chose de bien tentant ? Et moi, Madame, je n’entends point vivre comme cela ; je ne saurais, je vous aime trop.
Vous avez là un amour bien mutin, il est bien pressé.
Ce n’est pas ma faute, il est comme vous me l’avez donné.
Voyons donc ; que voulez-vous ?
Vous plaire.
Hé bien, il faut espérer que cela viendra.
Moi ! me jeter dans l’espérance ! Oh ! que non ; je ne donne point dans un pays perdu, je ne saurais où je marche.
Marchez, marchez ; on ne vous égarera pas.
Donnez-moi votre cœur pour compagnon de voyage, et je m’embarque.
Hum ! nous n’irons peut-être pas loin ensemble.
Hé par où devinez-vous cela ?
C’est que je vous crois volage.
Vous m’avez fait peur ; j’ai cru votre soupçon plus grave ; mais pour volage, s’il n’y a que cela qui vous retienne, partons ; quand vous me connaîtrez mieux, vous ne me reprocherez pas ce défaut-là.
Parlons raisonnablement : vous pourrez me plaire, je n’en disconviens pas ; mais est-il naturel que vous plaisiez tout d’un coup ?
Non ; mais si vous vous réglez avec moi sur ce qui est naturel, je ne tiens rien ; je ne saurais obtenir votre cœur que gratis. Si j’attends que je l’aie gagné, nous n’aurons jamais fait ; je connais ce que vous valez et ce que je vaux.
Fiez-vous à moi ; je suis généreuse, je vous ferai peut-être grâce.
Rayez le peut-être ; ce que vous dites en sera plus doux.
Laissons-le ; il ne peut être là que par bienséance.
Le voilà un peu mieux placé, par exemple.
C’est que j’ai voulu vous raccommoder avec lui.
Venons au fait ; m’aimerez-vous ?
Mais, au bout du compte, m’aimez-vous, vous-même ?
Oui, Madame ; j’ai fait ce grand effort-là.
Il y a si peu de temps que vous me connaissez, que je ne laisse pas que d’en être surprise.
Vous, surprise ! Il fait jour, le soleil nous luit ; cela ne vous surprend-il pas aussi ? Car je ne sais que répondre à de pareils discours, moi. Eh ! Madame, faut-il vous voir plus d’un moment pour apprendre à vous adorer ?
Je vous crois, ne vous fâchez point ; ne me chicanez pas davantage.
Oui, Comtesse, je vous aime ; et de tous les hommes qui peuvent aimer, il n’y en a pas un dont l’amour soit si pur, si raisonnable, je vous en fais serment sur cette belle main, qui veut bien se livrer à mes caresses ; regardez-moi, Madame ; tournez vos beaux yeux sur moi, ne me volez point le doux embarras que j’y fais naître. Ha quels regards ! Qu’ils sont charmants ! Qui est-ce qui aurait jamais dit qu’ils, tomberaient sur moi ?
En voilà assez ; rendez-moi ma main ; elle n’a que faire là ; vous parlerez bien sans elle.
Vous me l’avez laissé prendre, laissez-moi la garder.
Courage ; j’attends que vous ayez fini.
Je ne finirai jamais.
Vous me faites oublier ce que j’avais à vous dire : je suis venue tout exprès, et vous m’amusez toujours. Revenons ; vous m’aimez, voilà qui va fort bien, mais comment ferons-nous ? Lélio est jaloux de vous.
Moi, je le suis de lui ; nous voilà quittes.
Il a peur que vous ne m’aimiez.
C’est un nigaud d’en avoir peur ; il devrait en être sûr.
Il craint que je ne vous aime.
Hé pourquoi ne m’aimeriez-vous pas ? Je le trouve plaisant. Il fallait lui dire que vous m’aimiez, pour le guérir de sa crainte.
Mais, Chevalier, il faut le penser pour le dire.
Comment ! ne m’avez-vous pas dit tout à l’heure que vous me ferez grâce ?
Je vous ai dit : peut-être.
Ne savais-je pas bien que le maudit peut-être me jouerait un mauvais tour ? Hé que faites-vous donc de mieux, si vous ne m’aimez pas ? Est-ce encore Lélio qui triomphe ?
Lélio commence bien à me déplaire.
Qu’il achève donc, et nous laisse en repos.
