La Duchesse de Châteauroux/Avant-Propos

Michel Lévy frères, éditeurs (p. 1-2).


AVANT-PROPOS




La vie de la duchesse de Châteauroux, ou plutôt le règne si brillant et si court de cette femme, surnommée par ses ennemis même la seconde Agnès Sorel, m’a paru d’un assez grand intérêt pour être offert au public dans toute sa simplicité historique. Après avoir recueilli les principaux faits dans les gazettes, dans les historiens de cette époque, j’ai trouvé tant de détails précieux dans les mémoires ; dans les correspondances particulières, que je me suis contentée de les reproduire, en y joignant seulement le dialogue que j’ai supposé être le plus vrai, soit en raison des événements ou des caractères connus des personnages de ce drame. Les renseignements que j’ai dus à l’extrême complaisance de M. le comte de Mailly ; les recherches dans lesquelles M. Champollion a bien voulu m’aider, eu réunissant les manuscrits et les lettres autographes où je pouvais puiser les documents les plus certains, donneront, j’espère, à cet ouvrage le cachet de vérité que l’imagination du romancier ne peut atteindre.

Voici comment M. de Meilhan, le satirique, peint madame de Châteauroux dans sa galerie de portraits écrits. On sait s’il fallait mériter un éloge pour l’obtenir de sa plume sévère.

« Madame de Châteauroux était belle, et de la plus intéressante figure ; elle avait de l’élévation dans l’âme ; et, supérieure à tout vil intérêt, son ambition était du genre le plus noble. Aimant passionnément la personne du roi, elle s’occupait constamment de sa gloire. Comme une autre Agnès Sorel, elle lui inspira le désir de se mettre à la tête de ses troupes, etc., etc. »

Cet exemple d’une faiblesse ennoblie par tant de sentiments élevés, d’un amour passionné appliqué à la gloire de celui qui l’inspire, aux grands intérêts de la patrie, m’a semblé un heureux contraste à opposer à la peinture de ces amours criminels, féroces, cadavéreux, qui font le sujet de la plupart de nos ouvrages nouveaux. Espérant que le public pourrait bien être fatigué de la parodie bourgeoise de cette fameuse rouerie, née des orgies de la régence ; que ces égoïstes, infidèles par ton, ces femmes blasées qui savent tout et sont toujours dupes, étaient peut-être passés de mode, j’ai pensé que le tableau d’un amour véritable, au milieu d’une cour corrompue et dévote, serait pour le lecteur, accoutumé au sublime de l’horreur, comme la vue d’un ombrage frais après la traversée d’un désert brûlant ; et puis c’est quelque chose, pour une femme habituée à parer l’héroïne de ses romans d’une rare beauté, d’un noble caractère, d’un cœur aimant, que de pouvoir dire : Celle-là, je n’ai eu qu’à la raconter.