C’est le caractère le plus singulier.
L’homme le plus ennuyant.
Et brusque avec cela, toujours inquiet. Je ne sais quel parti prendre avec lui.
Le parti de la raison.
La raison ne plaide plus pour lui, non plus que mon cœur.
Il faut qu’il perde son procès.
Me le conseillez-vous ? Je crois qu’effectivement il en faut venir là.
Oui ; mais de votre cœur, qu’en ferez-vous après ?
De quoi vous mêlez-vous ?
Parbleu ! de mes affaires.
Vous le saurez trop tôt.
Morbleu !
Qu’avez-vous ?
C’est que vous avez des longueurs qui me désespèrent.
Mais vous êtes bien impatient, Chevalier ! Personne n’est comme vous.
Ma foi ! Madame, on est ce que l’on peut quand on vous aime.
Attendez ; je veux vous connaître mieux.
Je suis vif, et je vous adore, me voilà tout entier ; mais trouvons un expédient qui vous mette à votre aise : si je vous déplais, dites-moi de partir, et je pars, il n’en sera plus parlé ; si je puis espérer quelque chose, ne me dites rien, je vous dispense de me répondre ; votre silence fera ma joie, et il ne vous en coûtera pas une syllabe. Vous ne sauriez prononcer à moins de frais.
Ah !
Je suis content.
J’étais pourtant venue pour vous dire de nous quitter ; Lélio m’en avait prié.
Laissons là Lélio ; sa cause ne vaut rien.
Scène IX
modifierLE CHEVALIER, LA COMTESSE, LÉLIO
Lélio arrive en faisant au Chevalier des signes de joie.
Tout beau, Monsieur Le Chevalier, tout beau ; laissons là Lélio, dites-vous ! Vous le méprisez bien ! Ah ! grâces au ciel et à la bonté de Madame, il n’en sera rien, s’il vous plaît. Lélio, qui vaut mieux que vous, restera, et vous vous en irez. Comment, morbleu ! que dites-vous de lui, Madame ? Ne suis-je pas entre les mains d’un ami bien scrupuleux ? Son procédé n’est-il pas édifiant ?
Eh ! Que trouvez-vous de si étrange à mon procédé, Monsieur ? Quand je suis devenu votre ami, ai-je fait vœu de rompre avec la beauté, les grâces et tout ce qu’il y a de plus aimable dans le monde ? Non, parbleu ! Votre amitié est belle et bonne, mais je m’en passerai mieux que d’amour pour Madame. Vous trouvez un rival ; eh bien ! prenez patience. En êtes-vous étonné, si Madame n’a pas la complaisance de s’enfermer pour vous ; vos étonnements ont tout l’air d’être fréquents, et il faudra bien que vous vous y accoutumiez.
Je n’ai rien à vous répondre ; Madame aura soin de me venger de vos louables entreprises. (À La Comtesse.) Voulez-vous bien que je vous donne la main, Madame ? car je ne vous crois pas extrêmement amusée des discours de Monsieur.
Où voulez-vous que j’aille ? Nous pouvons nous promener ensemble ; je ne me plains pas du Chevalier : s’il m’aime, je ne saurais me fâcher de la manière dont il le dit, et je n’aurais tout au plus à lui reprocher que la médiocrité de son goût.
Ah ! j’aurai plus de partisans de mon goût que vous n’en aurez de vos reproches, Madame.
Cela va le mieux du monde, et je joue ici un fort aimable personnage ! Je ne sais quelles sont vos vues, Madame ; mais…
Ah ! je n’aime pas les emportés ; je vous reverrai quand vous serez plus calme.
Elle sort.
Scène X
modifierLE CHEVALIER, LÉLIO
Ah ! ah ! ah ! ah ! voilà une femme bien dupe ! Qu’en dis-tu ? ai-je bonne grâce à faire le jaloux ? (La Comtesse reparaît seulement pour voir ce qui se passe. Lélio dit bas :) Elle revient pour nous observer. (Haut.) Nous verrons ce qu’il en sera, Chevalier ; nous verrons.
Ah ! l’excellent fourbe ! (Haut.) Adieu, Lélio ! Vous le prendrez sur le ton qu’il vous plaira ; je vous en donne ma parole. Adieu.
Ils s’en vont chacun de leur côté.